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vendredi 1 janvier 2021

Bonne année 2021 à tous !


Ces petits bonhommes de neige nés d'un voyage norvégien en mai 2017, sous les mains de ma petite-fille, vous souhaitent une bonne année 2021 en espérant qu'elle nous apporte la fin de la pandémie, la paix et le bonheur pour tous !  

Quand je pense à ce qui m'a le plus manqué pendant cette année 2020 de confinement et de sinistrose, ce sont les voyages ! Et les voyages, les plus beaux de ces dernières années, ont été ceux accomplis avec ma petite-fille ! A la joie de la découverte d'un pays s'ajoute le bonheur du partage, l'impression d'être pourvoyeur de merveilles et le sentiment avéré de vivre des moments inoubliables...

Ainsi, ce premier Janvier 2021, je suis en train de revivre Venise au temps du carnaval Mois de février 2017. Quelques images... 

Et chaque jour une promenade en bateau pour découvrir la ville et les îles






 


 




Et chaque jour le carnaval






Venise scènes de carnaval








Elles ont du succès auprès de ces messieurs !


Café place Saint Marc

 



Et chaque jour... un masque



  
Venise : vitrine masques en carton






Et dans les musées









 et chaque jour la petite gourmande



mercredi 30 décembre 2020

Jack London : L'aventureuse

 

Après quelques mois de lectures assidues et nombreuses, le challenge Jack London est en train de battre de l'aile, certaines lectures ayant lassé les plus fidèles lectrices. Je dois dire, pour mon cas personnel, que me suis réjouie de découvrir certains aspects d’un Jack London que je ne connaissais pas, une grande diversité dans les genres du récit, dans les thèmes, les pays explorés… mais j’ai été indignée par certaines idées propres à la majorité de ses écrits : le racisme et l’affirmation toujours réitérée de la prétendue supériorité de la « race » anglo-saxonne. Il y a de quoi en être découragé(e) même si Jack London est souvent plein de contradictions :  raciste et pourtant, certains de ses personnages récurrents, courageux, fidèles en amitié, sages, sont des amérindiens tels Malemute Kid dans le grand Nord ou dans les mers du sud, le canaque Otoo, homme bon et doux. Socialiste défendant les misérables, il admire  l’homme fort, qui, selon Darwin, triomphera de la sélection naturelle. Un curieux mélange.
Pourtant, Jack London est féministe - avant la lettre - et dans L’aventureuse, il pousse très loin sa conception de la femme libre, indépendante, et se montre ainsi très en avance sur la société.


L’action se passe dans les îles Salomon. David Sheldon est un colon anglais qui gère une plantation en train de devenir fructueuse grâce à ses soins mais il tombe gravement malade. Or, ses employés, des autochtones qui sont traités comme des esclaves, sont sur le point de se révolter. Arrive dans l’île une jeune femme, américaine, belle, fière, intelligente, accompagnée de Tahitiens qui sont sous ses ordres. Joan Lackland, élevée par un père progressiste, sait se servir du lasso et du colt, gréer un navire, diriger un schooner dans les mers du sud, jouer du piano, parler art et littérature, Elle soigne et guérit Sheldon, mate l’insubordination des indigènes. Mais lorsqu’elle décide d’être propriétaire de sa propre plantation, elle se heurte aux principes des hommes de sa classe, David Sheldon en tête, qui estiment qu’une femme ne peut réussir toute seule et que vivre sans être mariée serait une inconvenance.
Avant les gens me cornaient aux oreilles que le mariage était le seul but d’une femme dans la vie : adieu le romanesque ! Mais la ruine de mon père m’a plongée dans l’aventure
Il faudra à Joan beaucoup de caractère pour défendre son indépendance, refuser le mariage, montrer ce dont elle est capable et obtenir le respect. Et il faudra à David Sheldon beaucoup d’aventures, de dangers à surmonter, d’admiration et d’amour envers la jeune fille pour évoluer et être moins conventionnel, moins conservateur et étroit d’esprit en ce qui concerne la femme.
L’aventureuse serait une merveilleux roman d’aventures s’il n’était pas basé sur un racisme affirmé.
Sur cette plate-forme gisaient côte à côte, pressés les uns contre les autres, une vingtaine de noirs. Il était facile de constater, au premier coup d’oeil, qu’ils se situaient au bas de l’échelle humaine. Leurs figures étaient bestiales, asymétriques, leurs corps laids et simiesques.

Il est vrai que les peuples des îles Salomon étaient, pour certains, cannibales, donc ils faisaient peur. Ils étaient tous très hostiles aux blancs qui leur prenaient leur terre, et les faisaient travailler dans des conditions dignes de l’esclavage. Et cela, c’est légitime, on les comprend ! Que London, socialiste, ne le comprenne pas, voilà qui est surprenant et décevant ! Mais c’est là qu’interviennent ses contradictions : le peuple anglo-saxon est supérieur donc il doit conquérir le monde Et la volonté du blanc pénétra la basse intelligence de l’indigène avec un force impétueuse…
et les noirs sont des êtres inférieurs que l’on doit « bien traiter » mais faire obéir ! 

Voilà qui vous gâche tout le plaisir de lire !

Je ferai bientôt le quatrième bilan (et peut-être dernier) du challenge Jack London, encore que j'aurai peut-être envie de lire le Snark avant de m'arrêter et qui sait ? de relire les livres qui ont marqué mon enfance : Croc Blanc et l'Appel de la forêt.  Je verrai et vous ?
 


 

mardi 29 décembre 2020

Olivier Norek : Entre deux mondes

Entre deux mondes est mon roman préféré d’Olivier Norek. Il a une force qui vous retient prisonnier, captivé, et ceci d’autant plus qu’il s’agit d’une réalité, la jungle de Calais avec l’horreur de des conditions de vie, de l'exil,  de la solitude, de la violence et de la mort, femmes assassinées, enfants seuls, abandonnés, violés … Une jungle où triomphe le plus fort, où s’organisent des bandes de malfaiteurs, racketteurs, tueurs, qui tiennent le haut du pavé et font la loi; un lieu sordide où le crime demeure impuni, où le métier du policier devient un combat de Sysiphe : empêcher la fuite vers l’Angleterre une nuit et recommencer sans cesse; un no man’s land où la justice et les lois françaises sont lettres mortes …

Libération Ici

Olivier Norek qui a été capitaine de la police judiciaire dans le 93, sait de quoi il parle mais c’est aussi un écrivain, un vrai, dont le style puissant, évocateur, nous transporte dans cette jungle, nous fait vivre par l’intérieur ce qui s’y passe, nous fait éprouver les émotions, les espoirs, les révoltes, l’état de déréliction dans lesquels sont plongés ces hommes et femmes perdus dans l’exil. Ce que j’apprécie, c’est que l’écrivain sait éviter le manichéisme. Non, il n’y pas les bons émigrés d’un côté et les méchants français, les cruels policiers racistes de l’autre. Le Bien et le Mal sont également distribués, couche après couche, dans la société française ou étrangère.
D’autre part, Olivier Norek n’écrit pas, malgré la parfaite connaissance du sujet et la précision des détails, un documentaire. Entre deux mondes est un vrai roman et l’on s’intéresse aux personnages, on s’attache à eux, on tremble pour leur vie comme dans le meilleur roman d’aventures. Il y a Nora qui part de Damas, via Beyrouth et Tripoli, avec sa fille Maya, 6 ans, pour rejoindre la France sur un zodiac, à la merci, toutes deux, de passeurs sans scrupules, puis la quête d’Adam, policier syrien mais membre d’une organisation rebelle, le mari de Nora, qui fuit le régime de Bassar El Assad et part à la recherche de sa femme et de son enfant dans cet « entre deux mondes » qu’est la jungle de Calais. Enfin Bastien et sa fille Jade qui se traitent mutuellement, de « sale flic » et de « sale gosse », mais ont une grande complicité et enfin, Manon, dépressive, épouse de Bastien. La nomination du « flic » à Calais n’est pas pour leur faire voir la vie en rose !
On s’intéresse aussi aux personnages secondaires, aux humanitaires, aux collègues de Bastien, enfin au gamin perdu dans la jungle qui s’attache aux pas d’Adam. Norek porte un regard plein de tendresse sur ses personnages, il nous les fait comprendre et aimer. Il nous dépeint aussi leur évolution face à ce qu’ils vont vivre et comment cette expérience va les transformer…
Entre deux Mondes est donc un livre plein d’humanité dans lequel l’espoir et le désespoir cohabitent mais où finalement un rayon de soleil parvient à percer la noirceur du monde.

samedi 26 décembre 2020

Honoré de Balzac : La vieille fille

Ecrit en 1836, édité en 1837, l’action de La Vieille Fille commence en 1816. Ce court roman s’insère dans Etudes de meurs, Scènes de la vie de Province, avant d’être réuni dans un même ensemble avec Le cabinet des Antiques.

Nous sommes à Alençon, en 1816, à l’époque de la seconde Restauration, Louis XVIII est au pouvoir. il a accordé une constitution dès la première restauration en 1814, ce qui mécontente les Ultra royalistes.
 En Province s’opposent deux hommes, vieillards sensiblement du même âge (57/58ans) qui présentent deux classes sociales, deux époques, deux partis politiques, deux personnalités totalement  opposés !

Le chevalier de Valois

 Le chevalier de Valois incarne la noblesse traditionnelle d’avant la révolution. Raffiné, il est toujours en phase avec le XVIII siècle, jusque dans sa manière de parler, de se vêtir, de penser. Intelligent, il a beaucoup de finesse pour comprendre la psychologie de ceux qu’il fréquente, nobles, bourgeois ou grisettes. Il plaît à tous, est charmant, spirituel, avenant. Complètement désargenté, il cache sa misère et se fait inviter dans le meilleur monde, jouant le rôle de pique-assiette. Libertin, il cache bien son jeu en paraissant avoir une vie sage et mesurée. Bien qu'il soit rusé, retors et habile à manipuler les gens, il est cependant moins pragmatique que son rival du Bousquier.

Du Bousquier

Du Bousquier est le représentant de la classe bourgeoise. Hommes d’affaires sous le Directoire, il s’est ruiné avec l’Empire et se réfugie en province pour faire fortune. Vulgaire, sans élégance, brutal, incapable de sentiments distingués, odieux, il représente les idées révolutionnaires et épouse le parti libéral qu’exècre Balzac. Mais en bon hypocrite, il ne lutte pas pour des idéaux mais pour lui-même, la seule personne qui l’intéresse. Il se révèle d’ailleurs un homme de progrès, très compétent, capable de transformer l’économie d’une ville, d’y apporter la modernité, ce que lui reproche Balzac.

Ces deux personnages opposés ne sont épargnés, ni l’un, ni l’autre par Balzac qui exerce son talent caricatural sur eux et les malmène avec brio ! Cependant, on voit très bien de quel côté penche l’écrivain qui, parfois, prend la parole directement et rédige une diatribe contre la royauté constitutionnelle, tout en se  plaçant du côté des ultras royalistes. 

Ainsi  du Bousquier représente : « …. cette fatale opinion qui, sans être vraiment libérale, ni résolument royaliste, enfanta les 221* au jour ou la lutte se précisa entre le plus auguste, le plus grand, le seul vrai pouvoir, la Royauté, et le plus faux, le plus changeant, le plus oppresseur pouvoir, le pouvoir dit parlementaire qu’exercent des assemblées électives. »

Une amie blogueuse m’a demandé en quoi Balzac était un réactionnaire. Il faut lire ce livre pour le comprendre ! 
"Aucun homme, en France, (du Bousquier) ne jeta sur le nouveau trône élevé en août 1830 un regard plus enivré de joyeuse vengeance. Pour lui, l’avènement de la branche cadette était le triomphe de la Révolution. Pour lui, le triomphe du drapeau tricolore était la résurrection de la Montagne, qui, cette fois, allait abattre les gentilshommes par des procédés plus sûrs que celui de la guillotine, en ce que son action serait moins violente. La Pairie sans hérédité, la Garde nationale qui met sur le même lit de camp l’épicier du coin et le marquis, l’abolition des majorats réclamée par un bourgeois-avocat, l’Eglise catholique privée de sa suprématie, toutes les inventions législatives d’août 1830 furent pour du Bousquier la plus savante application des principes de 1793." 

 
C’est pourquoi, malgré la caricature, malgré ses défauts, le noble chevalier du Valois est supérieur en tout à l’horrible Bousquier!

Non contents d’être ennemis en politique, Bousquier et du Valois vont aussi se retrouver rivaux dans leurs ambitions matrimoniales. Tous deux briguent la main de la Vieille fille, Rose-Marie-Victoire Cormon, non pour ses beaux yeux mais pour sa fortune.

A côté d’eux un jeune homme Anathase de Granson, naïf, amoureux sincère de cette femme, même s’il ne dédaigne pas la fortune, est malheureusement éconduit. Un autre personnage a aussi son importance, c'est la grisette, Suzanne.

Rose Marie Victoire Cormon

Rose-Marie-Victoire Cormon est une riche héritière qui vit dans la plus belle demeure d’Alençon avec son oncle, le grand-vicaire, Cormon. Elle représente la tradition royaliste solidement ancrée dans le terreau de l’Eglise catholique. Bourgeoise, étroite d’esprit, bigote, prude, elle est aussi inintelligente et ignore tout de la sexualité, ce qui l’entraîne à dire des inepties qui font la joie de son entourage. Elle est toujours « vieille fille » à force de refuser des partis tant sa méfiance est grande envers les adorateurs de sa fortune. Mais à la quarantaine, la question du mariage l’agite tant qu’elle devient une obsession. Toute la ville se moque d’elle. La caricature de son physique, de son ignorance, de ses ridicules est d’une grande cruauté. Mais l’on sait le mépris de Balzac pour les femmes célibataires qui se sont montrés trop difficiles pour trouver un mari; Il leur reproche de ne pas avoir rempli leurs obligations d’épouse, servir leur mari, et surtout leur devoir de mère, servir la société! La seule qualité que  reconnaît Balzac à Mademoiselle Cormon, c'est de vouloir des enfants! Mais il la punira, à la fin du roman, par là où elle a pêché, le refus du mariage ! Pas de pitié pour ces êtres inutiles !
Par contre et étonnamment, Balzac est assez anti-clérical et se montre ironique envers la dévotion portée à l’extrême, autrement dit la bigoterie, ce que j'avais noté dans Le Lys de la vallée. Dans ce roman, l’écrivain condamne le directeur de conscience de madame de Mortsauf qui en lui prêchant la vertu, l’a empêchée de vivre comme il critique cette dernière de ne pas avoir su choisir l’amour. Dans la Vieille fille, il est assez virulent et cela,  à plusieurs reprises :
« La dévotion cause une ophtalmie morale. En un mot les dévotes sont stupides sur beaucoup de points. (…) quoique le voltairien monsieur de Valois prétendît qu’il est extrêmement difficile de décider si ce sont les personnes stupides qui deviennent dévotes, ou si la dévotion a pour effet de rendre stupides les filles d’esprit. »

La vieille fille est donc bien un roman de moeurs où apparaît la vie étriquée, monotone, trop bien réglée de la Province, où sont dépeintes les différentes couches de la société, du peuple aux plus hautes classes. C’est aussi un roman politique qui décrit l’agitation de cette première partie du XIX siècle, de 1816 à 1830, et son histoire mouvementée. De plus, dans ce roman, Balzac porte l’art du portrait caricatural à un haut niveau.

221*  En mars 1830, le roi  menace les députés  qui s'opposent au gouvernement réactionnaire qu'il met en place avec à sa tête Polignac; 221 d'entre eux lui présente une adresse rappelant au gouvernement les droits de la Chambre. Le roi s'empresse de la dissoudre. Le 27 juillet 1830, il dissout une assemblée nouvellement élue malgré sa volonté. Il rédige les ordonnances de Saint Cloud qui rétablissent la censure, interdisent la  liberté de la presse, modifient le cens pour éliminer la bourgeoisie. Le 27, 28, 29 ont lieu les Trois Glorieuses, révolution qui chasse Charles X du trône; Il abdique le 3 août 1830. Le duc d'Orléans monte sur le trône.

 

 J'ai trouvé un site qui explique dans quels romans de La Comédie Humaine l'on retrouve les personnages de La vieille fille ICI.

Du Bousquier : 57 ans en 1816, est le rival heureux de Valois. Il monte des entreprises sous la Révolution et mène grande vie jusqu'au Directoire, dont l'une en association avec un Minoret (Entre savants). Ruiné en 1800 (La Bourse) il se retire à Alençon, sa ville natale, où il devient le chef du parti libéral. Son mariage avec Mlle Cormon en fait, vers 1838, le maître d'Alençon (Béatrix).
–  Rose-Marie-Victoire Cormon : elle atteint la quarantaine en 1816. Vieille fille à son corps défendant, l'ironie du romancier la fait Présidente de la Société de Maternité. Son mariage, comme on sait, la laisse « fille », et vouée aux « nénuphars », selon le mot de Suzanne, qu'elle soit l'épouse de du Bousquier ou de son alter ego du Croisier (Le Cabinet des Antiques).
Suzanne : …. et ses vieillards, « personne assez hardie » pour disparaître d'Alençon « après y avoir introduit un violent élément d'intérêt » . Une beauté normande, grisette en province, lorette à Paris. Elle y fait carrière sous le nom de Mme du Valnoble, emprunté à la rue Val-Noble, où demeure Mlle Cormon (Illusions perdues, Un début dans la vie, Une fille d'Ève). Elle rêve, adolescente, au destin de Marie de Verneuil (Les Chouans). C'est elle qui procure à Esther les fatales perles noires (Splendeurs et misères des courtisanes). On apprend dans Béatrix son mariage, en 1838, avec le journaliste Théodore Gaillard. La tournée parisienne des Comédiens sans le savoir commence chez elle.
Chevalier de Valois : à Alençon. Il a 58 ans en 1816. En 1799, il était, dans l'Orne, le correspondant des Chouans (Les Chouans), et réapparaît à ce titre dans L'Envers de l'histoire contemporaine. « Adonis en retraite » il échoue in extremis auprès de Rose Cormon, et deviendra l'un des habitués du Cabinet des Antiques ; c'est dans ce roman qu'il mourra, en 1830, après avoir accompagné Charles X à Cherbourg, sur le chemin de  l'exil.
 


LC initiée par Maggie Ici avec : Rachel ICI
 

vendredi 25 décembre 2020

Joyeux Noël 2020

Cyanotype d'Aurélia Frey

 Je vous souhaite de bonnes fêtes de Noël ! Et pour le plaisir des yeux et de l'esprit, fleurs et poésie !

 Rien qui m'appartienne
Sinon la paix du coeur
Et la fraîcheur de l'air.


Haïku de Kobayashi Issa(1763-1827) 

 

Cyanotype d'Aurélia Frey

 Quand souffle le vent du nord -
Les feuilles mortes
Fraternisent au sud.

Haïku de Yosa Buson

                                                                                               (1716 - 1783)

Cyanotype d'Aurélia Frey

Sans savoir pourquoi
J'aime ce monde
Où nous venons pour mourir.

Haïku
Natsume Sôseki
1867-1907

Cyanotype d'Aurélia Frey

Feuille morte au vent
de temps en temps
le chat la retient de sa patte

Haïku de Kobayashi Issa
(1763-1827)

samedi 19 décembre 2020

Olivier Norek : Impact

 

J’ai lu tous les romans policiers d’Olivier Norek et j’ai apprécié cet écrivain comme peintre de notre société dans ce qu’elle a de noir et de plus actuel, les cités du 93, la Jungle de Calais …  mais je commence à rendre compte de ces lectures par le dernier paru Impact. Son thème, l'écologie,  me paraît le plus urgent à découvrir !

Au début, j’ai cru qu’il s’agissait d’une dystopie tant le monde qui s’ouvrait devant moi était inimaginable : le delta du Niger, route des oléoducs, au sol imbibé de pétrole, empoisonné par les métaux lourds, la pollution qui gagne l’air, génère des maladies, provoque des pluies acides, s’attaque à tout,  la végétation, la faune et les êtres humains. Des dizaines de décès par semaine, des villages entiers qui se vident, des charniers de corps humains susceptibles de  provoquer des pandémies… Le pétrole prend quinze ans de leur vie à chaque individu
« Ils sont un million et demi, et comme, c’est la seconde génération qui subit cette pollution, ce sont en tout quarante-cinq millions d’années qui leur ont été volés.
L’image d’un vampire géant, insatiable, courbé au-dessus de ce point d’Afrique, aspirant d’un seul coup quarante-cinq millions d’années en une seule et même population alimenta l’écoeurement de Solal. »

Pirogues abandonnées, englouties dans la boue du pétrole

Et bien, non, ce n’est pas une dystopie, c’est ce qui se passe actuellement dans le monde. Voir Ici Voyage au coeur des marées noires en pays Ogoni. Le livre d'Olivier Norek est un immense cri d’alarme qui nous oblige à prendre conscience; certes, nous le savons, la planète est en danger, mais c’est une chose de le savoir, c’est une autre d’assister à la catastrophe de visu. Ce que ce roman nous oblige à faire.

Olivier Norek construit son roman sur des faits qui non seulement sont irréfutables mais sont chaque fois corroborés par des articles de journaux ou des études auxquels il nous renvoie à la fin du livre, preuve de la véracité et de l’actualité de ses dires. Nous y retrouvons aussi les déclarations des grands capitalistes responsables de cette mort programmée : le PDG de Total d’un cynisme écoeurant, les banques françaises qui réinvestissent massivement dans l’énergie fossile... Est dénoncée aussi la pusillanimité des politiques devant ceux qui détiennent réellement le pouvoir.
Mais n’allez pas croire que les capitalistes qui s’enrichissent au dépens de la survie de l’humanité ne sont pas conscients de ce qu’ils font :

Toutes les terres vierges sont en passe d’être achetées. Dans le Colorado, des centaines de tunnels souterrains accueillent des appartements à quatre millions de dollar l’unité. Au Kansas, les architectes ont érigé un immeuble de 15 étages dans un ancien silo à missiles. Les logements à trois millions l’unité sont partis en moins d’un mois. A Las Vegas pour dix-huit millions de dollars, vous pouvez vous offrir un bunker à huit mètres de profondeur avec piscine et forêt d’arbres. De même en Nouvelle-Zélande.
Le New York Times titre : le survivalisme, un business florissant pour les ultra-riches.


C’est pourquoi le personnage principal du roman, Virgil Solal, qui n’a plus rien à perdre à la mort de son bébé victime de la pollution, va imaginer un plan machiavélique pour attirer attention de la population sur les responsables de la  destruction de la planète ou plutôt - comme il est dit -  de la disparition de la race humaine, car notre bonne vieille planète continuera à rouler dans l’espace sans nous. C’est là qu’interviennent le capitaine Nathan Modis et Diane Meyer, psychologue et  profileuse, qui cherchent à empêcher Solal d'exercer sa vengeance médiatisée sur les coupables et de commettre des meurtres en direct. Il s’agit, bien sûr, d’un roman policier où le lecteur comme les policiers sont amenés à considérer Solal comme un assassin un peu particulier, dont on comprend les revendications sans toutefois être d'accord avec les méthodes.

Inutile de vous dire que c’est l’aspect écologiste qui m’a le plus intéressée, plus que l’histoire policière. Bien sûr, on peut trouver ce roman démonstratif. Il l’est et ne s’en cache pas ! Néanmoins, il est assez fort pour nous ouvrir les yeux et nous faire prendre conscience  du système dans lequel nous vivons et de l’immoralité totale des capitalistes qui dominent le monde.  

 "Nous survivons dans un monde de financiers où les 1% les plus riches détiennent deux fois plus que le reste de l'humanité."  Et ils décuplent leur fortune au détriment de la planète.

Si Total et les autres investissent  timidement dans les énergies renouvelables, c'est pour se tenir prêts quand il n'y aura plus de pétrole à exploiter. En attendant, ils veulent utiliser les énergies fossiles jusqu'à la fin tant qu'elles leur rapporteront de l'argent.

 Dans trente ans, entre la pollution, le manque d'eau potable, les famines et la montée des eaux, cinq milliards d'êtres humains seront en péril, et nous sommes huit milliards.


mardi 15 décembre 2020

Jane Austen et Honoré de Balzac : Orgueil et préjugé et La femme abandonnée

Portrait (controversé) de Jane Austen à l'âge de douze ans
 

A quelques années de distance en France et en Angleterre, Jane Austen et Honoré de Balzac présentent leur vision de la société provinciale. Balzac décrit la petite noblesse normande, ancré dans une ville, Bayeux, une noblesse imbue de ses privilèges, convaincue de sa supériorité mais bien éloignée de la brillante noblesse parisienne. Austen est le peintre de la "gentry" anglaise rurale, dont la rente reste attachée à ses propriétés terriennes. La France de Balzac est très ancré dans ce début du XIX avec la restauration de la monarchie alors que Jane Austen  tout en présentant les mutations de la société liées à son époque est encore tournée vers le XVIII siècle. L'histoire respective de leur pays, les écarts entre les époques, les modes de vie, les séparent. Pourtant les deux textes ont de grandes ressemblances quant aux moeurs de la société. En voilà deux extraits, l’un de La femme abandonnée de Balzac paru en 1832, l’autre de Orgueil et préjugés de Jane Austen paru en 1813 mais écrit en 1796.


 Balzac la femme abandonnée 1832

Le baron Gaston de Nueil, parisien, est obligé de s’exiler en Province, en Normandie, pour des raisons de santé.
Quand Gaston de Nueil apparut dans ce petit monde, où l’étiquette était parfaitement observée, où chaque chose de la vie s’harmonisait, où tout se trouvait mis à jour, où les valeurs nobiliaires et territoriales étaient cotées comme le sont les fonds de la Bourse à la dernière page des journaux, il avait été pesé d’avance dans les balances infaillibles de l’opinion bayeusaine. Déjà sa cousine madame de Sainte-Sevère avait dit le chiffre de sa fortune, celui de ses espérances, exhibé son arbre généalogique, vanté ses connaissances, sa politesse et sa modestie. Il reçut l’accueil auquel il devait strictement prétendre, fut accepté comme un bon gentilhomme, sans façon, parce qu’il n’avait que vingt trois ans; mais certaines jeunes personnes et quelques mères lui firent les yeux doux. Il possédait dix-huit mille livres de rente dans la vallée d’Auge, et son père devait tôt ou tard lui laisser le château de Manerville avec toutes ses dépendances. Quant à son instruction, sa valeur personnelle, à ses talents, il n‘en fut pas seulement question. Ses terres étaient bonnes et les fermages bien assurés; d’excellentes plantations y avaient été faites; les réparations et les impôts étaient à la charge des fermiers; les pommiers avaient trente-huit ans; enfin son père était en marché pour acheter deux cents arpents de bois contigus à son parc, qu’il voulait entourer de murs : aucune espérance ministérielle, aucune célébrité humaine ne pouvait lutter contre de tels avantages.

Orgueil et préjugé Jane Austen 1813

Les cinq filles de Mrs Bennett

C’est une vérité universellement reconnue qu’un célibataire pourvu d’une belle fortune doit avoir envie de se marier, et, si peu que l’on sache de son sentiment à cet égard, lorsqu’il arrive dans une nouvelle résidence, cette idée est si bien fixée dans l’esprit de ses voisins qu’ils le considèrent sur-le-champ comme la propriété légitime de l’une ou l’autre de leurs filles.
–Savez-vous, mon cher ami, dit un jour Mrs. Bennet à son mari, que Netherfield Park est enfin loué?
Mr. Bennet répondit qu’il l’ignorait.
–Eh bien, c’est chose faite. Je le tiens de Mrs. Long qui sort d’ici.
Mr. Bennet garda le silence.
–Vous n’avez donc pas envie de savoir qui s’y installe! s’écria sa femme impatientée.
–Vous brûlez de me le dire et je ne vois aucun inconvénient à l’apprendre.
Mrs. Bennet n’en demandait pas davantage.
–Eh bien, mon ami, à ce que dit Mrs. Long, le nouveau locataire de Netherfield serait un jeune homme très riche du nord de l’Angleterre. Il est venu lundi dernier en chaise de poste pour visiter la propriété et l’a trouvée tellement à son goût qu’il s’est immédiatement entendu avec Mr. Morris. Il doit s’y installer avant la Saint-Michel et plusieurs domestiques arrivent dès la fin de la semaine prochaine afin de mettre la maison en état.
–Comment s’appelle-t-il?
–Bingley.
–Marié ou célibataire?
–Oh! mon ami, célibataire! célibataire et très riche! Quatre ou cinq mille livres de rente! Quelle chance pour nos filles!
–Nos filles? En quoi cela les touche-t-il?
–Que vous êtes donc agaçant, mon ami! Je pense, vous le devinez bien, qu’il pourrait être un parti pour l’une d’elles.
–Est-ce dans cette intention qu’il vient s’installer ici?
–Dans cette intention! Quelle plaisanterie! Comment pouvez-vous parler ainsi?... Tout de même, il n’y aurait rien d’invraisemblable à ce qu’il s’éprenne de l’une d’elles. C’est pourquoi vous ferez bien d’aller lui rendre visite dès son arrivée.

Les similitudes entre les deux textes sont évidentes. Dans l’un comme dans l’autre, il est question d’un jeune homme riche qui s’installe en province. Il y est bien reçu mais avec une certaine indifférence par les hommes. Par contre et immédiatement, les mères et les jeunes filles sont très intéressées : « lui firent les yeux doux », et l’on s’aperçoit dans les deux cas que c’est sa richesse qui plaide en sa faveur. Personne ne connaît encore Bingley, personne ne se préoccupe de la valeur morale ou intellectuelle du baron de Nueil mais tous savent déjà le montant de ses rentes et le détail de ses propriétés. Dans La femme abandonnée, c’est la tante du jeune homme qui donne ces renseignements, dans Orgueil et préjugé, c’est une Mrs Long. Dans les deux, les commérages vont bon train et le but est le même :  le mariage de ces demoiselles avec un bon parti !

Oh! mon ami, célibataire! célibataire et très riche! Quatre ou cinq mille livres de rente! Quelle chance pour nos filles!

Certes, la sensibilité et le style de Jane Austen et Honoré de Balzac sont très éloignés l'un de l'autre mais ils sont tous les deux des observateurs perspicaces de leur société, des satiristes qui en relèvent les défauts et les faiblesses. Ils dénoncent dans les deux textes, l’avidité, le matérialisme, l’importance accordé à l’argent qui joue dans ces classes nobles ou bourgeoises un rôle prépondérant.

Balzac en tant que narrateur omniscient observe la société normande d'un point de vue extérieur. C'est en peintre et en moraliste qu'il dresse ce tableau. Dans cette nouvelle, il conserve un ton froid et détaché, presque scientifique, comme un ethnologue étudierait la vie humaine ou un entomologue celles des insectes. Il est loin, ici, de certaines descriptions qui, dans ses autres romans, lui ont valu le qualificatif de réalisme visionnaire.

Austen, en dédoublant le point de vue sous forme de dialogue entre le mari et son épouse nous donne une scène de comédie de moeurs dans laquelle s'exerce son ironie acérée, si efficace.  Après la célèbre introduction caractéristique de son style et de son esprit mordant : C’est une vérité universellement reconnue qu’un célibataire pourvu d’une belle fortune doit avoir envie de se marier ... Jane Austen introduit le dialogue entre Mr Bennet, esprit caustique et critique, qui feint l'indifférence et fait preuve d'une fausse naïveté : Nos filles ? En quoi cela les touche-t-il? Est-ce dans cette intention qu'il est venu ici ? et Mrs Bennet, trop sotte pour comprendre qu'il se moque d'elle, incarnant à elle seule l'étroitesse de sa classe sociale, la superficialité et le caractère intéressé. Que vous êtes donc agaçant, mon ami! Je pense, vous le devinez bien, qu’il pourrait être un parti pour l’une d’elles.

C’est aussi le statut de la femme qui y est montré. Le seul avenir des jeunes filles  est dans le mariage sinon elles restent à la charge de leur famille, parentes pauvres. Ce qui fut le cas de Jane. On connaît le mépris, voire la haine de Balzac, pour les vieilles filles ! D'autre part, si elles revendiquent leur choix et prennent un amant, elles sont mise au ban de la société comme la vicomtesse de Bauséant. D’où leur empressement à se marier et le souci constant des mères à qui incombe la chasse aux maris. Austen n’est pas romantique (même si c'est l'impression que cherchent à donner les adaptations hollywoodiennes de ses romans en affadissant ses propos ) et elle rejoint Balzac lorsqu’il faut montrer que, dans leur société, l’amour n’a aucune part dans le mariage et que seules les questions d’intérêt priment. Ainsi, dans La femme abandonnée, Gaston de Nueil est attiré par madame de Beauséant parce qu’elle a tout sacrifié à l’amour  : « Il n’avait point encore rencontré de femme dans ce monde froid où les calculs remplaçaient les sentiments, où la politesse n’était plus que des devoirs »

Dans les deux oeuvres on s'apercevra aussi que les héros de la nouvelle et du roman, tous les deux très jeunes, refusent cette vision mercantile du mariage. Gaston de Nueil est un romantique qui tombe amoureux d'une femme qu'il ne connaît pas encore parce que c'est une amoureuse, sincère, libre et indépendante bien que bafouée. Plus tard, il reniera ses sentiments de jeunesse pour obéir aux règles de la société mais sa mort prouvera qu'il avait tort.

Elizabeth Bennet a trop  d'orgueil et le sens de sa dignité pour tomber amoureuse d'un homme qui la méprise et pour vouloir l'épouser par intérêt. Comme Jane Austen, sa créatrice, elle préfère le célibat. C'est, pour elle, la raison qui prime sur les sentiments en véritable héroïne austenienne anti-romantique. Le dénouement du roman qui fait d'elle une femme amoureuse et comblée ne dément pas la vision lucide de Jane Austen sur la société, elle qui fait dire à Mrs Bennet : 

Mon enfant bien-aimée, s’écria-t-elle, je ne puis penser à autre chose. Dix mille livres de rentes, et plus encore très probablement. Cela vaut un titre.

Et finalement les deux textes se conclut de la même manière :

... aucune espérance ministérielle, aucune célébrité humaine ne pouvait lutter contre de tels avantages.


dimanche 13 décembre 2020

Montaigne : le dictionnaire amoureux

 

Devinez ce que mon mari va m’offrir pour Noël ? Du moins, je l’espère, et je laisse traîner des messages subliminaux, écrits ou oraux, un peu partout, sur « Le dictionnaire amoureux de Montaigne » dans le style : Dans La grande librairie, mercredi, il était question de
Je vous dirai si le message a été entendu … après les fêtes !

André Comte-Sponville, philosophe, est un amoureux inconditionnel de Montaigne et comme il le disait dans l’émission de François Busnuel sur France V :  « Lisez Montaigne en français contemporain, lisez-le dans la langue de la renaissance mais avec une orthographe moderne car le texte est vraiment complexe à lire en ancien français, mais lisez-le ! »  
Alors que les autres invités s’étonnaient que Montaigne soit peu étudié au lycée et que les jeunes le connaissent si peu, il expliquait que les professeurs de philo le considéraient comme un littéraire, donc ils laissaient ce soin aux professeurs de lettres qui, eux, le considéraient comme un philosophe et le renvoyaient  etc…
En réalité, il n’en est rien ! Ce ne sont pas les professeurs qui décident du programme mais le ministre au-dessus d’eux.
Or, pourquoi les lycéens de ma génération connaissaient tous - plus ou moins - mais connaissaient Montaigne ? Parce qu’à époque, on étudiait en extraits tous les grands écrivains de tous les siècles à partir du Moyen-âge jusqu’au XX siècle ! Seules les pièces de théâtre de Molière, Racine, Corneille étaient étudiées en oeuvres complètes de la 6 ème à la terminale !
Ah! on s’est assez moqué de nos incontournables manuels des Lagarde et Michard ! Pourtant cela donnait à tous les élèves de France la même culture, la même connaissance des écrivains français, libre ensuite aux plus curieux d’aller creuser au-delà et de lire les oeuvres complètes ! Et oui, certains allaient plus loin : quand on aime la lecture, ce n’est pas un pensum ! Mais comment le faire si l’on ignore même jusqu’au nom de l’écrivain !
Pour en revenir à André Comte-Sponville, il explique combien Montaigne est un philosophe remarquable car il a une ouverture et une liberté d’esprit hors du commun, il n’impose rien, ne prétend pas détenir la vérité, il cherche avec nous et ce qu’il cherche c’est comment vivre sa vie car celle-ci est difficile. Et il parvient à transmettre son amour de la vie. Un grand philosophe donc et un grand écrivain car il utilise une langue imagée, savoureuse, vivante, imaginative, absolument réjouissante.

Je m’arrêterai là, je n’ai pas encore lu le livre ! Mais je reviendrai vous en parler bientôt !

Il nous fait redécouvrir Montaigne, écrivain de génie, talentueux philosophe, humain d’exception que l’on aurait tant aimé connaître : « quel esprit plus libre, plus singulier, plus incarné ? Quelle écriture plus souple, plus inventive, plus savoureuse ? Quelle pensée plus ouverte, plus lucide, plus audacieuse ? Celui-là ne pense pas pour se rassurer, ni pour se donner raison. Ne vit pas pour faire une œuvre. Pour quoi ? Pour vivre, c’est plus difficile qu’il n’y paraît, et c’est pourquoi aussi il écrit et pense. Il ne croit guère à la philosophie, et n’en philosophe que mieux. Se méfie de "l’écrivaillerie" et lui échappe, à force d’authenticité, de spontanéité, de naturel. Ne prétend à aucune vérité, en tout cas à aucune certitude, et fait le livre le plus vrai du monde, le plus original et, par-là, le plus universel. Ne se fait guère d’illusions sur les humains, et n’en est que plus humaniste, Ni sur la sagesse, et n’en est que plus sage. Enfin il ne veut qu’essayer ses facultés (son titre, Essais, est à prendre au sens propre) et y réussit au-delà de toute attente. Qui dit mieux ? Et quel auteur, plus de quatre siècles après sa mort, qui demeure si vivant, si actuel, si nécessaire ? » (quatrième de couverture)
 



jeudi 10 décembre 2020

Hannelore Cayre : La daronne

 

Quel livre ! La daronne de Hannelore Cayre, est un policier hors norme !  Hors norme par le personnage, cette Patience Portefeux, fille d’un malfrat qui se retrouve dans la dèche pour élever ses deux filles à la mort de son mari. Hors norme par le style, cette langue acide, féroce, qui passe la société  française, la justice, les magistrats au vitriol et ceci avec un humour noir défiant toute concurrence.

Patience Hortefeux est interprète d’arabe pour le ministère de la justice et elle passe son temps à traduire les conversations des dealers ! Elle a besoin d’argent pour élever ses filles et d’encore plus encore pour maintenir sa mère dans un EPHAD qui est un gouffre budgétivore sans fond.
C’est donc sans beaucoup d’état d’âme qu’elle glisse du côté obscur de la force (et oui, j’ai des références cinématographiques grâce à mon petit-fils) et lorsque l’occasion se présente, elle récupère une grosse cargaison de shit et la cache dans sa cave! Mais il faut vendre la marchandise et la voilà devenue la daronne, pourvoyeuse pour les petits dealers des quartiers parisiens.

Immoral ce roman ? Ou plutôt amoral ? oui ! Bien sûr !  Mais pas plus que le ministère de la justice qui emploie Patience au noir, pas plus que ce juge qui condamne l'ouvrier arabe dont le travail n'est pas déclaré.
… j’étais payée au noir par le ministère qui m’employait et ne déclarait aucun impôt.
C’est d’ailleurs assez effrayant quand on y pense, que les traducteurs sur lesquels repose la sécurité nationale, ceux-là même qui traduisent en direct les complots fomentés par les islamistes de cave et de garage, soient des travailleurs clandestins sans sécu, ni retraite.

Et tout est ainsi au demeurant, dans ce pays où règne l’hypocrisie, tous ceux qui détiennent un pouvoir, ceux qui chassent les dealers, punissent les drogués, policiers, avocats, magistrats, mais dont les fils, sinon eux-mêmes, sont les premiers à se défoncer !
Tolérance zéro, réflexion zéro, voilà la politique en matière de stupéfiants pratiquée dans mon pays pourtant dirigé par des premiers de classe. Mais heureusement, on a le terroir… Etre cuit du matin au soir, ça au moins c’est autorisé. Tant pis pour les musulmans, ils n’ont qu’à picoler comme tout le monde s’ils ont envie de s’embellir de l’intérieur.

Hannelore Cayre se fait un plaisir de fustiger tout ce qui ne tourne pas rond et elle n’épargne rien, le racisme, la société de consommation qui fait de l’argent un but en soi, l’acharnement thérapeutique… Les scènes dans les maisons de retraite, les rapports avec sa mère démente, la souffrance de la vieillesse, la détresse prolongée de ces fins de vie, tout cela, sous l’humour noir et la causticité, laisse percer une profonde humanité.   

Un policier à découvrir absolument !