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mardi 17 décembre 2019

Elias Lönnrot : Le kalevala (2) les héros

Robert  Wilhem  Ekman Vaïnämöinen jouant du Kantele charme  animaux et humains
 
Le Kalevala, long poème épique que Elias Lönnrot a écrit après avoir collecté des contes et chants oraux traditionnels remontant jusqu'au XIII siècle, raconte l'histoire de quatre héros finnois, à la fois hommes et dieux, histoire qui nourrit la mémoire collective du peuple Finlandais.

Ilmatar, la déesse mère

Robert Wilhem Ekman : Ilmatar musée Ateneum Helsinki
  
 
Vaïnämöinen est né de la Vierge Ilmartar (La fille de l’air) qui, venue se poser sur les vagues, bercée par le vent, devient enceinte. Elle porte son enfant pendant 700 ans dans son ventre. Et oui! Et cela n’a pas été facile ! 
 
Malheureuse, quelle est ma vie !
Pauvre enfant, quel est mon destin !
M'en voici réduite à ceci :
A jamais sous le ciel profond,
Je serais bercée par les vents
et ballotée au gré des vagues,
Au milieu de ces flots immenses,
Au sein de l'onde infinie.
Il aurait mieux valu pour moi
Vivre en pure Vierge de l'air
Qu'errer ainsi que je le fais,
Comme mère des vastes ondes !
 
Elle s'occupe, pendant ce temps, de créer la terre, avec des coquilles d'oeufs cassées  ("Six de ces oeufs étaient en or, Mais le septième était en fer") pondues par une cane (un canard, disent-ils !) venue se poser sur ses genoux.

Le bas de la coque de l'oeuf,
Fut le fondement de la terre,
Le haut de la coque de l'oeuf
Forma le firmament sublime.
Le dessus de la partie jaune
Devint le soleil rayonnant,
Le dessus de la partie blanche
fut au ciel la lune luisante;
Tout débris taché de la coque
Fut une étoile au firmament,

Pendant cette longue attente, elle peaufine son oeuvre, notre terre. Quand il naît enfin, Vaïnämöinen tombe dans la mer et il y reste encore huit ans. Enfin il gagne le rivage.

Ainsi naquit Vaïnämöinen
Apparut le barde éternel,
Enfant d’une mère divine,
Issu de la vierge Ilmatar

 

Les Héros

Väinämöinen le barde et son kantele


Nicolaï Kochergin  : Vaïnämöinen, le barde éternel
 
 
Dans Le Kalevala, Vaïnämöinen, toujours flanqué de ces épithètes homériques, le ferme et vieux Vaïnämöinen, est doté de pouvoirs magiques. Certainement, ancien dieu des eaux, devenu héros dans Le Kalevala, il est plus homme que dieu, musicien et chanteur. Il a fabriqué un instrument de musique avec des arêtes et la mâchoire d'un brochet gigantesque, le Kantelé, avec lequel il ensorcelle bêtes et humains.
Il est assimilé à Orphée. Comme lui, musicien il est revenu vivant des Enfers. Il disparaît, chassé par le Christ, et donne le Kantélé aux Finlandais qui utilisent toujours cet instrument ancestral de nos jours.
Vaïnämoïnen n’a pas de chance en amour ! Quand un blanc-bec vaniteux et outrecuidant, Joukaheinen, vient le défier au chant, le barde éternel gagne, forcément. Le jeune homme est obligé de lui promettre sa soeur Aino en mariage. Celle-ci refuse d’épouser un barbon et préfère se noyer.


Elle revenait au logis,
Trottinait dans le bosquet d'aunes
Quand vint le vieux Väinämöinen;
Il vit la vierge dans le bois,
la robe fine parmi l'herbe,
Il parla de cette façon :
Vierge, ce n'est pas pour les autres,
jeune fille, c'est pour moi seul
Que tu portes au cou des perles
Qu'une croix orne ta poitrine,
Que tes cheveux sont mis en nattes,
Noués par un ruban de soie.
La jeune fille répondit :
"Ce n'est pas pour toi, ni pour d'autres
Qu'une croix orne ma poitrine
Et qu'un ruban noue mes cheveux!
Je fais fi des beaux habits bleus,
J'aime mieux les robes étroites,
Préfère des croûtons de pain,
dans le logis de mon bon père,
Avec ma mère bien-aimée."


Plus tard, quand le ferme et vieux Vaïnämoïnen pêche un grand poisson et le laisse échapper, c'est la jeune fille qu'il perd encore une fois et sans espoir de la revoir.
 

Akselis Gallen Kallela  : Aino échappe à Vaïnämoïnen
 
 
Il se rend alors chez la vieille Louhi, puissante magicienne, "patronne" du Pohjola, pour lui demander l'une de ses filles en mariage, échoue dans la conquête de la jeune fille et doit promettre pour pouvoir rentrer chez lui que son frère Le Forgeron éternel Ilmaren viendra prendre sa place pour forger le Sampo.
 

Mais qu'est-ce que le Sampo ?

Le Sampo

Mais qu'est-ce que le Sampo ? Il occupe un place centrale dans le récit du Kalevala. Cet objet magique, mystérieux, assure la prospérité de celui qui le détient. D'après Lönnrot, c'est un moulin qui produit un tiroir par jour de farine, un de sel et un d'or. Il est source de richesse et donc de pouvoir. Il a donné lieu à de nombreuses interprétations, coffre magique, trésor volé par les vikings, corne d'abondance, mais aussi astrolabe, boussole... J'ai lu ici, qu'il pouvait être aussi, symboliquement, le trésor de chants et de contes traditionnels réunis patiemment par Elias Lönnrot pour reconstituer l'épopée du peuple finlandais et lui rendre son identité. Trésor matériel ou spirituel, si l'on ne sait pas trop exactement ce qu'est le Sampo, tous les artistes se sont plu à l'imaginer ! Or, seul Ilmarinen est capable de forger cette pure merveille. 








Le Sampo

 
 
Il paraît que Sampo est un prénom largement donné en Finlande, qu'une fabrique d'allumettes porte son nom en allusion au feu qui l'a forgé, que de nombreuses marques, sociétés, entreprises, en particulier, une assurance, se nomment ainsi.
 
Le Sampo au couvercle orné

 

Le Forgeron éternel Ilmaren

Nicolai Kochergin : Ilmarinen, le marteleur éternel.
 
 
Ilmarinen, le forgeron éternel, est donc obligé de partir à Pojolha pour fabrique le Sampo et, lui aussi, espère bien recevoir en mariage, une des filles de Louhi, réputée pour sa beauté. Il n'y parviendra pas, du moins cette fois-ci ! Mais il réussira par la suite.
 

La fabrication du Sampo vue par Vainö Blomstedt

 
Le forgeron Ilmarinen,
Le grand marteleur éternel,
Se mit à battre le métal,
A le frapper avec prestesse,
Il forgea le fameux Sampo,
D'un côté moulin à farine,
d'un autre moulin pour le sel,
du dernier moulin à monnaie. 


 La fabrication du Sampo vue par Akseli Gallen Kallela :

Igor Boranov : le Sampo fabriqué par Ilmarinen
 

Pohjola devient riche grâce au Sampo, ce qui explique que lorsque Väinämöinen, Lemminkainen et Ilmaren décident de le voler, Louhi les poursuit, ivre de fureur. Transformée en griffon ou en aigle, elle attaque la barque. Le Sampo est brisé et des éclats tombent dans la mer. Vainominen  en recueillera les morceaux déposés sur la grève par les vagues et ceux-ci vont assurer à eux seuls la richesse du Kalevala. Louhi ne leur pardonnera pas et s'ensuit une guerre qui déchire les deux pays. Louhi déchaîne sur Kalevala toutes sortes de fléaux.

Vainö Blomstedt : Le vol du Sampo
Louhi et la bataille pour le Sampo vue par Igor Baranov peintre russe

 Louhi et la bataille pour le Sampo par Akselis Gallen Kallela

 

Le léger Lemminkäinen, séducteur et guerrier

Lemminkäinen et le cygne noir
 
 
Le léger Lemminkäinen, est aussi le superbe, le beau Kaukomieli ou encore Ahti, le gai compère, le luron aux pommettes rouges, tous ces noms et ces épithètes désignent un même personnage.
Lemminkainen a trop de succès auprès des femmes pour ne pas s'attirer des ennuis et il aime trop la guerre pour vivre en paix. Quand il épouse Kyllikki, tous deux se font une promesse : l'une de ne jamais aller s'amuser en ville, l'autre de ne plus partir à la guerre. Mais lorsque Kyllikki trahit sa promesse, Lemminkaïnen part batailler et va jusqu'à Pohjola pour demander une autre épouse à Louhi. Celle-ci lui fait subir des épreuves qu'il réussit, la dernière étant de tuer le cygne noir de Tuonela, le domaine des morts. Mais Lemminkäinen est tué et coupé en morceaux par un vieux berger jaloux et disparaît dans le fleuve noir de l'Enfer. Sa mère (telle Isis), munie d'un rateau, récupère les morceaux de son fils et reconstitue son corps et lui redonne vie en faisant appel aux dieux.
 
 
Robert William Eckmann : La mère de Lemminkäinen recueille les morceaux de son fils

Alaksi Gallen Kallela : La mère de Lemminkäinen  redonne la vie à son fils
 
Lors le léger Lemminkäinen
Regagna vite son pays
Avec sa mère bien-aimée,
Chez la fameuse vieille femme.
Je laisse à présent mon Kauko,
Notre léger Lemminkäinen,
Pour longtemps hors de mes chansons;
Je change le cours de mes vers,
Dirige en d'autres lieues mon chant,
J'entre dans une voie nouvelle.

Kullevo, le fils de Kalervo

    Akselis Gallen Kallela :  la colère de Kullervo
     
     
    Kullervo, le fils de Kalervo
    Le jeune garçon aux bas bleus
    La belle chevelure blonde
    La superbe chaussure en cuir...


    On remarque dans les vers précédents l'une des caractéristiques du style épique du Kalevala qui consiste à désigner les êtres selon une particularité physique, ce qui est courant dans l'épopée, mais aussi par une partie de leurs vêtements, ce qui est rare. Ici, "la superbe chaussure de cuir"  introduit une note étrange pour le lecteur étranger. Akselis Gallen Kallela le représente, à l'inverse, pieds nus, en haillons, comme l'être misérable et rejeté par tous qu'il est.
    Kullervo, le fils de Kalervo, a un destin tragique ! Son père Kalervo, en guerre contre son propre frère Untamo, est tué et sa mère, amenée en captivité chez Untamo, meurt à sa naissance. Il est recueilli comme serf à la ferme de son oncle Untamo et élevé par une nourrice qui ne lui donne aucun amour. D'une force exceptionnelle, il se révèle incapable de réussir dans n'importe quelle voie et accumule les calamités. Il est violent et sa force extraordinaire le rend dangereux. Aussi, après avoir cherché à le tuer, mais en vain, son oncle le vend au forgeron Ilmarinen. C'est ainsi que ce personnage (qui a été ajouté dans la deuxième édition du livre, en 1849) se rattache à l'épopée en rejoignant l'un des héros essentiels. Là aussi, il est inapte à tous les travaux.  Finalement, la femme de Ilmarinen lui confie la garde du troupeau. Il s'agit d'une des magnifiques filles de Louhi qu'Ilmarinen a conquise en sortant victorieux des épreuves imposées par la sorcière. L'épouse, pour se moquer de Kullervo, lui prépare son repas et glisse une pierre dans son pain. En coupant le pain, Kullervo casse son couteau, seul souvenir de son père. Sa colère est immense. Par un sortilège, il transforme ses brebis en ours et en loups et les jette contre la fermière qui est déchiquetée par les bêtes. Il s'enfuit et sa plainte s'élève dans la forêt :
     
    Les autres rentrent au logis,
    Regagnent leur foyer chéri;
    Le bois lugubre est ma demeure,
    La bruyère mon seul domaine,
    Mon foyer est au gré des vents,
    Mon étuve est dans les averses.
     Ne crée jamais, Dieu de bonté,
    Un enfant sans aucun appui,
    Tout à fait privé de secours,
    Sans père dans le vaste monde,
    Et surtout sans mère ici-bas,
    Comme tu m'as créé moi-même,

    Plus tard, il retrouve ses parents qui ne sont pas morts. Ceux-ci lui apprennent que sa soeur a disparu.  Kullervo, après s'être montré toujours aussi incapable de mener un travail à son terme chez ses parents, est envoyé en voyage. Il rencontre un jeune fille, la viole  et  découvre qu'elle est sa soeur. Cette dernière ne survit pas au déshonneur et se noie dans un lac. Kullevo est désavoué par sa famille. Plein de remords, il décide de venger la mort de ses parents, tue Untamo et se suicide en se jetant sur son épée.
     
     
    Akselis Gallen Kallela : Kullervo part en guerre
     
    Plus que dans les autres chants, on sent, ici, des contradictions dans le récit. Les parents sont morts puis ils ne le sont pas, puis ils meurent à nouveau. L'épouse d'Ilmaren est une ravissante jeune femme ou bien elle est une vieille mégère. Ceci nous rappelle que Le Kalevala a été construit selon des récits provenant de différentes origines et qui devaient présenter des versions différentes, ce qui arrive souvent lorsque les sources sont de tradition orale.


    Akselis Gallen Lallela : Kullervo , enfant, grave des mots sur l'écorce avec le couteau de son père.
     
    L'histoire de Kullervo a inspiré de nombreux artistes, des musiciens dont Sibélius qui a écrit une symphonie sur lui. Opéra, tragédie, danse, le célèbrent. Les peintres ont maintes fois illustré son histoire. Des statues de lui ornent les places dans les villes. L'ancien conte de Kullervo aurait inspiré Shakespeare pour sa tragédie d'Hamlet. Tolkien s'est inspiré de ce personnage dans son oeuvre The story of Kullervo.
     

    Sculptures sur un immeuble à Helsinki
     
    Il s'agit d'un drame d'une noirceur absolue dans lequel le héros, solitaire, mal aimé, n'apprend dans son enfance que la haine et la révolte. Il y a un passage étonnant dans le Kalevala où Elias Lönnrot commentant le destin de Kullervo donne une conception moderne de l'éducation des enfants.

    Gardez-vous bien, races futures,
    D'élever l'enfant durement
    Chez une nourrice bornée,
    Auprès d'une femme étrangère !
    Le fils durement élevé
    L'enfant bercé stupidement
    Ne devient pas intelligent,
    Ne prend pas un esprit adulte,
    Même s'il vit longtemps,
    Si son corps devient vigoureux. 


    Il nous reste à parler des dieux finlandais dans un billet : le Kalevala  3

    dimanche 15 décembre 2019

    La citation du dimanche : Camus et le mythe de Sisyphe

    Vedran Stimak, artiste croate  : Portrait de Camus, le mythe de Sisyphe (voir ici )
    En analysant le mythe de Sisyphe, Albert Camus, l'un des maîtres de l'absurde,  écrit :

    Tout au bout de ce long effort mesuré par l'espace sans ciel et le temps sans profondeur, le but est atteint. Sisyphe regarde alors la pierre dévaler en quelques instants vers ce monde inférieur d'où il faudra la remonter vers les sommets. Il redescend dans la plaine.
    C'est pendant ce retour, cette pause, que Sisyphe m'intéresse. Un visage qui peine si près des pierres est déjà pierre lui-même. Je vois cet homme redescendre d'un pas lourd mais égal vers le tourment dont il ne connaîtra pas la fin. Cette heure qui est comme une respiration et qui revient aussi sûrement que son malheur, cette heure est celle de la conscience. A chacun de ces instants, où il quitte les sommets et s'enfonce peu à peu vers les tanières des dieux, il est supérieur à son destin. Il est plus fort que son rocher.
    Si ce mythe est tragique, c'est que son héros est conscient. Où serait en effet sa peine, si à chaque pas l'espoir de réussir le soutenait ? L'ouvrier d'aujourd'hui travaille, tous les jours de sa vie, aux mêmes tâches et ce destin n'est pas moins absurde. Mais il n'est tragique qu'aux rares moments où il devient conscient. Sisyphe, prolétaire des dieux, impuissant et révolté, connaît toute l'étendue de sa misérable condition : c'est à elle qu'il pense pendant sa descente.
    La clairvoyance qui devait faire son tourment consomme du même coup sa victoire. Il n'est pas de destin qui ne se surmonte par le mépris. (...)
    " Je juge que tout est bien ", dit Œdipe, et cette parole est sacrée. Elle retentit dans l'univers farouche et limité de l'homme. Elle enseigne que tout n'est pas, n'a pas été épuisé. Elle chasse de ce monde un dieu qui y était entré avec l'insatisfaction et le goût des douleurs inutiles.
    Elle fait du destin une affaire d'homme, qui doit être réglée entre les hommes.(...)
    Je laisse Sisyphe au bas de la montagne ! On retrouve toujours son fardeau. Mais Sisyphe enseigne la fidélité supérieure qui nie les dieux et soulève les rochers. Lui aussi juge que tout est bien. Cet univers désormais sans maître ne lui paraît ni stérile ni fertile. Chacun des grains de cette pierre, chaque éclat minéral de cette montagne pleine de nuit, à lui seul, forme un monde.
    La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d'homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux.


    Voilà ce qui me donnait du courage quand j'étais jeune et que je lisais Albert Camus avec passion. J'avais appris ce passage par coeur et quand tout allait mal, je le "lisais" dans ma tête. Savoir que l'être humain est maître de sa vie, rejeter l'idée qu'il est le jouet des dieux et faire de la constatation de sa propre faiblesse, une raison d'être fort et d'espérer, oui, c'était exaltant. C'est exaltant ! Bon dimanche !

     

     Le mythe de Sisyphe dans l'art

    Le Titien :  Sisyphe
    Vase attique : le mythe de Sisyphe
    Vase attique  : Sisyphhe
    William Balke Sisyphe
    Frantz Von Stuz : Sisyphe
    Gilles Candelier : sculpture Sisyphe
    Maguy Banq
    Hervé Delmare

    Charles Nadraos

    On peut en rire aussi


    J'aime aussi le détournement du mythe, tel que le réalise le photographe Gilbert Garcin qui met en scène des petites scènes pleines d'humour.

    Gilbert Garcin  : il faut imaginer Sisyphe heureux
    Gilbert Garcin : L'atelier de Sisyphe

    Gilbert Garcin : La déception de Sisyphe
    Et puis aussi :


    Le proscratinateur Sisyphe voir ici




    Pas de publicité déguisée ici !


     Tu veux échanger ?


    mercredi 11 décembre 2019

    Elias Lönnrot : Le Kalevala (1)

    Vaïno Blomstedt :  Le Kalevala

     Le Kalevala est une épopée qui relate les faits et geste des Dieux et des Héros de la mythologie finlandaise. Ce long poème épique a été publié par Elias Lönnrot en 1835 puis dans une autre édition réaugmentée en 1849. Elias Lönnrot, médecin, écrivain, linguiste, folkloriste, a voulu donner au peuple finlandais, libéré de la domination suédoise, une oeuvre unificatrice, susceptible de réunir toutes les classes sociales autour de la notion de patrie, à la recherche d’une identité commune qui redonne à la langue et à la littérature finnoises ses lettres de noblesse..
     
    Elias Lônnrot
     
    Pour composer cette oeuvre, Elias Lönnrot (1802-1884 ), appelé aussi Le Homère finnois, a récolté pendant des années, les récits, contes populaires, et les chants traditionnels auprès des paysans et des bardes qui restaient très attachés aux croyances anciennes, caractère magique de la nature, chamanisme… bien que les suédois aient converti le peuple finlandais au catholicisme. C’est en Carélie qu’il collecte le plus de chants nouveaux.
    Les chants recueillis ne remontant pas au-delà du XIII siècle, époque à laquelle la Finlande était déjà christianisée, certains dieux de la mythologie finlandaise ont parfois des ressemblances avec le dieu et les saints chrétiens.


    Marjata  de Heikki W. Virolainen

    Ainsi, lors de ma visite au musée Ateneum à Helsinki, la statue d'un artiste contemporain Heikki W. Virolainen représentait Marjata, une jeune fille fécondée par une baie miraculeuse qu'elle avait avalée. Toujours vierge, elle porte un enfant mais ses parents ne la croient pas et la chassent. Elle  ne trouve personne pour lui laisser l'usage d'une étuve pendant son accouchement. C'est dans le froid, sur le sol gelé, qu'elle met au monde un garçon miraculeux qui survit, réchauffé par le souffle d'un cheval, enfant qui révèlera une précocité et des dons étonnants.

      C'est la fin de l'épopée. Dans le dernier chant, le vieux barde Vaïnamoinen, le héros principal du Kalevala, est chassé par le Christ que Marjata (Marie) a mis au monde. 
     
     
     
     
     
     

    Akeselis Gallen Kallela : Väimöinen chassé par le christianisme
     
     
    Il y a deux régions antagonistes dans le récit : le sud, le Kalevala, qui est le domaine du géant Kaleva où vivent les héros Vaïnämöinen, Ilmarinen, Lemminkäinen. Cela pourrait être La Carélie, et le Nord, sombre et froid, le Pojhola, (appelé aussi Osmola, Sariola, Pimentola..) pourrait être la Laponie. Mais il s'agit d'une interprétation de Lönnrot. Certains pensent  que le Pohjola est peut-être le monde d'en dessous, celui des défunts. Mais le monde des morts existent dans la mythologie finlandaise. C'est Tuonela. Le suffixe la indiquant l'appartenance, la maison, il s'agit donc du domaine de Tuoni, le dieu de ma mort.
    Le cygne de Tuonela est une musique composée par Sibélius en hommage à ce passage du Kalevala qui voit le héros Lemminkaïnen chasser le cygne noir jusqu'à Tuonala et périr. 


    Carte réalisée pour un jeu Fantasy sur la mythologie nordique (ici)
     
     
    C’est à Pohjola que vit la sorcière Louhi, reine des neiges et de la glace, et ses splendides filles à marier qui attirent nos héros sur ces terres dangereuses, obscures et glaciales.


    Serguei Minin ( 1901_1937) artiste russe, Louhi : Reine de Pojhola (ici)
     
     
    Le Kalevala n'est pas une oeuvre facile à lire, c'est du moins ce que j'ai éprouvé. Il faut dire qu’avec ses 22800 vers, souvent répétitifs, et ses 50 chants (runo), il requiert un peu de patience ! On peut être aussi surpris par sa composition erratique, on passe du récit d’un héros à un autre pour revenir au précédent ou à un nouveau. Il ne semble pas y avoir de plan très défini dans la construction mais plutôt des ajouts, pas de cohésion interne, parfois des incohérences dans le récit. Ceci, certainement pour mieux respecter la tradition orale de ces chants qui venaient de différentes régions de la Finlande et présentaient de nombreuses variantes.

    Dans la traduction due à Jean-Louis Perret, j'aime beaucoup le mètre employé, l'octosyllabe, intime, qui sait faire voir le chagrin d'une jeune fille qui ne veut pas se marier, léger, aérien pour décrire la beauté et la poésie attachées à toutes choses et l’animisme de la nature.

    Hélas ! mère qui m'a portée,
    Je pleure sur beaucoup de choses,
    Sur la beauté de mes cheveux,
    Sur l'abondance de mes tresses,
    Sur la finesse de mes boucles,
    Car jeune je dois les cacher,
    Les voiler quand je pousse encore.
     Je pleurerai toute ma vie
    La tendresse du chaud soleil,
    La douceur de la belle lune,
    La magnificence de l'air,
    Car jeune, je dois les quitter,
    Les oublier, petite enfant,
    devant le chantier de mon frère, 

    à la fenêtre de mon père.


    Pourtant, j’ai été surprise dans le Kalevala, par le procédé répétitif qui fait que les vers sont repris en boucle, autant de fois qu’il paraît nécessaire, les vers suivants répétant les précédents parfois avec des termes différents mais souvent de manière exactement semblable, créant une sorte d’incantation. A ce propos, Jean Louis Perret écrit dans la préface :

    L’emploi de ce procédé poétique propre à tous les peuples primitifs est constant, mais pas toujours très strict dans Le Kalevala. Il a contribué à donner à la poésie populaire finnoise son caractère imprécis, vague, qui frappe si vivement le lecteur étranger. »

    J’ai aimé la musique qui s’élève de cette oeuvre mais ce procédé a fini par me lasser car le récit avance avec beaucoup de lenteur. Ce qui fait que j’ai été partagée entre admiration, plaisir de lecture - le style est vraiment très beau, parfois naïf et touchant, poétique, lyrique - , et le besoin de m'arrêter de lire ! Parfois, oui, je l'avoue, j'ai sauté des passages mais, en fin de compte, j'ai terminé le lecture de l'ouvrage.
    Je me demande comment les Finlandais lisent ce livre qui est une oeuvre majeure de leur littérature. Peut-être sont-ils moins surpris que moi par la composition du poème, par les noms ( que je peine à retenir !) de ces dieux ou héros qui changent souvent de forme, peut-être aussi que la mythologie de leur pays leur étant familière, ils ont eu moins de difficulté que moi pour entrer dans ce livre ?
    Pourtant je ne regrette pas de l’avoir lu pour plusieurs raisons. Si vous allez en Finlande comme je l’ai fait, que vous avez admiré ces splendides forêts de pins et de bouleaux à perte de vue et ces lacs, innombrables, qui reflètent la lumière du ciel, Le Kalevala vous éclaire sur les finlandais, leur rapport profond avec la nature et la forêt et les animaux sauvages. Il dit beaucoup aussi sur les vieilles coutumes, parfois encore bien vivante comme celle du sauna, de son importance vitale, par exemple : les femmes accouchaient dans l'étuve, l'action émolliente de la chaleur permettant une délivrance plus aisée. Nous apprenons aussi beaucoup sur le sort des femmes, la jeune fille a le droit de porter ses cheveux nattés, celle qui est mariée doit mettre un voile sur la tête et se consacrer entièrement à son mari. Elle peut être répudiée ou tuée si elle se comporte légèrement. On assiste aux travaux de la ferme, au travail du forgeron, avec parfois un peu de magie en prime. Les héros eux-mêmes labourent leur terre même s'ils se font un peu aider par Ukko, le dieu suprême ou si, comme Ilmarinen, il laboure un champ de vipères pour obtenir la main de la fille de Louhi.
    Le kalevala vous dit aussi comment ce peuple qui a été pendant des siècles sous la domination de la Suède puis de la Russie, refusant même de parler sa propre langue, a pu se construire une identité autour de cette oeuvre fondatrice. Enfin, vous ne pouvez comprendre vraiment la culture finlandaise, musique, théâtre, sculpture, et la peinture en particulier, si vous ne connaissez pas Vaïnamöinen, Ilmarinen, Lemminkäinen et Kullervo ! L'un des principaux peintres qui a illustré le Kalevala est Akselis Gallen Kallela extrêmement impliqué dans le mouvement de renouveau nationaliste du XIX siècle mais il y en a bien d'autres et pas seulement finlandais.


    Nicolaï Kochergin : Louhi et une de ses superbes filles

    Akselis Gallen Kallela : Le départ vers Tuonela, le royaume des morts


    Le cygne de Tuonela : Jean Sibélius (Karajan)

     
    Etant donné la longueur du poème épique, je ne vais pas vous le résumer !  Je vais seulement vous parler des quatre héros principaux, et des dieux les plus importants dans un prochain billet.


    dimanche 8 décembre 2019

    La Citation du dimanche : Montaigne, La vieillesse nous attache plus de rides en esprit...




    Que pense Montaigne de "la sagesse" des vieillards ?


    Mais il me semble qu'en la vieillesse, nos ames sont subjectes à des maladies et imperfections plus importunes, qu'en la jeunesse : Je le disois estant jeune, lors on me donnoit de mon menton par le nez : je le dis encore à cette heure, que mon poil gris m'en donne le credit :
    Nous appellons sagesse, la difficulté de nos humeurs, le desgoust des choses presentes : mais à la verité, nous ne quittons pas tant les vices, comme (que) nous les changeons : et, à mon opinion, en pis. Outre une sotte et caduque fierté, un babil ennuyeux, ces humeurs espineuses et inassociables, et la superstition, et un soin ridicule des richesses, lors que l'usage en est perdu, j'y trouve plus d'envie, d'injustice et de malignité.

    La vieillesse nous attache plus de rides en l'esprit qu'au visage : et ne se void point d'ames, ou fort rares, qui en vieillissant ne sentent l'aigre et le moisi. (...) Quelles Metamorphoses luy voy−je faire tous les jours, en plusieurs de mes cognoissans ? C'est une puissante maladie, et qui se coule naturellement et imperceptiblement : il y faut grande provision d'estude, et grande precaution, pour eviter les imperfections qu'elle nous charge : ou au moins affoiblir leur progrez.
    Je sens que nonobstant tous mes retranchemens, elle gaigne pied à pied sur moy : Je soustien tant que je puis, mais je ne sçay en fin, où elle me menera moy−mesme : A toutes avantures, je suis content qu'on sçache d'où je seray tombé.      Essai III chapitre 2

    Oui, je sais ! Pour vous souhaiter un bon dimanche, suivant l'âge que vous avez, il y a mieux ! Et vous risquez de me quitter le coeur sombre ! Et bien non ! Un homme averti en vaut deux, une femme aussi ! Maintenant vous allez tout faire pour ne pas avoir de "rides en l'esprit" ! Cela vous consolera de vos pattes d'oie !

    Et puis pour vous montrer les beautés de la vieillesse, entrons dans cette galerie de tableaux juste pour le plaisir des yeux : 
     
    ?
    Rembrandt : vieille femme lisant (la mère du peintre)
    Knut Ekwall
    Le Caravage : le repas d'Emmaus (détail)
    Tamara de Limpicka
    ?
    ?
    Michel Ange tombeau des Médicis  : La nuit
    Léonard de Vinci : autoportrait
    Rembrandt : la mère du peintre
    Rubens : l'enfant et la bougie
    Grant Wood : american Gothic
    Domenico Ghirlandaio : Portrait d'un vieillard et d'un jeune garçon

    On peut en rire aussi

    Philippe Geluk : Le chat

    André Franquin : Gaston Lagaffe


    Claire Bretecher : Agrippine
    André Franquin : Gaston Lagaffe
    Jacques Faizant

    samedi 7 décembre 2019

    Arto Paasilinna : La douce empoisonneuse et Le cantique de l'apocalypse joyeuse

    La douce empoisonneuse

    Et c’est vrai qu’elle est douce cette empoisonneuse et, d’ailleurs, elle ne le fait même pas exprès d’empoisonner et à la limite… peut-être n’a-t-elle pas le choix, à la différence d’Hamlet, entre empoisonner ou ne pas empoisonner !
    Je voudrais vous y voir ! Si comme Linnea, veuve du colonel Rabvaska, amoureuse de son jardin et de son chat, vous aviez chaque mois la visite de votre voyou de neveu flanqué de ses sinistres amis et que ceux-ci en profitaient pour racketter votre modeste retraite, vider votre garde à manger, vous insulter, sinistrer votre maison, abimer votre jardin, s’attaquer violemment à votre chat … Que feriez-vous ? Porter plainte ? Oui, c’est ce qu’elle finit pas faire après des années de patience. Mais la police a bien autre chose à faire (ou à ne pas faire) et désormais vous êtes poursuivie par la bande qui veut vous tuer !
    Tel est le thème du livre au cours duquel Arto Paasilinna se plaît, comme d’habitude, à distribuer des coups de griffe à la police, l’armée, la société, qui assiste, indifférente, au martyre de la vieille dame et, bien sûr, à tous ceux qui, en âge de travailler, préfèrent vivre au dépens d’autrui. Avec son humour noir habituel, il met en scène sa douce héroïne (qui sème les cadavres sur son passage) avec une candeur et une probité qui attirent la sympathie ! Et oui, le livre est amusant, on rit avec l’empoisonneuse et l’on se révolte contre les voyous qui attaquent ainsi une pauvre vieille dame sans défense ! (sans défense… ?)  Un livre réussi !


    Le cantique de l’apocalypse joyeuse

    Le roman Le cantique de l'apocalypse joyeuse commence bien et Arto Paasilinna, en bon anar, se fait un plaisir de nous raconter la fin du « grand brûleur d’églises » Asser Toropâinen, vieux coco entrant dans sa quatre-vingt dixième année.  Sur son lit de mort, ce dernier demande à son petit-fils de devenir président d’une fondation qui aura pour but de construire une grande église en bois sur les terrains qu’il lui a légués. Conversion tardive ?  Peur de l'enfer ?  Désir d'expiation ? Non ! Le grand père a juste un sens particulier de l'humour !
    Le roman qui commence à notre époque deviendra ensuite une oeuvre de science-fiction décrivant la troisième guerre mondiale et la fin de notre civilisation. Plus de gouvernement, le chaos s’installe, des hordes de miséreux errent de pays en pays. Seule la communauté fondée autour de l’église en bois va réussir à survivre grâce à une gestion économique saine basée sur le travail dans la nature et sur le partage et la solidarité.
     J’ai moins aimé ce livre. S’il y a de bons moments assez savoureux, j’ai trouvé qu’il tournait un peu trop à l’utopie, à la démonstration écologique, c’est à dire au sérieux. On comprend assez vite ou l’auteur veut en venir et les longueurs finissent par lasser..

    jeudi 5 décembre 2019

    Pete Fromm : La vie en chantier




    Pete Fromm est un auteur que j’aime et cela date de ma première lecture d’Indiana Creek suivi de Avant la Nuit.

    Dans ce roman, La vie en chantier, Pete Fromm explore le thème du deuil et des sentiments paternels. En effet, quand Marnie meurt en accouchant, son mari Taz se retrouve seul avec un bébé, sa maison en chantier et son désespoir. Et ce n’est pas seulement la maison qu’ils avaient achetée ensemble, projet commun qui leur donnait bien des soucis, qui est en chantier mais toute sa vie ! Tout est chamboulé, sens dessus dessous.

    Pete Fromm analyse avec beaucoup de vérité et de justesse les sentiments du jeune homme anéanti par le chagrin et ses rapports avec cette petite inconnue, sa fille Midge, ce bébé qui a besoin de lui. Si assumer sa paternité est parfois difficile, elle l’est encore plus quand on éprouve, comme Taz, le manque d’une présence aimée et que toute sa vie semble détruite.

    Le roman est donc bien écrit, l’analyse du personnage principal sonne juste, ses relations avec Midge aussi, et pourtant, j’ai éprouvé une certaine déception…Peut-être parce qu’il n’est plus question de nature si ce n’est les quelques passages au cours desquelles les jeunes gens se baignent dans la rivière? Même s’il est légitime pour un auteur de vouloir se renouveler, j’avais envie de retrouver le nature writing propre à la collection Gallmeister. Mais, c’est aussi le côté "attendu" du roman que je n’ai pas aimé, introduit par le personnage de la jeune baby sitter, étudiante, qui va, avec un indéfectible dévouement, s’occuper du bébé et du père et tomber amoureuse des deux. Quelle patience ! Presque trop… non, trop ! Dès le début on sait ce qui va se passer. Ce n’est qu’une question de temps ! Et cela m’a gênée. J’ai trouvé le personnage trop prévisible et, du coup, peu crédible car finalement on sait peu de choses sur elle, sur ce qu’elle éprouve. On sent qu'elle n'intéresse pas l'auteur. De ce fait, elle m’apparaît juste comme un personnage utile pour amener le dénouement ! Et c’est un peu vrai aussi de Rudy, l’ami presque trop parfait !

    Dommage ! Le roman a des qualités et Pete Fromm est un bon écrivain mais je n’ai pas adhéré à ce récit.