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dimanche 23 avril 2017

Hiawyn Oram : La sorcière aux trois crapauds


Ma petite-fille est en CP. Elle vient juste d'avoir 7 ans et va commencer à participer à mon blog pendant les vacances pour vous faire partager ses lectures.  Elle a choisi pour pseudonyme son deuxième prénom : Appoline

Ma librairie sera désormais le blog de la petite-fille et de sa grand-mère, le lieu de rencontre d'Appoline  et Claudialucia.

 

 Titre du livre :

La sorcière aux trois crapauds

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Auteur du livre : Hiawyn Oram

Illustrateur : Ruth Brown

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Edition : 
Gallimard Jeunesse

Collection :
 Folio cadet premières lectures

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Résumé de la quatrième de couverture

Toute-Douce doit rapporter à ses deux méchantes soeurs Toute-Vilaine et Toute-Méchante l'un des trois crapauds de l'horrible sorcière Baba Yaga. Pour cela elle devra effectuer trois tâches impossibles.

Un conte de fées dans la tradition russe.
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La phrase que j’ai préférée :

"Je sais déjà laquelle des trois viendra bientôt me rendre visite, dit la sorcière."
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J’ai trouvé l’histoire :

Passionnante Intéressante Ennuyeuse

Amusante Inventive Triste    émouvante  effrayante

Réelle Imaginaire Historique

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Ce que j'ai aimé dans l'histoire :

J'ai aimé la petite poupée de Toute-Douce parce qu'elle était magique; c'est sa maman qui lui a donnée quand elle est morte.

J'ai aimé les pattes de poule de la cabane de Baba Yaga

La morale de l'histoire : Je savais déjà qu'il fallait être gentille mais pas trop, trop, trop, parce que sinon on se fait marcher sur les pieds.

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J’ai aimé l’histoire :

Un peu    Moyennement   beaucoup   Un coup de coeur

J’ai aimé l’illustration :

Un peu    Moyennement   beaucoup   Un coup de coeur


Fiche 2 : Appoline

Avis de la grand-mère :   Ce livre est l'adaptation du conte traditionnel russe : Vassilisa la Belle. Apolline connaît bien le conte qu'elle a vu deux fois, sur la scène, au festival d'Avignon. C'est peut-être pour cela qu'elle a moins aimé cette version résolument moderne qui l'a surprise. Pour ma part, j'ai apprécié la morale détournée du conte qui dit aux filles que c'est bien d'être gentilles mais qu'il ne faut tout de même pas l'être trop. Un discret message féministe ! Les illustrations sont très belles et réalistes : la sorcière Baba Yaga est assez effrayante !

vendredi 21 avril 2017

Judith Perrignon : Victor Hugo vient de mourir



Victor Hugo vient de mourir ! Oui, je sais, ce n’est pas un scoop ! Et nous savons tous que le décès du poète en 1885 et ses obsèques ont eu un retentissement national et international immense et ont suscité une énorme émotion tant auprès du gouvernement que du peuple. Mais ce que nous savons moins et Judith Perrignon va nous en faire un compte rendu animé au cours d’un récit bouillonnant de vie, de drames et de fracas, c’est tout ce qui tourne autour de cet événement, toutes les implications politiques, religieuses, humaines de cet événement hors du commun : la Mort du Poète ! Ce  petit livre très réussi nous mène donc d’étonnement en étonnement.

Dès l’annonce de sa fin prochaine, des milliers de personnes se pressent auprès de sa demeure, hommes politiques, célébrités, membres du gouvernement,  grands de ce monde, mais aussi les obscurs :

"Viennent tous ceux qui ne laisseront aucune trace. Ils ne sont pas les moins tristes, ces ouvriers et ces ouvrières s’arrêtant un instant sur le chemin du travail et demandant sous la porte du petit hôtel : Comment va-t-il?"

Dans les jours qui suivront le décès  « C’est la marée montante devant la maison du poète. La foule est de plus en plus considérable. »

Les implications religieuses

Le Panthéon

Bien avant sa mort, lorsque sa fin est annoncée, le combat idéologique de l’Eglise commence ! Il s’agit d’obtenir que Victor Hugo fasse amende honorable et demande les derniers sacrements. Il faut le récupérer sur son lit de mort pour montrer au peuple que le poète s’est repenti et a regretté sa conduite anticléricale.

« Si Hugo persiste à refuser l’extrême-onction, quel dangereux signal envoyé aux foules et au reste du monde. »

Or, si sa foi en Dieu est vive, Hugo a toujours méprisé les prêtres, ceux qui sont du côté des puissants et des riches, insensibles à la misère et aux souffrances du peuple. Jusqu’à son dernier souffle, il a répété : « pas de prêtre » !
« Un mot de lui, un prêtre auprès de lui, et ce sont les Lumières qui s’éteignent, les dévotions qui se vengent, chacun le sent, le sait, chacun tire le mourant pour le faire tomber de ce côté. »
L’enjeu est immense ! Aussi lorsque l’évêque Freppel se présente en confesseur pour forcer la porte du moribond, les parents et amis de Hugo l’empêchent d’accéder jusqu’à lui. Plus tard, quelques jours après sa mort, lorsque le cadavre de Hugo mal embaumé se couvrira de taches obligeant à la fermeture prématurée du cercueil, les représentants de l’église feront courir le bruit que Dieu s’est détourné de lui et l’a puni ! La bataille ne s’arrête pas là et continue avec la laïcisation de l’église Sainte Geneviève définitivement enlevée au culte pour devenir le Panthéon qui accueillera le grand homme mais tout ceci non sans remue-ménage et scènes de comi-tragédie aigre-douce.

Les implications politiques

Les Funérailles de Victor Hugo : arrivée du cortège au Panthéon
Les enjeux politiques sont nombreux et si différents que l’on l’impression d’une toile d’araignée aux fils inextricablement enchevêtrés dans laquelle chacun s’empêtre et cherche  à tirer le cadavre à soi. De l’extrême droite à l’extrême gauche, même les royalistes, même les Bonapartistes, c’est « l’unanimité nationale » il faut rendre les honneurs au Grand Homme mais…

La République embourgeoisée, dévoyée par son culte de l’argent, s’inquiète, voit le spectre de la révolution s’agiter devant elle.. Qui sait ce que vont faire  les ouvriers ? Comment contenir le peuple?
 Et les autres ?  Les anarchistes  veulent défiler avec le drapeau noir marqué du vers de Hugo : « Le peuple a sa colère  et le volcan sa lave qui dévaste d’abord et qui féconde après » ;  les communards avec le drapeau rouge sur lequel sera inscrit Amnistie. Même si ces derniers en veulent à Hugo de ne pas les avoir soutenus au moment de l’insurrection, ils lui sont redevables de l’asile qu’il a donnée chez lui aux membres de la Commune vaincue, de son intervention pour sauver Louise Michel et de ses demandes d’amnistie réitérées en faveur des communards. Des rumeurs d’attentat circulent; la tension monte. La cavalerie tire sur la foule composée d’anarchistes, de communards, des tailleurs en grève, de la chambre syndicale des menuisiers qui s’était réunie  dès le premier dimanche au cimetière du Père Lachaise pour une journée du souvenir. Morts rapidement enterrés, nombreux blessés. Le gouvernement a gagné son épreuve de force avant même que commencent les commémorations de deuil officielles !

Le catafalque de Victor Hugo à L'Arc de Triomphe

Et la République prend des mesures : Le drapeau noir et le drapeau rouge seront interdits.  Les funérailles auront lieu le lundi 1er Juin 1885, un jour où les ouvriers seront au travail et non le dimanche. Si bien que les ouvriers, ceux que Victor Hugo a passé sa vie à défendre, ne seront pas présent à l’enterrement de leur poète. Mais, le dimanche 31 Mai,  précédant la cérémonie, ils pourront défiler devant le catafalque du poète exposé à l’Etoile, une journée interrompue d’hommages qui se terminera la nuit par une orgie dans les rues de Paris. Qu’importe ? La police ferme les yeux. Il vaut mieux que les misérables bafouent les bonnes moeurs plutôt que l’ordre bourgeois !

Arrivée du cortège rue Soufflot
 Et c’est ainsi que Hugo « n’est plus que le héros impuissant de ses obsèques ».  Le défilé sera immense : deux millions de personnes. Les derniers arriveront au Panthéon quatre heures après la mise au tombeau du poète.
Le gouvernement est satisfait,  le ministre Targé, le préfet, les commissaires de police, les membres du parlement sont rassurés : « la foule chantait, les ouvriers étaient parqués dans leurs ateliers, les drapeaux colorés étaient confisqués et le plus applaudi des chars étaient celui de l’Algérie » préfigurant la lutte coloniale qui allait s’ouvrir pour « conquérir, pomper, pomper, écraser et voler ». Et non comme certains veulent bien nous le faire accroire aujourd’hui encore, par altruisme et pour doter les Algériens de routes et des bienfaits de notre civilisation !
Le lendemain le journal La Bataille titrait : On a fait au poète des Misérables des obsèques de Maréchal. On ne dégrade pas mieux un homme ».

Documenté, précis, cultivé, vivant, ce petit livre m’a donné beaucoup de plaisir et, ce qui ne gâche rien, il a parfois des accents hugoliens. Jugez plutôt !

« La République ce jour-là étouffait l’homme révolté. La phrase était en cage. »




Le 2 août 1883, Victor Hugo avait remis à son ami Auguste Vacquerie, dans une enveloppe non fermée, les lignes testamentaires suivantes, qui constituaient ses dernières volontés pour le lendemain de sa mort.
Je donne cinquante mille francs aux pauvres. Je désire être porté au cimetière dans leur corbillard.

Je refuse l'oraison de toutes les églises; je demande une prière à toutes les âmes.
Je crois en Dieu.
VICTOR HUGO.



jeudi 20 avril 2017

Vilhem Moberg : La saga des émigrants Tome IV : Les pionniers du Minnesota/ Tome V Le Terme du voyage


Kristina et Karl-Oscar : départ de leur pays natal

 
Pour en finir avec La saga des émigrants de l'écrivain suédois Vilhem Moberg (voir billet n° 1 Tome I et II ; Billet n° 2 tome III) voici la présentation des deux derniers volumes dans ce billet n°3.


 Tome  IV : Les pionniers du Minnesota

 


 
Ce quatrième tome  raconte l’installation de la famille de Karl Oskar autour du lac Ki- Chi-Saga et la venue autour d’eux de  milliers de Suédois dont la colonie ne cesse d’augmenter. Avec la transformation des paysages, le défrichage de la forêt, l’ensemencement des champs et la relative prospérité qui s’en suit, nous assistons à la construction de l’Amérique :  Le Minnesota est reconnu comme état par Lincoln. La communauté suédoise doit s’organiser. Peu habitués à la liberté, eux qui étaient sous tutelle aussi bien temporelle que spirituelle dans leur pays d’origine, ils se rendent compte qu’ils ne peuvent plus rien attendre que d’eux-mêmes.  Entièrement libres même au point de vue religieux puisqu’ils n’ont pas de clergé, ils doivent décider de tout.  Ils doivent  se doter d’une église, d’une école…  La liberté va de pair avec la responsabilité :
"Ceci les obligea à faire preuve de vertus dont ils n’avaient pas l’usage dans leur pays natal. Ils transformèrent l’Amérique, - mais l’Amérique les transforma également."
Ce tome IV voit aussi le retour de Robert dans la famille de son frère et le récit de son épopée avec Arvid à la recherche de l’or californien. C’est un des épisodes les plus sombres du récit  dans lequel Vilhem Moberg  révèle une réelle puissance  dramatique. Le destin de Robert si épris de liberté et d’absolu et en même temps si naïf, si crédule, est un moment déchirant.

 Tome V Le Terme du voyage

 


Les  deux personnages principaux  Kristina et Karl-Oscar ont vieilli. C’est comme l’indique le titre du Tome V, c’est le terme de leur voyage ! Tous deux ont été réunis toute leur vie pas un amour très fort, qui se passe bien souvent de mots, mais s’est consolidé dans une mutuelle compréhension et un soutien sans faille. Pourtant tous deux sont très dissemblables dans leur foi et dans leur adaptation au pays : La foi de Kristina doit passer par l’acceptation totale de la volonté divine même lorsqu’il s’agit de ses maternités à répétition qui épuisent sa santé et la mettent en danger. Pour elle, tout ce qui arrive est voulu par le créateur. Karl-Oscar, au contraire, mise sur la liberté et la volonté humaine. La réussite dépend de lui et de lui seul. Il est de cette race de pionniers qui a pour devise : « Aide-toi, le ciel t’aidera ». De même Kristina aura toujours la nostalgie du pays natal et refuse d’apprendre l’anglais; alors que Karl-Oscar fait tout pour pouvoir s’intégrer et se sentir réellement américain. C’est pourquoi il cherche à s’engager lorsque survient la guerre de Sécession. 

A la fin de ce dernier volume, la boucle est bouclée, les premiers colonisateurs s’éteignent et laissent la place à la nouvelle génération. Les enfants sont déjà de bons petits américains; ils parlent la langue et éprouvent même un peu de honte envers leur père qui parle si mal l’anglais. Ils n’ont pas de nostalgie pour un pays qu’ils ne connaissent pas. Ils sont l’Amérique en marche.

mardi 18 avril 2017

Jeanne Boyer : AbracadAchat, Mille et un petits chats





Ma petite fille est en CP. Elle vient juste d'avoir 7 ans et va commencer à participer à mon blog pendant les vacances pour vous faire partager ses lectures.  Elle a choisi pour pseudonyme son deuxième prénom : Appoline

Ma librairie sera désormais le blog de la petite-fille et de sa grand-mère, le lieu de rencontre d'Appoline  et Claudialucia.

 

 Titre du livre :

Abracadachat Mille et un petit chats
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Auteur du livre :

Jeanne Boyer

Illustrateur :

Anne Hemstege
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Edition : 

Rageot collection Petits romans (41 pages)

Dès 7 ans
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Résumé de la quatrième de couverture : 

Sacha, la petite fille qui sait se transformer en chat, apprend que les chatons disparaissent les uns après les autres ... Vite, elle mène l'enquête !

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La phrase que j’ai préférée :

Un petit chat 
dort dans mon coeur
Quand je m'étire,
 il se réveille
Abracadabra,
Le chat, c'est moi !

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L'histoire est :


Passionnante  Intéressante Ennuyeuse

Amusante Inventive Poétique  Effrayante Triste Emouvante

Réelle Imaginaire Historique

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J’ai aimé l’histoire :


Un peu    Moyennement   beaucoup   Un coup de coeur

J’ai aimé l’illustration :


Un peu    Moyennement   beaucoup   Un coup de coeur

 Appoline : Fiche  n°1

Avis de la grand mère :   Un charmant petit livre que ma petite-fille a lu toute seule. Bien adapté à son âge. Il a beaucoup plu à Appoline qui a une passion pour les chats. La formule magique est un joli poème !

dimanche 16 avril 2017

Vilhem Moberg : La saga des émigrants Tome III La terre bénie


J’ai présenté les deux premiers tomes de La saga des émigrants de Vilhem Moberg Ici. Voici maintenant la suite :

Tome III :  La terre bénie

 

Une image du Minnesota de nos jours  
 
 
Lorsqu’ils arrivent à New York, les émigrants ne sont pas encore au bout de leurs peines. La visite de Broadway par les plus intrépides, Robert et Arvid, est un véritable choc culturel. Mais la route est encore loin jusqu’au Minnesota.
Voici leur itinéraire selon les termes de leur contrat en date du 26 Juin 1850  : De New York à Albany par bateau à aubes en remontant l’Hudson; d’Albany à Buffalo par voiture à vapeur et de Buffalo à Chicago par bateau à vapeur.  Et puis par leur propre moyen jusqu’au Minnesota. Encore bien des dangers les guettent, le choléra règne à bord d’un des bateaux, c’est d’ailleurs une maladie endémique qui a décimé de nombreuses colonies partout dans le pays. Privations et souffrances pour la famille de Kristina et Karl Oscar et leurs amis.

Une recherche historique solide

Le train :  une voiture à vapeur qui terrifie les immigrants.
 
 
Comme dans les précédents romans, ce qui me frappe c’est la profonde connaissance de Vilhem Moberg envers son sujet. Il a fouillé toutes les archives concernant l’émigration suédoise en Suède et aux Etats-Unis et s’appuie sur des textes solides : la liste de de ceux qui sont partis du village de Ljuberg, les contrats qu’ils ont passés avec les compagnies maritimes, le prix qu’ils ont payé pour les différentes étapes du voyage et pour l’acquisition des terres, pour l’achat du matériel agricole et des animaux de ferme très coûteux, l’accueil réservé aux nouveaux  arrivants…. Mais il va encore plus loin grâce au courrier envoyé par les immigrants à leur famille restée au pays. Il peut ainsi décrire les mentalités des ces personnes déracinées, marquées par la religion et l’obscurantisme et par l’absence de liberté,  il peut connaître par l'intérieur les sentiments que ces gens ont éprouvés. Par exemple, leur terreur en montant dans un voiture à vapeur, un train qui crache le feu et peut à tout instant les brûler vifs. Une invention voulue par le diable? L’ivresse de découvrir des terres vierges, riches, à déchiffrer où la terre fertile rend au centuple les efforts du paysan pour l’ensemencer. Mais aussi la découverte d’un climat rigoureux avec un hiver enneigé et glacial et un été démesurément chaud. Et le mal du pays. Et puis la menace des indiens que l’on repousse de plus en plus loin. Vilhem Moberg a mis douze ans pour écrire ce livre, fruit de recherches approfondies.

Le thème épique

 

Minnesotta : prairie

 
On retrouve dans ce troisième tome, le thème épique avec, toujours, ce contraste entre la faiblesse de l’homme et la puissance infini de la nature.
Les immigrants avaient franchi la porte de l’Ouest. Ils se trouvaient à bord d’un nouveau bateau à vapeur et, sur celui-ci ils allaient traverser une nouvelle mer, qui ne ressemblait à aucune de celles qu’ils avaient déjà sillonnées, une mer qui n’était pas faite d’eau mais d’herbe, cette grande mer de l’Ouest américain ayant pour nom la prairie.

Ce qui donne lieu à de belles pages descriptives qui nous permettent d’imaginer le spectacle digne de la Création du monde qui s’ouvrait aux yeux de « ces paysans venus de la forêt ». Il y avait de quoi en avoir le vertige, et ceci d’autant plus pour un peuple nourri de la Bible.

Ces paysans venus de la forêt avaient un mouvement de recul devant l’immensité incompréhensible qui s’ouvrait devant eux. Ils désiraient certes trouver un sol plat et régulier, mais il ne fallait pas qu’il ne soit pas accidenté aussi vaste put-il être. Il manquait quelque chose, sur cette prairie : Dieu n’y avait pas totalement achevé la Création. Il avait fait le Ciel et la terre, il avait planté l’herbe et ce qui poussait sur le sol, mais il avait oublié les arbres, les buissons, les vallons et les hauteurs. Et cette mer constituée d’herbe et non pas d’eau les effrayait par son immensité, elle aussi?

Amitié et solidarité

Dans le film de J Toelle : Kristina et Karl-Oscar

 
Mais le roman est aussi une ode à l’amitié et la solidarité. Le danger le plus grave qui menace les immigrants en dehors des épidémies et de la faim, ce sont les autres. Toute une faune humaine qui rôde autour des nouveaux venus et cherche à gagner leur confiance pour mieux les détrousser. Gare aux naïfs et à ceux qui croient en la bonté humaine ! Robert aussi bien que son frère aînée Karl-Oscar en font les frais. Pourtant, il y a de beaux moments d’humanité et des rencontres qui redonnent confiance en la nature humaine.
C’est là, en effet, que va naître la grande amitié entre Kristina et Ulrika la prostituée. Tout sépare pourtant ces deux femmes. D’un côté, la prude et religieuse Kristina, plutôt collet monté, si docile aux commandements de l’Eglise et à la parole du pasteur; de l’autre La Joyeuse comme on la surnomme, à la vie scandaleuse - Kristina apprendra que Ulrika est avant tout une victime- qui a son franc parler, un peu vulgaire, et nomme un chat un chat, elle qui connaît si bien les hommes et leurs désirs refoulés. Le partage du pain, scène biblique, dans le train, est une très belle scène  traitée avec sobriété et délicatesse. Entre elles, va naître une amitié irréductible.
Et puis la solidarité : Le pasteur Jakob les accueille avec tant de bonté à leur arrivée. Le contraste entre le clergé suédois riche, soutenant les intérêts des puissants, durs envers les pauvres qu’il domine par la peur, et Jakob si bon, si attentif, si délicat envers les humbles va être une révélation. 
Il y a aussi, cette vache que l’on prête à la famille et qui permet d’avoir du lait, sauvant les enfants d’une mort certaine pendant ce premier hiver dans le Minnesota et ces échanges de services et de compétences, ces partages d’outils, ces travaux faits en commun qui permettent d’avancer dans la construction des cabanes et le défrichage des terres. Une course contre la montre est engagée, les premières années, pour assurer la survie de la famille; sans compter les nouveaux enfants qui vont naître, bénédiction de Dieu (ou malédiction de la femme?) et bouches supplémentaires à nourrir. Avec Kristina, se développe le thème du mal du pays, du regret lancinant du pays natal. Contrairement à Karl-Oscar, la jeune femme s'adapte mal à son nouveau pays.  C’est aussi dans ce livre que l’on voit le départ de Robert et Arvid pour la Californie à la recherche de l’or. Ce n’est pas la cupidité qui mène Robert mais son désir d’être libre, d’être riche pour ne plus appartenir à aucun maître. De nombreux thèmes, donc , qui font la richesse de ce livre.

Ce tome III est donc encore un très beau moment de La saga des émigrants.

samedi 15 avril 2017

Vilhem Moberg : La saga des émigrants Tomes I et II Au Pays/ La traversée

 
Je lis moins en ce moment, lassitude ? mais il ne faut pas croire pourtant que je peux me passer de ma drogue quotidienne ! Il me faut simplement trouver des livres faciles à lire (bon, attention, cela ne veut pas dire idiots ! ) et qui me procurent une évasion voire une addiction ! Et cela existe ! C’est ce que je viens de vivre avec les cinq tomes de La saga des émigrants de l’écrivain suédois Vilhem Moberg  dans la collection de poche. Il peut avoir jusqu’à huit divisions dans d’autres éditions.

Mais évasion n’a rien de péjoratif, évasion signifie voyage passionnant, plein de découvertes, d’aventures, mais aussi de réflexions sur l’humain : sur la liberté de conscience, le rôle de la  religion et de de la foi, sur le libre arbitre aussi, sur le courage de ces hommes et ces femmes qui ont fondé l’Amérique et cultivé au péril de leur vie ces terres riches; ce qui n’occulte pas les problèmes des peuples amérindiens spoliés de leur terre, de leur terrain de chasse et voués à la famine. Cette suite de plus de 2000 pages a été élue par les suédois comme le meilleur roman de la littérature suédoise.

Tome I :  Au Pays


 
Dans le Tome I, sont posées les bases de l’histoire, les raisons de l’émigration et la présentation des personnages auxquels nous allons nous attacher pour cette longue traversée littéraire d’un continent à l’autre.
Car La saga des émigrants est un voyage dans l’espace et dans le temps : nous sommes dans le Smäland, province du sud-est de la Suède dans les années 1830 à 1850. A travers plusieurs familles de Ljuger et sur plusieurs années, le lecteur est introduit dans la vie quotidienne des habitants et comprend comment ceux-ci ont été poussés à l’exil. Le pays est régi par une autocratie rigoureuse dans laquelle le souverain est relayé par le clergé qui a tout pouvoir sur les consciences; la censure est telle qu’elle brime toute liberté individuelle. Les gens sont considérés comme hérétiques s’ils lisent la bible chez eux sans avoir recours au pasteur; la persécution religieuse est implacable pour ceux qui ne respectent pas strictement l’orthodoxie religieuse.


 
 
Enfin, c’est aussi un pays où la terre est rare pour les plus humbles, où la famine règne. On comprend, dans ce cas qu’il y ait eu plus d’un million de suédois, pour beaucoup des agriculteurs, qui choisit l’exil en Amérique, plus d’un million à quitter le pays pour s’installer sur les terres américaines attribuées aux colons qui venaient s’y installer pour les cultiver.
La famille Nilsa, le père Karl-Oscar, la mère Kristina et leurs enfants sont parmi ces mal lotis, s’échinant toute la journée sur une terre ingrate et caillouteuse, soumis aux aléas du climat ou de la sècheresse qui les laissent exsangues. De plus, la toute puissance des nantis, des riches propriétaires terriens sur leurs employés est sans limites. Les valets sont liés par un contrat à leur patron qui a tous les droits et peut exercer sa violence sur eux en toute légitimité. Ainsi le jeune frère de Karl Oscar, Robert, rêveur et insoumis, placé comme valet chez un maître brutal est frappé si violemment qu’il s’enfuit; poursuivi par la police, il est obligé de vivre caché. C’est lui qui, le premier, a l’idée de partir en Amérique et cherche à entraîner dans l’exil son ami Arvid. Son frère Karl Oscar le rejoint bientôt dans cette idée et, après la mort de sa petite fille pendant un hiver de famine, il donne corps à ce rêve en vendant la ferme. La fin de ce tome I raconte les préparatifs de départ et le ralliement de ceux qui décident de partir avec eux : le voisin, Jonas Petter, mal marié, qui fuit sa femme, l’oncle de Kristina, Daniel Andreadson, illuminé qui se croit investi d’une mission par Jésus et est obligé de fuir la persécution religieuse avec sa famille et ses convertis. Parmi eux, la prostituée Ulrika de Västergölh une femme de caractère et sa fille Elin

Tome II : La traversée



 
Ce qui est bien avec cette Saga, c’est que l’intérêt augmente d’un tome à l’autre. L’on a souvent entendu parler des souffrances subies par les pionniers entassés dans des cales exiguës, sans possibilité d’intimité ni d’hygiène, tourmentés par les poux, le mal de mer et bientôt le scorbut, mais c’est autre chose de le vivre par l’intermédiaire des personnages. Dès son premier pas sur La Charlotta, vieux rafiot qui ne semble pas pouvoir tenir la route, Kristina, enceinte, sait qu’elle va mourir. Nous assistons avec empathie aux épreuves quotidiennes qu’endurent les voyageurs. L’absence de vent retarde encore l’arrivée à New York. La maladie sévit, la mort rôde et emporte plusieurs d’entre eux. Les conditions de vie, les rapports conflictuels liés à la promiscuité, l’odeur pestilentielle, la saleté, les vomissures qui s’incrustent dans les vêtements, les cheveux, sur les couvertures, sont décrits avec un tel réalisme que l’on a parfois l’impression de partager cet enfer.

D’autre part, Vilhem Moberg décrit avec beaucoup d’acuité la psychologie des personnages, leur révolte vis à vis de Dieu qui les abandonne à l’océan ou au contraire la foi qui les raffermit; leur peur de cette immensité liquide prête à les engloutir. Il analyse leurs sentiments lorsqu’ils comprennent que c’est un voyage sans retour, qu’ils ne reverront plus jamais la terre natale et les vieux parents qu’ils ont laissés désemparés sur le pas de la porte, et aussi les lieux où ils ont été jeunes et amoureux.

Le style est parfois empreint de nostalgie, parfois traversé d’humour comme lorsque Robert apprend l’anglais ; il peut atteindre le burlesque avec les contes grivois de Jonas Petter mais il prend aussi le ton l’épopée. En effet, il y a quelque chose d’épique dans cette traversée, dans le contraste entre l’infiniment petit, les hommes, face à l’immensité de l’océan.

Robert écoutait le fracas des paquets de mer, au-dessus de leurs têtes. Ils claquaient, clapotaient, puis coulaient sur le pont. Une puissante masse d’eau s’abattait, cognait contre le navire et rebondissait. Lorsque la vague se brisait sur le pont le bruit faisait vacarme et bouchait les oreilles comme une grande giffle. La vague venait frapper le flanc du navire, se brisait et retombait dans la mer. Puis survenait la suivante (…) Il écoutait ces vagues, les unes après les autres, et entendait le navire se libérer chaque fois de la langue de mer, échapper à la grande gueule béante du monstre. La Charlotta flottait toujours.

 L’énergie dans la marche de ce petit voilier se frayant un chemin sur les abysses, le courage, la détermination de ces pauvres gens, malgré leurs doutes et leurs angoisses, nous entraînent bien loin. Un suspense se crée; une envie d’arriver au port comme eux. Une lecture, donc, que l’on ne peut quitter. Je  dois dire que j’ai préféré le deuxième tome même si j’ai aimé le premier. Je considère Au Pays comme une  scène d’exposition nécessaire et intéressante. Mais La Traversée est animé d’un souffle plus intense.
 

Scène du film Les émigrants : Kristine, Karl-Oscar et leurs enfants

 
 
Je vous parlerai dans un prochain billet des volumes suivants : 
Tome III : La terre bénie
Tome IV : Les pionniers du Minnesota
Tome V : Au terme du voyage
 

Vilhem Moberg  auteur de La saga des émigrants : photographie de Lars Nordin.
Vilhem Moberg : photographie de Lars Nordin.


mercredi 12 avril 2017

Nia Diedla : Entre photographie et poésie Itinéraires des Photographes voyageurs Bordeaux

NIa Diedla : Maleza au festival  Itinéraires des photographes voyageurs  à Bordeaux
Nia Diedla (source)

Un jour j’ai trouvé un jardin
Un jardin minuscule qui se cachait
dans un cageot de pommes.
J’ai posé mes pieds dedans…


                                                        Poème de Nia Diedla

NIa Diedla : Maleza au festival  Itinéraires des photographes voyageurs  à Bordeaux
Photographie et poème de Nia Diedla
Pour ce rendez-vous poétique que nous avons le jeudi avec Asphodèle, j’ai envie de vous proposer d’entrer dans l’univers photographique de Nia Diedla. Et oui, car chaque image de la jeune photographe Nia Diedla est poème et chaque texte qu’elle écrit est image. Et la poésie naît de « cette communion » entre la photographie et le mot.

"J'ai des images qui poussent dans ma tête...

Parfois, il me manque la langue pour les nommer

Parfois, il n'existe pas le mot, et je l'invente

Parfois..."

Nia Diedla Maleza ou le journale de mes racines au festival itinéraire des photogrpahes de Bordeaux
Nia Diedla : Triptyque

Au festival photographique de Bordeaux Itinéraire des photographes voyageurs, Nia Diedla présente un travail intitulé Maleza, le journal de mes racines. La photographe est née à Santiago du Chili en 1979 et vit actuellement à Paris, entre deux pays, entre deux langues qu’elle « habite », entre le passé de ses aïeules qu’elle explore et son présent, entre le réel et l’imaginaire.

Mes aïeules quittèrent l’Europe en bateau, j’ignore lequel, et en quelle année. Mais ce que je sais, c’est que jamais elles ne revinrent. Sans doute, un peu d’elles est resté ici…Je les imagine comme de l’herbe sauvage, de celle qui pousse partout, et où je pousse moi aussi maintenant. La Maleza est sauvage, d’une beauté étrange et féminine, elle pousse dans des endroits où on ne l’attend pas, d’où on l’arrache, mais elle revient toujours, sans renoncer. Une fleur qui n’est pas une et pourtant qui l’est aussi.

NIa Diedla : Maleza au festival  Itinéraires des photographes voyageurs  à Bordeaux
NIa Diedla : Maleza

La Maleza, cette fleur sauvage, mauvaise herbe qui croît partout et lance ses racines si profondément dans la terre que l’on ne peut l’en extirper, c’est la métaphore de ses ancêtres mais aussi, bien sûr, d’elle-même. Car Nia Diedla l'affirme. Elle aime la métaphore, et les images de l’exposition groupées en diptyque ou triptyque nous le confirment tout en nous murmurant son histoire, ses histoires…


NIa Diedla : Maleza au Festival Itinéraires des photographes voyageurs à Bordeaux
Nia Diedla :

Femme-arbre, nervure de la colonne vertébrale, matière, tissu de la manche comme une feuille séchée, osmose entre la femme et l'arbre, rameaux, racines, vaisseaux sanguins qui se ramifient, envahissent le sol, le tapissent, le colonisent, irriguent les bronches, les poumons. Miracle de la vie qui surgit du passé pour se réincarner dans le présent.

NIa Diedla : Maleza au festival  Itinéraires des photographes voyageurs  à Bordeaux
Nia Diedla  : Le poème photo ou la photo poème
Maleza ou le journal de mes racines...

Elles poussaient de mes pieds, de mes bras, sortaient 
par ma bouche, et par mes lèvres, caressaient mes joues, tiraient 
mes cheveux... Nues, sauvages, elles tissaient leur maison dans 
mes poumons, dans mes bronches.. Sans eau, elles s'étalaient 
sur ma peau, dans mes yeux, même sur ma langue. Elles étaient 
là, et pourtant personne ne pouvait les voir...  Ces racines
étaient les miennes, j'avais trouvé ma maison, et elles me 
tenaient debout.

Entrer dans l'univers de Nia Diedla, c'est se pencher sur ses images miniatures, intimistes, que l'on doit scruter pour qu'elles nous révèlent leurs secrets. Ainsi au fond de ce miroir vous pourrez découvrir si vous êtes attentif le visage effacé du passé, fantôme évanescent qui affleure à la mémoire des choses.


Nia Diedla ou le journal de mes racines au festival Itinéraire des photographes  voyageurs de Bordeaux
Nia Diedla : Diptyque du miroir et de l'arbre (source)

Face au miroir, l'arbre dialogue, renversé, abattu, déraciné, semble-t-il, enfouissant ses ramures au plus profond de la terre tandis que sa racine, fragile, pointe vers le ciel, bouleversement des perspectives qui réflète l'exil, le choc des cultures, de l'Europe au Chili, de l'Ancien Monde au Nouveau Monde, d'un continent à l'autre. Etrangeté. Quant à l'arrachement, il est là, marqué par ce petit liseré de dentelle, métaphore de la rupture.


Nia Diedla  : Maleza ou le journale de mes racines au festival itinéraire des photogrpahes de Bordeaux
Nia Diedla : Diptyque du miroir et de l'arbre (source)

Car l'exil est toujours une fracture profonde de l'être. Tout comme ses aïeules, mais ayant accompli le chemin inverse, Nia Diedla, elle aussi, est une femme coupée en deux, au double visage, une femme-fleur, une Maleza, Une fleur qui n’est pas une et pourtant qui l’est aussi.

Nia Diedla photographe chilienne
Nia Diadla Maleza

Itinéraires des photographes voyageurs Bordeaux

du 1er au 30 Avril 2017
NIA DIEDLA
 Maleza
 Arrêt sur l’image galerie
Du mardi au samedi de 14H30 > 18H30
45 cours du médoc, 33300 BORDEAUX



lundi 10 avril 2017

Stendhal : Souvenirs d’un gentilhomme italien




 Après un arrêt maladie suivi d'un voyage à Bordeaux pour voir l'Itinéraire des photographes voyageurs, je reviens dans mon blog avec cette nouvelle de Stendhal.

Souvenirs d’un gentilhomme italien est une nouvelle qui peut passer pour un court roman. C’est la première oeuvre romanesque de Stendhal et elle parut à Londres dans un journal anglais en 1826.

Stendhal donne la parole à un italien né à Rome « de parents qui occupaient dans cette ville un rang honorable : à trois ans, j’eus le malheur de perdre mon père, et ma mère, encore dans la fleur de la jeunesse, étant disposée à contracter un second mariage, confia le soin de mon éducation à un oncle qui n’avait pas d’enfants. »
Le récit se passe entre les deux occupations de l’Italie par les armées françaises républicaines en 1797 et napoléonienne en 1807. A cette date, Napoléon fait enlever le pape et le retient prisonnier. Après la défaite de l’empereur et le retour du pape à Rome en 1814, le gentilhomme partira en exil pour ne jamais plus revenir dans son pays natal.

La critique de l’oppression religieuse

Le pape Pie VII : il excommunie Napoléon
 L’enfance du narrateur est marquée par la bigoterie voire le fanatisme religieux  de son oncle .

Cela donne lieu à une scène mémorable, peinte avec un grand talent qui ouvre le récit du gentilhomme  : « …les prêtres voyants que les armées françaises menaçaient d’une invasion les Etats de l’Eglise, commencèrent à répandre le bruit que l’on voyait les statues en bois du Christ et de la Vierge ouvrir les yeux; la crédulité populaire accueillit avec confiance ce pieux mensonge; on fit des processions, on illumina la ville, et tous les fidèles s’empressèrent d’aller porter leur souffrances à l’église. Mon oncle, curieux de voir lui-même le miracle dont on disait tant de bruit, forma avec tous les gens de la maison une procession, se mit en tête en habit de deuil et un crucifix à la main, et je l’accompagnai en portant une torche allumée. »

A cette scène en clair-obscur si pittoresque en succède une autre d’un ironie féroce : Un couple arrive devant la statue de la Vierge avec un enfant boiteux. Ils implorent la guérison de leur fils puis commandent  à l’infirme de jeter ses crosses sur lesquelles il s’appuyait tant bien que mal :
« Le pauvre enfant obéit, et, privé de son support, il tomba de la hauteur de quatre marches, la tête contre le pavé. Sa mère, au bruit de sa chute, accourut pour le relever, elle conduisit aussitôt à l’hospice de la Consolation, pour faire panser sa blessure, et le pauvre enfant gagna une contusion sans cesser d’être boiteux. » »
Le narrateur subit de mauvais traitements dans le collège religieux où les maîtres se soucient peu de l’instruction de leur esprit mais du salut de leur âme. Et lorsqu’il se rebelle il est envoyé au couvent de Saint-Jean et Saint-Paul « espèce de prison correctionnelle où les détenus vivent à leur frais » d’où il en sort à moitié mort.

A l’arrivée de Napoléon lorsque les couvents et monastères sont fermés, on découvre les richesses incalculables qui y sont entassés alors que les pauvres sont dans l’indigence. «Quelques uns auraient pu entretenir des douzaines de famille, et sept ou huit moines en dévoraient le contenu. »
« Ce fut une mesure salutaire que celle qui rendit au travail et à la société ces pieux fainéants qui, dans leur voluptueuse oisiveté, n’avaient d’autres soucis que le soin de leur bien-être »

On voit que l’écrivain va très loin dans sa critique. Et même s’il n’admire pas tout ce que fait Napoléon et qu’il « le juge sévèrement » il ne peut que se féliciter de certaines de ses mesures.
Ainsi, Stendhal dont nous connaissons l’amour de l’Italie, va se livrer à une critique en règle de la superstition, la bigoterie et l’obscurantisme religieux. Il dénonce le clergé italien fanatique et le pouvoir tout puissant du pape qui enferme le peuple dans un carcan religieux et intellectuel. Les pauvres sont maintenus dans l’ignorance, soumis à l’Inquisition, et Stendhal décrit l’inégalité criante entre un clergé richissime qui freine le progrès et l’évolution de la société et une population misérable et illettrée. C’est tout ce que Stendhal déteste dans ce pays qu’il aime tant, dont il admire les Arts et aime les habitants et où il se sent si bien par ailleurs.

L’admiration du brigand


Remarquable aussi la description du fier brigand Spatolino que le gouvernement français en Italie finit par capturer par traîtrise. On sent que l’admiration de Stendhal va à cet homme qui a tant de panache devant la mort, refusant le prêtre avant son exécution, et tant de répartie au point de provoquer le rire chez ses détracteurs!
Bien sûr, la figure du brigand, du rebelle, qui se dresse contre l’autorité, est un thème très romantique, c’est le Hernani de Hugo. Mais au-delà de toute recherche dramatique et théâtrale, on comprend que Spatolino représente pour Stendhal cette opposition à la mainmise étouffante de l’Eglise sur les consciences et à l’outrageuse richesse des grands qui oppriment le peuple. Peut-être cet intérêt pour un rebelle trahit-il aussi celui qu’il éprouve pour les Carbonari qui lui vaut d’être chassé d’Italie en 1826.

On dit que cette nouvelle est inachevée car elle s’arrête au moment du départ du Gentilhomme pour un autre pays. Je ne le pense pas. Disons que ce qui intéressait Stendhal, c’est la période italienne de son personnage. La suite est une autre histoire! 




lundi 27 mars 2017

Stendhal : Le philtre, nouvelle

Henri Beyle : Stendhal

Je suis en train de lire les nouvelles de Stendhal et je vous parlerai d’abord de celle intitulée Le Philtre imité de l’italien Sylvia Malaperta.

Nous sommes en 182… Une nuit, à la sortie d’un café, Liévin, un jeune officier dont le régiment est en garnison à Bordeaux, voit un jeune femme s’échapper d’une maison et tomber à ses pieds. Il la relève et s’aperçoit qu’elle est en chemise.  Elle lui demande de l’aide contre les hommes qui se sont introduits chez elle et elle le supplie de lui trouver une tenue décente. Le jeune homme l’amène chez lui et, respectueux, la laisse seule. Il revient le lendemain matin avec des vêtements et s’aperçoit alors que la jeune femme, Léonor, est d’une grande beauté. Il tombe amoureux d’elle ! Celle-ci lui raconte son histoire. Mariée à un mari vieux et jaloux, elle a pris pour amant un homme de condition inférieure, sans scrupules, qui l’a abandonnée en lui volant ses biens et l’a laissée aux mains de malfrats à qui elle a pu échapper.

Un récit romantique

Francisco de Goya : Isabel Lobo Velasco de Porcel
Le récit est éminemment romantique et paraît contenir  le germe de quelques romans stendhaliens :  Un jeune officier, ce pourrait être Fabrice del Dongo, vient chevaleresquement en aide à une jeune femme en détresse. Comme Julien Sorel, il est pauvre et n’est pas sans faiblesses dès que l’on touche à son orgueil. Ainsi, il hésite à la secourir de peur du ridicule si ces amis le voyait avec une fille dévêtue dans la rue. Son sens de l’humanité ne prévaut que de peu !  Mais quand il entend son accent et comprend qu’elle est espagnole son imagination s’enflamme; on sait que, pour les jeunes têtes romantiques, les espagnoles sont d’un exotisme irrésistible et dotées d’un caractère passionnée. Sa seule crainte :  « Mais si elle était laide ! ».
Léonor est à la hauteur de l’imagination de l’officier, d’une grande beauté, mal mariée, victime d’un  amant qui a abusé de son amour. Elle a quitté la sécurité et le confort d’un riche foyer, détruit sa réputation. Elle ne sait pas où aller mais elle aime toujours ! C’est elle aussi un héroïne romantique dont la passion fatale et le courage sont hors du commun.

Une chute brutale 

Caspar David Friedrich

A la fin, elle avoue à  Lievin qu’elle ne cessera jamais d’aimer cet homme malgré son infâmie. "Peut-être m’a-t-il fait prendre un philtre, me disais-je, car je ne puis le haïr ». Liéven est désespéré par cet aveu. Après ce récit déjà très ramassé, tout se précipite. Le dénouement intervient brutalement, une chute qui, je ne vous le cache pas, m’a laissée perplexe :

-Il n’est qu’un moyen de me guérir, c’est de me tuer, lui dit-il en la couvrant de baisers.
- Ah! ne te tue pas, mon ami ! lui disait-elle.
On ne l’a plus revu. Léonor a fait profession au couvent des Ursulines.

Et voilà, c’est tout! j’avoue que ce dénouement lapidaire me cause bien des surprises, pour ne pas dire une certaine déception.

Je sais bien que le romantique Stendhal refusait les excès romantiques et que son style est parfaitement maîtrisé, très classique et très retenue quand ses personnages ne le sont pas. De plus, l’écrivain n’utilise jamais les ressorts  tragiques de l’émotion, l’apitoiement ou les larmes et veut rester à distance. Mais pour cette nouvelle, moi, je suis restée sur ma faim.

***

J’ai trouvé un essai d’explication dans une communication de  Béatrice Didier que vous pouvez lire  ICI qui s’intitule Le statut de la nouvelle chez Stendhal.
J’y apprends, entre autres, que Le Philtre n’est pas imité d’un récit italien comme Stendhal l’affirme mais est l’adaptation d’un ouvrage littéraire français de Paul Scarron. Béatrice Didier y explique que dans la plupart des nouvelles de Stendhal, le lecteur a plutôt l’impression de lire un petit roman. Il n'en est pas de même pour Le Philtre et Le coffre et le revenant, l’un imité de Paul Scarron, l’autre de Prosper Mérimée où Stendhal suit un schéma narratif préétablie  : « on assiste à un resserrement de l’intrigue et une rapidité du tempo qui n’appartiennent peut-être pas au registre purement stendhalien. »

Cette semaine, je vous présenterai une autre nouvelle de Stendhal: Souvenirs d'un gentilhomme italien qui présente un intérêt plus grand du moins à mes yeux.

jeudi 23 mars 2017

Edith Södergran : Le pays qui n'est pas et Poèmes (2)

Edith Södergran

Lorsque j’ai ouvert le recueil de Edith Södergran, Le pays qui n’est pas et Poèmes, j’ai eu un coup de coeur pour cette poésie à la fois lyrique et sobre, pleine d’émotions contenues, attentive à la beauté des choses, où les images créent des passages entre le paysage extérieur et intérieur. La voix pure de cette jeune femme résonne longtemps après la lecture et laisse un sentiment de nostalgie et de tristesse sereine.


Edith Södergran (1892_1923) est une poétesse finlandaise de langue suédoise. Elle est née à Saint Pétersbourg en 1892 et  a passé la majeure partie de sa vie en Carélie.  Si ses poésies eurent peu de succès durant sa vie, elle est maintenant l’auteure la plus connue, la plus aimée en Finlande et occupe une place primordiale dans la littérature scandinave.. Et pourtant elle n’a écrit que quatre minces recueils de poésies car elle est morte très jeune, à l’âge de 31 ans. En effet, elle est atteinte de la tuberculose dès l’âge de dix-sept ans, en 1909.
Dès lors sa vie n’est qu’un long combat contre la maladie alors même qu’elle a conscience de la vanité de ses efforts, alors qu’elle se sait condamnée après avoir vu mourir son père du même mal.

Je ne suis qu’une immense volonté,
une immense volonté de quoi, de quoi?
Autour de moi tout est ténèbres,
je ne peux soulever un fétu de paille. (Ma vie, ma mort et mon destin)


Dans sa poésie, la mort est une figure familière qu'elle cherche à apprivoiser. Tous ses poèmes sont des exorcismes contre la mort.

La vie ressemble surtout à sa soeur, la mort.
La mort n’est pas différente,
tu peux la caresser, tenir sa main, lissez ses cheveux,
elle te tendra une fleur et sourira.

Tu peux enfouir ton visage dans son sein
tu l’entendras dire : il est temps de partir.
Elle ne dira pas qu’elle est une autre.
La mort ne repose pas, glauque, visage contre terre
ou sur le dos, porté par une civière blanche:
la mort circule le rose aux joues, parlant à tout venant.
La mort a les traits tendres et les joues amènes,
elle pose sa douce main sur ton coeur.
Qui a senti sur son coeur cette main si douce,
le soleil ne le réchauffe plus,
il est froid comme la glace et n’aime personne. (La soeur de la vie)



Edith Södergran

 Mais Edith Södergran est écartelée entre cette omniprésence de la mort et son désir de vivre. Plus que tout, elle souffre à l’idée de ne pas connaître l’amour et exprime ce besoin d’aimer et d’être aimée :

Vers le soir la journée fraîchit…
Bois la chaleur de ma main,
ma main a même sang que le printemps.
Saisis ma main, saisis mon bras blanc,
saisis le désir de mes minces épaules
Comme il serait étrange de sentir
une nuit, une seule, un nuit pareille
ta lourde tête sur mon sein. (La journée fraîchit)


J’ai une porte pour chacun des quatre vents.
Une porte d’or vers l’est - pour l’amour qui jamais n’arrive,
une porte pour le jour, une autre pour la mélancolie,
une porte pour la mort - elle reste toujours ouverte. (Aux quatre vents)


Elle sent parfois l’appel de la vie, de l’inconnu, la soif de connaître d’autres horizons

Toi qui n’a jamais quitté ton petit jardin
n’es-tu jamais restée tendue, derrière la grille
à regarder comment sur des sentiers rêveurs
le soir se dilue dans le bleu? (Toi, qui n’a jamais quitté ton jardin)


Mais parfois la mort lui paraît être une libération, un but à atteindre :

Je languis après le pays qui n’est pas
car tout ce qui est, je suis lasse de le vouloir.
En runes d’argent, la lune
me parle du pays qui n’est pas,
le pays où chacun de nos souhaits
 se trouve miraculeusement exaucé,
le pays où tombent nos chaînes,
le pays où nous venons, dans la rosée de la lune,
rafraîchir notre front meurtri.
Ma vie fut une brûlante illusion.
Mais il est une chose que j’ai découverte,
une chose que j’ai vraiment conquise-
le chemin du pays qui n’est pas. (…) (Le pays qui n’est pas)

 
La Carélie

La maladie l’isole de tous, s’y ajoutent de graves difficultés financières qu’elle affronte avec sa mère. 
Elle se tourne alors vers la nature, et,  elle, « la fille lumière de la forêt » entre en communion avec les arbres et l’eau de sa Carélie natale, le ciel et les étoiles.

Je serai un arbre solitaire dans la plaine,
les arbres de la forêt étouffent d’un désir de tempêtes,
je serai saine de pied en cap, des filets dorés dans mon sang,
je serai innocente et pure pareille à une flamme dévorante; (…)(Désir de couleurs)


En automne les journées sont transparentes
et peintes sur le fond d’or de la forêt.
en automne les journées sourient au monde.
Il fait si bon de s’endormir sans rien souhaiter
rassasiée de fleurs et lissée de verdure (…) (Journées d’automne)


Maintenant, je tourne le dos à ce que j’ai vécu :
mes seuls compagnons seront la forêt, le rivage et le lac.
Maintenant je puise la sagesse dans la sève du pin,
maintenant je puise la vérité dans le tronc desséché du bouleau,
maintenant je puise la force dans le brin d’herbe le plus tendre;
un puissant seigneur daigne me tendre la main. (…) (Retour)


Les rêves de cette jeune femme sont si simples et pourtant irréalisables. Elle qui se sait « la dernière fleur de l’automne », elle désire pourtant peu de choses :

Dans tout ce monde ensoleillé
je n’ai qu’un souhait : un banc dans un jardin
où un chat se chauffe au soleil…
Je resterai assise, là,
une lettre glissée dans mon corsage.
une toute petite lettre.
Voilà mon rêve (Un souhait)


Mais nul mieux qu’Edith Sodergran ne sait la fragilité des rêves  :

"Ne t'approche pas trop de tes rêves
Ils sont fumées qui peuvent se disperser".


 J'aime tellement ces vers que j'aurais voulu pouvoir citer le recueil intégralement ! Mais je vous invite, si vous avez aimé vous aussi, à le lire entièrement car il recèle encore de nombreux trésors.