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dimanche 2 septembre 2012

Samuel Taylor Coleridge : La complainte du Vieux Marin

 Gustave Doré



La Complainte du Vieux Marin (The Rime of the Ancient Mariner) est un poème de Samuel Taylor Coleridge (1772_1834) poète romantique, philosophe, dramaturge anglais qui représente une des grandes figures du romantisme anglais.

Le vieux marin de la complainte  raconte son histoire à  l'invité d'une noce qui, d'abord irrité par le bavardage de l'importun, finit par écouter l'étrange et fantastique récit du vieillard, véritablement envoûtant.

Le vieux marin raconte comment son navire entraîné vers l'Antarctique et ses eaux glacées par des vents contraires, est secouru par un albatros, oiseau de bon augure, qui les met dans la bonne direction. Mais le marin tue l'albatros avec son arbalète. L'équipage le lui reproche mais lorsqu'il se sent hors de danger, il donne raison au marin, commettant ainsi une faute qui va déchaîner sur leur tête des éléments surnaturels. La malédictions s'abat sur le voilier bloqué part l'absence de vent, l'eau vient à manquer, l'équipage maudit le marin. Un vaisseau fantôme apparaît mené par la Mort et par une femme "Vie-dans-la- mort","She-life-Death"qui joue l'âme des marins aux dés et gagne. Les membres de l'équipage meurent. Le marin reste seul face à leurs regards figés. il subit des tourments incessants. Il sent l'oiseau accroché à son cou comme une malédiction. Le bateau est entouré de bêtes hideuses. Après sept jours et sept nuits passés en mer le marin parvient enfin à comprendre leur véritable beauté et il les bénit. La malédiction se trouve alors levée et il sent l'albatros se détacher de son cou. La pluie se met à tomber et des esprits prennent possession du corps des marins morts qui se relèvent et mènent le navire à bon port. Là, le navire sombre dans un gigantesque tourbillon. Le vieux marin est le seul survivant. 


 Gustave Doré

L'albatros symbolise la Nature. En ne la respectant pas le vieux marin s'attire sa vengeance.  Mais en reconnaissant la beauté de toutes les créatures, il prend conscience du mal qu'il a fait en tuant l'albatros et de l'importance de la Nature. Le sens chrétien du récit apparaît aussi avec le pardon du vieux marin qui comprend que "Nous devons aimer chaque créature que dieu a faite". Toute faute peut être réparée par la repentance sincère et l'expiation. Pour pénitence, le vieux marin sera contraint de parcourir le monde et de raconter son histoire.

Extrait : troisième partie. L'apparition de Vie-dans-la -mort (traduction wikisource)

 

 Un temps bien pénible s’écoula ainsi. Chaque gosier était desséché et chaque oeil était vitreux comme celui des morts ; un temps bien pénible, un temps bien pénible ! Comme chaque oeil fatigué était morne et vitreux ! Mais voilà que, tandis que je regardais le couchant, j’aperçus quelque chose dans le ciel.

D’abord cela me sembla une petite tache, et ensuite cela me parut comme du brouillard. Cela remua, remua, et prit enfin une certaine forme, que sais-je ?
Une tache, un brouillard, une forme, que sais-je ? et cela toujours approchait, approchait, et, comme si cela eût été une voile manœuvrée, cela plongeait, Courait des bordées et filait du câble.
Nos gosiers étaient si brûlants, nos lèvres si noires et si desséchées, que nous ne pouvions ni rire ni gémir. Avec notre extrême soif, nous demeurions muets. Je mordis mon bras, je suçai mon sang et m’écriai : « Une voile ! une voile ! »
Mes compagnons aux gosiers brûlants, aux lèvres cuites et noires m’entendirent parler. Miséricorde ! ils grimacèrent de joie, et tous à la fois respirèrent avec force comme des gens qui viendraient de boire.
« Voyez, voyez ! criai-je, ce navire ne court plus de bordées :
peut-être renonce-t-il à nous porter secours ! Pas la moindre brise et le moindre mouvement de flots ; il semble dormir sur sa quille. »
La vague occidentale n’était qu’une flamme, le jour touchait à sa fin. Dès que la vague occidentale fut effleurée par le large et brillant disque du soleil, cette forme étrange vint se placer entre lui et nous.
Et sur-le-champ le soleil fut taché de barres noires (que la Reine du ciel nous prenne en grâce !) comme si cet astre avait apparu avec sa large et brillante figure derrière la grille d’un donjon.
« Hélas ! pensai-je (et mon cœur battit violemment), comme ce navire approche vite, vite ! Sont-ce ses voiles, ces choses qui se dessinent sur le soleil comme les fils que l’automne promène dans les airs ?
« Sont-ce ces charpentes, ces barres à travers lesquelles le soleil luit comme à travers une grille ? Et cette femme qui est dessus, est-ce là tout son équipage ? Est-ce là ce qu’on appelle la Mort ? N’en vois-je pas deux ? La compagne de cette femme n’est-elle pas aussi la Mort ? »
Ses lèvres étaient rouges, ses regards hardis ; elle avait les cheveux jaunes comme de l’or, et la peau blanche comme celle d’un lépreux. C’était ce cauchemar qui gèle et ralentit le sang de l’homme, Vie-dans-la-Mort.
Le navire squelette passa près de notre bord, et nous vîmes le couple jouant aux dés. « Le jeu est fini, j’ai gagné, j’ai gagné ! » dit Vie-dans-la-Mort ; et nous l’entendîmes siffler trois fois.
Les extrémités supérieures du soleil plongèrent dans l’onde ; les étoiles jaillirent du ciel, et d’un seul bond vint la nuit. La barque spectre s’éloigna sur la mer avec un murmure qu’on entendait de loin.
Nous écoutions et jetions des regards obliques sur l’océan. La crainte semblait boire à mon cœur, comme à une coupe, tout mon sang vital. Les étoiles devinrent ternes, la nuit épaisse, et la lampe du pilote faisait voir la pâleur de sa face.
La rosée dégoutta des voiles jusqu’à ce que la lune eût élevé son croissant au-dessus du flot oriental. À sa pointe inférieure et au-dedans, il y avait une étoile brillante.
Aux clartés de cette lune caniculaire, l’un après l’autre, et sans prendre le temps de gémir ou de soupirer, chacun de mes camarades tourna son visage vers moi dans une angoisse épouvantable, et me maudit du regard.
Quatre fois cinquante hommes vivants, et je n’entendis ni soupir ni gémissement, avec un bruit sourd et comme des blocs inanimés, tombèrent un par un sur le plancher.
Leurs âmes s’envolèrent de leurs corps. Elles s’envolèrent à la félicité ou au malheur, et chacune, en passant près de moi, retentit comme le sifflement de mon arbalète.


Gustave Doré
 Les illustrations de Gustave Doré, peintre, sculpteur, graveur français(1832-1887) rendent admirablement l'aspect fantastique du poème de Coleridge. (illustré en 1875)

The Rime of the Ancient Mariner (version originale)



There pass a weary time. Each throat                         
Was parch'd, and glazed each eye.
A weary time! a weary time!
How glazed each weary eye!
When looking westward, I beheld
A something in the sky.

At first it seem'd a little speck,
And then it seem'd a mist;
It moved and moved, and took at last
A certain shape, I wist.

A speck, a mist, a shape, I wist!
And still it near'd and near'd:
As if it dodged a water-sprite,
It plunged, and tack'd, and veer'd.

With throats unslaked, with black lips baked,
We could nor laugh nor wail;
Through utter drought all dumb we stood!
I bit my arm, I suck'd the blood,
And cried, A sail! a sail!

With throats unslaked, with black lips baked,
Agape they heard me call:
Gramercy! they for joy did grin,
And all at once their breath drew in,
As they were drinking all.

See! see! (I cried) she tacks no more!
Hither to work us weal--
Without a breeze, without a tide,
She steadies with upright keel!

The western wave was all aflame,
The day was wellnigh done!
Almost upon the western wave
Rested the broad, bright Sun;
When that strange shape drove suddenly
Betwixt us and the Sun.

And straight the Sun was fleck'd with bars
(Heaven's Mother send us grace!),
As if through a dungeon-grate he peer'd
With broad and burning face.

Alas! (thought I, and my heart beat loud)
How fast she nears and nears!
Are those her sails that glance in the Sun,
Like restless gossameres?

Are those her ribs through which the Sun
Did peer, as through a grate?
And is that Woman all her crew?
Is that a Death? and are there two?
Is Death that Woman's mate?

Her lips were red, her looks were free,
Her locks were yellow as gold:
Her skin was as white as leprosy,
'The Nightmare Life-in-Death was she,
Who thicks man's blood with cold.
The naked hulk alongside came,
And the twain were casting dice;
"The game is done! I've won! I've won!"
Quoth she, and whistles thrice.

The Sun's rim dips; the stars rush out:
At one stride comes the dark;
With far-heard whisper, o'er the sea,
Off shot the spectre-bark.

We listen'd and look'd sideways up!
Fear at my heart, as at a cup,
My life-blood seem'd to sip!
The stars were dim, and thick the night,
The steersman's face by his lamp gleam'd white;
From the sails the dew did drip--
Till clomb above the eastern bar
The hornéd Moon, with one bright star
Within the nether tip.

One after one, by the star-dogg'd Moon,
Too quick for groan or sigh,
Each turn'd his face with a ghastly pang,
And cursed me with his eye.

Four times fifty living men
(And I heard nor sigh nor groan),
With heavy thump, a lifeless lump,
They dropp'd down one by one.

The souls did from their bodies fly--
They fled to bliss or woe!
And every soul, it pass'd me by
Like the whiz of my cross-bow!


samedi 1 septembre 2012

De Bretagne : Reprise de Ma Librairie , L'énigme du samedi, challenge romantique et Shakespearien




Mon blog reprend en ce mois de Septembre. Je suis en Bretagne et j'espère, dans cette région hautement gagnée par les techniques modernes, pouvoir accéder à internet !



les bilans de mes challenges

 Le challenge romantique



Le samedi 8 Septembre paraîtra le deuxième bilan du challenge romantique claudialucia, toujours ouvert à tous ceux qui souhaitent y participer jusqu'en Novembre 2013 .



Le samedi 15 Septembre et le dimanche 16 septembre paraîtra le troisième bilan du challenge Shakespeare Maggie/Claudialucia.
Maggie et moi, nous avons décidé de le prolonger indéfiniment. Vous pouvez donc continuer le challenge ou vous inscrire si vous êtes intéressé(e)s.
Nous faisons un lecture commune d'une de ses pièces :  Antoine et Cléopâtre pour le mois d'octobre. Qui nous rejoint?

 

L'énigme du samedi 

 

  Le samedi 21 Septembre l'énigme du samedi,  Un livre/un film recommence pour les passionnés de lecture et les cinéphiles. Rappelons pour ceux qui ne connaissent pas ce jeu que chez Claudialucia vous devez deviner le livre et chez Wens le film qui en est l'adaptation.





mercredi 22 août 2012

Seconde pause de l'été : En Creuse





 Et oui, je vais voir le jardin de ma fille en Creuse, un jardin pas comme les autres puisque l'on s'y amuse à faire du Land Art. Mais rassurez-vous cela n'empêche pas les tomates ou les potirons de pousser! Les légumes aiment l'art contemporain!



Extrait du blog:   Graine de maison (Hélas! arrêté faute d'internet!)

"J'espère que vous serez sensibles à mes nids à courgettes ainsi qu'à cette Spiral Jetty Goldworthienne à potirons... Hélas, ces photos sont déjà dépassées : aujourd'hui, c'est une vraie forêt vierge là-dedans, avec des potirons et des courgettes tentaculaires; des pieds de tomates de 6m de haut (presque) et il a fallu faire - et il faut encore faire - des extensions pour accueillir les nouveaux arrivants"

mardi 21 août 2012

La Tempête au festival d'Avignon et une BD de Edouard Leskon


Caliban


J'aime de plus en plus La tempête de Shakespeare! La première lecture m'a surprise et décontenancée. Mais plus je lis la pièce, plus je suis sensible à la poésie, au charme de la langue (traduite, hélas, mais belle tout de même) et à la multiplicité des sens!

 Au festival d'Avignon, cette année, il y avait trois représentations de la pièce. j'ai choisi celle du Footsbarn Theater : La Tempête indienne, c'est le titre, car le texte de Shakespeare est transposé(?) en Inde. *

L'idée m'a plu. Je me suis demandée avant d'aller voir le spectacle, ce que ce déplacement dans un pays comme l'Inde apporterait à la pièce. Caliban méprisé par Prospéro, considéré comme inférieur par des hommes qui prennent le pouvoir dans son île et le réduisent en esclavage n'est-il pas une allégorie des peuples colonisés, asservis, comme l'a été l'Inde par les anglo-saxons et les peuples  du Nouveau Monde à l'époque de Shakespeare?
D'autre part, la troupe est composé d'acteurs de nationalités différentes et chacun parle sa propre langue. Le principe était séduisant pour montrer l'universalité du dramaturge.
Mais j'ai été déçue dans l'ensemble et je n'ai pas vu de lecture particulière par rapport à l'Inde si ce n'est que quelques acteurs sont indiens et Miranda porte un sari pour ses fiançailles. La pièce est traitée en farce et les personnages comiques sont assez lourds et ne font pas rire. Miranda est une jeune princesse capricieuse et puérile mais il n'y a pas d'évolution du personnage, d'émotion entre Ferdinand et elle quand ils découvrent la magie de l'amour. Ni Ariel, ni Caliban ne rendent  la poésie de la pièce, quant à la réflexion sur le pouvoir, le Bien et le Mal, la nature et la civilisation, elle m'a paru occultée car l'utilisation de plusieurs langues rend la pièce obscure (incompréhensible pour ceux qui ne la connaissent pas!)
Finalement ce qui m'a le plus plu dans ce spectacle, ce sont les êtres bizarres, mi-objet, mi-humain, mi-animal qui s'animent devant nous,  les décors de voile transparent derrière lequel le bateau glisse amenant les personnages au milieu de la Tempête et les remportant une fois la paix revenue et aussi…  la musique.


*J'ai déjà présenté La Tempête, l'intrigue et les thèmes ICI  

Une BD pour la Tempête

Une île pleine de bruits ou l'invention du territoire d'un magicien


Edouard Leskon 


J'ai découvert  ICI un article d'Edouard Leskon qui explique la naissance d'une adaptation de La Tempête en BD. Les dessins et l'imagination de l'auteur me paraissent au niveau du grand Shakespeare dont il rend la poésie et le mystère.

Caliban

Caliban dessiné par Edouard leskon

 Caliban, fils d'une sorcière, est un des personnages qui m'intriguent le plus. Il est présenté comme une sorte de monstre qui a cherché à abuser de Miranda, qui n'a jamais répondu à "la bonté" de Prospéro  et de sa fille. Pourtant quand on voit l'attitude de Prospéro envers lui, Caliban apparaît plutôt comme une victime :

** Miranda
Je n'aime pas regarder ce misérable

Prospéro
Mais tel qu'il est comment ferions-nous sans lui?
Il allume notre feu, rentre notre bois
Et vaque à d'utiles besonges. Caliban!
 Hola, esclave! Et bien, répondras-tu limon?
 (...)

Caliban
De par ma mère Sycorax, elle est à moi
Cette île que tu m’as prise. Pour commencer,
Quand tu es arrivé ici, tu me flattais
Et tu faisais grand cas de moi ; tu me donnais
De l’eau avec des baies dedans ; tu m’apprenais
 À nommer la grande lumière et la petite
Qui brûlent le jour et la nuit ; moi, je t’aimais
 Alors je te montrais les ressources de l’île,
Eaux douces, puits salés, lieux ingrats, lieux fertiles.
Maudit sois-je pour l’avoir fait ! Que tous les charmes
De Sycorax, chauve-souris, crapauds, cafards,
Pleuvent sur vous !
Je suis votre unique sujet, Moi qui étais mon propre roi (Acte I,  scène 2)


Un monstre, Caliban? De Prospéro qui utilise la force et la violence pour soumettre ceux qui lui résiste et de lui, quel est le plus monstrueux? De plus, cet être qui est mi humain, mi animal a été capable d'apprendre le langage, de s'en servir pour l'injure et la révolte face à ces maîtres mais aussi pour la poésie. Il y a en Caliban un être sensible à la nature et à la beauté et qui sait exprimer ses sentiments d'une manière délicate.

Laisse-moi te conduire aux pommiers sauvages,
Te déterrer des truffes grâce à mes longs ongles,
Te faire voir un nid de geai, te montrer comme
On le piège le vif marmouset, te mener là
Où l'aveline pend en grappe, et dans le creux
Du roc te dénicher de petites mouettes.
Viendras-tu avec moi? Acte II scène 2


Sois sans crainte ! L’île est pleine de bruits,
De sons et d’airs mélodieux, qui enchantent
Et qui ne font pas mal. C’est quelquefois
Comme mille instruments qui retentissent
Ou simplement bourdonnent à mes oreilles,
Et d’autres fois ce sont des voix qui, fussé-je alors
À m’éveiller après un long sommeil,
M’endorment à nouveau ; – et dans mon rêve
Je crois que le ciel s’ouvre ; que ses richesses
Vont se répandre sur moi… À mon réveil,
J’ai bien souvent pleuré, voulant rêver encore »
(Acte III, scène 2)

** Traduction de Pierre Leyris:

D'autres représentations de Caliban


Caliban par Odilon Redon


Caliban par Charles A. Buchel


Caliban par William Hoggarth


Caliban John Mortimer




Challenge de Maggie et Claudialucia

dimanche 19 août 2012

Les chefs d'oeuvre de la donation Yvon Lambert à Avignon



Carlos Amorales



 La donation du collectionneur Yvon Lambert à Avignon comporte 556 oeuvres dont une sélection  est présentée dès cet été dans une exposition qui se poursuivra  jusqu'au 11 Novembre. Le musée sera ensuite étendue et sa superficie doublée pour pouvoir présenter la collection complète.
Aujourd'hui, voici une photo d'une installation que j'aime beaucoup, réalisée en 2003 par Carlos Amorales, artiste d'origine mexicaine. Ces mobiles d'oiseaux ne sont pas sans rappeler Les Oiseaux d'Alfred Hitchcock  et annoncent la mort et la violence avec le sang qui éclabousse les murs.

jeudi 16 août 2012

Lozère : Promenade soleil couchant



De retour pour quelques jours de Lozère pour mieux repartir en Creuse. Je vais profiter de ces quelques jours à Avignon où l'accès à internet est aisé pour venir vous voir. En attendant, voici une brassée d'images de "mon pays" au soleil couchant.


















mercredi 15 août 2012

William Shakespeare : Le conte d'hiver


Perdita de Anthony Frederick Augustus Sandys


J'ai vu Le Conte d'Hiver au festival d'Avignon il y a déjà quelques années et cette tragi-comédie ne m'avait pas marquée.  J'en avais conclu que Le conte d'hiver était une oeuvre secondaire du grand dramaturge et que l'on ne pouvait pas en tirer autre chose.

Aujourd'hui je l'ai lue et s'il est très possible que Le conte d'hiver ne soit pas une oeuvre majeure, j'en ai pourtant aimé les qualités et je me suis aperçue qu'elle était beaucoup plus complexe que ce que le spectacle du festival m'en avait donné à voir.

Le sujet :
Le roi de Sicile, Léonte, reçoit avec une hospitalité fastueuse son ami d'enfance, Polixène, roi de Bohème. Mais comme celui-ci ne veut pas différer son départ, Léonte demande à son épouse, la reine Hermione, de le convaincre de rester. Celle-ci obtient que Polixène prolonge son séjour. Léonte en conçoit alors une jalousie féroce et soupçonne Hermione de le tromper avec son meilleur ami. Il demande à Camillo, un gentilhomme de sa cour, d'empoisonner Polixène. Ce dernier refuse et sauve la vie du roi de Bohême en s'enfuyant avec lui.
Hermione, accusée d'adultère, est jetée en prison et son bébé, une petite fille, naît pendant son emprisonnement. Le jeune fils d'Hermione et de Léonte, le prince Mamillius, tombe malade à cette tragique nouvelle. Une dame de la cour, Paulina, femme du seigneur Antigone, prend la défense de la reine et essaie de faire reconnaître la fillette par Léonte. Ce dernier considère l'enfant comme une bâtarde et ordonne à Antigone d'abandonner le bébé dans un endroit désolé où elle sera dévorée par les bêtes féroces. Antigone part et dépose la fillette dans un pays qui n'est autre que la Bohême où un berger et son fils, Clown, la recueillent. Ils la nomment Perdita.
Pendant ce temps, en Sicile commence le procès d'Hermione. Le roi a fait appel au jugement d'Apollon. L'oracle proclame l'innocence de la reine et de Polixène et déclare que "le roi vivra sans héritier, si ce qui est perdu n'est pas retrouvé". Léonte refuse de croire à l'oracle et le châtiment ne se fait pas attendre. Le fils de Léonte, Mamillius, meurt bientôt suivi par Hermione. Le roi comprend son erreur et se repent. Il vivra désormais dans le chagrin et le regret et, comme l'avait prévu l'oracle, le royaume reste sans héritier.
En Bohême, Perdita, devenue une jolie jeune fille est courtisée par le prince Florizel, fils de Polixène. Le jeune homme jure qu'il épousera la bergère malgré l'opposition de son père. Grâce aux conseils de Camillo qui a sauvé Polixène jadis, il fuit avec elle en Sicile pour trouver l'appui de Léonte. Bientôt tout se résout. Perdita est reconnue comme la fille perdue du roi. Paulina présente  alors à Léonte une statue d'Hermione qui paraît vivante et pour cause! La reine n'était pas morte mais vivait cachée de son époux. Ce qui avait commencé en tragédie se termine donc en comédie.

Les reproches faits à cette pièce sont nombreux :

Et tout d'abord, l'invraisemblance psychologique : la jalousie de Léonte n'est pas crédible car trop soudaine, elle est infondée et son revirement trop brusque. Léonte paraît non seulement jaloux mais borné et stupide. Or, on sait très bien que Shakespeare avec Othello est un maître dans l'analyse de la jalousie, de ses ressorts, dans la description du doute, des tourments que ressent le jaloux. Othello a besoin de preuves, fournies par Iago, pour croire à la trahison de sa bien-aimée et du temps pour que le soupçon se transforme en certitude et la jalousie en haine destructrice. Si l'écrivain n'a pas voulu s'appesantir sur cet aspect,  c'est que l'histoire qu'il veut raconter n'est pas là! Mais il faut remarquer, cependant, que les plaintes de Léonte et l'expression de sa jalousie ont des accents tragiques qui sonnent justes.

Ensuite, les invraisemblances de l'histoire, elle-même. Elles sont légion. C'est un songe nocturne qui mène Antigone précisément sur le rivage de Bohème (pays qui entre parenthèse n'a pas de mer donc pas de rivage!) où Perdita est abandonnée et recueillie. La rencontre et l'amour de Perdita avec Florizel, la reconnaissance de la jeune fille par son père, la "résurrection" de la mère ne peuvent pas être pris au sérieux. C'est pourquoi il faut se souvenir, pour accepter d'entrer dans la pièce, de son titre : Le conte d'hiver, conte de bonnes femmes raconté aux enfants et dont il ne faut pas remettre en cause le bien-fondé; conte oral qui se transmettait pendant les soirées d'hiver dans les campagnes, au coin du feu, et qui expose des faits merveilleux sans rationalité. Le réalisme n'a plus cours. Certes, Shakespeare place le récit en Sicile et en Bohême mais il s'agit de lieux fantaisistes et intemporels. Certes, la psychologie des personnages qui peuvent passer de l'amour à la haine en une seconde n'est pas crédible mais l'intérêt est ailleurs, dans l'interprétation symbolique de l'histoire qui peut se lire au niveau du mythe. Ce  n'est pas pour rien que la Grèce est invoquée par l'intermédiaire du Dieu Apollon et de certains noms comme Hermione ou Polixène.

Le mythe : 

Les rapports de l'homme et des dieux : l'Hybris, l'orgueil, la démesure de l'homme qui se croit l'égal des Dieux et les défie est toujours puni. Il devra en subir les conséquences. C'est le cas de Léonte qui fait fi de l'oracle d'Apollon et se voit privé du fils qu'il aimait tant, de sa femme et de sa fille.

D'autre part l'histoire de Perdita peut faire penser à celle d'Oedipe car elle est aussi abandonnée comme Oedipe l'a été et recueillie par un berger mais le sens de la comédie et le dénouement heureux ne permettent pas de retenir cette interprétation. Par contre, il y a dans  Perdita le mythe de Proserpine enlevée à sa mère Demeter et qui explique les changements de saisons. Ceci est d'autant plus probant que Perdita nous apparaît, pendant la fête de la tondaison, déguisée en Flore, déesse du printemps, distribuant des fleurs aux passants. Elle incarne la renaissance de la nature, le retour de la vie après la mort.
Acte IV scène 4 :
Florizel à Perdita : Cette parure inaccoutumée donne à tous vos attraits une vie nouvelle. Vous n'êtes plus une bergère, mais Flore, celle des prémisses d'avril. Et votre fête est l'assemblée de tous les petits dieux dont vous êtes la souveraine.
Perdita fait elle-même allusion à cette ressemblance :
Perdita :  O Proserpine, que n'ai-je encore les fleurs que, dans ton effroi, du char de Pluton tu laissas tomber!


De plus, la mère, Hermione, revient elle aussi à la vie, comme Démeter qui cesse de pleurer en retrouvant sa fille permettant au printemps et à l'été de succéder à la désolation de l'automne et de l'hiver.

Acte V scène 3 : Paulina à propos de la statue d'Hermione
Musique, éveille-là Jouez! C'est l'heure, descendez. cessez d'être pierre, approchez… Léguez votre torpeur à la mort; de la mort la précieuse vie vous délivre! Elle bouge, vous le voyez.


Ainsi si l'on donne cette interprétation à la pièce, celle-ci cesse de nous paraître invraisemblable pour prendre un sens plus profond, pour être une exploration des mythes qui sont le fondement de notre société. Tout Le conte célèbre d'ailleurs cette renaissance de la  vie après la mort, mais aussi celui du passage de l'innocence de l'enfance au péché, du bien au mal et en cela elle a aussi une coloration très chrétienne. Léonte devra expier ses actes pendant seize années.

Acte I scène 2 : Polixène évoque son amitié avec Léonte
Nous nous rendions innocence pour innocence. Nous ignorions la doctrine du mal et ne rêvions pas que quelqu'un pût la connaître. Eussions-nous continué ainsi dans cette vie, nos débiles esprits ne se fussent-ils pas gonflés d'un sang plus ardent, Nous aurions pu répondre hardiment au Ciel que nous n'étions pas coupables;- exempts même de cette faute qui noircit notre hérédité.


La statue qui revient à la vie introduit aussi le mythe de Galatée, l'art est aussi vrai que la vie. Il est  d'ailleurs un des thèmes importants de la pièce.
Acte V scène 3
Polixène  devant la statue : C'est magistral. je crois voir la chaleur de la vie sur ses lèvres.
Léonte : Dans son oeil immobile, un mouvement comme si l'art se moquait de nous.

Il y a dans l'acte IV scène 4, une longue discussion sur l'art. Perdita refuse les fleurs créées par l'homme, le fard qui pare les femmes, tous les artifices qu'elle oppose à la Nature mais  Polixène  lui répond : " c'est bien là un art, et qui va corriger ou modifier plutôt la nature; mais l'art est lui-même nature"

Le mélange des genres

La pièce commence donc comme une tragédie. La jalousie de Léonte est un sentiment dévorant, terrible, qui le hante et qui aboutit à la destruction de tous ceux qu'il aime : Polixène n'échappe à la mort qu'en fuyant, Hermione est condamnée d'avance, le petit prince meurt, Antigone et l'équipage qui abandonnent Perdita sont anéantis, l'un par une bête sauvage, l'autre par une tempête. Les actes I, II et le début de l'Acte III  jusqu'à la scène 3 où Perdita est abandonnée et trouvée par le berger sont marqués par la tragédie et la mort.  A partir de ce moment, la pièce incline vers la comédie, le ton se fait soit franchement comique avec les personnages du Clown (c'est le nom du fils du berger) et d'un fieffé coquin, habile parleur et agile voleur nommé Autolycus  mais aussi, champêtre, poétique avec les personnages des amoureux. La déclaration d'amour de Florizel à Perdita est très belle, marquée par des images impétueuses, celle de Perdita, ardente, ne l'est pas moins.

acte IV scène 4 :
Florizel  à Perdita : Quand vous dansez,
Je voudrais que vous fussiez une vague de haute mer
Pour à jamais ne faire que danser : un mouvement
Toujours repris, sans autre fin
Que soi-même….

When you dance, I wish you
A wave oath' sea; that you might ever do
Nothing but that; love still, still so;
And one another function...


L'amour triomphe de la mort, il est plus fort que le mal. L'amour de Perdita et Florizel est sain et joyeux, il ne nie pas les réalités physiques de l'amour, il est passionné. A travers cette pièce s'exprime donc l'humanisme de Shakespeare. L'idée médiévale du péché qui est présente dans la pièce est vaincue par la philosophie antique dont le dramaturge est nourri, en homme du XVI siècle, qui redonne au corps et au plaisir une place importante.


Acte IV scène 4 
Perdita : .... Les audacieuses 
Primeroles, la couronne de l'empereur, tous les iris
Et dans leur nombre la fleur de lys. Oh!, que ceux-là 
Me manquent, pour vous en faire des guirlandes,
Et mon très doux ami,
Pour l'en joncher sur tout, sur tout le corps.

Florizel
Eh, comme un mort?

Perdita
Non, comme un pré, pour les jeux de l'amour
Et son repos. Un Mort? Oui, pour l'ensevelir
Bien vivant toujours dans mes bras....

Le conte d'hiver est donc une pièce de la maturité de Shakespeare, étrange, imprévue, fantaisiste, surprenante et riche! Il serait  dommage que l'on veuille la jouer de bout en bout comme une farce en faisant de Léonte un fantoche ridicule et gâteux et en traitant le Merveilleux parodiquement ce qui détruit la poésie.


Présentation de l'encyclopédie Universalis

Le Conte d'hiver, qui compte parmi les quatre dernières pièces de William Shakespeare (1564-1616), appartient au genre hybride des « romances », ou tragi-comédies romanesques, au même titre que La Tempête. Joué en 1611, il est publié pour la première fois en 1623 dans les œuvres complètes (posthumes) de Shakespeare. Son titre évoque les histoires merveilleuses qu'on racontait durant les veillées d'hiver. L'intrigue s'inspire de celle d'un roman de Robert Greene, Pandosto. The Triumph of Time (1588). À son habitude, le dramaturge modifie considérablement ses sources, et fait d'une histoire de jalousie une tragédie complexe qui offre une réflexion subtile sur les rapports entre l'art et la nature, et en particulier sur l'essence de l'illusion théâtrale.


 Challenge de Maggie et Claudialucia

mardi 14 août 2012

Festival Avignon 2012 : pièces pour enfants, Que d'histoires/ Boucle d'Or/ La nuit/ Un papillon dans la neige




Avant de les oublier je veux noter ici les derniers spectacles auxquels j'ai assisté au festival de théâtre d'Avignon et que je n'ai pas eu le temps de commenter. Voici les pièces vues avec ma petite fille de deux ans, Léonie.

Que d'histoires!

Que d'histoires! d'Alain Vidal par la compagnie Arthéma d'après Les musiciens de Brème  au collège la Salle.
Personnellement j'aurais préféré le conte traditionnel avec le voyage, l'épisode des brigands, le concert des "musiciens" plutôt qu'une adaptation. Ici les musiciens restent à la ferme, se révoltent contre le boucher qui vient les chercher à la demande du fermier, sauve la ferme du feu et gagne le droit d'y rester et la reconnaissance de leur maître. Les marionnettes sont bien mignonnes, les décors sont jolis mais le châtelet assez haut empêche les jeunes spectateurs placés sur le côté de voir toute la scène et crée une distanciation qui ne permet pas d'entrer complètement dans le récit et la pièce est un peu bavarde. Léonie n'a pas compris entièrement l'histoire mais a bien saisi le sens général qu'elle a résumé ainsi : "il y a un méchant qui voulait prendre les animaux.". Elle est restée attentive mais n'a pas manifesté ses sentiments.


Boucle d'or et les trois ours Compagnie de l'Essaïon-théâtre. Le spectacle présente le conte traditionnel avec des variantes et des broderies. Deux actrices interprètent les deux petites filles : Lilas qui, dans ses rêves, rencontre Boucle d'or. Les trois ours sont des peluches animées par les actrices. A priori, je n'aime pas trop les pièces où le rôle des enfants est tenu par des actrices adultes habillées avec des robes de petites filles. Je souffre du syndrome "Chantal Goya"!! Mais tout s'est bien passé! Léonie a beaucoup apprécié, elle a bien ri; il faut dire les jeunes spectateurs étaient souvent sollicités et le spectacle était donc très vivant.

La nuit

La nuit de Pierre Blaise de la Compagnie Le théâtre sans toit à  L'Espace Alya

De petites marionnettes perdues dans le noir, la lune, les yeux d'un hibou, le loup, la crainte de s'endormir dans l'obscurité, le drap que l'on tire sur ses yeux pour ne pas voir les peurs de la nuit… Voilà un  très beau spectacle, plein de poésie, parfois amusant, de drôles de petites marionnettes pleines de vie, des clairs-obscurs splendides, donné devant un public composé... d'adultes conquis! Une seule enfant dans la salle, ma petite fille, qui s'ennuie (sauf quand le loup apparaît ou le hibou) et qui trouve le spectacle long surtout à la fin quand les marionnettistes jusqu'alors cachés, viennent reproduire les gestes qu'ils ont fait pour donner vie aux objets, très belle idée pourtant, une gestuelle intéressante. Mais le spectacle est trop long et n'est pas adapté à un enfant de deux ans. Je n'ai pas à me plaindre pourtant, j'étais avertie, il était affiché à partir de 3 ans et la compagnie a eu la gentillesse de me donner une entrée pour Léonie.


Un papillon dans la neige

Un papillon dans la neige d'Alban Coulaud et Anne Letuffe par la compagnie O' Navio  à la maison du théâtre pour enfants
L' actrice, Papillon, dessine sur une vitre et des petits personnages s'animent, des décors apparaissent devant nous, fonds sous-marins, baleines , oiseaux, plantes…. C'est un spectacle que j'ai trouvé très poétique et abouti. Les enfants un peu plus grands que Léonie ont été très attentifs, subjugués par les images. Quant à ma petite fille, elle n'est pas arrivée à suivre ni à se concentrer. Fatigue due au fait qu'elle avait vu plusieurs spectacles d'affilé ? C'est dommage, la grand mère a pourtant beaucoup apprécié!

A suivre : car j'ai encore vu dans le In, The old King au cloître des Célestins et dans le Off  La Tempête de Shakespeare, La Veuve de Corneille...

lundi 13 août 2012

Jorge Semprun : Le fer rouge de la mémoire





Les éditions Gallimard édite un volume dédié à la mémoire de Jorge Semprun dans la collection Quarto, intitulé Le fer rouge de la mémoire. Ce livre regroupe cinq grands romans de l'écrivain, des essais et des préfaces sur Marc Bloch, Robert Anthelme, Paul Nothomb, Primo Levi ... Viennent s'y ajouter un glossaire sur les références littéraires qui jalonnent son oeuvre érudite, une notice biographique qui retrace sa vie en relation avec l'histoire de son pays, l'Espagne en proie à la guerre civile, avec son arrivée en France où il poursuit de brillantes études de philosophie, son engagement communiste dans la Résistance, son internement à Buckenwald puis avec son rôle politique dans l'après-guerre, lutte contre le franquisme mais aussi contre le stalinisme, dans une condamnation de tout ce qui est une atteinte à la liberté. Un bel hommage à l'écrivain disparu le 7 Juin 2011.
Le titre de cette véritable somme est emprunté à l'écrivain qui a fait du travail de mémoire une constante féconde et riche de son oeuvre car face à l'innommable, face à l'horreur, il faut  continuer  
" à remuer ce passé, à mettre à jours ces plaies purulentes, pour les cautériser avec le fer rouge de la mémoire". *

Toute l'oeuvre de Semprun est une interrogation sur la mémoire. Celle-ci est-elle fiable?
"Il se demande pourquoi il y a tant de neige dans sa mémoire, plein de neige crissante dans son insomnie. C'est le mois d'août pourtant..." ainsi débute le premier chapitre de L'évanouissement. Ce qui fait la richesse et la complexité de l'oeuvre de Jorge Semprun, c'est qu'il explore toutes les possibilités de la mémoire, irruption du présent dans le passé,  mais aussi projection dans l'avenir au milieu du passé. Le souvenir est fragmentaire, capricieux, fragile, il se présente sous forme de strates, il échappe, il revient... et c'est dans cet effort de reconstruction, cette recherche à la fois philosophique et littéraire que Semprun va atteindre son but, nous faire partager ce qu'il a vécu, rendre compte de la réalité aussi difficile que cela paraisse. Car l'expérience des camps de concentration est-elle transmissible? Comment raconter ce qui dépasse l'imagination, ce qui n'est pas crédible. Les témoignages permettront aux historiens de consigner les faits, "tout y sera vrai.. sauf qu'il manquera l'essentielle vérité, à laquelle aucune reconstruction historique ne pourra jamais atteindre, pour parfaite et omnicompréhensive qu'elle soit... L'autre genre de compréhension, la vérité essentielle de l'expérience n'est pas transmissible... Ou plutôt, elle ne l'est que par l'écriture littéraire"**

C'est avec bonheur que que j'ai retrouvé les romans que je connaissais déjà de ce grand écrivain, Le grand voyage, Quel beau dimanche, l'écriture et la vie,  et que je découvre les deux autres, L'évanouissement, Le mort qu'il faut. Le sentiment que je ressens devant cette écriture puissante, ces récits poignants qui dépassent le simple témoignage pour devenir oeuvre d'art et nous cueillir de plein fouet car "racontés avec suffisamment d'artifice", est celui que Jorge Semprun, lui-même, exprime dans sa préface à propos de L'Espèce humaine de Robert Anthelme, un autre résistant déporté : "Il y a longtemps que je n'avais pas lu un livre témoignant de la grandeur humaine d'une façon aussi nue, bouleversante (...). A première vue cette affirmation peut paraître paradoxale, puisque la vie qui y est décrite est la plus misérable, la plus méprisée..."
 Et oui, c'est au moment où Jorge Semprun montre l'espèce humaine humiliée, conditionnée par la faim, réduite à l'esclavage, ravalée à l'état de bête, qu'il insuffle en nous l'espoir en l'humanité! C'est pendant ce voyage où entassés les uns sur les autres dans un wagon plombé qui les amène vers un camp dont ils ne peuvent encore mesurer l'horreur, que la beauté apparaît sous la forme de ces petites pommes juteuses que "le gars de Sémur" partage avec lui***.  Par la force de la pensée, de la littérature, de la poésie, Jorge Semprun puise la force de survivre. C'est dans la contemplation d'un arbre sous la neige,"dans la certitude de sa beauté viride, prochaine, inévitable, survivant à ma mort"****, que s'affirme l'idée fondamentale développée par l'écrivain dans toute son oeuvre et qui - au-delà de l'expérience des camps- est universelle, celle de la grandeur humaine plus forte que la barbarie. Face au Mal, l'homme a toujours la liberté de choisir le Bien.

Si vous n'avez pas lu Jorge Semprun et ne connaissez pas encore la force de son écriture, n'hésitez pas! Ce volume en forme d'hommage, Le fer rouge de la Mémoire, vous donnera l'occasion de faire une rencontre inoubliable.

* Autobiographie de Federico Sanchez
** L'écriture ou la vie
***Le grand Voyage.
**** Quel beau dimanche






Merci à La librairie Dialogues




dimanche 12 août 2012

Jennifer Lesieur : Jack London (biographie)




Lire la biographie de Jack London de Jennifer Lesieur, c'est pénétrer dans un monde qui ressemble fort à l'univers romanesque de ce grand écrivain qui a mis tant de lui-même dans son oeuvre. Il faut dire que la vie de London n'a rien de banal et que l'énergie, la vitalité, l'endurance, le courage, l'entêtement dont il fait preuve sont étonnants.
Cette rage de vivre, c'est ce qui frappe le plus dans cette biographie qui se lit comme un roman. On a l'impression qu'il  dévore la vie à cent à l'heure, pressé et avide, insatiable, comme s'il savait que ses années lui étaient comptées (il est mort à 40 ans)….  à moins que que ce soit justement cette flamme qui le brûle, ces excès en tout genre (boisson, automédication, travail surhumain, aventures et dangers) qui lui aient fait la vie si courte! En si peu de temps, il a connu tant de choses qu'il faudrait plusieurs vies aux êtres "normaux" pour faire de même! Enfant de famille modeste, abandonné par son père, il prend le nom de son beau-père, il est envoyé à l'usine dès l'âge de douze ans. Pour échapper aux cadences infernales d'un vie vouée à la misère, il se fait pirate, achète un bateau et pille les parcs d'huîtres, fréquente les bars douteux et y apprend l'attrait de l'alcool qui sera son compagnon de toute la vie, écoute les récits des marins qui décident de son amour de la mer. Il exerce de nombreux métiers, travaille dans une fabrique de jute ou comme électricien, s'embarque sur un voilier pour chasser le phoque, vagabond (trimardeur) il sillonne le pays, chercheur d'or dans le Grand Nord, il est atteint du scorbut, vit des aventures d'une dureté incroyable, plus tard il s'engage dans des combats politiques, participe aux grandes marches contre la faim, continue à lire avec passion et commence à écrire des nouvelles dont certaines vont paraître dans les journaux. Il reprend ses études, décide d'entrer à l'université, il étudie alors en deux mois, les matières de deux années de lycée. Il a à peine vingt ans!! Il met les bouchées doubles dans tout ce qu'il entreprend et quand la fortune arrive grâce à son abondante production littéraire (il ne cache pas qu'il écrit pour gagner de l'argent!) il s'achète un ranch, commence un vie d'éleveur, part faire le tour du monde en bateau, tour interrompu par la maladie mais qui lui permet de nourrir son imaginaire (comme il l'a fait pour le Grand Nord) de récits des Mers du Sud, Hawaii, Molokai, l'île des lépreux, les Marquises, Tahiti…. Une vie menée au pas de course, un personnage excessif, tourmenté, assez exceptionnel, passionnant mais  certainement difficile à vivre!

Le deuxième trait de caractère le plus saillant, en-dehors de cette insatiable appétit de vivre et de cette force de volonté féroce, ce sont les contradictions de cet homme, brillant, d'une intelligence supérieure, mais qui cultive les paradoxes. Ainsi son enfance misérable le met face au capitalisme dans toute son horreur. Il vit dans sa chair d'enfant l'abominable exploitation des ouvriers, ce qui le mènera à se découvrir socialiste et à lire Marx. Pourtant, alors qu'il prône la solidarité envers la masse, il croit dur comme fer au mythe américain du self made man dont il se fait la vivante incarnation. De même à l'encontre de toutes ses idées socialistes, il croit en la supériorité de la race blanche anglo-saxonne. Certains de ses romans portent l'empreinte de ce racisme et l'affirmation de cette supériorité même s'il a parfois de beaux accents pour montrer les aspects positifs de certains peuples qu'il rencontrés. Cette contradiction s'accroît encore avec sa richesse. Etre socialiste quand on se fait construire des maisons et des yachts luxueux, qu'on dirige de nombreux employés apparaît comme un paradoxe. Ce qui ne l'empêche pas de loger ses domestiques dans des chambres pourvues de tout le confort moderne pour qu'ils bénéficient eux aussi de ce luxe!

Tout en nous contant l'histoire incroyable de son héros, Jennifer Lesieur, analyse nouvelles et romans d'une manière approfondie, en les mettant en relation avec le vécu de son personnage mais aussi en dégageant, sous le récit d'aventure, la portée philosophique et la pensée symbolique de Jack London. Ce qui ne manque pas d'intérêt. Il est dommage, cependant, et là c'est imputable aux éditions Tallandier, que le livre regorge d'autant de fautes d'orthographe et de syntaxe qui gâchent la lecture. On dirait que le livre est une épreuve de lecture non corrigée, ce qui n'est pourtant pas le cas!



Biographie

Challenge les 12 d'Ys


lundi 6 août 2012

Irvin Yalom : Le problème Spinoza





Irving Yalom l'explique. Il avait depuis longtemps envie d'écrire un livre sur le philosophe Spinoza, esprit éclairé qui a influencé tant de grands esprits au cours des siècles. Ce philosophe d'une intelligence peu commune, en avance sur son temps, uniquement préoccupé de la recherche de la vérité séduisait l'écrivain. Juif excommunié en 1656 par les rabbins d'Amsterdam, définitivement coupé de sa propre famille à qui il lui était interdit de parler, et banni de la communauté juive à tout jamais, Spinoza a mené une vie intellectuelle intense mais discrète et retirée. C'est ce qui explique que sa vie reste peu connue. Il avait même demandé à ses amis d'effacer toutes traces personnelles dans ses écrits à une époque où il ne pouvait les faire publier qu'anonymement ou après sa mort. Comment écrire sur un homme dont on sait si peu?
Le déclic s'est fait, explique Yalom, en visitant à Amsterdam le musée Spinoza. Trop pauvre pourtant pour lui apporter des matériaux, il contient la bibliothèque reconstituée des ouvrages que lisait le philosophe. Yalom apprend alors que le Reichsleiter Rosenberg, chargé du pillage des biens juifs par Hitler a fait enlever tous les livres de la bibliothèque de Spinoza en 1941, déclarant que ces ouvrages permettraient peut-être de régler "le problème Spinoza".
Pourquoi se demande Yalom, Spinoza était-il un problème pour les nazis? A partir de là, l'écrivain va s'intéresser à Rosenberg et remonter aux sources de la vie et de la pensée du Reichsleiter pour nous présenter Spinoza. C'est ainsi que par des recherches sérieuses mais en s'autorisant aussi la fiction (il s'agit d'un roman) l'auteur à écrit ce livre qui en établissant un parallèle entre Rosenberg, le théoricien du nazisme et de l'antisémistisme, et Spinoza, engagé dans la lutte contre l'obscurantisme, nous permet de mieux comprendre ce que le philosophe avait d'exceptionnel et la puissance de sa pensée.

Une gageure mais réussie! Sachez tout d'abord qu'il n'y a pas besoin d'avoir lu les écrits de Spinoza pour apprécier le roman. Si l'exposition des idées du philosophe est intéressante, le portrait de Rosenberg et ses relations avec Hitler, cette tragique période historique qui fait contrepoint à celle des Pays-Bas du XVII siècle, le sont tout autant. Nous nous intéressons  à la partie  historique car Irvin Yalom nous fait assister à la montée du Nazisme dans une Allemagne paupérisée et humiliée par le diktat draconien du traité de Versailles..

Spinoza : ses idées religieuses

Spinoza reçoit un herem, excommunication, car il s'attaque aux autorités religieuses juives comme à celles de tout autre religion. Il est persuadé en effet, que les chefs religieux ont intérêt à expliquer les livres saints, ici la Torah, à leur manière. En développant l'obscurantisme, en privilégiant la peur, les superstitions, ils maintiennent leur emprise sur le peuple. Ceci enfin d'asseoir leur propre autorité sur les croyants : 

Les autorités qu'elles qu'elles soient, veulent empêcher que ne s'exerce notre raisonnement.

Nous devons faire la distinction entre ce que la Bible dit et ce que ceux qui font profession  de religion disent qu'elle dit.

La religion et l'état doivent être séparés. Le meilleur souverain que l'on puisse imaginer serait un chef librement élu dont les pouvoirs seraient limités par une assemblée également élue, et qui agirait en conformité avec le bien-être social, la paix et la sécurité de tous.

Il démontre que la Torah ne peut être un livre écrit par Dieu et il en prône une lecture nouvelle au cours de laquelle les paroles ne seraient pas prises à la lettre mais considérées comme des métaphores. Il réfute aussi l'idée d'un peuple élu par dieu.

Pour vraiment comprendre les mots de la Bible, il faut connaître les idiomes anciens et les lire dans un esprit libre et neuf.

Se pose la question de l'athéisme de Spinoza.  Il ne peut croire à un Dieu conçu sur le modèle des humains. Il pense que le monde est régi par une suite de causes naturelles et obéit à un ordre universel commandé par des lois prévisibles. C'est donc à travers la nature que Dieu se manifeste et non comme une entité douée de volonté. On voit que ces idées dans l'Europe catholique de l'époque sentent le bûcher! Même aux Pays-Bas, elles mettent sa vie en danger; je me demande d'ailleurs si, de nos jours, Spinoza n'aurait pas aussi quelques difficultés!

Spinoza : sa recherche de la paix de l'esprit

Dans le roman, Rosenberg se demande comment un vrai allemand comme Goethe a pu trouver l'apaisement en lisant la philosophie du juif Spinoza. Celui-ci, nous explique l'écrivain, défend l'idée que nous pouvons surmonter nos tourments et nos passions humaines en parvenant à la compréhension d'un monde tissé sur la logique. Si nous acceptons l'ordonnancement naturel du monde, l'idée que nous faisons partie de cet ordre et que tout est soumis -même les hommes-  à un lien causal, alors nous pourrons trouver l'apaisement. Car rien n'est en soi et pour soi véritablement plaisant ou effrayant. C'est l'esprit seul qui rend les choses ainsi. Il ne faut donc pas essayer de changer les évènements mais de changer la façon dont notre esprit envisage l'évènement.

 Le roman est une oeuvre de vulgarisation. L'écrivain est pédagogue, peut-être un peu trop parfois, surtout quand il met en scène les personnages fictifs de Franco Benitez au XVIIème et Freidrich Pfister au XXème. Ceux-ci répondent à toutes nos questions, levant pour nous les difficultés et les obscurités du texte philosophique mais on ne peut s'intéresser à eux en tant que personnages. C'est une faiblesse du roman en même temps qu'une contradiction car s'ils n'étaient pas là, le lecteur non philosophe ne pourrait suivre le récit. Il faut donc accepter cette convention littéraire sachant que, par contre, les personnages de Spinoza et Rosenberg sont très crédibles et que l'histoire se lit avec intérêt. Le roman est donc très agréable à lire.


                         
 Merci à La librairie Dialogues

vendredi 3 août 2012

Betty Mindlin : Carnets sauvages chez les Surui du Rondônia






Betty Mindlin est une anthropologue brésilienne. Dans Carnets sauvages elle raconte au fil des notes prises pendant ses différents séjours dans la forêt amazonienne le quotidien des Surui, un peuple qui vit en plein coeur de l'état de Rondônia. Elle nous décrit les traditions des Surui, leurs mythes, leur mode de vie, leur évolution, mais elle nous fait part aussi de ses propres sentiments par rapport à ce peuple, de ces moments de bonheur entourée de leur chaude affection, mais aussi des difficultés rencontrées, d'une vie parfois rude et âpre, des moments de déprime quand elle pense à ses propres enfants et à leur éloignement. Carnets sauvages n'est donc pas une oeuvre scientifique - Betty Mindlin a publié des études et une thèse sur ce sujet - mais plutôt une sorte de journal intime où, sous l'anthropologue, la femme apparaît.

L'intérêt des Carnets sauvages tient bien sûr à la découverte de ce peuple dont les moeurs sont pour nous surprenantes et c'est avec beaucoup d'intérêt que nous pénétrons dans leur vie, que nous découvrons des coutumes et des croyances influencées, bien sûr, par le milieu, cette grande forêt sauvage où les esprits des arbres et de la terre peuvent parfois devenir dangereux. Mais ce qui est aussi passionnant c'est que cette étude n'est pas abstraite, elle est présentée à travers des personnages bien vivants, qui finissent par nous devenir familiers, que nous connaissons comme des amis, tous avec leurs qualités et leurs faiblesses, des hommes et des femmes, enfin, pas si éloignés de nous tous malgré les différences, faisant partie de la grande famille humaine!

Ce que je ressens de façon plus aiguë, c'est la simplicité et le mystère du village, que nous avons perdu dans notre routine urbaine. La nuit je regarde les corps nus qui ont besoin du feu pour se réchauffer : c'est très étrange, c'est le destin du genre humain qui se donne à voir.

Mais, disons-le tout de suite, j'ai éprouvé un grand regret avec ce récit qui aiguise notre curiosité, parce que l'édition Métailié ne propose aucune image (alors que Betty Mindlin prend beaucoup de photographies, nous dit-elle) ni des villages, ni de l'oca, la Grande Maison où vivent les familles, ni des plantations, des fêtes rituelles et même pas des hommes et des femmes que nous apprenons à connaître : Naraxar, le solitaire qui demande Betty Mindlin en mariage, Caimabina la superbe épouse de Iamabop, l'Impératrice, la Désirée des hommes, Uratugare, le beau chasseur, le séducteur,  Garapoy le pajé, puissant et dangereux sorcier, guides des âmes et  d'un autre regard sur l'espace temps, Garapoy qui dévoile le Marameipeter, le chemin de l'âme, qu'il dessine par terre. Et cette absence de documentation est frustrante!

Dans ces carnets Betty Mindlin ne cède pas à la tentation du mythe du "bon sauvage" à la Rousseau. Sa formation d'ethnologue l'en préserve, l'observation de la réalité aussi. Ainsi à propos des femmes, elle est d'abord frappée par leur beauté :

Elles sont superbes. Celles qui ont des enfants en bas âge, les allaitent ou les  portent enveloppés dans de grandes bandes de coton qui semblent bien pratiques et laissent les bras libres. elle les tissent elles-mêmes, et certaines sont décorées de dessin au rocou, de bracelet de graines de Tucuma ou de dents cousues à intervalles réguliers.

 Mais plus tard  à l'occasion d'un coup de couteau porté à l'une d'entre elles :

La violence contre les femmes était impressionnante. Jusqu'à présent, tout m'avait semblé si romantique, les hommes séducteurs et gentils. Le coup de couteau, même si c'était du côté plat, contenait une menace de mort.

Peu à peu, elle s'aperçoit de la condition de la femme dans la tribu Surui qui sert de monnaie d'échange pour satisfaire les appétits des hommes, pacifier l'humeur belliqueuse des autres. Elles sont mariées fort jeunes, voient leurs enfants mourir en bas âge (la mortalité enfantine est très élevée), sont mises en quarantaine pendant leurs règles ou après l'accouchement, ce qui permet d'échapper aux corvées mais est aussi ennuyeux qu'être en prison! et subissent coups et mauvais traitements de leur mari.

Les femmes restaient soumises au bon vouloir de la volonté masculine, et l'égalité entre les sexes disparaissait. Je n'avais vu qu'une femme avec un oeil au beurre noir. J'ai senti à partir de là que le quotidien n'était pas si paisible.

Si d'un séjour à l'autre, il y a parfois (et cela se comprend) des répétitions, des retours en arrière qui émoussent un peu notre curiosité et lassent notre intérêt, cela tient à la démarche scientifique de l'ethnologue qui progresse par recoupement, surmonte les difficultés de la langue, fait céder les résistances de ceux qui ont des réticences à se livrer. Les liens qui se nouent entre elle et ses amis lui permettent au fur et à mesure de mieux comprendre cette civilisation et de préciser ce qu'elle n'avait pas saisi en remontant à la source. Le récit, malgré ses redites, reste cependant intéressant et facile d'accès. Il s'agit d'une oeuvre de vulgarisation qui nous permet de nous investir dans cette recherche d'ethnologue comme si nous la vivions ! J'ai préféré pourtant le premier récit où Betty Mindlin semble "ensorcelée" (c'est le mot qu'elle emploie) par les Surui et nous transmet une vision presque magique de ce peuple.

Une remarque, encore, pour exprimer mon étonnement : Si tous les sujets sont abordés y compris les rapports entre hommes et femmes de la tribu tant au niveau de la sexualité que de l'organisation sociale, j'ai été tout de même un peu surprise que l'auteur nous livre ses propres fantasmes vis à vis des beaux mâles Surui dans des récits "imaginaires" qu'elle nous relate! Curieux pour une scientifique, non? Mais bon, comme je vous le disais sous l'anthropologue, la femme!

Les carnets se décomposent en six parties qui correspondant aux séjours de Betty Mindlin, le premier remontant en 1979, le sixième en 1983. Après les carnets, l'auteur est encore retournée plusieurs fois chez les Surui en 1994, dans les années 2000. Elle a vu le défrichement de la forêt et les conséquences sur le mode de vie des Surui, elle constaté le changement de mentalité de ces peuples au contact des populations blanches, elle les a vus dépossédés de leur terre au profit d'entreprises qui se sont enrichis sur leur dos, elle les a vus devenir des salariés exploités là où ils régnaient en maîtres. Elle a combattu avec eux pour qu'ils fassent valoir leurs droits. Ils se sont organisés dans la lutte mais il s'agit un peu du combat du pot de terre contre le pot de fer. Avec la destruction de la forêt, l'exploitation de gisements de diamants n'a rien arrangé, des milliards d'intérêt sont en jeu. La civilisation des Surui telle qu'elle était alors a disparu.

Les Surui ont été les grandes eaux inondant mes journées. Je veux retourner vers eux avec une âme nouvelle, pour demander aux petits-enfants de mes amis ce qu'ils pensent du monde, du Brésil, de leur nouvelle vie, quels dieux ils suivent, s'ils vont encore au pays de l'au-delà, le Marameipeter ou Gorakoied, si d'autres pajés différents vont venir.





Merci à la librairie Dialogues :