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mardi 3 mars 2015

Vacances Toussaint 2010 : souvenirs, souvenirs...

Un petit ours polaire

J'ai retrouvé dans les dossiers de mon ancien ordinateur, ce texte que j'avais écrit en 2010 pour l'atelier d'écriture de Gwenaelle qui a disparu depuis. Il s'agissait de noter au jour le jour nos activités pendant les vacances de la Toussaint. Retrouver ces souvenirs m'ont fait bien plaisir parce qu'il y est question de ma petite fille Léonie qui avait alors sept mois! J'ai donc décidé, pour qu'il ne disparaisse pas, de le publier ici même s'il est très personnel. Peut-être n'intéressera-t-il personne à part moi et éventuellement les parents de Léonie? Mais je ne veux pas l'oublier!

J'ai mis quelques petites commentaires en  2015 (en mauve) à propos de certains passages de 2010  dont certains me paraissent plus que jamais d'une brûlante actualité.

Lundi  25  Octobre 2010, le soir : Marseille au temps du Choléra

Ma petite fille Léonie est couchée et j'ai un petit moment pour moi, c'est à dire pour lire et écrire.

Hier, Dimanche, nous sommes allés la chercher à Marseille chez ses parents. Aurélia, sa maman, partait à Paris pour son travail, photographier le musée Gustave Moreau, et nous allions ramener Léonie à Avignon jusqu'à samedi. Nous sommes arrivés dans une ville de cauchemar, les trottoirs débordant de sacs poubelles éventrés, des ordures répandues partout emportées par le Mistral, des rats grouillant autour des containers. Marseille au temps du choléra! Les Sdf profitant de l'anarchie ordurière avaient investi la place et installé leurs matelas souillés entre les poubelles. Mais ce qui m'a le plus surprise ce sont les personnes qui, au milieu des immondices et des odeurs délétères, avaient étendu des couvertures à même la rue pour vendre de menus objets.
Je n'avais vu la ville aussi sinistrée qu'une fois et c'était en 1968! Mais alors je ne l'avais pas ressenti de cette manière. Peut-être parce que j'étais jeune, peut-être aussi parce que la France entière était dans la rue et les mouvements de la jeunesse partout dans le monde occidental allait apporter un souffle, une liberté ardemment souhaitée dont nous allions parfois faire un mauvais usage. Certes, nous n'avons pas apporté des lendemains qui chantent à nos enfants et la France de demain s'est révélée ce qu'elle est aujourd'hui, celle du chômage, de la précarité, de l'individualisme et du capitalisme triomphant. Mais en ce temps-là nous ne le savions pas, tous les espoirs étaient permis et nous étions solidaires, enthousiastes et idéalistes.

 Voilà ce que  je pensais dans les rues de Marseille en allant chercher ma voiture pour ramener ma petite Léonie à Avignon. Bien enveloppée dans une gigoteuse en fourrure blanche, elle ressemblait à un petit ours polaire avec son capuchon orné de deux oreilles rondes. Un joli ourson aux yeux bleus!

Quand tu nous a vus, tu as eu un petit sourire mi-figue, mi-raisin, le sourire que nous connaissons bien maintenant et qui dit : "oh! je les aime bien ! mais qu'est-ce qu'ils viennent encore faire ces deux-là!  Ils vont m'arracher à mes parents! et je veux paaas!!" Par contre quand nous venons le mercredi pour t'amener à l'éveil musical, tu es toute heureuse, et le sourire est franc! Tu sais que tu ne vas pas repartir avec nous et je te sens heureuse d'être avec tes grands parents! *
Comment peux-tu savoir que nous venons te chercher mon petit sphynx?  C’est vrai que tes parents ne te prennent jamais en traître; Ils t'avertissent quand tu dois venir chez nous. Mais comment as-tu compris sans la compréhension des mots? Tu le sens, tu le sais? Que te transmettent tes parents au-delà des phrases? Maupassant disait en parlant des bébés : « un enfant encore sans gestes et sans parole ». Comme si le tout-petit n’appartenait pas tout à fait à l’espèce humaine. 

Le soir, difficile endormissement ; tu te calmes dans mes bras; je te transmets tout mon amour.

*Léonie n’a pas changé depuis!

Mardi 26 Octobre :  C'est une grande joie...

 Le Mistral continue à souffler avec une violence inouïe. Des rafales à 120 km secouent les volets comme pour les arracher. Je n'ai pas pu sortir Léonie et je me suis occupée d'elle toute la journée. j'adore! Je lui ai créé un petit monde à elle dans notre salon. Le parc qui s'ouvre sur le côté est devenue une cabane d'où elle peut entrer et sortir à quatre pattes même si elle n'aime pas beaucoup cette station. Elle préfère être debout. Un tapis en mousse, puzzle aux couleurs vives, lui permet d'évoluer sans danger. Elle est entourée de toutes sortes de personnages extraordinaires et insupportables. Figurez-vous, entre autres, Jojo lapin, roi des malins, avec des jambes démesurées, qui saute partout et atterrit régulièrement sur son nez de bébé.

Son grand père lui prépare des petits plats de sa composition, mixant, mêlant savamment les goûts, un zeste de Kiwi d'un vert acide neutralisé par une poire jaune, juteuse et fondante à souhait, une purée de patates douces nappée d'un coulis de courgette. Il a raison car il a affaire à un gourmet. Quand elle goûte, c'est du sérieux! Elle ferme les yeux, se recueille, grimace un peu avant de s'apercevoir qu'elle aime, qu'elle aime, qu'elle aime! Mmm! Le petit bec s'ouvre avec avidité vers les grands parents nourriciers, affolés, la petite bouille barbouillée de rouge ou de vert selon le cas, le soupir d'aise et le sourire final sont autant d'hommage au grand chef cuisinier.
Et puis, il y a les livres, la musique, les chansons...  Notre Minuscule se trémousse sur nos genoux, « à Paris, à Paris, sur un petit cheval gris » ou  Desnos«  Saute, sauterelle, car c'est aujourd'hui jeudi / Je sauterai, nous dit-elle, du lundi au samedi.

Simone de Beauvoir
...  Je pense à Simone de Beauvoir qui écrivait: "c'est une grande joie, à vingt ans, de recevoir le Monde de la main qu'on aime" et je plagie : "C'est un grand bonheur à tout âge de donner le Monde à l'enfant qu'on aime!"


 Tu babilles sans cesse, tu es très bavarde. Chaque nuit quand tu te réveilles tu m'assailles de :  "ga'de" ‘ga’de! » = "regarde" de ta voix.. pas très minuscule...  




Virginia Woolf

Quand nous passons dans le couloir tapissé de livres, je te montre une photo, toujours la même, sur la tranche d'un livre. Et quand je te dis Virginia Woolf, tu poses le doigt dessus.  
* Deux mois plus tard, c’est La Minuscule qui cherchera Virginia Woolf toute seule! Elle sera peut-être le seul Bébé du monde à connaître le nom et le visage de la grande écrivaine à l'âge de 9 mois. Rassurez-vous, elle n'a pas encore lu ses livres même si elle a …  du potentiel! En tous cas, elle n'en a pas peur!

 

 

Mercredi  27 Octobre: Des munitions en cet humain voyage... 

Médiathèque Ceccano

Le vent a presque cessé. Il fait encore un peu froid mais le petit ours polaire bien emmitouflée ne risque rien, donc nous sortons, la Minuscule et pour aller jusqu'à bibliothèque.

J'aime beaucoup la médiathèque d'Avignon. Elle est installée dans l'ancienne livrée du cardinal Ceccano, édifiée au XIVème siècle. C'est un un beau palais fortifié à la façade imposante ornée de créneaux, aux murs et aux plafonds à lourdes poutres en bois encore recouvertes de fresques colorées. Je passe d'abord rendre un livre chez les adultes et j'aperçois, ô miracle, un roman que je voulais absolument lire depuis sa parution : "La solitude du docteur March" de Geraldine Brooks. Je dis "miracle" car les livres de la rentrée littéraire sont très attendus et il est rare de pouvoir les lire dans les premiers mois. Or je viens de trouver tour à tour "La malédiction des colombes" de Louise Eldrich que je convoitais aussi et celui-ci. je complète avec mon Joyce Carol Oates mensuel, écrivain qu'en bonne challengiste je lis régulièrement. Cette fois-ci je choisis un roman d'elle qui n'est pas très connu, je crois, mais qui me plaît bien à priori. Il s'intitule : Zombi. Je ressens l'euphorie habituelle quand je fais ma récolte et engrange mes bouquins comme un écureuil ses noisettes. Je les emporte après enregistrement comme un trésor précieux.

 Léonie m'observe quand je les place sous sa poussette; elle ne sait pas encore que que je suis comme Montaigne et que les livres, pour moi, "c'est la meilleure des munitions que j'ai trouvée en cet humain voyage".
Dans la partie enfant, la salle est lumineuse, agréable. Pour les tout-petits un épais matelas installé à même le sol permet de les poser et de s'asseoir à côté d'eux. Nous "lisons" ensemble et surtout je l'inscris à la bibliothèque et j'emporte quatre petits albums pour elle. Elle aussi repart avec ses "munitions".

Le soir, je continue ma lecture des "Carnets retrouvés" de la jeune Vietnamienne Dang Thuy Trâm qui écrit pendant la guerre contre les américains dans les années 68-69. Cette jeune fille est attachante; on la sent à la fois si forte et si vulnérable. Si courageuse aussi! c'est elle qui a choisi d'aller soigner les blessés (elle est médecin) dans le Sud alors qu'elle vivait à Hanoï loin des combats dans une famille aimante et protectrice. Je pense qu'elle est si jeune (24 ans "l'âge à peine d'une enfance") et que depuis des années elle ne connaît que les bombes, la mort, la violence. La lecture d'un journal non officiel (je veux dire de personnes qui ne sont pas célèbres) est toujours émouvante. Ce sont des gens proches de nous qui n'écrivent pas pour la galerie mais pour eux-mêmes, pour exorciser leurs peurs, pour confier leurs angoisses. On se sent si proche de Thuy, de sa détresse, de son désir de pureté, de son idéalisme. Thuy, même si elle a fait des études scientifiques, lit beaucoup et écrit bien. Mais comme souvent dans ce genre de cahier on aimerait en savoir plus (d'autant plus qu'il manque les carnets du début de la guerre) parfois il y a des répétitions, des ellipses, des non-dits. On a l'impression non pas de lire une oeuvre littéraire mais de lire le journal d'une amie.

Jeudi  28 Octobre :   Illégal

Les réveils à 4 ou 5 heures du matin pour le biberon commencent à se faire sentir. Elle est peut-être minuscule ma Léonie mais quel appétit! Je n'ai plus les yeux en face des trous! et des cernes! Je regarde Francis. Il est à peu près dans le même état que moi! Nous ressemblons à des pandas. Nous rions ensemble. Etre grands-parents! Décidément, c'est vrai que le métier de parents est un métier de jeunes ! Mais quel bonheur de pouponner La Minuscule qui a envie de tout savoir, tout connaître
Ce matin elle a dit "dadou"! C’est ainsi que nous nous faisons appeler : dadou et manou…  mais pour moi? Rien! l'ingrate! Prononcer manou n’est pourtant pas la mer à boire! Le grand-Père frime et moi je me demande si cette petite a autant de "potentiel" qu'on veut bien le dire!

Le soir, nous recevons nos amis, collègues de Francis, eux aussi profs de cinéma à la retraite ou encore en fonction et de quoi parlons-nous? D'une autre passion commune, le cinéma. Ils ont bien aimé "Les rêves dansants" un film documentaire que j'aimerais voir qui montre des adolescents sans expérience de la danse travailler avec Pina Bausch. Le film qui fait l'unanimité est "Illégal" que nous avons tous vu, une fiction qui emprunte un peu au documentaire tant elle paraît réaliste. Elle montre à travers le personnage de la russe Tania séparée de son fils Ivan, le sort des immigrés enfermés dans des centres de rétention avant d'être réexpédiés dans leur pays. C'est un film sans concession qui montre l'inhumanité, les dérapages, les violences faites à ces gens qui ne sont pas des criminels mais sont parfois traités comme tels.

Petit être doué de paroles. Tu parles, tu dis des mots et parfois au milieu d'eux j'en reconnais un et je m'émerveille. Tu accèdes au langage, j'accède à ta compréhension. Tu as dit : "voi " pour aurevoir "ca" pour canard et "pin" pour lapin.  Mais tant que les mots ne sont pas répétés et liés à du concret, est-ce déjà du langage? Bien sûr! Quelle drôle de question!

Vendredi  29 Octobre  : Nénègle ou la liberté

Francis-Wens est parti à Toulon chercher sa mère. Et Aurore la troisième de mes filles est arrivée cette après midi. Elle vit à Marseille chez sa soeur aînée et son beau frère, les parents de Léonie, aussi l'on peut dire qu'elle sert de deuxième maman à sa petite nièce et qu'elle a une adoration pour elle.

Elle lit les livres que j'ai ramenés de la bibliothèque pour la Minuscule. Parmi eux : "Nénègle sur la montagne" de Benoît Charlat. Nénègle est un petit aigle perché sur une montagne avec son biberon, sa tétine, son doudou, son camion rouge...  Quand il apprend à voler, il tombe et il est obligé de lâcher l'un après l'autre les objets qu’il tient dans ses bras (euh! ses ailes)! Et oui, c’est cela, grandir, un abandon de ce qui fait l’enfance; c’est la condition pour qu’il puisse s'envoler et gagner son indépendance, loin de ses parents.

 Je vois les yeux d'Aurore qui se voilent, s'attristent. Elle soupire : "C'est triste!"  Mais triste pour qui? Pas pour l'enfant bien sûr! Mais plutôt pour ceux qui le regardent partir! Aurore vient de comprendre ce que c'est être mère avant de l'être elle-même! Avoir le courage de pousser son enfant vers la porte de sortie et le regarder s'en aller en souriant!
A propos des livres d'enfant, je lisais l'autre jour sur le blog Livre de Malice, ses réponses à des lecteurs qui jugeaient les livres d'enfants "simplistes". Quel mépris et quelle ignorance! Il en est des livres pour la jeunesse comme des autres, il y a de bons crus et des mauvais. Le Nénègle de Charlat est bon; on peut dire que cet album est un livre d'initiation réussi, le Lucien de Rubempré ou le Julien Sorel des bébés!

Ce soir, papotage avec notre fille qui nous explique ses exploits de débutante en Haikido. Le pire c'est que c'est moi qui sers de cobaye pour la démonstration!

Tu revois Aurore, tu es heureuse, tu répètes sans cesse "tata " à la grande joie d’Aurore. Tu dis au revoir et agites ta petite main. Tu fais beaucoup de progrès à quatre pattes, tu te  suspends au bras d'Aurore pour te lever.

Samedi 30 Octobre : un message subliminal

Elle l'a eu!(le bonnet subliminal)

 Les parents sont venus et repartis en amenant leur bébé. Et voilà, le vide ! Pourtant la journée a été animée avec les quatre générations qui se sont retrouvées dans notre petit appartement : du bébé de 7 mois dont c'était le "moisversaire" à l'arrière grand-mère de 90 ans.

 Comme je tricotais un col et un bonnet avec une très belle laine naturelle pour ma seconde fille Amandine dont c'est l'anniversaire ce mois-ci, la seule absente de la famille ce jour-là,  Aurélia m'a lancé des messages qu'elle appelle "subliminaux". Le subliminal pour elle, c'est ça : "Qu'il est beau ce bonnet, que j'aime la laine … et alors c'est pour Didine? parce que moi j'aime vraiment beaucoup, en bleu, ça me plairait ... beaucoup, beaucoup!".  Bon je vais en être quitte pour tricoter un deuxième bonnet! Heureusement que ma troisième fille trouve que la laine : "ça pique!" et que Léonie n'a pas encore l'âge de réclamer subliminalement!

Tu es heureuse de revoir ses parents mais pas de bouderie comme tu sais le faire parfois pour te venger de leur abandon/ Tu es très nerveuse, excitée. Départ sous la pluie, 2 h de voyage, bébé très fatiguée…

Dimanche 31 Octobre : Il pleut...

Inondation Avignon photo DR source
Il pleut! il pleut! Il pleut!  Il pleut comme il sait pleuvoir dans le Midi de la France. L'eau monte et le moral des avignonnais descend. Car, il faut le savoir, la pluie comme la neige sont considérées comme des offenses personnelles faites aux seuls provençaux. Qu'il pleuve ailleurs, c'est normal, mais chez nous! Il y a longtemps que le Rhône n'a plus débordé. Il a beau être canalisé, domestiqué, il fait encore bien souvent des siennes et ceci malgré les délestages et les pompages. La dernière fois ( 2003 ?) l'eau est montée jusqu'aux remparts de plusieurs mètres. Les portes de la vieille ville sont alors fermées par des bardeaux remplis de fumier. Celui-ci gonfle sous la poussée de l'eau mais ne cède pas. L'eau percole mais ne passe pas!  Ce qui n'empêche pas que cette masse grise et puissante qui pèse de toutes ses forces sur l'enceinte médiévale lorsqu'on a sa maison située derrière ces murs est impressionnante. L'île de la Barthelasse créée par les alluvions du Rhône au cours des siècles est alors submergée. Jadis les habitants vivaient au premier étage et avaient toujours une barque dans le hangar du rez-de-chaussée. Maintenant il n'en est rien et les maisons sont inondées. L'homme croit toujours pouvoir dominer la nature et ne plus craindre les colères du fleuve mais ce n'est jamais entièrement vrai.

 Lundi 1er Novembre : Automne

Lozère : le chemin du col à Grizac/Villaret
Lozère : automne

 Nous ramenons l’arrière-grand-mère chez elle, près de Toulon. Sur l'autoroute, la pluie continue et le flot incessant des voitures rend la conduite préoccupante. Nous ne parlons pas! Je ne conduis pas et j'ai le temps de regarder la campagne que je n'avais pas vue depuis quelques jours. La ville ne permet pas de voir vraiment le déroulement des saisons. Ca y est! les couleurs de l'Automne sont là, les vignes rouges qui virent au violet, les peupliers dont l'or contraste avec le vert-noir des cyprès. Je me rends compte combien la Lozère me manque. En ce moment ce doit être une orgie de couleurs là-haut, un flamboiement dont je ne me lasse pas. Et puis il y les odeurs végétales de l'Automne presque aussi importantes que la vue, lorsque l'on se promène dans la forêt, le sous-bois mouillé, les châtaignes que l'on délivre de leur bogue..  

Comment se fait-il que lorsque je suis à la montagne, la ville me manque et vice versa à la ville?


Mercredi 3 Novembre : La malédiction des colombes


 Je lis "La malédiction des colombes"... pas envie d'écrire! 
Extrait de mon billet sur ce roman que j'ai vraiment beaucoup aimé  : La malédiction des colombes s'ouvre sur une scène superbe racontée par Mooshum qui donne son titre au livre : la  vision hallucinante de milliers de colombes s'abattant sur les récoltes et la procession qui s'ensuit menée par le curé, un indien catholique. Le ton est  neuf, vif, nerveux, évocateur d'images, de sons, d'odeurs et de couleurs. Un récit partagé entre le réalisme de la description, voire la trivialité, la cocasserie et l'irruption de la fantaisie, de la poésie.
Pour ma part, j'ai tout de suite été séduite par ce style et ce va-et-vient entre tragédie et comédie. Mélange de genre qui n'est pas sans me rappeler le Steinbeck -en plus noir tout de même- de Tortilla Flat ou de Tendre jeudi en particulier avec le personnage du vieux Mooshum, menteur, buveur, paillard mais plein d'humour, imprévisible, farceur, gamin insupportable parfois mais... si attachant!

Jeudi 4 Novembre : Je te le donne pour l'amour de l'Humanité

Dom Juan : la scène du pauvre

Aujourd'hui, le matin je suis allée faire du sport ! Quel courage! J'ai pris de bonnes résolutions. Le tout est de savoir combien de temps cela va durer? En tous cas je suis inscrite pour un mois! Avant de partir j'ai publié la citation du jeudi. Montaigne, bien sûr!

L'après midi je rédige mes commentaires sur mes livres en retard. Je ne sais si les autres blogueuses sont comme moi ou si c'est un effet de ma mauvaise organisation (ou de ma paresse) mais je suis toujours en retard de plusieurs livres pour les commenter. Cela prouve au moins que je lis plus vite que ce que j'écris et aussi que j'aime plus lire qu'écrire.

J'ai envie d'écrire sur ce fait divers lu dans le Monde. Il paraît presque anodin de prime abord mais si l'on y réfléchit, il est inquiétant pour le devenir de notre société. Un joueur italien a été suspendu pour propos « blasphématoire » parce qu’il a juré : "Porco Dio"! Preuve que les intégristes n'appartiennent pas qu'à une seule religion; ils  peuvent être partout. Cela nous ramène à des siècles en arrière et me rappelle la scène de Molière où Dom Juan promet une pièce à un pauvre à condition qu'il jure. Ce dernier, après un débat de conscience, refuse et Dom juan lui dit : "Tiens, je te la donne pour l'amour de l'humanité ».
 j'ai toujours jugé la réponse de Dom Juan sublime parce qu'il place l'amour de L'Humanité avant l’idée de Dieu. C’est la réponse d’un athée. Et le pauvre? Lui aussi sa conduite peut paraître sublime, c'est  la réponse d'un croyant; il préfère mourir de faim plutôt qu'être impie. Oui mais... pour juger son acte, il faut savoir qu'à cette époque un blasphème était puni de plusieurs années de galère. Il était dangereux de jurer et plus d'un a connu les bûchers de l'Inquisition pour moins que ça!*
Nous n'en sommes pas encore là direz-vous**? Non, on est puni seulement de participation à un match! Mais c'est grave! Car où est la liberté de pensée? N'aurait-on plus le droit d'être athée ou même d'être croyant et de jurer sans avoir de compte à rendre? Où va s'arrêter cette hypocrisie, cette ingérence de tout un chacun sur les consciences? Ah! Voltaire, que tu t'éloignes de nous et le siècle des lumières aussi!

* Dès les premières représentations la scène du pauvre fut censurée; La pièce de Dom Juan fut jouée pendant quinze jours du 15 février au 20 mars 1665 et puis elle disparut; elle ne fut plus interprétée jusqu'en 1841. Pièces, caricatures, peintures, expositions censurées, interdites, reportées, c'est notre lot quotidien de nos jours!
** Hélas! oui, nous en sommes là! Les évènements de janvier 2015 l’ont tristement prouvé!  Il y a un retour du bâton partout, exacerbation des intégrismes religieux.

Vendredi 5 Novembre : Rendre sa copie!

Aujourd'hui "la chef" (j'ai nommé Gwen) a réclamé notre copie. Je la lui enverrai demain. Il faut que je complète et corrige! J'ai quelques doutes sur l'intérêt de mes élucubrations mais tant pis!

Samedi 6 Novembre : Cinéma et Manifestations 2010

 Ce matin ciné-club au cinéma Utopia. "Trouble in Paradise" ("Haute-Pègre", je n'aime pas le titre français) est un film de Lubitch présenté par une ancienne collègue de Francis-Wens. j'aime beaucoup ses explications et le débat qui s'ensuit.
Je viens de consulter la carte des manifestations aujourd'hui contre les retraites. Le nombre de manifestants a bien diminué. Les syndicats commencent à ne plus avoir une ligne commune. Le gouvernement aura gagné! Tout le monde est persuadé qu'il faut une réforme mais celle-là est la pire! Ce soir, aux informations, j'ai entendu Martine Aubry dire sa solidarité avec les syndicats mais jamais elle n'a déclaré que les socialistes reviendraient sur cette loi quand ils seraient au pouvoir. Surtout pas! Pourtant une loi, ça se change!

Nouvelles du bébé : La Minuscule est allée à une expo avec ses parents, a été très enthousiaste, très sociable. Elle se lève toute seule y compris dans son lit. Le 30 Novembre elle aura 8 mois.

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dimanche 1 mars 2015

Patrick Modiano : L'herbe des nuits


Quand Lisa et Sylire nous ont proposé de lire Patrick Modiano pour le blogoclub, je n’ai eu que l’embarras du choix, moi qui connais peu cet auteur! J’ai choisi L’herbe des nuits car sa résonance poétique me parlait. 

 Le titre

Pavot et Mémoire de Paul Celan
Le titre,  nous dit l’écrivain, est emprunté à un vers du poète russe Ossip Mandelstam :
 rassembler pour les tribus
Étrangères l'herbe des nuits.
Patrick Modiano précise :
Je ne sais pas si le russe exprime la même chose, mais, en français, l'expression «herbe des nuits» me paraissait refléter le climat de mon livre : ces souvenirs qui jaillissent comme des herbes et qu'on broute sans fin.
 D’autre part, dans une interview accordée au Figaro, Modiano fait aussi allusion au recueil de poésies de Paul Celan  Pavot et mémoire, le pavot étant la fleur associée à l’oubli… Une image qui en accord avec le roman dans lequel le narrateur Jean, à l’aide d’un petit carnet noir où il a noté quelques noms, des évènements, des lieux, part à la recherche de son passé. Des décennies se sont écoulées.  Il ne reste plus grand chose du Paris des années 1960, quand jeune étudiant, il avait pour amie une jeune femme mystérieuse, Dannie, qui a disparu soudainement de sa vie sans qu’il puisse la retrouver. Ce Paris est aussi celui de la décolonisation et à travers la vie nocturne, dans les  bars louches de la capitale, le narrateur fait connaissance de personnages interlopes, comme les marocains Aghoumari, ou l’inquiétant « Georges ». Entre oubli et mémoire, Jean retourne sur les lieux de son passé, cherche à faire revivre les fantômes qui ont vécu là.

Un archéologue du passé

Paris semble être ici, comme dans la plupart de ces romans, un personnage à part entière. Il explore la ville recherchant au-delà des rues, des cafés, de l'Unic Hôtel où se passe une grande partie de l'action, du cimetière de Montparnasse, la gare, les traces qu'il a pu laissées.  L'on sent que l'écrivain y a mis beaucoup de lui-même - c'est ce qu'il confirme dans l'entretien donné sur le site de Gallimard-.  Le récit est écrit par petites touches et nous livrent des bribes du passé sans avoir l’air d’y toucher, sans s’appesantir. C’est que la mémoire fonctionne ainsi et les souvenirs se dérobent toujours au présent. Il ne faut pas les forcer.  Le narrateur semble être un archéologue étudiant les couches successives d'un passé récent mais aussi plus ancien : les traces de sa jeunesse recouvrent ou au contraire sont recouvertes par celles de l'Histoire. Gérard de Nerval, Madame du Barry,  Jeanne Duval, Restif de la Bretonne, Tristan Corbière, la baronne Blanche qui a donné son nom à la rue, et que Jean étudie, ont autant de consistance (ou aussi peu) que Dannie, Aghamouri, Georges et les autres qui ont traversé sa vie. Tous sont des ombres qui reviennent vaguement à la lumière du souvenir. Les rues de la capitale changent de nom, les immeubles disparaissent pour laisser place à d’autres, mais parfois, dans une brèche du temps, surgit le souvenir, fragile, d’un moment, un flash, un arrêt sur image. Le tout baigne dans un atmosphère de clair-obscur, entre sommeil et veille, entre réalité et rêve. Car ce passé a-t-il vraiment existé?
Le passé? Mais non, il ne s’agit pas du passé, mais des épisodes d’une vie rêvée, intemporelle, que j’arrache, page à page, à la morne vie courante pour lui donner un peu d’ombre et de lumière.

Un tableau de Hoper

Edward Hoper Noctambules ou nightawks tableau de 1942
Edward Hopper : Noctambules

L’ombre et la lumière!  Le roman de Modiano me paraît très visuel, très pictural. Ses descriptions font écho pour moi aux tableaux nocturnes de Hoper où les personnages sont figés dans des lieux éclairés au milieu de l’obscurité, enfermés dans leur solitude : Cette nuit-là je ne sais pas combien de temps je suis resté à les observer.(…) Ils étaient à quelques centimètres de moi derrière la vitre, et l’autre, avec son visage de lune et ses yeux durs, ne me voyait pas lui non plus. Peut-être la vitre était-elle opaque de l’intérieur, comme les glaces sans tain. Ou tout simplement, des dizaines et des dizaines d’années nous séparaient, ils demeuraient figés dans le passé au milieu de ce hall d’hôtel , et nous ne vivions plus, eux et moi, dans le même temps.
L’image de cette vitre qui sépare le passé du présent est récurrente : Il me semble qu’à cette époque je les voyais tous comme s’ils étaient derrière la vitre d’un aquarium, et cette vitre nous séparait, eux et moi.

J’ai aimé le ton nostalgique de ces souvenirs, cette impression de tristesse douce qui baigne l’ensemble.  J’ai senti combien l’écrivain parlait de lui-même et avec quelle intensité il nous faisait partager ses émotions. J’ai été sensible à l’urgence que l’on sent dans sa recherche du temps perdu, parce que, à un certain  âge, l’on ne peut plus éprouver cette impression d’éternité liée à la jeunesse. Ainsi quand il s’adresse à cette femme aimée dont la personnalité et l’identité même étaient si insaisissables : 
Tu dois te cacher dans ces quartiers là. Sous quel Nom? Mais, chaque jour, le temps presse et, chaque jour, je me dis que ce sera pour une autre fois.



Sylire et Lisa

jeudi 26 février 2015

Marcus Malte : Garden of love


Résumé :

Troublant, diabolique même, ce manuscrit qu'Alexandre Astrid reçoit par la poste. Le titre : Garden of love. L'auteur : anonyme. Une provocation pour ce flic sur la touche, à la dérive, mais pas idiot pour autant. Loin de là. Il comprend vite qu'il s'agit de sa propre vie. Dévoyée. Dévoilée. Détruite. Voilà soudain Astrid renvoyé à ses plus douloureux et violents vertiges. Car l'auteur du texte Edouard Dayms, jeune homme aussi brillant que déséquilibré exerce une impressionnante emprise sur les autres. Avec tant de perversion que s'ouvre un subtil jeu de manipulations, de peurs et de pleurs.Alex fait alors ce qu'il sait faire : il enquête, fouille, fouine. Mais cette fois, sa matière, c'est son propre passé. Comme dans un impitoyable palais des glaces où s'affronteraient passé et présent, raison et folie, Garden of love est un roman palpitant, virtuose, peuplé de voix intimes qui susurrent à l'oreille confidences et mensonges, tentations et remords. Et tendent un redoutable piège. Avec un fier aplomb. (source zulma et folio policier)


Garden of love a reçu de nombreuses distinctions et provoquent une adhésion quasi unanime. Je suis donc désolée de ne pas pouvoir communier à cette messe pro-maltienne ou marcusienne! Et que me pardonnent (si c’est possible?) les nombreuses admiratrices de Marcus! N’est-ce pas Asphodèle?

Le titre fait allusion  à un poème de William Blake : The garden  of love. Il donne au roman une coloration qui avait tout pour me plaire :
So I turned to the Garden of Love
That so many sweet flowers bore.
And I saw it was filled with graves,
And tombstones where flowers should be..


Ce retour vers le passé, vers les images de la jeunesse et de l’amour, quand tout est dit, tout est fini, quand il ne reste plus que des ombres, quand les fleurs poussent au milieu des tombes, c’est ce que va vivre le personnage Alexandre Astrid. Ces vers me rappellent la dernière nouvelle du très beau  Les gens de Dublin de Joyce.

Et certes, le roman a des qualités. j’ai aimé le style dont je me souvenais depuis ma lecture de Les harmoniques, une écriture toujours aussi belle, aux accents nostalgiques, parfois douloureux. De plus, Marcus Malte a un don pour faire vivre des personnages noirs, torturés, voire machiavéliques, en proie au mépris d’eux-mêmes, des personnages qui ont tout perdu, qui auraient pu m’emporter  entièrement si…

Si.. j’avais pu accrocher à la construction du roman dont la complexité suscite l’admiration des lecteurs mais qui, personnellement, m’a gênée.. Le jeu entre la réalité et la fiction, entre le vrai et le faux, entre ce qui est raconté et ce qui est réellement vécu, est très subtil. Un artifice de composition qui est fait pour brouiller les pistes, pour que l’on ne sache plus où l’on en est, quels sont les personnages, dans quel niveau d’histoire l’on se situe! S’agit-il du récit fictif inspiré du réel que l’auteur du manuscrit a envoyé à Alexandre Astrid ou bien de la propre expérience qu’Alexandre reconnaît comme la sienne? Les deux histoires s’interpénètrent, les personnages se brouillent, la transposition des faits réels dans la fiction nous perd. L’on ne peut que saluer la virtuosité de l’écrivain qui parvient ainsi à chambouler son lecteur. Le problème, c’est qu’à force de subtilité, à force de m’interroger sur qui était qui, j’ai perdu le contact avec les personnages et je ne suis pas parvenue à m’intéresser à eux et à me sentir complètement intégrée dans l’histoire. Autrement dit l’admiration reste intellectuelle alors que j’ai besoin, quand je lis, de vivre, de sentir, d’éprouver, quitte à réfléchir plus tard sur ce que j’ai lu. Bref! Il m’a manqué l’émotion! Dommage!


Je n'ai pas pu respecter les dates de cette Lecture commune avec Eimelle ; Jérome  ; Noukette, 
 Philipsine
 Mais mieux vaut tard que jamais!

dimanche 15 février 2015

Alfred Bertram Guthrie : La captive aux yeux clairs





Alfred Bertram Guthrie est né à Bedford dans l'Indiana. Il passe sa jeunesse à Choteau, petite ville du nord du Montana. Diplômé en 1923 de l'Université du Montana, il part s'installer dans le Kentucky pour y être journaliste. Il revient à Choteau en 1943. Il publie The Big Sky (La captive aux yeux clairs) en 1947 et The Way West (Oregon -Express ou La route de l’ouest) en 1950 pour lequel il reçoit le prix Pulitzer. Ces ouvrages sont parmi les plus connus de la littérature du Montana.
Source










 Je ne peux présenter le livre aujourd’hui ni la liste des participants sortis victorieux de l’énigme. Mais je le ferai un peu plus tard  car le livre est une belle découverte qui plaira à tous les amateurs de Nature Writing (et autres!).

 En attendant, je vous invite à aller lire le billet de Hélène lecturissime ICI

 et le billet de Wens sur le film ICI

Le roman : La captive aux yeux clairs de Alfred Bertram Guthrie (The big Sky)
 Le film :La captive aux yeux clairs de Howard Hawks



samedi 14 février 2015

Un livre/un film Enigme n°107



Un  livre/un film

Pour ceux qui ne connaissent pas Un Livre/un film, l'énigme du samedi, je rappelle la règle du jeu.

Wens de En effeuillant le chrysanthème et moi-même, nous vous proposons, le 1er et le 3ème samedi du mois, et le 5ème pour les mois avec cinq samedis, un jeu sous forme d'énigme qui unit nos deux passions : La littérature et le cinéma! Il s'intitule : Un livre, Un film. Chez Wens vous devez trouver le film et le réalisateur, chez moi le livre et l'auteur. Eeguab ne nous relaiera pas cette année mais nous le remercions de tout le travail accompli l'année dernière.

Consignes  

Vous pouvez donner vos réponses par mail, adresse que vous trouverez dans mon profil : Qui suis-je? et  me laisser un mot dans les commentaires sans révéler la réponse pour m'avertir de votre participation. Le résultat de l'énigme et la proclamation des vainqueurs seront donnés le Dimanche.

Prochain rendez-vous

Donc rendez-vous  le premier samedi du mois :  Le samedi 7 Mars


Enigme N° 107

L'auteur de ce roman fait partie de « l’école » des écrivains du Montana.  Il parle de l’ouest américain, des grands espaces, des montagnes, des rivières sauvages où vivent les castors, des vallées encore peuplées de bisons.. Il décrit les moeurs des indiens et des trappeurs, l’arrivée des colons étrangers, une région en pleine transformation. C’est un ouvrage qui laisse donc une large place à nature. L’écrivain a obtenu le prix Pullitzer pour la suite de ce roman. Les deux ouvrages ont été adaptés au cinéma.


Le Missouri bouillonnait. Il débordait de son lit, gloussait au milieu des saules et des peupliers. Il creusait les falaises et attaquait la rive. De larges portions de terre avaient glissé dans l’eau ou s’étaient écroulées, avec de lents éclaboussements que le courant saisissait, entraînait et perdait dans sa propre précipitation. Des arbres montaient quand les rives cédaient, comme au ralenti tout d’abord, puis plus vite, dans le vacarme de l’air déchiré; ils se couchaient dans l’eau, encore accrochés à la rive dévastée, formant des barrages contre lesquels venaient s’entasser les objets flottants.(…)
Le Missouri est une rivière diabolique, un mur mouvant qui se dressait devant le Mandan, se brisait autour du bateau et se dressait de nouveau; ce n’était pas une rivière, mais une gigantesque masse d’eau libre qui descendait des montagnes en bondissant et traversait furieusement les plaines, impatient d’atteindre la mer.

Ils reprirent le cours sinueux de la rivière, passant devant un ancien fort à Council Bluffs, où trois cents soldats étaient morts du scorbut, …, puis ils traversèrent une portion envahie de souches, dans un paysage plat pendant quelque temps et vallonné de nouveau, dépourvu d’arbres, mais verdoyant, dépassant Wood’s Hill où un million d’hirondelles nichaient dans la roche jaune.
-C’est le pays du bison?
-Bientôt, maintenant. Très bientôt.

jeudi 12 février 2015

Alone de Edgar Allan Poe, traduction de Baudelaire/ Film de Kentin Denoyelle

Edvard Munch : Mélancolie


Alone
By Edgar Allan Poe

From childhood’s hour I have not been
As others were—I have not seen
As others saw—I could not bring
My passions from a common spring—
From the same source I have not taken
My sorrow—I could not awaken
My heart to joy at the same tone—
And all I lov’d—I lov’d alone—
Then—in my childhood—in the dawn
Of a most stormy life—was drawn
From ev’ry depth of good and ill
The mystery which binds me still—
From the torrent, or the fountain—
From the red cliff of the mountain—
From the sun that ’round me roll’d
In its autumn tint of gold—
From the lightning in the sky
As it pass’d me flying by—
From the thunder, and the storm—
And the cloud that took the form
(When the rest of Heaven was blue)
Of a demon in my view—
 
American Poetry: The Nineteenth Century (1993)


Edvard Munch


SEUL
 traduction de Baudelaire

Depuis l’heure de l’enfance, je ne suis pas

Semblable aux autres ; je ne vois pas

Comme les autres ; je ne sais pas tirer

Mes passions à la fontaine commune-
D’une autre source provient

Ma douleur, jamais je n’ai pu éveiller

Mon cœur au ton de joie des autres

Et tout ce que j’aimai, je l’aimai seul

C’est alors — dans mon enfance — à l’aube

D’une vie de tumulte que fut puisé

A chaque abîme du bien et du mal,

Ce mystère qui toujours me retient –

Au torrent et à la fontaine

Dans la falaise rouge de la montagne –

Dans le soleil qui roule autour de moi

En son or automnal

Dans l’éclair qui volait au ciel et passait

Près de moi pour s’enfuir,

Dans le tonnerre et dans l’orage

Et dans le nuage qui prenait la forme

(Alors que le reste du ciel était bleu)

D’un démon à mes yeux.



 Film de Kentin Denoyelle : Demon in my wiew VOIR ICI
D'après le poème de Edgar Poe dit par Tom O'Bedlam
sous-titres : traduction  de Baudelaire
La voix qui dit le texte est très émouvante et très joliment mise en lumière par les images du film.

mardi 10 février 2015

Un conte traditionnel russe : La fille de neige et Blanche

Blanche  de Alexandre Day et Pog

 Voici deux albums qui reprennent tous deux un vieux conte traditionnel russe : un couple de vieillards se désole de ne pas avoir eu d'enfants. Un jour, ils façonnent une fille de neige qui s’anime et devient leur petite fille. Mais, hélas! le bonheur n’a qu’un temps car après l’hiver la neige  fond!

La fille de neige

La fille de neige de Hélène Muller et Robert Giraud

Paru dans la collection du père Castor, La fille de neige raconté par Robert Giraud, est un album délicieusement illustré par Hélène Muller qui explore l’ancienne Russie en dessinant et des vêtements folkloriques aux couleurs vives et des isbas joliment décorées .

Il était une fois un homme et sa femme
Qui avaient passé de longues années ensemble.
Ils s’entendaient bien et s’aimaient beaucoup
Leur seule tristesse était de ne pas avoir d’enfants.

Blanche

Blanche aux éditions Margot

Paru aux Editions Margot vous pouvez lire Blanche, le même conte, dans une langue très différente, celle de Pog qui s’empare de l’histoire pour la raconter d’une manière bien elle, en petites phrases elliptiques, proches de la poésie  :

Il est un grand pays loin là-bas
Un village, des hommes, un bois,
Une maison un peu à l’écart
Ici vivent deux vieillards.

Les illustrations d’Alexandre Day, en noir et blanc sont d’une grande beauté et confère au conte un aspect mystérieux. Il  nous transporte dans un univers onirique, dans un espace hors du temps. Je le conserve dans ma bibliothèque comme un livre précieux.

Qu'en pense ma petite fille?

illustration de Hélène Muller : la fille de neige

Quant aux réactions de ma petite fille face à ce conte?  Si elle aime voir les illustrations qui la font rêver, si elle apprécie la naissance de la fille de neige, l’amour et le bonheur qu’elle partage avec ses parents, la voici beaucoup moins enthousiaste à la fin du récit. On peut dire que lorsque la fillette fond, elle est même un peu chiffonnée!  Pas étonnant puisqu’il s’agit d’une métaphore de la mort! Je n’y avais pas trop prêté attention avant de le lire avec elle!

Heureusement, nous sommes dans un conte et  « celle que l’été a fait fuir, l’hiver la ramènera » nous dit une voix rassurante dans l’album du père Castor!

Prometteuse aussi mais plus mélancolique est la version des éditions Margot qui se termine comme le conte avait commencé par l’image du froid associé à l’absence de la fillette :

ll est un grand pays loin là-bas
Un village, des hommes, un bois,
Une maison un peu à l’écart
Où attendent deux vieillards.
Ils guettent le retour des premières neiges.
Ici l’on croit aux sortilèges.
La vieille a préparé le repas.
Elle est en retard. C'est froid.


dimanche 8 février 2015

Robin Hobb : Les cités des anciens



J’ai beaucoup aimé L’assassin royal de Robin Hobb, j’ai été déçue par Le soldat chamane mais avec Les cités des anciens je retrouve tout le charme du roman Fantasy : vivre des aventures passionnantes, s’immerger dans un univers fantastique, laisser le pouvoir à l’imagination (et Robin Hobb quand il s’agit de créer des mondes imaginaires et de héros extraordinaires n’est jamais en reste), s’attacher à des  personnages qui, pour être des créatures d’un roman fantasy, n’en incarnent par moins l’espèce humaine avec ses faiblesses, ses difficultés, ses tragédies mais aussi ses moments de bonheur et de plénitude.. Et s'intéresser aussi, mais oui, je vous assure, aux dragons dotés de caractère bien affirmé!

Le récit


Dans le Désert des pluies, les eaux et les terres sont si acides que les habitants ont construit des villes en hauteur, dans les arbres centenaires. Dans ce lieu inhospitalier, certains enfants naissent affectés de stigmates si prononcés, écailles et griffes, qu’ils sont pour la plupart sacrifiés à leur naissance. Ceux qui en réchappent sont mis au ban de la société et subissent le mépris de leur entourage. Le peuple du désert des Pluies vit de la chasse, de la cueillette et exploite le patrimoine d’un ancienne civilisation disparue depuis longtemps. Ils font du commerce avec la capitale Terrilville où vivent les riches marchands, créateurs de dynasties fondées sur l’argent.
C’est dans ce milieu acide que Tintaglia, la dragonne, a conduit les serpents géants, qui, enfermés dans des cocons, doivent pérenniser sa race en voie d’extinction. Mais les dragons qui naissent sont  atteints de nanisme, sont infirmes, trop faibles pour pouvoir voler.
Les habitants du désert des pluies décident de se débarrasser d’eux en les confiant à des gardiens. Tous partent pour un long voyage qui semble promettre une mort assurée! Ils ont ont pour mission de retrouver Kelsingra, la cité des anciens, lieu mythique où jadis, dans des temps reculés, vivaient les dragons et leurs gardiens dotés alors de grands pouvoirs.  Chassés de leur famille parce qu’ils sont différents, les jeunes gens du désert des pluies, Thymara,  Kanaï, Sylve, Tatou … vont tout faire pour sauver leur dragon et parvenir au but.


Vous lisez  les huit tomes de la série sans un seul moment d’ennui et sans avoir envie de lâcher le livre. Vous avec l’impression d’être transporté dans un ailleurs tout comme lorsque vous étiez enfant vous parcouriez « pour de vrai » le grand silence blanc des romans de Curwood et de Jack London.. Mais vous pouvez, parce que vous êtes adulte, analyser l’intérêt du propos de Robin Hobb qui développe ici un thème qui lui est cher : celui du droit à la différence et à l'égalité. Kelsingra, en effet, telle qu’elle va être appelée à revivre, sera un lieu où tout le monde pourra vivre quelles que soient ses particularité physiques, sexuelles ou sociales… Une sorte d’utopie où perce pourtant déjà la menace à l’intérieur du groupe, et surtout à l’extérieur. Les cupides marchands de Terriville n’ont qu’un désir, coloniser la cité pour en exploiter les richesses. Voilà qui nous promet une suite?*


*Il faut dire que Les cités des anciens est déjà la suite de L'assassin royal et de Les aventuriers de la mer  (je n'ai pas lu ce dernier mais il vaut mieux le lire avant Les cités des anciens.!)

mercredi 4 février 2015

Gilles Vigneault : Mon pays ce n´est pas un pays, c´est l´hiver


Paysage de neige source


Depuis qu'il y a eu 1cm de neige en Provence, je ne me sens plus! De là à rivaliser avec les Québécois!

Mon pays ce n´est pas un pays, c´est l´hiver... de Gilles Vigneault

Mon pays ce n´est pas un pays, c´est l´hiver
Mon jardin ce n´est pas un jardin, c´est la plaine
Mon chemin ce n´est pas un chemin, c´est la neige
Mon pays ce n´est pas un pays, c´est l´hiver


Dans la blanche cérémonie
Où la neige au vent se marie
Dans ce pays de poudrerie
Mon père a fait bâtir maison
Et je m´en vais être fidèle
A sa manière, à son modèle
La chambre d´amis sera telle
Qu´on viendra des autres saisons
Pour se bâtir à côté d´elle


Mon pays ce n´est pas un pays, c´est l´hiver
Mon refrain ce n´est pas un refrain, c´est rafale
Ma maison ce n´est pas ma maison, c´est froidure
Mon pays ce n´est pas un pays, c´est l´hiver


De mon grand pays solitaire
Je crie avant que de me taire
A tous les hommes de la terre
Ma maison c´est votre maison
Entre mes quatre murs de glace
Je mets mon temps et mon espace
A préparer le feu, la place
Pour les humains de l´horizon
Et les humains sont de ma race


Mon pays ce n´est pas un pays, c´est l´hiver
Mon jardin ce n´est pas un jardin, c´est la plaine
Mon chemin ce n´est pas un chemin, c´est la neige
Mon pays ce n´est pas un pays, c´est l´hiver


Mon pays ce n´est pas un pays, c´est l´envers
D´un pays qui n´était ni pays ni patrie
Ma chanson ce n´est pas une chanson, c´est ma vie
C´est pour toi que je veux posséder mes hivers






mardi 3 février 2015

Lydie Salvayre : Pas Pleurer

Prix Goncourt 2014 : Pas pleurer de Lydie Salvayre
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Pas Pleurer de Lydie Salvayre, prix Goncourt 2014, est pour moi un coup de cœur, un de ces romans que je garderai en mémoire comme je le fais de Les Soldats de Salamine de Javier Cercas et de Le Crayon du charpentier de Manuel Rivas, sur le même sujet : la guerre d'Espagne qui me passionne.

Le récit


La mère de Lydie Salvayre, Montse, a quitté l'Espagne après la victoire de Franco. Elle a maintenant quatre-vingt dix ans, une mémoire défaillante et elle ne se souvient plus de rien, si ce n'est de cette année 1936, après le coup d'état de Franco, année où le peuple s'est dressé pour défendre la liberté. Ce récit raconté par la mère à sa fille mêle tour à tour les voix des deux femmes mais aussi celle de l'écrivain Bernanos dont Lydie Salvayre lit Les cimetières sous la lune.

Dire pourquoi j'ai aimé ce livre m'est difficile car les réponses trop nombreuses se bousculent dans mon esprit.

Des personnages authentiques


J'ai été sous le charme de ces personnages vrais, authentiques, qui peuplent le livre de Lydie Salvayre, en particulier de cette femme âgée qui perd la mémoire et raconte à sa fille le seul grand moment de bonheur qu'elle ait jamais connu, en cette année 1936 qui voit éclater la guerre civile, alors qu'elle a 16 ans. J'ai aimé ce va-et-vient entre le présent et le passé et cette complicité pleine d'amour qu'il y a entre elles, mère et fille, Montse et Lydie.
Car la vieille dame a été cette belle jeune fille, Montse, qui nous est décrite ici, ignorante mais fière, condamnée à la misère et à la résignation par sa seule appartenance à une classe sociale défavorisée. Et puis d'un seul coup parce que souffle le vent de l'Histoire, le carcan de l'oppression se fendille. Les  jeunes gens secouent le déterminisme social qui pèse sur eux, comme le fait José, le jeune anarchiste qui entraîne sa sœur, Montse, dans son sillage. La jeune fille découvre en arrivant à la grande ville  en effervescence que la vie est pleine d'espoir. Elle s'ouvre au bouillonnement des idées, à la fraternité et à la solidarité et puis elle rencontre le grand amour en la personne d'un jeune français qui va partir se battre. Mais tout cela n'a qu'un temps! Cette foi en un monde meilleur est d'autant plus poignante qu'elle n'est qu'un mirage! Javier Cercas le dit dans Les soldats de Salamine quand il fait parler les républicains qui ont lutté contre la dictature et le franquisme :
De toutes les histoires de L'Histoire, la plus triste est sans doute celle de L'Espagne, parce qu'elle finit mal … Elle finit bien pour ceux qui ont gagné la guerre, mais mal pour nous qui l'avions perdu! Personne n'a eu le moindre geste, même pour nous remercier d'avoir lutté pour la liberté. Dans tous les villages, il y a des monuments à la mémoire des morts de la guerre. Sur combien d'entre eux avez-vous vu figurer ne serait-ce que le nom des deux camps, faute de mieux?

Une dénonciation des crimes 


Dans ce roman, j'ai été touchée par la dénonciation passionnée, ardente et sans concession des crimes de guerre commis par les nationaux avec la bénédiction de l'église catholique espagnole. Et je découvre ici, une facette de la  personnalité de Bernanos, ce grand bourgeois de la droite catholique qui a l'immense courage de dénoncer l'horreur du massacre alors qu'un Claudel, lui, se réjouit de la victoire de Franco... Un Bernanos soulevé de dégoût qui assiste en direct, il est en Espagne au moment du coup d'état,  «à l'épuration systématique des suspects"

Au nom du père du Fils et du Saint Esprit, monsieur l'évêque-archevêque de Palma désigne aux justiciers, d'une main vénérable où luit l'anneau pastoral, la poitrine des mauvais pauvres. C'est Georges Bernanos qui le dit. C'est un catholique fervent qui le dit. 

Deux voix différents qui se répondent


Les voix des deux femmes alternent, se répondent, se chevauchent. Celle de Montse, imagée, truffée d'hispanismes ou de mots espagnols* car ils ont «plus de panache» dit-elle, pleine de verve et d'humour, est savoureuse. C'est un langage forgé de toutes pièces par la vieille dame, pour son usage personnel, tout à fait fait la manière de Montaigne : «et que le gascon y arrive si le français ne peut y aller ». Un style à sauts et à gambades, savoureux, riche, épicé, qui nous fait rire et nous émeut comme dans ce passage où la vieille dame explique sa révolte de jeune fille quand sa mère a voulu la placer comme servante chez les Burgos Obregon :

Elle a l'air bien modeste, tu comprends ce que ça veut dire? Plus doucement pour l'amour du ciel, implore ma mère qui est une femme très éclipsée. Ca veut dire que je serai une bonne bête et bien obédissante!
Seigneur Jésus, murmure ma mère, la mirade alarmée, plus bas, on va t'ouir. Et moi je grite un peu plus fort : je me fous qu'on m'ouit, je veux pas être boniche chez Les Burgos, j'aime mieux faire la pute en ville! Pour l'amour du ciel me supplique ma mère, ne dis pas de bêtises.

A cette langue populaire répond celle classique, riche et maîtrisée de l'écrivaine qui représente le lien entre le passé et le présent.

L'actualité du roman

 

Car le roman nous éclaire sur ce que nous vivons et c'est pour cela qu'il me touche tant. Il ne peut pas être plus actuel!
En lisant Pas Pleurer je pense à l'archevêque de Grenade qui récemment a justifié le viol des femmes qui avortent! Je pense à tous ces religieux qui appellent aux meurtres, à tous ces obscurantismes qui se réveillent dans le monde. Et je me demande comment il est possible que la religion de tout temps ait toujours été accompagnée de son cortège d'atrocités et d'intolérance et pourquoi les églises se placent toujours du côté des puissants.
Si la guerre d'Espagne me passionne tant, c'est qu'elle est un exemple des dangers que court la démocratie et de la fragilité de la liberté. J'ai de l'empathie pour ce peuple espagnol qui s'est levé, à l'annonce du coup d'état de Franco, pour défendre la République et les valeurs qui sont aussi les miennes et qui ont été impitoyablement écrasés. Et je nous revois dans notre marche du 11 janvier 2015, à la suite des attentats en France, retrouver, l'espace d'un instant et toutes proportions gardées, les notions de solidarité et de fraternité éprouvées par Montse pendant le combat antifranquiste, en cette année 1936, dans la ville occupée par les républicains.
Et c'est la plus grande émotion de leur vie. Des heures inolvidables (me dit ma mère) et dont le raccord, le souvenir ne pourra jamais m'être retiré, nunca, nunca, nunca. (...)
 Une ambiance impossible à décrire, impossible ma chérie, de t'en communiquer la sensation vivante pour qu'elle t'aille en plein coeur.
....les passants qui se saluent gentiment, qui se parlent gentiment, et s'embrassent sans se connaître, comme s'ils avaient compris que rien de beau ne pouvait advenir sans que tous y eussent leur part, comme si toutes les choses imbéciles que les hommes d'ordinaire s'inventent pour s'entretourmenter s'étaient pff!, volatilisés.

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J'ai eu le même enthousiasme pour une autre œuvre de Lydie Salvayre adaptée à la scène La compagnie de spectres par Zabou Breitman. VOIR ICI


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*Par contre quand il s'agit de phrases entièrement en espagnol, j'aurais bien aimé une traduction en bas de la page car c'est un peu frustrant de ne pas les comprendre bien que cela n'entrave en rien la lecture du livre! Au contraire, cela donne une spontanéité et une véracité au récit de la vieille dame.





dimanche 1 février 2015

Jack Schaefer : L'homme des vallées perdues

L'homme des vallées perdues de Jack Schaefer, éditions Libretto Illustration de couverture Percy Crosby
L'homme des vallées perdues  couverture Percy Crosby


L'homme des vallées perdues de Jack Schaefer, écrivain américain, est paru en 1949 aux Etat-Unis. Il est devenu un classique de la littérature de l'Ouest américain. Le titre d'origine est Shane du nom du personnage principal..

Le récit

L'homme des vallées perdues:  film  Georges Stevens

Nous sommes en 1889 dans le Wyoming. Des colons se sont installés sur des terres et vont bouleverser les méthodes d'élevage. Ils se heurtent au grand propriétaire, Fletcher, qui voit d'un mauvais œil les fermiers s'installer sur les terres et poser des clôtures qui coupent ses immenses pâturages. Dans cette vallée perdue où la loi ne pénètre pas, c'est la raison du plus fort qui l'emporte. C'est alors qu'arrive Shane, un mystérieux étranger qui va être accueilli dans la ferme de Marian et de Joe Starrett et de leur fils Bob. Il va se lier d'amitié avec eux et leur venir en aide.

Un roman démystificateur

Paysage du Wyoming source
L'homme des vallées perdues est sans contexte un livre sur le mythe de l'Ouest avec ses personnages attendus, le justicier vagabond, le tueur, le propriétaire cupide, mais c'est en même temps une démystification peut-être parce qu'il s'agit d'un moment charnière dans l'histoire de ce pays, une période qui voit de grands bouleversements..
La conquête de l'Ouest n'est pas présenté comme une succession de grands moments héroïques, comme une aventure palpitante et grandiose. Certes, il faut du courage pour coloniser l'ouest mais l'écrivain insiste sur le labeur de tous les jours, la peur de l'échec, sur le quotidien épuisant. Et lorsqu'il faut lutter, armes à la main, ce n'est pas un choix mais une obligation. Les fermiers ont peur, certains préfèrent fuir plutôt que de perdre la vie mais tout est alors à recommencer. Les adversaires n'ont rien d'héroïque, ce sont des jeunes sans cervelle qui ont oublié de réfléchir comme Chris, soit des tueurs sans état d'âme comme Wilson. La violence et le meurtre marquent définitivement un homme et Shane ne peut espérer retrouver la sérénité après avoir tué. Il est condamné à l'errance. Derrière le mythe, il y a donc des êtres humains qui souffrent et sont marqués par leurs actes d'une manière indélébile. Il y a aussi des hommes qui n'ont rien d'héroïque, les fermiers, sauf si l'on appelle héroïsme, le fait d'user ses forces à des travaux pénibles et ingrats. Il y a aussi un pays qui se transforme, une économie qui change un monde bien accroché à ses traditions.

Un enfant pour narrateur

Joey , Brandon de Wilde, dans l'homme des vallées perdues de Stevens
Joey dans le film de Stevens , Bob dans le livre de Jack Schaefer

Si le récit paraît somme toute assez banal pour tout amateur de western qui connaît bien cette opposition classique entre les grands ranchers et les petits fermiers, le roman est, au contraire, original, surprenant et attachant.
Cela tient au regard plein d'amour et d'admiration que le narrateur, Bob, porte à ses parents, Marian et  Joe Starrett et à la fascination qu'il éprouve envers Shane. On ne peut vraiment croire aux personnages que si l'on garde en mémoire qu'ils sont vus à travers l'idéalisme et d'un petit garçon exalté et admiratif.

 Une idéalisation des personnages

Bob, Marian, Joe et Sahne

 Derrière le personnage du petit Bob, on sent l'homme mûr qui se souvient d'un passé qui a beaucoup compté pour lui. Ce double point de vue de l'enfant naïf, pur, passionné, aimant qu'il était et du vieillard qu'il est devenu lorsqu'il écrit ses souvenirs, crée une nostalgie qui donne une coloration particulière au récit. On y sent le romantisme de l'enfance. L'idéalisation des personnages auréolés par l'amour de l'enfant est telle qu'ils deviennent presque des êtres de légende : le père, fort, courageux, travailleur, prêt à donner sa vie pour sa femme et son enfant, et la mère, la jolie Marian, au caractère affirmé, qui rivalise à sa manière avec le courage de son mari. Et puis Shane, cet homme dont on ne saura rien sinon qu'il a été blessé par la vie et qu'il ne veut jamais porter son colt sur lui alors qu'il sait pourtant s'en servir d'une manière redoutable. Les zones d'ombre qui entourent ce solitaire permet un portrait nuancé qui laissent place à l'imagination. Importance du non-dit aussi dans l'amour éprouvé par Marian pour Shane (et réciproquement) qui se lit en filigrane à travers ce que l'enfant comprend et entend. 

 Un récit d'initiation 

Il y a une grande humanité dans les personnages, leur amour réciproque, leur confiance mutuelle, leur fidélité, leur courage. Lorsqu'ils servent de leurs armes, ils essaient toujours d'inculquer le sens de la justice et de la responsabilité au petit garçon et la gravité d'un tel acte.

-Je l'ai laissé m'insulter, je lui ai donné sa chance, dit Shane au petit garçon. Pour sauvegarder son amour-propre, on n'a pas nécessairement besoin de massacrer le premier qui vient vous manquer de respect.. Tu comprends cela?
Non . Je ne voyais pas.(...)
- Je lui ai laissé le choix; Rien ne l'obligeait à réagir comme il l'a fait la deuxième fois. Il aurait pu laisser tomber sans perdre la face. Mais pour en être capable, il aurait fallu qu'il soit suffisamment mûr.
Leçon que l'enfant ne comprend pas : il se passa beaucoup de temps avant que je saisisse ce qu'il avait voulu dire; j'étais alors devenu un homme et Shane n'était plus là pour que je lui en parle.

On comprend combien cette période a marqué l'enfant et a été pour lui une initiation à la vie.

Entre épopée du quotidien et humour

Un monde qui change : les premières clôtures

Le roman présente des scènes que l'on pourrait qualifier d'épique si elles ne concernaient pas des hommes simples placés dans des situations du quotidien! Et pourtant quel panache quand Shane et Joe à la seule force de leurs bras déracinent la souche gigantesque d'un arbre mort qui dégrade le champ de Joe. Quel courage aussi quand Shane affronte tout seul le tueur que Fletcher a fait venir pour se débarrasser des colons ou quand il est obligé d'assommer Joé qui veut y aller à sa place ! Les exploits des hommes, Marian les réitère à sa manière en gagnant le combat contre une tarte aux pommes récalcitrante qui refuse de cuire! Car l'humour n'est pas exempt du récit et il souvent est assez inattendu ! On y voit Shane, le «poor lonesome» Shane, donner des leçons de mode à Marian et lui indiquer comment, dans les grandes villes, les coquettes attachent leurs chapeaux sous le menton avec un joli nœud  !

L'homme des vallées perdues est donc un beau roman plein d'humanité qui peut plaire à tous ceux qui aiment les récits sur la conquête de l'Ouest américain mais aussi à ceux qui apprécient les beaux personnages positifs et humains!
J'ai trouvé le film bien médiocre par rapport au roman et Alan Ladd bien faible par rapport au Shane de Jack Schaefer ! Voir Wens pour le film.




Enigme n° 106
Les vainqueurs du jour: Eeguab, Dasola, Keisha, Somaja, Thérèse et Aifelle.

Livre : Shane ou l'Homme des vallées perdues de Jack  Schaefer
Film : L'homme des vallées perdues de George Stevens (voir Wens)