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jeudi 2 juin 2011

Yôko Ogawa : Le musée du silence




 Je continue donc ma lecture de Yoko Ogawa avec .Le musée du Silence aux  Editions Actes Sud.
Dans ce livre l'auteur continue ses variations autour des thèmes qui lui sont chers, le temps et de la mémoire.
Nul lieu n'est mieux indiqué pour explorer ce thème que celui d'un musée, qui plus est un musée consacré à l'objet le plus représentatif d'une personne disparue, un objet qui résume sa vie, son essence et qui, dérobé au mort, sera exposé comme témoin silencieux, unique trace.
L'amosphère étrange qui règne dans ce manoir et ce village isolés du reste du monde est surprenante et nous partageons les sentiments du jeune muséographe appelé de la grande ville par une vieille dame presque moribonde pour s'occuper de la collection que cette dernière a patiemment rassemblée à chaque décès. Au besoin il doit aussi voler d'autres objets. Il est assisté dans sa tâche par une très jeune fille, un jardinier, homme à tout faire de la maison et qui (ceci n'est pas anecdotique) aime fabriquer de splendides couteaux, et son épouse, femme de ménage.
Comme d'habitude dans les romans de Yôko Ogawa le réel et le fantastique se côtoient et les deux mondes n'ont pas de limites distinctes; le jeune homme est un "vrai" muséographe et nous suivons les différentes étapes de la création de son musée décrites avec beaucoup de minutie, du recensement, de l'archivage, à la conservation puis à la mise en scène des objets... Pourtant ce village, le monastère des moines du Silence, le cimetière des bisons des Roches Blanches, le paysage fantomatique du marais, tout donne l'impression d'être projeté hors du temps. Les personnages qui, déjà n'ont pas de nom, perdent le peu de consistance qu'ils pouvaient avoir. Ils glissent lentement dans une sorte d'abstraction; je les vois un peu comme les Gardiens d'un Temple de la Mémoire, chargés d'une mission qui leur enlève leur statut humain et les désincarne.
Mais la confusion entretenue par l'auteur ne porte pas seulement sur le jeu entre le réel et le fantastique. Yôko Ogawa brouille les pistes. Dans quel genre de roman sommes-nous? un roman policier, "thrilling" avec "serial killer" ? Qui est, en effet, à l'origine des crimes atroces commis dans ce petit village en apparence tranquille? Le muséographe risque-t-il d'être accusé? Et que dire de l'attentat à la bombe dont sont victimes les habitants du village? Et l'histoire d'amour que l'on est en droit d'attendre? fausses pistes, bien sûr, qui nous mènent dans une direction que nous n'attendions pas! Drôle de roman qui vous déboussole!
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J'aime dans mes lectures relever un passage qui n'appartiendra qu'à moi et qui me parle particulièrement pour des raisons qui me sont personnelles.
Voici ce passage (p 95) : Le frère aîné du muséographe est professeur de sciences. Il a appris à son jeune frère à se servir d'un microscope que ce dernier amène partout avec lui à la découverte des Mondes qui échappent au regard, ceux de l'infiniment petit. La jeune fille interroge le jeune homme.
-Vous lui ressemblez?
-Pas tellement; il est de ceux qui n'attachent pas d'importance à la possession des choses. Il n'a pas de liens. Peut-être parce qu'il connaît l'organisation de la matière. Il sait que le joyau le plus précieux n'est qu'un simple assemblage d'atomes, et que l'animal inférieur le plus horrible possède un bel arrangement de cellules. La forme extérieure n'est rien que simple tromperie. C'est pour ça qu'il attache une grand importance au monde invisible. Son opinion, c'est que " l'observation commence à partir du moment où l'homme prend conscience de la mauvaise qualité de son regard".
-Alors, c'est complètement à l'opposé de vous qui faites tant d'efforts pour conserver la forme le plus longtemps possible"
Deux philosophies opposées, deux attitudes de l'Homme face à la Mort et la Mémoire.
Je trouve très belle la philosophie du frère aîné : c'est le regard d'un savant mais aussi d'un visionnaire qui ne se laisse pas abuser pas la superficialité du monde qui l'entoure. Mais puisque "la forme extérieure n'est rien que simple tromperie", il est bien évident que la forme ne pourra conserver la mémoire ni même l'évoquer. La lutte contre la mort est donc vaine.
Il a raison, peut-être... ? Pourtant, depuis toujours j'agis comme le muséographe!

Yôko Ogawa : Amours en marge, Parfum de glace


J'aime beaucoup l'écrivain japonais Yoko Ogawa. Traduite en plusieurs langues, elle a reçu le prix prestigieux Akutagawa pour son livre La Grossesse. J'ai l'intention de lire tous ses livres comme je le fais quand un auteur me passionne et d'en parler dans " Ma Librairie".
J'ai commencé par lire quelques romans d'elle aux éditions Actes-Sud Babel : Amours en marge ; Parfum de glace .
Ces romans présentent un univers étrange à mi-chemin entre la réalité et le fantastique. Il est très difficile, je trouve, de résumer un roman de Yoko Ogawa car on risque de le réduire à une histoire banale, de ne pas arriver à en montrer toutes les directions.

Amours en marge

 Amours en marge est l'histoire d'une jeune femme, la narratrice, atteinte d'une maladie des oreilles et qui sera guérie en dictant à un jeune homme, sténographe, l'histoire de sa vie, c'est vrai. Cette femme blessée par son divorce, par la solitude, se libère peu à peu de la douleur et de la maladie en partant à la recherche de son passé. Celui-ci se reconstitue devant nous comme un puzzle dont les morceaux égarés reviennent à la surface et ne prennent sens qu'à la fin du roman. Mais ce résumé ne rend pas la dimension à la fois poétique et fantastique de l'oeuvre, la fascination exercée sur la jeune femme et sur nous, lecteurs, par les doigts du sténographe dont l'écriture trace des signes bleus au pouvoir libérateur, par l'oreille qui devient ici le siège de la mémoire, cela ne rendrait pas non plus l'attrait éprouvée pour cette grande maison encore emplie de l'odeur du jasmin pourtant depuis longtemps disparu, le mystère de cette ombre revenue du passé.
"son écriture était comme une dentelle élaborée avec du fil bleu. Fine, souple, sans accrocs. Derrière les mots, on pouvait voir le motif en filigrane."

Parfums de glace

D'un roman à l'autre des thèmes récurrents apparaissent : dans Parfum de glace Ryoko entreprend une quête pour comprendre pourquoi l'homme qu'elle aime Hiroyuki s'est suicidé. Là aussi ce retour sur le passé nous mènera sur des pistes qui s'entrecroisent, se mêlent, nous entraînent loin dans l'espace géographique, du Japon à Prague, loin aussi dans le passé de Hiroyuki à la recherche de la blessure originelle qui donnera un sens à sa mort. La mémoire est ici sollicitée par l'odorat, concrétisée encore une fois par une partie du corps, cette fois-ci le nez d'Hiroyuki, créateur de parfums, une mémoire olfactive qui nous permet de franchir la barrière entre le réel et le fantastique et d'entrer dans la mystérieuse grotte du gardien des paons, oiseaux qui sont eux aussi symbole de la mémoire. Et ce parcours, aussi douloureux soit-il, est la condition indispensable pour dépasser la mort et retourner à la vie.

Le style de Yoko Ogawa

J'aime le style de Yoko Ogawa, sa manière précise et minutieuse de décrire les choses et de leur donner une vie propre, l'importance accordée à tous les sens, l'odorat, l'ouïe... et le don qu'elle possède de matérialiser les odeurs, les bruits ou le silence, de nous les faire voir, entendre ou toucher.
"Un matin tous les bruits avaient disparu (...) Au début j'ai cru que la neige avait enseveli le jardin. Parce que dans mon enfance, j'avais ressenti ce silence dans l'air, les matins de neige.Mais je me suis rendu compte aussitôt que c'était idiot. Le calendrier indiquait qu'on était en juin. Je ne savais pas du tout quoi faire. c'était complètement différent de ce que peut être le calme.. Tout était blanc à l'intérieur de ma tête. j'ai essayé de me boucher les oreilles, de secouer la tête, de m'ébouriffer les cheveux, mais cette blancheur ne faisait qu'épaissir, et cela n'a eu aucun effet."

L'univers de Yoko Ogawa 

J'aime l'impression d'être perdue dans un no man's land, de ne pas savoir si je suis dans la réalité ou dans un ailleurs de la mémoire, de l'imaginaire, car l'auteur efface la frontière entre les deux d'une telle façon que le lecteur perd ses repères. Ainsi le sténographe existe-t-il réellement? Il dit lui-même qu'il est une "ombre", celle du jeune garçon de treize ans qui existe encore dans la mémoire de la narratrice. Celle-ci n'a pas de nom, le sténographe est désigné par la seule lettre Y, personnages sans matérialité et qui ne s'incarnent que par les parties de leur corps, oreilles ou doigts.

"J'ai fait glisser ma main gauche entre mes cheveux pour toucher mon oreille gauche. Elle était glacée comme une tranche de fromage oubliée dans une chambre froide.."

J'aime cet univers tourné vers l'exploration du passé et de la mémoire, imprégné de silence, très intériorisé : vieilles maisons abandonnées parcourues d'ombres et de fantômes, musées fourre-tout, objets hétéroclites qui ont une présence.

"J'avançais lentement. Le plancher grinçait à chaque pas. L'odeur de vieux bois, de vernis et de temps écoulé qui émanait des meubles emplissait l'espace. Je sentais l'air devenir de plus en plus dense. Il stagnait, et sans s'écouler nulle part, pesait sur les épaules et entravait mes jambes. (...) Sur le secrétaire il y avait un stylo à plume et une bouteille d'encre, et un cadre avec une photo. Le cadre luxueux était en argent. Il contenait une vieille photographie; Je tendis prudemment la main vers elle." ( Amours en marge)

ou encore
"Le couloir où se trouvaient deux fauteuils Windsor, dans le clair de lune, ressemblait à une nature morte. La poussière sur le dossier montrait qu'ils n'avaient pas été utilisés un certain temps.. " (Amours en marge)



mercredi 1 juin 2011

Le jeudi c’est citation : Nikos Kazantzaki, Zorba le Grec


Dans le très beau roman de Nikos Kazantzakis, Zorba le Grec, le narrateur, un jeune intellectuel perdu dans ses livres, engage Zorba le Grec comme contremaître dans sa mine de lignite en Crète. L'homme a exercé de nombreux métiers. Il  n'est pas instruit mais c'est lui qui va bien vite devenir le maître à penser de son patron. Celui-ci enfermé dans ses livres et ses méditations, coupé de la réalité, de l'action, en lutte contre sa sensualité, passe à côté de la vie, refusant sa condition d'homme. Zorba va lui réapprendre à vivre.
 Ma vie avait fait fausse route et mon contact avec les hommes n'était plus qu'un monologue intérieur. J'étais descendu si bas que si j'avais eu à choisir entre tomber amoureux d'une femme et lire un bon livre sur l'amour j'aurais choisi le livre.

Voici quelques "leçons" de Zorba à son maître :
- Quel est ton métier? lui demandais-je.
-Tous les métiers : du pied , de la main, de la tête, tous. Manquerait plus que ça, qu'on choisisse.

 *
Quand je joue du santouri, on peut me parler, je n'entends rien et même si j'entends, je ne peux pas parler. J'ai beau vouloir, rien à faire, je ne peux pas.
Mais pourquoi, Zorba?
-Eh! la passion!

*
Les bons comptes font les bons amis. Si tu me forces, ce sera fini. Pour ces choses-là, il faut que tu le saches, je suis un homme.
-Un homme, Qu'est-ce que tu veux dire?
-Eh bien, quoi, libre!
*

Ne ris pas patron! Si une femme couche toute seule, c'est de notre faute à nous, les hommes. On aura tous à rendre des comptes le jour du jugement dernier. Dieu pardonne tous les péchés, comme on a dit, il a l'éponge en main, mais ce péché-là, il ne le pardonne pas! Malheur à l'homme qui pouvait coucher avec une femme et qui ne l'a pas fait! patron.

*

Tu ne veux pas d'embêtements? fit Zorba stupéfait et qu'est-ce que tu veux alors?
Je ne répondis pas.
- La vie, c'est un embêtement, poursuivit Zorba, la mort, non. Vivre sais tu ce que ça veut dire? Défaire sa ceinture et chercher la bagarre.

 *
Pourquoi? Pourquoi? On ne peut donc rien faire sans pourquoi? Comme ça  pour son plaisir.
*
Tu n'as pas faim! dit Zorba en se frappant les cuisses. Mais tu ne t'es rien mis sous la dent depuis ce matin. Il faut s'occuper de son corps aussi, aie pitié de lui. Donne-lui à manger, patron, donne lui à manger, c'est notre bourricot, tu vois. Si tu ne le nourris pas, il te laissera en plan au beau milieu de la route.

 *
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"Tous les hommes ont leur folie, mais la plus grande folie, m'est avis que c'est de ne pas en avoir"

 citation Initiée par Chiffonnette
Le film de Michael Cacoyannis, adapté du roman, s'impose quand on lit le roman. On ne peut imaginer Zorba sans penser à Antony Quinn et la veuve sans voir la belle Irène Papas.

Dimanche Poétique : Nul n'entend mes cris...


Brancusi : la muse endormie


Après mon article précédent du samedi 21 Mai sur la charte des droits de la femme, j'ai eu envie de vous faire connaître ce poème qui décrit encore, hélas! la condition de la femme dans de nombreux pays de notre planète.
Je suis celle que chantent les poètes,- l'intarissable source ou puise le génie-, l'apparition, la madone, l'égérie-celle qui suscite le rêve, qui purifie l'eau trouble,-je suis le creuset, la matrice,- la vasque d'où jaillit le vers triomphant,-où résonne l'image de la musique;-je suis celle qui enfante, qui materne, celle qui enchante, l'omniprésente. -Les Hommes me pleurent et me désirent, les poètes me crient, me soupirent,-Tous me portent aux nues... Mais je ne suis pas entendue. Je suis parlée mais je ne parle pas,- je suis écrite, mais je n'écris pas.- Je suis peinte, dépeinte, sculptée,- le pinceau et le ciseau me sont étrangers.- Nul n'entend mes cris silencieux,- ne voit ma bouche béante et muette, - mes doigts crispés, mes mains ouvertes,- Mes larmes de pierre, mon coeur saigne... Je suis celle qui n'a pas de langage, celle qui n'a pas de visage, celle qui n'existe pas.. La Femme...

J'aime beaucoup cette poésie que j'ai copiée il y a bien des années dans un recueil personnel mais j'ai oublié quel en est l'auteur. Et vous, le connaissez-vous?


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Sculpture de Linda Le Kinff 

Les compagnons Troubadours du dimanche de Bookworm :

Secrets de famille d. La source cachée. L'objet du scandale



Secrets de famille  de Louisa May Alcott Editions Interférence.
Louisa May Alcott ne fut pas seulement l'auteur du betseller que nous connaissons tous,  Quatre filles du Docteur March. Elle écrivit aussi sous des pseudonymes des romans que l'on peut déjà qualifier de thrillers et qui racontent de ténébreuses histoires.
A Nurse Story  paru sous le titre français Secrets de famille illustre parfaitement ce genre littéraire. Louisa May Alcott y raconte l'histoire d'une infirmière, jeune femme bien née mais sans fortune, engagée pour prendre soin d'une jeune fille, Elinor Carruth, malade mentale. Elle découvre peu à peu qu'un affreux secret pèse sur les divers membres de la famille Carruth. Ceux-ci vivent dans l'attente d'une révélation qui les déshonorera. Un certain jeune homme, Steele, semble exercer sur eux un pouvoir machiavélique. Qui est-il? et pourquoi est-il si puissant?  Or, ce dernier tombe amoureux de la jeune infirmière...
Le récit, très court, se lit vite et agréablement. L'intrigue rappelle les romans de Wilkie Collins et d'Elizabeth Braddon même si Louisa May Alcott  n'a pas l'imagination absolument fabuleuse d'une Braddon et si elle n'ancre pas ses personnages aussi profondément dans la société de son temps qu'un Wilkie Collins. La psychologie des personnages est assez rapide mais le récit est bien mené et décline le thème de la folie et de la mort. Il présente d'autres  thèmes traités d'un manière originale :   la trahison de quelqu'un qui vous fait confiance dans un but que l'on juge moral peut-elle se justifier? Autrement dit la fin justifie-t-elle  les moyens? L'amour n'est pas toujours régénérateur, il peut être aussi source de mal et de perdition.


La source cachée de Hella S. Haasse Actes Sud

Après En la forêt de longue attente que j'ai vraiment beaucoup aimé, je me suis lancé dans la Source cachée de Hella Haasse.
Point de vue de l'éditeur : Au coeur des bois, cernée d'un rempart de végétation luxuriante, se tapit la maison Breskel. A la faveur d'une période de convalescence, Jurgen arrive dans cette ancienne propriété des grands-parents maternels de sa femme, Rina, pour vider la bâtisse inhabitée depuis des années avant de la vendre. Ensorcelé par l'atmosphère exceptionnelle des lieux, intrigué par l'histoire de cette famille qu'il connaît si peu, il se met à creuser dans le passé de ceux qui ont vécu là. Un passé d'où émerge Eline, la mère de Rina, morte des années auparavant dans des circonstances mystérieuses, un caractère passionné et romantique épris de liberté avec lequel il sent peu à peu s'établir une étrange communion. Avec une grande finesse psychologique et une sensibilité pleine de malice, Hella S. Haasse ouvre les portes de son univers très féminin à un homme qui se cherche, s'invente, se découvre et finalement se révèle, dans une maison hantée d'intuitions et de souvenirs, par la grâce magique d'une métaphore mythologique.
J'ai apprécié les descriptions  de la maison Beskel, de cette nature foisonnante, bruissante et mystérieuse.  Le style est magnifique. Pourant, si le roman ne m'a pas déplu, il ne m'a pas accrochée complètement. Pourquoi? Peut-être l'ai-je lu tropvite après En la forêt d'une longue attente alors que j'étais encore imprégnée de ce roman?  Peut-être aussi parce que les personange sont plus des idées que des êtres véritables? Un avis mitigé donc.
Voici deux liens pour aller voir des billets qui rendent pleinement hommage à ce livre:
L'or des chambres
Scriptural
                                 

L'objet du scandale de Robertson Davies Rivages

Point de vue de l'éditeur : Les mémoires de Duston Ramsay ne devraient a priori rien avoir de bien excitant. Ce délicieux professeur d'histoire affligé d'une jambe de bois n'a qu'une passion, la vie des saints. Mais cet érudit farfelu possède un pouvoir secret. Des événements insignifiants de son existence, comme une simple bataille de boules de neige, déclenchent dans la vie d'autrui, des réactions en chaîne imprévisibles et redoutables. L'objet du scandale est le premier volume de la "Trilogie de Deptford" où l'auteur déploie une maîtrise impressionnante de l'intrigue romanesque. Robertson Davies a véritablement inventé un genre nouveau, une sorte de comédie philosophique où la vie humaine est considérée d'un point de vue supérieur, comme si un démiurge malicieux consentait, pour une fois, à expliquer la manière dont il tire les ficelles de nos pauvres existences terrestres. C'est à la fois drôle et captivant, mené avec un humour et une profondeur de vues qui font de Robertson Davies, mort en 1995, l'un des plus grands prosateurs de langue anglaise.
L'objet du scandale est le premier volume de la  trilogie de Deptford.  C'est un livre complexe, d'une grande richesse et dont il est très difficile de faire un compte rendu car sa signification dépasse le récit et peut recevoir plusieurs  éclairages. La raconter le réduit. La philosophie qui se dégage du roman est passionnante. Un excellent roman.

mardi 31 mai 2011

Montaigne : en cet humain voyage

Si j'ai appelé ce blog "Ma Librairie" c'est grâce à ce bon vieux Montaigne qui m'a suivie durant toute ma vie, alors je me dis que "à tout seigneur, tout honneur" et qu'il sera le premier à paraître ici.
J'ouvre son livre, une vieille édition Flammarion de 1934 découverte dans la bibliothèque familiale quand j'avais quinze ans et me voilà dans "sa librairie"; il s'adresse à moi comme un ami :
" Chez moi, je me détourne un peu plus souvent à ma librairie... Je suis sur l'entrée, et vois sous moi mon jardin, ma basse-cour, ma cour, et dans la plupart des membres de ma maison. Là je feuillette à cette heure un livre, à cette heure un autre, sans ordre et dessein, à pièces décousues. Tantôt je rêve; tantôt j'enregistre et dicte en me promenant, mes songes que voici. Elle est au troisième étage d'une tour; le premier, c'est ma chapelle, le second, une chambre et sa suite, où je me couche souvent, pour être seul; au-dessus, elle a une grande garde-robe. Je passe là et la plupart des jours de ma vie, et la plupart des heures du jour; je n'y suis jamais la nuit."
Ainsi, c'est dans "le commerce des livres" que Montaigne se plaît par dessus tout :
"Il me console en la vieillesse et en la solitude; il me décharge du poids d'une oisiveté ennuyeuse"; Il émousse les pointures de la douleur, si elle n'est pas du tout extrême et maîtresse. Pour me distraire d'une imagination importune, il n'est que de recourir aux livres..."
Et là, je pourrais parler à sa place, décrire ce sentiment de sécurité que j'éprouve lorsque j'ai une pile de livres non lus sous la main,
" Le malade n'est pas à plaindre qui a la guérison dans sa manche".
cette impression de posséder un trésor dont je peux disposer à mon gré,
"J'en jouis, comme les avaricieux d'un trésor"
ce plaisir anticipé et gourmand de la découverte
"Ils sont à mon côté pour me donner du plaisir à mon heure"
et surtout l'impression que quoi qu'il m'arrive ( qui ne soit pas une souffrance "extrême" ou "maîtresse") les livres ne me trahiront pas.
"c'est la meilleure munition que j'aie trouvée à cet humain voyage.."
Oui, Montaigne, la littérature nous accompagne en "cet humain voyage " et nous permet de vivre.

samedi 30 avril 2011

Lectures du mois d'avril 2011

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Tour de l'Horloge vue de Saint Agricol Avignon




Hella s Haasse:  Actes sud babel  Un long week end dans les Ardennes

Susan Fletcher   Plon feux croisés Avis de tempête

Angela Largo  :  Rue du monde le petit marchand des rues


Philippe Djan : Futuropolis Gallimard Lorsque Lou




 Quand être breton dérange


+ les dimanches poétiques et le Jeudi c'est citation.

mercredi 20 avril 2011

Lorsque Lou: Phillipe Djian et Myles Himan


Lorsque Lou, ce court roman nous entraîne dans une histoire rocambolesque, où nous allons de surprises en surprises et ne sommes jamais au bout de nos étonnements! Il faut dire que les tribulations de notre héros qui sont absolument terribles s'accumulent à un tel point que nous ne pouvons nous empêcher de rire. L'humour (noir) triomphe!
Pourtant la situation n'est pas rose pour notre héros, un français, transporté dans le grand Nord canadien, à Riverdale dans le Manitoba, retenu prisonnier par une famille de dingues, les frères Conroy, dans cette ville du bout du monde, peuplé d'exaltés qui ont le poing ou l'arme facile! Si vous y ajoutez, pendant la longue période hivernale, des ours blancs altérés de sang qui se promènent en liberté dans les rues à la recherche de nourriture, vous avouerez que notre héros  s'est fourré dans une drôle de galère. Vous vous demanderez alors pourquoi cet imbécile ne s'enfuit pas. La réponse est simple Tom Conroy est le chef de la police, son frère Richard tient l'aérodrome et George dirige la Poste. Vous croyez peut-être avoir cerné le fond du problème? Mais pas du tout!
Ajoutez encore pour corser la sauce, les raclées fréquentes que lui administre Lou Conroy, sorte de géant aux lourdes patasses :
Lorsque Lou me soulevait du sol, traversait le bar et me jetait au milieu de la rue, je ne savais pas si c'étaient mes os ou la pellicule de glace qui se brisait sous mon poids.
Admettez aussi que ce type complètement barjot, Lester, qui tente de l'assassiner à plusieurs reprises n'est pas le moindre de ses soucis! Il faut savoir de plus que Sarah Conroy, sa maîtresse, le déteste et ne fait pas un geste pour le défendre.  Alors vous saurez presque tout!
Tout! Hum! Mais encore...
Apprenez que son presque ami, Higgins, professeur d'université, écolo forcené, hésite, dans le feu de l'action, entre sauver l'ours ou sauver l'homme et qu'il lui en veut à mort parce qu'il choisit l'homme !
Et pourtant... Notre héros préfère cette vie insensée à  sa vie antérieure. Nihiliste? masochiste? Désespéré? Mais, Il est possible que, au dénouement, le lecteur puisse espérer une Renaissance? Sait-on jamais? Le personnage a l'air d'être sacrément doué pour le malheur!
Lisez le livre si vous voulez tout comprendre de ce récit concocté avec un certain brio par Phillipe Djian où les grands espaces glacés du Nord canadien jouent un rôle important, album magnifiquement illustré par Myles Himan, peintre américain, né dans le Vermont.

mardi 19 avril 2011

Angela Largo : Le petit marchand des rues


Le petit marchand des rues de Angela Largo est un album qui s'adresse aux enfants à partir de 4 ans.
Il n'y a pas de texte mais seulement des illustrations, d'ailleurs fort expressives, nul besoin de paroles. Elles  racontent l'histoire d'un petit garçon qui vend des fruits dans les rues bondées de voitures d'une grande ville au Brésil. Et cet enfant se heurte à l'indifférence, la mauvaise humeur, la méchanceté des  automobilistes. Il ne parvient pas à vendre un seul fruit.  Alors, il vole... des fruits qu'il se met à vendre dans les rues d'une grande ville au Brésil au milieu de l'indifférence, de la mauvaise humeur, la méchanceté des automobilistes. Un éternel recommencement, un cycle qui reprend sans cesse et  qui laisse bien peu d'espoir au gamin de pouvoir échapper à la pauvreté.
Vous allez me dire, c'est un histoire horrible, trop triste? Et oui ... mais il est bon de faire comprendre à nos bambins que tous les enfants n'ont pas la même chance, et que tous pourtant devraient pourtant avoir les mêmes droits. Il découvrira peut-être que l'injustice et l'inégalité existent mais aussi qu'un peu de solidarité et d'amitié pourraient améliorer bien des choses sur notre planète. Et il  appréciera peut-être encore plus le bonheur d'avoir une famille qui l'aime. Le livre est, en effet, assez riche pour permettre une discussion avec l'enfant et amorcer une réflexion à son niveau. J'espère pouvoir donner une éducation  comme celle-là à ma petite fille quand elle sera un peu plus grande!
Les illustrations sont de véritables tableaux qui jouent sur les couleurs pour exprimer les sentiments sans aucun réalisme : L'enfant a le visage vert et affrontent des gens et des chiens aux visages rouges, aux dents pointues, aux traits effilés comme des bêtes sauvages ou des sorciers cruels. Les automobiles  sont  parées de couleurs vives, voire violentes, jaunes, rouges ou vert criard alors que l'univers de l'enfant environné de bleu et noir est sombre et glauque. Parfois, lorsque petit garçon vole un paquet à l'intérieur d'un véhicule, l'image vire au cauchemar mais il y aussi des moments de tendresse quand il partage son maigre repas avec un chien des rues, comme lui, ou quand il aperçoit dans une voiture une maman câlinant son bébé  dans des teintes doucement bleutées.
Un très bel album!

lundi 18 avril 2011

Susan Fletcher : Avis de Tempête



La lecture de Un bûcher sous la neige m'a donné envie de lire d'autres oeuvres de Susan Fletcher. J'ai donc continué la découverte de cet écrivain avec Avis de Tempête, qui, s'il ne m'a pas autant fascinée que le livre précédent, est un bon roman que j'ai lu avec intérêt.
Moïra passe de longs moments au chevet de sa petite soeur Amy dans le coma depuis cinq ans après une chute accidentelle. Elle a longtemps détesté Amy dont la naissance a correspondu pour elle à son envoi en pension loin de ses parents. Elle a toujours éprouvé des sentiments négatifs envers elle, la tenant pour responsable de son éloignement, refusant de s'occuper de la fillette, la  rudoyant ou affichant une parfaite indifférence.
Le sentiment de culpabilité qu'elle éprouve envers sa soeur la pousse à lui raconter son histoire, une manière de lui demander pardon. Nous découvrons un personnage entier, sensible, sauvage, brillante élève dans les matières scientifiques mais repoussée par les autres à cause de son physique disgracieux. Moïra pense que personne ne peut l'aimer et lorsque un jeune homme la courtise, elle imagine qu'il veut se moquer d'elle. Plus tard, devenue son épouse, elle sera à nouveau en proie à la jalousie, ce qui l'amènera au bord de la rupture. Cette confession qui se poursuit de jour en jour permettra à Moïra de faire la paix avec elle-même.
Au départ, j'ai été un peu déçue parce que je m'attendais à ce que le personnage d'Amy prenne une grande place dans le récit et dans l'analyse mais le récit est à une voix : C'est Moïra qui parle, qui présente le monde autour d'elle et si nous voyons Amy, c'est épisodiquement lorsque sa grande soeur la rencontre, c'est à dire peu souvent. Peu à peu, cependant, je me suis laissée prendre par le récit, par les souffrances de cette jeune fille qui se croit mal aimée de ses parents après la naissance de ce bébé qui naît onze ans après elle, alors qu'on ne l'attendait plus. Le monde de l'adolescence qu'elle décrit dans la pension n'est pas tendre avec les sarcasmes des camarades de classe, le harcèlement qu'elle subit de leur part, même s'il y a de temps en temps la gentillesse d'un professeur, le bonheur de l'étude avec son professeur de biologie.
Les talents de conteuse de Susan Fletcher qui m'avait déjà frappée dans Un bûcher sous la neige, sont bien présents. Certains passages  sont très forts:  celui par exemple où la mère enceinte fait une fausse couche dans la neige après avoir voulu porter secours à ses voisins privés d'électricité, celui où Moïra nage dans l'eau glaciale et escalade au péril de sa vie un immense rocher glissant, couvert de moules et d'algues, celui encore où l'on découvre Miss Bailey, dans l'escalier, la tête en bas, les jupes relevées, foudroyée par un accident cérébral...
Susan Fletcher a aussi le don de faire vivre les personnages secondaires, de les croquer comme un peintre le ferait, sur le vif : on voit les parents de Miss Bailey pleurer, petits vieillards recroquevillés sur le banc érigé en l'honneur de leur fille morte, madame Bannister atteinte d'un grave maladie, dire en regardant une photo et en parlant d'elle-même : "comme elle était jolie!" ou encore Annie dégringoler du toit sur lequel elle s'était réfugiée pour échapper au vaccin qui la terrifie.
Vous découvrirez aussi, dans cette pension de jeunes filles, un squelette facétieux qui prouve que l'humour est au rendez-vous.
Mais c'est encore dans la description de la nature que Susan Fletcher excelle le plus  : même si celle-ci est moins présente, hélas, que dans Un bûcher sur la neige, la mer sur la côte-ouest du Pays de Galles,  impose sa présence, si primordiale pour Moïra qu'elle fait partie de sa vie, qu'elle est son premier souvenir :
Quelque fois on allait en barque à Skomer Island : un ciel moutonneux et des ailes pour nous propulser. Je voyais des fous de Bassan, des cormorans huppés et des fulmars; des mouettes à dos noir et des cormorans. Des phoques s'ébattaient sur les rochers, des mouettes tridactyles hurlaient leur nom, et puis il y avait les macareux. Eux, c'étaient mes préférés. J'aimais leurs ailes rapides, leur façon maladroite de toucher terre, et leurs gros becs charbonneux.

dimanche 17 avril 2011

Paul-Jean Toulet : dans Arle où sont les Aliscamps...

Les Alyscamps de Vincent Van Gogh




Dans Arle où sont les Aliscams,
quand l'ombre est rouge, sous les roses
Et clair le temps,
*
Prends garde à la douceur des choses,

Lorsque tu sens battre sans cause
Ton coeur trop lourd,
 *
Et que se taisent les colombes :
Parle tout bas, si c'est d'amour,
  Au bord des tombes.