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lundi 6 mai 2013




 Wiley Cash, avec son premier roman Un pays plus vaste que la terre, réalise un coup de maître! Tout est réussi, le style, la construction savante et maîtrisée, la psychologie des personnages et la faculté de faire revivre une époque, une région  tout en rendant compte des mentalités de la population.

Wiley Cash place l'action de son roman dans le Sud des Etats-Unis, à Marshall, une ville de la Caroline du Nord, siège du comté de Madison. Là, il nous fait découvrir les personnages appartenant à une communauté religieuse animée par le pasteur Chambliss. Mais que se passe-t-il dans cette église où les vitres sont cachées par des cartons pour que l'on ne puisse y voir de l'extérieur les pratiques religieuses de ce prêtre et de ses fidèles fanatisés?
Le récit est raconté tour à tour par les personnages principaux Adélaide Lyle, une femme âgée qui réprouve les méthodes du pasteur et s'occupe des enfants qu'elle veut soustraire à son influence; par Jess Hall un enfant de dix ans qui regarde avec des yeux innocents des faits qu'il ne peut entièrement comprendre; très attaché à son frère Stump, handicapé mental, il va voir sa vie basculer irrémédiablement; et par Clem Barefield, le shérif du comté de Madison qui enquête sur la mort mystérieuse de Stump dans l'église de Chambliss. Wiley Cash nous fait découvrir à travers ces trois témoignages la réalité qui se cache sous l'apparence. A travers ces trois voix qu'il module avec habileté selon l'âge, l'éducation et le sexe des témoins, apparaît la personnalité riche et complexe de chaque narrateur.
Pourtant même s'il y a enquête il ne s'agit en rien d'un roman policier. L'auteur analyse les ressorts qui meuvent les gens de cette communauté, les croyances religieuses qui annihilent toute lucidité, qui obligent les fidèles à abdiquer pour se soumettre à un homme et être ainsi totalement sous influence. Mais il s'intéresse aussi aux rapports entre les individus, entre père et fils par exemple, bâtis sur la haine et la violence comme ceux de Jemmy et de Ben Hall, respectivement grand père et père de Jess, entre les couples comme Julie, la mère de Jess et Ben mais aussi à l'affection naissante entre Jemmy, l'aïeul, et son petit-fils, amour qui peut permettre sa régénération.
Le pays plus vaste que la terre est aussi présent avec ses larges champs de tabac que cultive le père de Jess et où les enfants se cachent, ses ruisseaux où il attrapent des salamandres, ses crotales, sa chaleur intense et ses longues routes poussiéreuses.

Un très bon roman que je vous invite à découvrir en en faisant un livre voyageur!




dimanche 5 mai 2013

Un livre/Un film : Cyrano de Bergerac Edmond Rostand


 
Résultat de l'énigme n°64
Les vainqueurs du jour sont :  Dasola,  Eeguab, Keisha, Marie Josée, Pierrot Bâton, Ta d loi du ciné, Thérèse ...  Et merci à tous!

la pièce : Cyrano de Bergerac de Edmond Rostand
                    
Le film :  Cyrano de Bergerac de Jean-Paul Rappeneau




Cyrano de Bergerac a existé. C'était un poète, dramaturge, mais aussi un soldat du XVII siècle, Hercule Savinien de Cyrano dit Cyrano de Bergerac, libertin au sens philosophique de l'époque, l'esprit large, il a combattu les faux dévots.  Edmond Rostand a fait un mythe de ce personnage  avec lequel il a pris de très grandes libertés par rapport à l'Histoire. Dès le collège, le personnage de Cyrano a hanté l'esprit du dramaturge. C'est un maître d'études surnomme Pif-Luisant qui  l'aurait inspiré : "son âme était aussi belle que son physique était disgracieux. Le contraste me frappa".

C'est en 1897 que la pièce Cyrano de Bergerac fut représentée sur la scène du Théâtre de la Porte Saint Martin. L'acteur qui interprétait Cyrano était Constant Coquelin (1841_1909), issu d'une grande famille de comédiens. Les deux hommes s'étaient rencontrés par l'intermédiaire de Sarah Bernhardt et liés d'amitié. Coquelin dit à Rostand : faites-moi un rôle et je jouerai quand vous voudrez, où vous voudrez. C'est ce jour-là que le poète lui fit part de la première idée de son chef d'oeuvre futur, raconte Jean Coquelin, le fils de Constant. Le rôle titre est le plus long du répertoire français, plus de 1600 vers. Pour Constant Coquelin, c'était le rôle rêvé, celui qui allait lui permettre de mettre en valeur  ses immenses qualités d'acteur. Le succès fut sans pareil. Rostand reçut la légion d'honneur en 1898 pour sa pièce.

La pièce est en cinq actes comme une tragédie classique, elle rend hommage a des auteurs classiques comme Molière dans la tirade "mais qu'allait-il faire de cette galère?"  mais elle est romantique par bien des aspects.  Elle ne respecte par la règle des trois unités. Les lieux changent, ce qui est une des difficultés de la pièce car cela requiert des décors très différents. Comme dans le théâtre romantique, elle mélange les genres et est à la fois farce, comédie, tragédie. Le héros est romantique puisqu'il est voué à l'échec, il ne peut se faire aimer,  son nez, le désigne à la moquerie et à l'opprobre générale. Il ressemble à un héros de Hugo, un Gwynplaine ou un Quasimodo au physique repoussant, ou encore un Hernani, un proscrit, poursuivi par le malheur et la mort. Mais du héros romantique, il a une belle âme, bien trempée,  le courage, la superbe et surtout le Verbe. C'est par la parole que Cyrano se révèle comme un homme supérieur et c'est par le Verbe, la poésie, le génie de la langue et de l'esprit qu'il finira par obtenir l'amour de Roxane lorsque celle-ci  comprendra que ce n'est pas Christian qui a su trouver le chemin de son coeur mais Cyrano.

Si j'ai lu la pièce, je ne l'ai jamais vu sur scène au théâtre; mais je connais  deux belles interprétations au cinéma : le magnifique Daniel Sorano dans le téléfilm de Claude Barma et bien sûr, Gérard Depardieu dont j'ai vraiment apprécié la sensibilité et le panache dans le film de Rappeneau. 

Voir le site sur Cyrano http://www.cyranodebergerac.fr/index.php


Chez Eimelle




Daniel Sorano téléfilm de Claude Barma

samedi 4 mai 2013

Un Livre/ Un film : Enigme n° 64




Et voilà notre jeu reprend après l'interruption des vacances.

Pour les nouveaux venus : De quoi s'agit-il?

Wens de En effeuillant le chrysanthème et moi-même, nous vous proposons, le samedi, un jeu sous forme d'énigme qui unit nos deux passions : La littérature et le cinéma! Il s'intitule : Un livre, Un film.
Chez Wens vous devez trouver le film et le réalisateur, chez moi le livre et l'auteur.
Consignes :  Vous pouvez donner vos réponses par mail que vous trouverez dans mon profil : Qui êtes-vous? et  me laisser un mot dans les commentaires sans révéler la réponse pour m'avertir de votre participation. Le résultat de l'énigme et la proclamation des vainqueurs seront donnés le Dimanche.
Pendant les vacances, nous arrêtons le jeu Un livre/ Un film.


 Enigme n° 64
Cette pièce de théâtre en cinq actes, oeuvre d'un auteur français, a été portée à la scène à la fin du XIX siècle et a obtenu un vif succès. Son triomphe est dû à son romantisme attardé qui mélange les genres, farce, comédie, tragédie, à son histoire d'amour et  surtout à un personnage masculin hors du commun qui est devenu un type. Quel est l'auteur, le titre de la pièce?  
Voici cet extrait dont vous reconnaîtrez certainement le style!

Mais que diable allait-il faire,
Mais que diable allait-il faire en cette galère ?...
Philosophe, physicien,
Rimeur, bretteur, musicien,
Et voyageur aérien,
Grand riposteur du tac au tac,
Amant aussi - pas pour son bien ! -
(......)
  Mais je m'en vais, pardon, je ne peux faire attendre
Vous voyez, le rayon de lune vient me prendre !
(...)
  ... mais je veux seulement
Que lorsque le grand froid aura pris mes vertèbres,
Vous donniez un sens double à ces voiles funèbres,
Et que son deuil sur vous devienne un peu mon deuil.


jeudi 2 mai 2013

Nathalie Sarraute : Tropismes


Tropismes de Nathalie Sarraute réunit une série de textes très courts autour d'un thème résumé par le titre : Tropismes.

Il faut d'abord comprendre le titre pour accéder au sens du texte. Tropisme provient du grec qui signifie « donner une direction ». Chez les végétaux le tropisme est une réaction d'orientation des organes au milieu, la lumière et la gravité étant les principaux facteurs.
Dans la préface de L'ère du soupçon Nathalie Sarraute explique ce que signifie pour elle le mot tropisme :
J'ai commencé à écrire Tropismes en 1932. Les textes qui composaient ce premier ouvrage étaient l’expression spontanée d’impressions très vives, et leur forme était aussi spontanée et naturelle que les impressions auxquelles elle donnait vie.
Je me suis aperçue en travaillant que ces impressions étaient produites par certains mouvements, certaines actions intérieures sur lesquelles mon attention s’était fixée depuis longtemps. En fait, me semble-t-il, depuis mon enfance.
Ce sont des mouvements indéfinissables, qui glissent très rapidement aux limites de notre conscience ; ils sont à l’origine de nos gestes, de nos paroles, des sentiments que nous manifestons, que nous croyons éprouver et qu’il est possible de définir. Ils me paraissaient et me paraissent encore constituer la source secrète de notre existence. […]
A travers les textes qui composent le recueil, les Tropismes (on notera le pluriel), ce sont toutes les forces qui s'exercent sur l'individu sans qu'il en soit toujours conscient, les contraintes sociales, les pressions liées à la religion, à l'éducation, l'affectivité, toutes constructions mentales et sociales qui s'unissent pour le priver de sa liberté. Comme l'héliotrope est soumis à la lumière du soleil et s'oriente dans l'espace en fonction de l'astre, l'être humain ne peut échapper aux règles de la société dans laquelle il vit. Il est brisé, robotisé, déshumanisé et ne peut jamais être vraiment lui-même. C'est peut-être pour cela que les personnages de Tropismes n'ont pas de noms, ce sont des silhouettes qui ne sont désignés que par des pronoms.
On lui offrait une existence à la fois dépouillée et protégée, une existence semblable à une salle d'attente dans une gare de banlieue déserte, une salle nue, grise et tiède, avec un poêle noir au milieu des banquettes en bois le long des rues. (texte III)
De tous ces textes naît un sentiment de tragique, quelque chose de bouleversant, de poignant :
Texte X : Elles allaient dans les thés
Et elles parlaient, parlaient toujours, répétant les mêmes choses, les retournant , puis les retournant encore, d'un côté puis de l'autre, les pétrissant, roulant sans cesse entre leurs doigts cette matière ingrate et pauvre qu'elles avaient extraite de leur vie (ce qu'elles appelaient "la vie", leur domaine), la pétrissait, la tirant, la roulant jusqu'à ce qu'elle ne forme plus entre leurs  doigts qu'un petit tas, une petite boulette grise.
L'écriture est riche, métaphorique. Elle vous prend au piège, vous englue, vous implique irrémédiablement car, bien sûr, selon les mots de Montaigne, c'est  la peinture de "l'humaine condition".
 Texte IV Le maître de ballet
 Là, là, là, elles dansaient, tournaient et pivotaient, donnaient un peu d'esprit, un peu d'intelligence,  mais comme sans y toucher, sans jamais passer sur le plan interdit qui pourrait lui déplaire.

 

lundi 29 avril 2013

François Guérin : Cherche jeunes filles à croquer



 Mais qui Cherche (des) jeunes filles à croquer ? C'est la question que pose l'enquête policière concoctée par Françoise Guérin. Nous devrons lire le roman jusqu'au bout et en suivre les péripéties haletantes pour le savoir. Par contre nous avons la réponse dès le début à  la question : qui sont-elles? Ces jeunes filles à croquer sont, en fait, des malades, anorexiques, redoutables car toujours en guerre contre la société, nocives envers elles-mêmes et leurs proches, et pourtant si fragiles qu'elles deviennent des proies faciles pour les prédateurs. C'est ainsi que le commandant Lanester et son équipe de criminologie analytique vont être amenés à enquêter, loin de Paris, dans la vallée du Mont-Blanc, sur la disparition de plusieurs de ces patientes soignées dans une clinique privée, spécialisée dans les troubles alimentaires.

J'ai lu avec beaucoup de plaisir ce roman qui nous tient en haleine quant à l'histoire policière elle-même et ses nombreux revirements. J'ai aimé faire connaissance des personnages et en particulier du  commandant Lanester dont le passé est pesant (je découvrirai les détails, je pense, en lisant le roman précédent) et qui sous son apparence de force et de compétence nous livre ses failles cachées. C'est lui qui raconte l'histoire c'est ainsi que commence le roman : " Je crois que je suis trop fragile pour continuer ce boulot". C'est un personnage que l'on suit avec sympathie non seulement dans son enquête mais dans sa vie privée. Détail amusant au début du roman, il doit amener son chat (qui est d'ailleurs une chatte) à la clinique vétérinaire pour le (la) faire opérer. Une chatte, donc, prénommée Walesa :

-Vanessa, comme la chanteuse? (demande le vétérinaire)
- Non, Walesa! comme le leader de Solidarnosc
- Ah! oui, le groupe de rock...
Je lève les yeux au ciel. Se peut-il qu'il n'ait jamais entendu parler du syndicat Solidarnosc?


Je vous livre ici ce passage pour vous faire goûter l'humour de Françoise Guérin que vous retrouverez tout au long du livre. Quant à l'équipe de Lanester? Les membres ne sont pas en reste et manient entre eux la dérision. Ils  ne sont pas de tout repos pour le commandant qui  a parfois l'impression de gérer une bande d'ados insupportables mais pleins de réparties et d'humour vachard.

De plus, le roman de Françoise Guérin, nous fait connaître l'anorexie, une maladie que l'on sait grave et dangereuse mais dont on ignore beaucoup d'aspects  tant qu'on n'en a pas fait la triste expérience à travers l'un des siens. L'auteur utilise ses compétences de psychologue clinicienne pour nous livrer des portraits de jeunes adolescentes tourmentées et atteintes dans leur esprit et dans leur corps. L'analyse psychologique se double donc d'une analyse clinique. L'auteure en variant les points de vue, les jeunes filles vues par leurs soignants, leurs parents ou vues de l'intérieur avec les sentiments qu'elles éprouvent, dresse des portraits troublants, faits d'ombre et de lumière, des jeunes victimes. Et ce n'est pas l'un des moindres intérêts.

Un roman à découvrir, donc! Un grand merci à Françoise Guérin de l'avoir mis en livre voyageur.

Voir aussi  les avis de :

Keisha 
Clara
Kathel
Fransoaz

vendredi 26 avril 2013

Jehan Rictus et Victor Hugo sur le travail des enfants : Le coeur populaire et Les contemplations



En 1856 dans le Livre III des Contemplations Victor Hugo dénonçait le travail des enfants avec son poème:

 Melancholia (extrait)
Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ?
Ces doux êtres pensifs que la fièvre maigrit ?
Ces filles de huit ans qu'on voit cheminer seules ?
Ils s'en vont travailler quinze heures sous des meules ;
Ils vont, de l'aube au soir, faire éternellement
Dans la même prison le même mouvement.
Accroupis sous les dents d'une machine sombre,
Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l'ombre,

Innocents dans un bagne, anges dans un enfer,
Ils travaillent.


 
 Enfants mineurs

Au XIX ème siècle la journée de travail des adultes était très longue et celle des enfants l'était tout autant. Il étaient employés dans des usines, des manufactures, des filatures et dans les mines. Ainsi en 1834, les enfants à partir de six ans, travaillaient 14H et demi en moyenne à Roubaix. A Rouen, à Saint Quentin et en Alsace la durée du travail effectif était de 13 heures et demi soit des journées de 15 heures de présence à l'usine; la société industrielle de Mulhouse estimait à 17H la journée des enfants. La journée des forçats dans les bagnes n'était pas plus longue. La croissance et la santé des enfants en étaient tragiquement affectées et la mortalité était très grande. voir article Le travail des enfants au XIX isècle ICI 

Aujourd'hui, je veux vous faire découvrir le poète et chansonnier Jehan Rictus qui dénonce à sa façon les souffrances que le capitalisme naissant et âpre au gain fait subir aux enfants. Il faut passer sur la surprise de la langue populaire employée par Jehan Rictus pour pouvoir ressentir et la sensibilité à fleur de peau du poète et le tragique de ces vies brisées d'autant plus d'actualité à notre époque qu'il y a encore des millions d'enfants au travail de par le Monde.. 

Jehan Rictus

Jehan Rictus est né en 1867 et est mort à Paris en 1933. Très jeune, délaissé par son père, il fuit une une mère caractérielle et hostile, et se retrouve à la rue, côtoie les clochards, expérience dont il tirera plus tard Les soliloques du pauvre. Il exerce des petits métiers, retombe ensuite dans la précarité. Mais il a alors l'idée d'écrire des poèmes dans lesquels un clochard s'adresserait à son public dans le français populaire de l'époque. Il début en 1895 au cabaret montmartrois des Quat'zarts et c'est le succès dès 1896. Il chante dans des cabarets, dans des réunions syndicales et politiques et même dans des diners mondains  et toujours il prend la défense du pauvre sous le pseudonyme de Jehan Rictus.

Farandole des pauv’s ’tits fan-fans morts
                           
(Ronde parlée)
Nous, on est les pauv’s tits fan-fans,
les p’tits flaupés, les p’tits foutus
à qui qu’on flanqu’ sur le tutu :

les ceuss’ qu’on cuit, les ceuss’ qu’on bat,
les p’tits bibis, les p’tits bonshommes,
qu’a pas d’ bécots ni d’ suc’s de pomme,
mais qu’a l’ jus d’ triqu’ pour sirop d’ gomme
et qui pass’nt de beigne à tabac.

Les p’tits vannés, les p’tits vaneaux
qui flageol’nt su’ leurs tit’s échâsses
et d’ qui on jambonn’ dur les châsses :

les p’tits salauds, les p’tit’s vermines,
les p’tits sans-cœur, les p’tits sans-Dieu,
les chie-d’-partout, les pisse-au-pieu
qu’il faut ben que l’on esstermine.

Nous, on n’est pas des p’tits fifis,
des p’tits choyés, des p’tits bouffis
qui n’ font pipi qu’ dans d’ la dentelle,
dans d’ la soye ou dans du velours
et sur qui veill’nt deux sentinelles :
Maam’ la Mort et M’sieu l’Amour.

Nous, on nous truff’ tell’ment la peau
et not’ tit’ viande est si meurtrie
qu’alle en a les tons du grapeau,
les Trois Couleurs de not’ Patrie...

Qué veine y z’ont les z’Avortés !
Nous, quand on peut pus résister,
on va les retrouver sous terre
ousqu’on donne à bouffer aux vers.
Morts ou vivants c’est h’un mystère,
on est toujours asticotés !

Nous, pauv’s tits fan-fans d’assassins,
on s’ra jamais les fantassins
qui farfouillent dans les boïaux
ou les tiroirs des Maternelles
ousqu’y a des porichinelles !

Car, ainsi font, font, font
les petites baïonnettes
quand y a Grève ou Insurrection,
car ainsi font, font, font
deux p’tits trous.... et pis s’en vont.

Nous n’irons pas au Bois, non pus
aux bois d’ Justice... au bois tortu,
nous n’irons pas à la Roquette !

Et zon zon zon... pour rien au monde,
Et zon, zon, zon, pipi nous f’sons
et barytonnons d’ la mouquette
su’ la Misère et les Prisons.

Nous, pauv’s tits fan-fans, p’tits fantômes !
Nous irions ben en Paladis
si gn’en avait z’un pour les Mômes :

Eh ! là, yousqu’il est le royaume
des bonn’s Nounous à gros tétons
qui nous bis’ront et dorlott’ront ?

Car « P’tit Jésus » y n’en faut pus,
lui et son pat’lin transparent
ousqu’on r’trouv’rait nos bons parents,

(On am’rait mieux r’venir d’ son ciel
dans h’eun’ couveuse artificielle !)

Gn’y en a qui dis’nt que l’ Monde, un jour,
y s’ra comme un grand squar’ d’Amour,
et qu’ les Homm’s qui vivront dedans
s’ront d’ grands Fan-fans, des p’tits Fan-fans,
des gros, des beaux, des noirs, des blancs.

Chouatt’ ! Car sans ça les p’tits pleins-d’-giffes
pourraient ben la faire à la r’biffe ;
quoique après tout, on s’en-j’-m’en-fous
pisqu’on sait ben qu’un temps viendra
où qu’ Maam’ la Mort all’ mêm’ mourra
et qu’ pus personne y souffrira !

Mais en guettant c’te bonn’ nouvelle
sautez, dansez, nos p’tit’s cervelles ;
giclez, jutez, nos p’tits citrons.

Aign’ donc, cognez ! On s’ fout d’ la Vie
et d’ la Famill’ qui nous étrille,
et on s’en fout d’ la République
et des Électeurs alcooliques
qui sont nos dabs et nos darons.

Nous, on est les pauv’s tits fan-fans,
les p’tits flaupés, les p’tits fourbus,
les p’tits fou-fous, les p’tits fantômes,
qui z’ont soupé du méquier d’ môme

qui n’en r’vienn’nt pas... et r’viendront plus.

Le coeur populaire (1914)

mercredi 24 avril 2013

René Depestre, poète Haïtien : Il n'y a pas de salut pour l'homme...


La poésie engagée aux XIX et XXème siècles

René Depestre est un poète et écrivain haïtien né en  1926.  Engagé dans la vie politique de son pays, il participe à la révolte populaire et au renversement du président Haïtien, Elie Lescot en 1946. Incarcéré, il doit s'exiler en France puis à Cuba. il y exerce pendant près de vingt ans d'importantes fonctions aux côtés de Fidel Castro et  Che Guevarra. Il quitte Cuba en 1970 pour s'installer en France.

Il publie son premier recueil de poésies en 1945 : Etincelles suivi de Gerbe de sang, Minerai noir, Poète à Cuba, un arc-en-ciel pour L'Occident chrétien, Au matin de la négritude.... 
 Son roman Hadriana dans tous mes rêves à recu trois prix dont le prix Renaudot en 1988. En avril 2007, il fut le lauréat du Prix Robert Ganzo de poésie pour son livre La rage de vivre édité aux éditions Seghers.

Il n'y a de salut pour l'homme

Que dans un grand éblouissement

De l'homme par l'homme je l'affirme

Moi un nègre inconnu dans la foule

Moi un brin d'herbe solitaire

Et sauvage je le crie à mon siècle

Il n'y aura de joie pour l'homme

Que dans un pur rayonnement

De l'homme par l'homme un fier

Élan de l'homme vers son destin

Qui est de briller très haut

Avec l'étoile de tous les hommes

Je le crie moi que la calomnie

Au bec de lièvre a placé

Au dernier rang des bêtes de proie

Moi vers qui toujours le mensonge

Braque ses griffes empoisonnées

Moi que la médiocrité poursuit

Nuit et jour à pas de sanglier

Moi que la haine dans les rues

Du monde montre souvent du doigt

J'avance berger de mes révoltes

J'avance à grands pas de diamant

Je serre sur mon cœur blessé

Une foi si humaine que souvent

La nuit ses cris me réveillent

Comme un nouveau-né à qui il faut

Donner du lait et des chansons

Et tendrement la nuit je berce

Mon Hélène ma foi douce ma vie tombe

En eaux de printemps sur son corps

Je berce la dignité humaine

Et lui donne le rythme des pluies

Qui tombaient dans mes nuits d'enfant

J'avance porteur d'une foi

Insulaire et barbue bêcheur

D'une foi indomptable indomptée

Non un grand poème à genoux

Sur la dalle de la douleur

Mais une petite lampe haïtienne

Qui essuie en riant ses larmes

Et d'un seul coup d'ailes s'élève

Pour être à tout jamais un homme

Jusqu'aux confins du ciel debout

Et libre dans la verte innocence

De tous les hommes!


Occident chrétien mon frère terrible

Mon signe de croix le voici :

Au nom de la révolte

Et de la justice

Et de la tendresse

Ainsi soit-il!



La Havane, décembre 1964 - juin 1965 Un arc-en-ciel pour l'Occident chrétien

lundi 22 avril 2013

Victor Hugo, Les Châtiments : Caves de Lille ...

La poésie engagée aux XIX et XX ème siècles

Victor Hugo rédigeant Histoire d'une crime (caricature)



Pour Victor Hugo Le poète est le guide, le berger :

Peuples, écoutez le poète!
Ecoutez le rêveur sacré!
Dans votre nuit sans lui complète,
 Lui seul à le front éclairé

 Le poète en des jours impies
Vient préparer des jours meilleurs
Il est l'homme des Utopies
Les pieds ici, les yeux ailleurs.


   La fonction du poète Les Rayons et les Ombres

Après le coup d'état de Napoléon Bonaparte le 2 décembre 1851, Victor Hugo part en exil.  Il publie alors Les Châtiments en 1853, un recueil de poèmes qui lui sert d'arme dans sa lutte contre le tyran qu'il appelle Napoléon le Petit. Il accuse Napoléon III d'être parjure au serment de fidélité qu'il a prêté à la République,  d'être coupable de la terrible répression qui a suivi le coup d'état et responsable  des crimes qui ont été commis en son nom,  coupable aussi d'avoir assassiné la Liberté et de maintenir le peuple dans la misère et l'oppression. Dans une lettre à son l'éditeur  en Septembre 1852 où il annonce  la rédaction des Châtiments, Victor Hugo écrit : J'ai pensé qu'il m'était impossible de publier en ce moment un volume de poésie pure. Cela ferait l'effet d'un désarmement, et je suis plus armé et plus combattant que jamais. Il ne retournera en France qu'à la chute de l'Empire en 1870. Le poète est donc bien le mage qui guide le peuple et sa parole aura, en effet, un pouvoir incontestable.

Un jour je descendis dans les caves de Lille

Je vis ce morne enfer.

Des fantômes sont là sous terre dans des chambres,

Blêmes, courbés, ployés ; le rachis tord leurs membres

Dans son poignet de fer.

Sous ces voûtes on souffre, et l’air semble un toxique

L’aveugle en tâtonnant donne à boire au phtisique

L’eau coule à longs ruisseaux ;

Presque enfant à vingt ans, déjà vieillard à trente,

Le vivant chaque jour sent la mort pénétrante

S’infiltrer dans ses os.
Jamais de feu ; la pluie inonde la lucarne ;

L’œil en ces souterrains où le malheur s’acharne

Sur vous, ô travailleurs,

Près du rouet qui tourne et du fil qu’on dévide,

Voit des larves errer dans la lueur livide

Du soupirail en pleurs.
Là frissonnent, plus bas que les égouts des rues,

Familles de la vie et du jour disparues,

Des groupes grelottants ;

Là, quand j’entrai, farouche, aux méduses pareille,

Une petite fille à figure vieille

Me dit : J’ai dix-huit ans !

Là, n’ayant pas de lit, la mère malheureuse

Met ses petits enfants dans un trou qu’elle creuse,

Tremblants comme l’oiseau ;

Hélas ! ces innocents aux regards de colombe

Trouvent en arrivant sur la terre une tombe

En place d’un berceau !
(…)


Caves de Lille ! on meurt sous vos plafonds de pierre !

J’ai vu, vu de ces yeux pleurant sous ma paupière,

Râler l’aïeul flétri,

La fille aux yeux hagards de ses cheveux vêtue,

Et l’enfant spectre au sein de la mère statue !

Ô Dante Alighieri !


C’est de ces douleurs-là que sortent vos richesses,
Princes ! 
ces dénûments nourrissent vos largesses,

Ô vainqueurs ! conquérants !

Votre budget ruisselle et suinte à larges gouttes

Des murs de ces caveaux, des pierres de ces voûtes,

Du cœur de ces mourants.





dimanche 21 avril 2013

Claude Roy, Jamais je ne pourrai ...

 La poésie engagée aux XIX et XXème siècles  

 

La muse et le poète, le Douanier Rousseau

Le XXI siècle serait-il un siècle sans poésie? Certes, il y encore des poètes de notre temps mais ils sont peu lus et ils n'ont pas une voix prépondérante dans notre société comme ils l'avaient au XIXème et au XXème siècle... mais quelle est la conception du poète dans ces  époques où  ceux-ci avaient une grande influence sur leurs contemporains et dans la vie politique et sociale?
Pendant ces deux siècles se sont opposés deux conceptions de la poésie. Ceux qui refusent d'être dans leur temps et s'enferment dans leur tour d'ivoire selon l'expression de Sainte Beuve à propos d'Alfred de Vigny.
Ainsi Théophile Gautier, partisan de l'art pour l'art, pour qui "tout ce qui est utile est laid" et pour qui "l'art doit être indépendant de la morale et de la politique" (Préface de mademoiselle de Maupin)
ou Baudelaire  :
L'émeute tempêtant vainement à ma vitre
ne fera pas lever mon front de mon pupitre 
(Paysage)
 Mallarmé 
Ce n'est pas avec des idées que l'on fait un poème mais avec des mots

Mais c'est à ceux qui se disent "engagés " dans leur temps que je vais m'intéresser. J'ai réuni dans plusieurs billets qui paraîtront cette semaine quelques poésies ou des citations qui nous disent comment les poètes eux-mêmes concevaient leur rôle dans la société et comment la poésie s'élevait alors contre l'horreur, l'injustice, l'inégalité, la privation des libertés mais comment aussi elle réclamait le droit au rêve et à l'amour.


Aujourd'hui, c'est Claude Roy qui vous dit :


Jamais je ne pourrai...
Jamais jamais je ne pourrai dormir tranquille aussi longtemps
que d'autres n'auront pas le sommeil et l'abri
ni jamais vivre de bon cœur tant qu'il faudra que d'autres
meurent qui ne savent pas pourquoi
J'ai mal au cœur mal à la terre mal au présent
Le poète n'est pas celui qui dit Je n'y suis pour personne
Le poète dit J'y suis pour tout le monde
Ne frappez pas avant d'entrer
Vous êtes déjà là
Qui vous frappe me frappe
J'en vois de toutes les couleurs
J'y suis pour tout le monde
Pour ceux qui meurent parce que les juifs il faut les tuer
pour ceux qui meurent parce que les jaunes cette race-là c'estfait pour être exterminé
pour ceux qui saignent parce que ces gens-là ça ne comprend que la trique
pour ceux qui triment parce que les pauvres c'est fait pour travailler
pour ceux qui pleurent parce que s'ils ont des yeux eh bien c'est pour pleurer
pour ceux qui meurent parce que les rouges ne sont pas de bons Français
pour ceux qui paient les pots cassés du Profit et du mépris des hommes

Mon amour ma clarté ma mouette mon long cours
Depuis dix ans je t’aime et par toi recommence
Me change et me défais et me libère
Mon amour mon pensif et mon rieur ombrage
En t’aimant j’ouvre grand les portes de la vie
Et parce que je t’aime je dis 

Il ne s’agit plus de comprendre le monde
Il faut le transformer

 Je te tiens par la main
La main de tous les hommes.


Claude Roy, Les circonstances 1970





vendredi 19 avril 2013

L'Attente : jeu, les plumes d'Asphodèle


L'Attente de Paul Delvaux


Aujourd'hui , Asphodèle dans son jeu Les plumes... nous a donné une double contrainte :

 D'une part employer les termes imposés : Départ – salle – téléphone – heure – désir – impatience – minute – frustration – déçu – enfant – pandémonium – liste – angoisse – patience* – espoir – stupeur – galop – gifle – gigantesque.

D'autre part,  rédiger le texte d'une quatrième de couverture fictive en vantant les qualités d'une oeuvre de manière à donner envie de la lire... ou pas! Pourquoi pas un recueil de poésies intitulé l'Attente?   


Quatrième de couverture : Recueil de poésies  Attente 

Chant 1

Désir, Impatience,
Frustration
Pandémonium de mon âme
Sarabande de la patience déçue
Enfant qui ajoute à sa liste
la longue litanie des minutes enfuies

Désir, impatience,
Frustration
Mènent le galop de l'angoisse dans la salve du départ
Vers l'ailleurs,
Et la stupeur sans espoir
tire, s'étire, télé-phone
sa plainte amère

Et les Heures coulent, s'écoulent
Gifles gigantesques
qui nous mènent, nous amènent,
Se démènent,
      nous surmènent
dans le flux toujours renouvelé
De l'Absence.
                
Voici le premier chant qui ouvre le recueil de poésies dédiée à l'Attente où le plus grand poète de notre temps chante avec un rien d'ésotérisme mais une sensibilité extrême le néant de la vie et l'éternelle insatisfaction de l'âme.




dimanche 14 avril 2013

Nathaniel Hawthorne : La lettre écarlate



 
Résultat de l'énigme n°63
Les vainqueurs du jour sont : Aaliz, Asphodèle, Dasola, Dominique, Eeguab, Keisha, Miriam, Pierrot Bâton, Somaja, Syl ...  Et merci à tous!

le roman: La lettre écarlate de Nathaniel Hawthorne
                    
Le film : La lettre écarlate de Wim Wenders (1973)




L'auteur  
Nathaniel Hawthorne (1804-1864) est né à Salem (Massachussetts) dans une famille calviniste, puritaine qui émigra d'Angleterre. Il est marqué par l'idée du péché et de la prédestination. L'un de ses ancêtres avait été un juge sévère et impitoyable au procès des sorcières de Salem, ce qui a engendré chez l'écrivain un sentiment de culpabilité dont il n'a jamais pu se défaire. Il a même changé son nom qui était à l'origine : Hathorne. La lettre écarlate qui traite du péché d'adultère témoigne des contradictions de Hawthorne. 
Un livre contre le puritanisme?
Alors que Hawthorne est marqué par son éducation religieuse qui ne permet pas de croire au pardon des fautes et à la rédemption,  la femme adultère, Hester Prynne, qui est coupable et incarne le péché se sauve par sa dignité, sa force de caractère, sa générosité et son altruisme. Il dresse d'elle un très beau portrait.  Ce sont les autres, les notables qui ont le pouvoir et la richesse, qui se rendent coupables de violence psychologique envers elle. Mais dans leur certitude d'être meilleurs qu'elle, ils étalent égoïsme, suffisance et intolérance. Hester Prynne est une femme libre alors que son mari qui est à l'origine l'offensé se damne parce qu'il ne sait pas pardonner. L'écrivain se distingue donc de sa famille religieuse en dénonçant l'intolérance du puritanisme et son hypocrisie et en prenant le parti de la liberté individuelle.
Hester Prynne et sa lettre écarlate (film de Victor Sjöström)

Le roman
La lettre écarlate de Nathaniel Hawthorne paru en 1850 est un des plus grands romans américains. Henri James affirmait même que c'était l'oeuvre la plus remarquable et la plus authentiquement américaine. Le sujet qu'il traite est, en effet, résume bien la société américaine toujours déchirée entre puritanisme et scandale.

Dans ce que lui-même appelait une histoire de « la fragilité et du chagrin humains... véritablement embrasée par les feux de l'enfer », Hawthorne évoque les tragédies de la conscience malheureuse dans la colonie puritaine de la Nouvelle-Angleterre au XVII siècle. L'intrigue est simple et semble relever du triangle amoureux. Un vieil érudit anglais a envoyé à Boston sa jeune épouse, Hester Prynne, pour qu'elle s'y installe avant lui. Quand il vient la rejoindre deux ans plus tard, il la trouve exposée au pilori, Pearl, sa fillette illégitime, dans les bras. En effet, Hester a refusé de révéler le nom de son amant. Elle est désormais condamnée à porter sur tous ses vêtements une lettre écarlate, un A majuscule, symbole de l'adultère.
 Mais ce qui attirait tous les regards et transfigurait en quelque sorte la femme ainsi vêtue, si bien qu'hommes et femmes de son ancien entourage étaient à présent frappés comme s'ils la voyaient pour la première fois, c'était la LETTRE ÉCARLATE si fantastiquement brodée sur son sein. Elle faisait l'effet d'un charme qui aurait écarté Hester Prynne de tous rapports ordinaires avec l'humanité et l'aurait enfermée dans une sphère pour elle seule.
 Son mari, lui, décide de se faire passer pour le docteur Roger Chillingworth afin de mieux parvenir à démasquer le coupable..... (source  encyclopédie Universalis pour le résumé)
 
La beauté du style
Le livre de Hawthorne m'a touchée par la beauté  du style. Je pourrais citer des passages entiers. C'est un roman magnifique tant par les personnages qui l'habitent que par sa poésie.
La nature
La nature sauvage y occupe une grande place face à la ville des colons. Elle est peuplée par les indiens mais aussi selon les croyances de l'époque par le diable et les sorcières. La forêt touffue et secrète permet aux amants de se retrouver et d'imaginer une vie où ils seraient libres d'aimer. Enfin la nature a une vie propre, elle est animée, vivante, douée de sentiments, d'émotions..  
Au centre, un ruisseau courait, nimbé d’une vapeur légère. Les arbres qui se penchaient au-dessus avaient laissé tomber dans ses eaux de grosses branches. Elles engorgeaient le courant, produisant, çà et là, des tourbillons et des profondeurs noires tandis que sous le passage libre du flot on voyait briller comme un chemin de cailloux et de sable brun. Si l’on suivait le ruisseau des yeux, on pouvait apercevoir ses eaux miroiter à quelque distance, mais on en perdait bien vite toute trace dans l’enchevêtrement des troncs d’arbres, des buissons, des rocs couverts de lichens. Tous ces arbres géants et ces blocs de granit semblaient s’appliquer à rendre mystérieux le cours de ce petit ruisseau. Peut-être craignaient-ils que, de sa voix infatigable, il allât murmurer sur son passage les secrets du cœur de la vieille forêt ? ou refléter des révélations sur le miroir lisse d’une de ses anses ? Sans cesse, en tout cas, le petit ruisseau poursuivait son murmure gentil, tranquille, apaisant mais mélancolique comme la voix d’un enfant qui passerait son enfance sans amusement et ne saurait comment être gai au milieu d’un entourage morne et d’événements sombres.

– Ô ruisseau ! Sot et fatigant petit ruisseau ! s’écria Pearl après l’avoir écouté un instant. Pourquoi es-tu si triste ? Prends un peu courage et ne sois pas tout le temps à soupirer !


Mais, au cours de sa petite vie parmi les arbres de la forêt, le ruisseau avait traversé tant de graves aventures qu’il ne pouvait s’empêcher d’en parler et paraissait n’avoir rien d’autre à dire. Pearl lui ressemblait en ceci que sa vie à elle provenait aussi d’une source mystérieuse et se déroulait dans un décor aussi mélancoliquement assombri. Mais à l’inverse du petit ruisseau, elle bondissait, étincelait et babillait légèrement dans sa course.


– Que dit ce petit ruisseau triste, Mère ? demanda-t-elle.


– Si tu avais un chagrin à toi, le ruisseau t’en parlerait comme il me parle du mien, lui répondit sa mère.

 L'enfance
  L'enfance quand elle est sauvage, coupée de la civilisation, est proche de la nature.  C'est le cas de  Pearl,  la petite fille de Hester Prynne, enfant illégitime, que le péché de sa mère a éloigné du contact des autres, et qui a gardé une sensibilité, une pureté non altérée qui lui permet de deviser avec les éléments naturels et de les comprendre.  Elle n'est pas capable de ressentir de la tristesse, de l'émotion et si cela lui donne quelque chose d'inhumain, elle a par contre la liberté, la vivacité et la force première qui est celle propre à la Nature. Elle échappe ainsi à la marque du christianisme, le sens du péché, et apparaît un peu comme un esprit païen; Hawthorne la nomme l'enfant-lutin.
Hester dit à la petite Pearl de courir s’amuser avec les algues et les coquillages pendant qu’elle parlerait avec l’homme qui là-bas ramassait des herbes. L’enfant s’envola comme un oiseau, dénuda ses petits pieds blancs et se mit à trottiner au long du bord humide de la mer. De temps à autre, elle s’arrêtait net et regardait curieusement dans une flaque – miroir que la mer avait laissé en se retirant pour que la petite Pearl pût y voir son visage. Il la regardait du bord de la flaque, entouré de boucles brunes, avec un sourire de lutin dans les yeux – image d’une petite fille à qui Pearl, n’ayant d’autre compagne de jeux, faisait signe de venir courir avec elle la main dans la main. Mais la petite fille faisait de son côté le même signe comme pour dire : « On est mieux ici ! Viens, toi ! » Et Pearl, enfonçant dans la flaque jusqu’à mi-jambes, n’apercevait plus au fond que ses petits pieds blancs, tandis que de profondeurs plus lointaines, la lueur d’une sorte de morceau de sourire montait et flottait çà et là sur les eaux agitées.
 L'ombre et la lumière
Le roman est bâti sur une antithèse entre le bien et le mal, symbolisé par l'ombre et la lumière. Il y a des personnages sombres comme celui du mari d'Hester, d'autres lumineux comme Pearl, la fille d'Hester. 

– Mère, dit la petite Pearl, le soleil ne vous aime pas. Il court se cacher parce qu’il y a sur votre poitrine quelque chose qui lui fait peur. Tenez, le voilà qui brille au bout du chemin. Restez là et je vais courir l’attraper. Je ne suis qu’une petite fille. Il ne se sauvera pas devant moi puisque je ne porte encore rien sur ma poitrine.
– Ni ne porteras jamais rien, j’espère, mon enfant, dit Hester.
– Et pourquoi non, Mère ? demanda Pearl en s’arrêtant net à l’instant de prendre sa course. Est-ce que ça ne viendra pas tout seul quand je serai devenue grande ?
– Dépêche-toi de courir attraper ce rayon de soleil, dit la mère, il va être bientôt parti.
Pearl s’élança à toutes jambes et Hester sourit en voyant l’enfant atteindre bel et bien l’endroit où brillait le soleil et s’y tenir en riant, animée par sa course et toute rayonnante. La lumière s’attardait autour de la petite fille comme si elle était heureuse d’avoir trouvé pareille compagne de jeu. Hester cependant avançait et fut bientôt sur le point d’entrer à son tour dans le cercle magique.
– Il va s’en aller, à présent, dit Pearl en secouant la tête.
– Regarde ! répondit Hester en souriant, j’étends la main et je le touche.
Comme elle étendait, en effet, la main, le rayon de soleil disparut

Si Hester Prynne est un personnage que le soleil fuit à cause de sa marque d'infamie, c'est pourtant et paradoxalement, cette marque qui lui apporte couleur et lumière, la lettre écarlate que, par défi et fierté, elle a brodé elle-même, et qu'elle a voulu non pas discrète mais somptueuse, brillamment colorée.  La jeune femme par sa dignité et sa bonté va effacer le signe de sa honte en s'élevant sur le plan moral au-dessus de ceux qui l'ont jugée et condamnée.



Au cinéma le livre a été adapté trois fois : En 1926, par Victor Sjöström, un film que je ne connais pas mais que j'aimerais voir car j'aime le réalisateur. 
En 1973 par Wim Wenders qui juge son film avec une extrême sévérité (et il a bien raison!!) : Voir chez Wens
 Et une troisième fois en 1995 par Roland Joffé.


samedi 13 avril 2013

Un livre/Un film : Enigme N° 63





Pour les nouveaux venus : De quoi s'agit-il?

Wens de En effeuillant le chrysanthème et moi-même, nous vous proposons, le samedi, un jeu sous forme d'énigme qui unit nos deux passions : La littérature et le cinéma! Il s'intitule : Un livre, Un film.
Chez Wens vous devez trouver le film et le réalisateur, chez moi le livre et l'auteur.
Consignes :  Vous pouvez donner vos réponses par mail que vous trouverez dans mon profil : Qui êtes-vous? et  me laisser un mot dans les commentaires sans révéler la réponse pour m'avertir de votre participation. Le résultat de l'énigme et la proclamation des vainqueurs seront donnés le Dimanche.
Pendant les vacances, nous arrêtons le jeu Un livre/ Un film.
Pas d'énigme les samedis 20 et 27 Avril pendant les vacances 

 Enigme n° 63

Ce roman  devenu  grand classique de la littérature américaine a été publié en 1850. Il raconte l'histoire d'une jeune femme et de sa fille vivant dans une communauté puritaine dans la première moitié du XVII ème siècle. L'auteur dénonce l'hypocrisie et le rigorisme d'une société intolérante et violente. Quels sont le titre et le nom de l'écrivain?
Échange cette vie fausse que tu mènes contre une vie sincère. Sois, si ton esprit t’appelle à pareille mission, le guide et l’apôtre des Peaux-Rouges. Ou, s’il est davantage dans ta nature, sois un savant, un sage parmi les sages, l’homme le plus en renom du monde civilisé. Prêche ! Écris ! Agis ! Fais n’importe quoi hormis te laisser tomber et mourir ! Abandonne le nom d’Arthur Dimmesdale et fais-t’en un autre que tu puisses porter sans crainte ni honte. Pourquoi t’attarderais-tu, ne fût-ce qu’un jour, dans les tourments qui ont ravagé ta vie ? – qui t’ont rendu faible devant l’action ? qui finiront par t’enlever jusqu’à la force du repentir ? Lève-toi et pars ! 

vendredi 12 avril 2013

Printemps





Printemps

Dans sa fastueuse débauche de blancheur
L'hiver n'en finissait pas de mourir
Et l'enfance du printemps, dans le doute,
S'abstenait de paraître,
Accusé dans sa pureté première, dans l'angélique
Naïveté de ses premières fleurs,
Dans le mensonge du temps incertain,
Dans
 les flaques
                 des dernières pluies
Accusé, disais-je, de fredonner en vain
Une chanson d'amour qui ne voulait plus naître
De ses lèvres bleuies,
De sa bouche de diablotin pervers,
Puis par la froide lueur de ses yeux amandins,
De retenir, dans son égoïste splendeur,
Les perles étoilées de l'amandier en fleurs




Dans le cadre du jeu d'Asphodèle voici un poème composé avec les mots imposés  :
Blancheur – doute – débauche – enfance – pureté – accuser – angélique – temps – diablotin – naïveté – mensonge – fredonner – fastueux – flaque.