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dimanche 15 décembre 2019

La citation du dimanche : Camus et le mythe de Sisyphe

Vedran Stimak, artiste croate  : Portrait de Camus, le mythe de Sisyphe (voir ici )
En analysant le mythe de Sisyphe, Albert Camus, l'un des maîtres de l'absurde,  écrit :

Tout au bout de ce long effort mesuré par l'espace sans ciel et le temps sans profondeur, le but est atteint. Sisyphe regarde alors la pierre dévaler en quelques instants vers ce monde inférieur d'où il faudra la remonter vers les sommets. Il redescend dans la plaine.
C'est pendant ce retour, cette pause, que Sisyphe m'intéresse. Un visage qui peine si près des pierres est déjà pierre lui-même. Je vois cet homme redescendre d'un pas lourd mais égal vers le tourment dont il ne connaîtra pas la fin. Cette heure qui est comme une respiration et qui revient aussi sûrement que son malheur, cette heure est celle de la conscience. A chacun de ces instants, où il quitte les sommets et s'enfonce peu à peu vers les tanières des dieux, il est supérieur à son destin. Il est plus fort que son rocher.
Si ce mythe est tragique, c'est que son héros est conscient. Où serait en effet sa peine, si à chaque pas l'espoir de réussir le soutenait ? L'ouvrier d'aujourd'hui travaille, tous les jours de sa vie, aux mêmes tâches et ce destin n'est pas moins absurde. Mais il n'est tragique qu'aux rares moments où il devient conscient. Sisyphe, prolétaire des dieux, impuissant et révolté, connaît toute l'étendue de sa misérable condition : c'est à elle qu'il pense pendant sa descente.
La clairvoyance qui devait faire son tourment consomme du même coup sa victoire. Il n'est pas de destin qui ne se surmonte par le mépris. (...)
" Je juge que tout est bien ", dit Œdipe, et cette parole est sacrée. Elle retentit dans l'univers farouche et limité de l'homme. Elle enseigne que tout n'est pas, n'a pas été épuisé. Elle chasse de ce monde un dieu qui y était entré avec l'insatisfaction et le goût des douleurs inutiles.
Elle fait du destin une affaire d'homme, qui doit être réglée entre les hommes.(...)
Je laisse Sisyphe au bas de la montagne ! On retrouve toujours son fardeau. Mais Sisyphe enseigne la fidélité supérieure qui nie les dieux et soulève les rochers. Lui aussi juge que tout est bien. Cet univers désormais sans maître ne lui paraît ni stérile ni fertile. Chacun des grains de cette pierre, chaque éclat minéral de cette montagne pleine de nuit, à lui seul, forme un monde.
La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d'homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux.


Voilà ce qui me donnait du courage quand j'étais jeune et que je lisais Albert Camus avec passion. J'avais appris ce passage par coeur et quand tout allait mal, je le "lisais" dans ma tête. Savoir que l'être humain est maître de sa vie, rejeter l'idée qu'il est le jouet des dieux et faire de la constatation de sa propre faiblesse, une raison d'être fort et d'espérer, oui, c'était exaltant. C'est exaltant ! Bon dimanche !

 

 Le mythe de Sisyphe dans l'art

Le Titien :  Sisyphe
Vase attique : le mythe de Sisyphe
Vase attique  : Sisyphhe
William Balke Sisyphe
Frantz Von Stuz : Sisyphe
Gilles Candelier : sculpture Sisyphe
Maguy Banq
Hervé Delmare

Charles Nadraos

On peut en rire aussi


J'aime aussi le détournement du mythe, tel que le réalise le photographe Gilbert Garcin qui met en scène des petites scènes pleines d'humour.

Gilbert Garcin  : il faut imaginer Sisyphe heureux
Gilbert Garcin : L'atelier de Sisyphe

Gilbert Garcin : La déception de Sisyphe
Et puis aussi :


Le proscratinateur Sisyphe voir ici




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 Tu veux échanger ?


18 commentaires:

  1. j'ai plusieurs livres de camus dans ma PAL : il faudrait que je le lise. Je te dirai si je suis exaltée :-)

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    1. Lis-le! C'est un grand auteur ! Quant à être exaltée, je crois que c'était ma génération qui le vivait ainsi. La littérature de l'absurde, romans, essais, théâtre, nous nourrissait. Mais j'aimais Camus parce que sa philosophie était optimiste et donnait du courage. Un monde sans dieu où l'homme était libre de son destin. Et puis à l'époque on pensait changer le monde !

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  2. oh! merci! pour l'extrait et les illustrations!
    (fan de Camus depuis... toute ma vie de lectrice, dès que j'avais passé l'âge des Comtesse de Ségur - que je ne renie pas non plus, chaque chose en son temps ;-))

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  3. Pas mal, la sélection de dessins...
    Mon "top 3": "La déception de Sisyphe; "Sisyphe Rocher" (miam chocolat...); et la sculpture de Gilles Candelier, même si elle ferait plutôt penser à Atlas (?).

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  4. Sisyphe Rocher ! Oh! le petit gourmand !
    Candelier ? C'est vrai ce pourrait être Atlas !
    Dans les dessins pour en rire, mon préféré, c'est le pauvre Prométhée et sa requête pleine d'espoir : "tu veux échanger" ? Entre deux maux,il faut choisir le moindre.

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  5. Emballée moi aussi, depuis toujours par Camus qui croit en nous, en notre pouvoir et solidarité!
    Merci pour ce billet, pour ces illustrations aussi. Un grand regret: il n'y a aucune Sisypha (comment le mettre au féminin?)
    Bonne semaine!

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    1. Comme toi, cette philosophie donnait de l'espoir !
      Mettre au féminin Sisyphe ? Hommes ou femmes, nous sommes tous des Sisyphes !

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  6. Là, tu nous fais nous re-questionner...
    Comme tu dis si bien, nous refaisions le monde des nuits entières. Cette habitude revient il me semble en ces temps difficiles.

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    1. Peut-être mais il n'y a plus de Camus ! Et l'heure me semble être au pessimisme.

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  7. Les dieux de l'Olympe n'étaient guère bienveillants et avaient l'esprit de caste. Jouisseurs, égoïstes, sans guère de moralité ! Pauvre Ptolémée condamné pour avoir voulu aider les hommes. En effet, sa peine était plus dure que celle de Sisyphe, car au fond la tâche de ce dernier peut être sublimée. Que font d'autres les body builders que de soulever de la fonte ? Sisyphe aux enfers était tout de même encore vivant...

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    1. Quels dieux, en effet ! Mais dans toutes les religions, je crois (?) il y a un dieu qui punit, qui envoie en enfer, supplicie !

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  8. Le petit bousier parfois se tue à rouler sa bouse (cf le film "microcosmos") mais l'instinct de reproduction le pousse...
    L'instinct de vie qui nous motive pour sans arrêt effectuer les tâches routinières sans cesse renouvelées.
    Ce n'est pas tant Sisyphe qui me motive mais l'idée que peu à peu on avance et qu'on abat de rudes travaux. Comme l'a dit Lao-Tseu dans le Tao Te King : "Un voyage de mille lieues commence par un premier pas"... Lorsque je commence et exécute un pull maille à maille... Lorsque je suis arrivée chez ma tante atteinte du syndrome de Diogène après son décès pour libérer son appartement de 4 pièces, ses deux chambres de bonne et sa cave... J'arrive toujours au bout et en ce cas ce n'est pas à recommencer.

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    1. Ce n'est pas être Sisyphe, effectivement qui motive, mais c'est le fait d'en être conscient. Camus appellera à la révolte !

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  9. Claudialucia, nous étions au Maroc mon mari coopérant militaire puis civil et moi avec un contrat local chez un architecte. Ce furent deux belles années.... Nous avions un couple d'amis qui habitaient Ouarzazate, nous leur avons fait visite, leurs conditions de vie étaient plus spartiates que les notres.

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    1. Mon mari était aussi coopérant militaire puis civil. Nous enseignions tous les deux au lycée Prince héritier Sidi Mohamed, devenu roi depuis. C'était dans les années 72 à 74. C'était plus spartiate, en effet, mais la beauté de ce paysage extraordinaire, aux pieds de l'Atlas, en bordure du désert et les contacts amicaux avec nos collègues marocains compensaient largement.

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  10. Merci pour les illustrations du mythe, celle de Vedran Stimak d'abord. Pour l'humour, le dessin du prof en Sisyphe m'a fait sourire - comment ne pas s'y reconnaître ?

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    1. Oui, le portait de Camus est vraiment très beau ! Quant au prof, tu as raison, combien de fois nous l'avons poussé ce rocher, combien de fois est-il retombé !

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