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mercredi 15 septembre 2010

Jean-Louis Fournier : Poète et paysan


Le nouveau livre  de Jean-Louis Fournier :  Poète et paysan est une petite gourmandise vite dégustée et appréciée, une bulle de savon dont on admire les couleurs irisées et qui éclate dans l'air.

Dans ce livre Jean Louis Fournier raconte un épisode de sa vie et de sa jeunesse. Etudiant à l'IDHEC,  l'institut des Hautes Etudes Cinématographiques (actuellement  FEMIS), bien décidé à suivre la trace de ses réalisateurs préférés, il tombe amoureux d'une étudiante, fille de paysan. Or cet agriculteur, propriétaire d'une ferme dans le Nord de la France, n'a que des filles et un fils unique allergique aux travaux des champs. Que ne fait-on pas par amour? Voilà notre jeune homme  fiancé et futur héritier de la ferme du papa, enterré à la campagne qu'en bon citadin il idéalise. Mais les travaux des champs, l'arrachage des betteraves, l'élevage des vaches, n'ont rien de facile ni d'idyllique! Le jeune homme se retrouve dans le fumier jusqu'au cou pendant que sa Belle restée à Paris prend le parti de l'oublier bien vite!

Jean-Louis Fournier, c'est un style, un humour aussi. Le livre est plaisant, agréable, drôle avec un brin de poésie et de nostalgie et beaucoup d'auto-dérision. On rit des mésaventures du poète paysan. Sa vision de la campagne ne manque pas d'originalité et d'invention. Le propos est parfois désabusé, voire un peu triste mais jamais grave. Rien avoir avec la force et la violence de Où on va papa?
Bref! pas le livre du siècle ni même un grand roman mais un bon moment de lecture que j'ai savouré.

vendredi 10 septembre 2010

Robin Hobb : Le Soldat chamane

J'aime les romans Fantasy et, je le précise tout de suite, j'estime qu'il ne s'agit pas d'un genre inférieur car, à travers la fiction, c'est bien évidemment une vision voire une critique de notre monde qui est présentée.

Le Soldat chamane de Robin Hobb se déroule dans un royaume fictif, La Gernie. Jamère Burvelle, le jeune héros, est  fils d'un "seigneur de la guerre" anobli par le roi. Son rang dans la famille - il est le deuxième fils- détermine sa carrière. Il sera militaire et servira le roi. Ce que Jamère, très conventionnel et sans imagination, ne remet aucunement en cause. Mais un jour il sera confié par son père à un chamane nomade qui l'introduira dans un autre univers.
Dans le roman, les Gerniens ont perdu une guerre et un territoire qui leur assurait des débouchés sur la mer. Le roi et son armée se sont lancés à la conquête des plaines intérieures, asservissant les peuples nomades à qui ils apportent "la civilisation", selon les termes du père de Jamère, détruisant leurs pouvoirs magiques. Oui, mais lorsqu'ils parviennent dans les hautes montagnes, domaine des Ocellions, peuple sylvestre dont les Dieux sont des arbres, ils se heurtent alors à un pouvoir magique qui les dépasse et les effraie. La supériorité des armes, la haute technologie des Gerniens viendront-ils à bout de la Magie et de l'intraitable détermination des Ocellions. La nature, les arbres millénaires de la forêt qui abritent l'âme de leurs ancêtres seront-ils définitivement détruits par les Gerniens? Et quel rôle Jamère est-il amené à jouer dans ce combat décisif ?
Vous l'avez compris, le thème principal est celui de la colonisation et de l'extermination d'une civilisation par une autre au nom d'intérêts économiques. Inutile de dire à quels peuples Robin Hobb, américaine, née en Californie, fait référence!
Un autre thème est celui de la dualité, de la double appartenance. Comment peut-on rester fidèle aux siens? Comment continuer à obéir aux codes de sa société, aux règles d'honneur inculquées depuis l'enfance quand on sait que son propre peuple a des torts et détruit une civilisation passionnante?
Thème aussi de la condition de la femme, soumise et effacée, qui ne peut jouer aucun rôle dans la société. C'est pourquoi la cousine de Jamère, ardente et révoltée, est un personnage auquel l'on s'attache.
De plus, on retrouve dans le roman l'idée du relativisme : ce qui est bien dans une civilisation, ne l'est pas dans l'autre. Les Gerniens traitent les autres peuples de "sauvages" parce qu'ils n'admettent pas d'autres critères que les leurs! On pense aux écrits de Montaigne ou de Pascal et à ceux du siècles des Lumières, Voltaire, Rousseau..
Le roman ne manque donc pas d'intérêt et la lecture en est agréable et distrayante. L'écrivain fait preuve d'une imagination débordante, à son habitude, et nous réserve de nombreuses surprises.
Pourtant je n'ai pas aimé Le soldat chamane autant que la précédente saga de Robin Hobb : L'assassin royal. Pourquoi?  A cause du personnage de Jamère qui n'a aucune consistance, qui ne remet jamais rien en question, qui ne pense pas par lui-même! Il accepte tout, l'autorité paternelle même injuste, la discipline militaire malgré le dysfonctionnement et l'inégalité sociale, le pouvoir du Roi même si cela conduit à  l'anéantissement d'un peuple.
Il faudra attendre la fin du troisième roman pour qu'il se rebelle contre son père et le cinquième pour qu'il tranche son dilemme entre les deux civilisations. Et encore s'il y parvient, c'est parce qu'il y est obligé par la magie qui est maître de son corps et de son âme. On ne peut donc dire, du moins jusqu'au volume 5 (je n'ai pas encore lu les autres) qu'il ait une vision intelligente et claire de la situation. Dès lors, c'est difficile de se passionner pour un personnage aussi falot et inconsistant même s'il est courageux et gentil!  Il me semble que si le choix de Jamère avait été volontaire et réfléchi, le propos de l'auteur en aurait été plus fort. Heureusement, les femmes ont plus de personnalité et sont plus intéressante mais, hélas! ce sont des personnages secondaires!
Ceci dit, j'ai bien l'intention de lire la suite car je VEUX savoir ce qui se passe!
Livres de poche  Fantasy éditions France Loisirs : Le soldat chamane
1     La Déchirure
2     Le Cavalier rêveur
3     Le Fils rejeté
4     La Magie de la peur
5     Le Choix du soldat
6     Le Rénégat
7     Danse de terreur
8     Racines

jeudi 9 septembre 2010

Samuel Johnson : Il ya une grande différence...

  

"Il y a une grande différence entre celui qui veut lire un livre et celui qui veut un livre à lire."

                                                 Samuel Johnson(écrivain anglais  1709-1784)
 
 
56270471_p.1283356242.gif la citation du jeudi imaginée par Chiffonnette.

mercredi 8 septembre 2010

Harold Cobert : L’entrevue de Saint-Cloud



Je suis l'homme du rétablissement de l'ordre et non du retour à l'ancien ordre.

C'est avec cette formule à l'emporte-pièces que Mirabeau, député du Tiers-Etat mais très attaché à la monarchie, aborde Marie-Antoinette dans l'Entrevue de Saint-Cloud. A partir d'un fait historique tenu secret mais avéré de nos jours, Harold Cobert, écrivain et historien -le sujet de sa thèse est Mirabeau, c'est dire s'il connaît bien le personnage et la période historique! - imagine ce qu'a été ce tête-à-tête entre le député et la reine. Le but de l'historien est très clair puisqu'il s'exprime par un sous-titre inscrit sur la première de couverture : La rencontre qui aurait pu changer le cours de l'Histoire et par les citations en exergue en particulier celle de Serge Lancel dans Hannibal :  La légende se nourrit des lacunes de l'Histoire.
Le 3 Juillet 1790, Mirabeau affronte donc le danger d'être tenu pour traître par l'Assemblée nationale en rencontrant dans les jardins de Saint-Cloud Marie-Antoinette, celle que le peuple appelle péjorativement l'Autrichienne et considère :
"comme une femme faible et sans coeur, une femme trop soucieuse d'elle-même et de sa personne pour entendre et comprendre les malheurs de son peuple".
C'est que l'enjeu est de taille! Mirabeau est persuadé que seule la reine est capable de remédier à  l'impéritie du roi en le convaincant de signer la déclaration des Droits de l'Homme, d'accepter la constitution non en la subissant mais en devançant les aspirations à la liberté du peuple. Il conseille à Marie-Antoinette de regagner l'amour de ce peuple en se portant à sa rencontre, en devenant non la reine de France mais la reine des Français.
Mais l'Histoire nous le dit, Marie Antoinette, n'a pas su entendre les conseils de Mirabeau. Trop attachée à ses privilèges, rigide dans sa conception de la monarchie absolue de droit divin, imbue du pouvoir et de la grandeur de sa caste, la reine est trop orgueilleuse et manque de souplesse pour accepter d'évoluer. Elle n'a pas le recul et la grandeur de vue nécessaires pour comprendre que l'ancien temps est définitivement terminé :
"..parce qu'on ne peut, affirme Mirabeau, reconstruire ce qui n'existe plus, parce qu'il est périlleux de défier un peuple qui recouvre sa liberté."
Ainsi Mirabeau est peint en visionnaire, en Cassandre qui prédit l'avenir sans jamais être écoutée :
Faites-vous un allié plutôt qu'un ennemi..Sinon il se dressera comme un seul homme, il fondra sur vous comme une nuée de sauterelles, dévastant tout sur son passage... Un  ouragan que rien ni personne ne pourra arrêter.
D'ailleurs, quand bien même Marie-Antoinette l'aurait compris, aurait-elle eu assez d'influence sur le roi pour changer le cours de l'histoire? C'est la question que je me pose en lisant ce récit. Louis XVI n'est pas seul, il représente des forces en action dans son Etat et dans les pays limitrophes, la noblesse, l'Eglise, non négligeables et dont il doit tenir compte. De même, à présent, un homme d'état ne saurait gouverner sans tenir compte des pouvoirs et contre-pouvoirs en place et sa marge de manoeuvre paraît parfois bien limitée. Par contre, là où Mirabeau a raison, c'est lorsqu'il souligne la force de l'opinion. On pense à la façon dont les hommes politiques actuels utilisent les médias.
C'est d'ailleurs ce que j'ai le plus apprécié dans L'entrevue de Saint Cloud, c'est que sans cesse, à partir du passé, nous sommes renvoyés dans le monde contemporain. L'Histoire joue ici pleinement son rôle, celui d'éclairer le présent par la leçon du passé. Ce qui prête parfois à sourire (amèrement) devant des aphorismes tellement d'actualité que l'on se demande s'ils sont moins reflet de la pensée de Mirabeau que celui de l'auteur :
Croyez-vous vraiment que les jacobins ministres seront des ministres jacobins? interroge Mirabeau en recommandant à la reine de placer ses adversaires au pouvoir. Et il poursuit :  Que valent les meilleures convictions contre l'argent, la gloire, le pouvoir?
Le court roman de Harold Cobert présente donc le dialogue des deux protagonistes entrecoupé par des retours en arrière qui nous permettent de revenir sur des évènements du passé. Le 15 Mai 1790 : le droit du roi à décider de la paix ou la guerre; Le 6 ou 7 Novembre 1789, la possibilité de choisir les ministres parmi les députés, scène où Mirabeau apparaît comme un grand homme politique. J'en vois peu (ou pas) qui, de nos jours, serait capable comme lui de sacrifier leur carrière à une idée. Le contraire me paraît plus vrai! Le 5 octobre 1789, les femmes envahissent le palais de Versailles, Marie-Antoinette manque de perdre la vie... Il est donc très facile à ceux qui, comme moi, n'ont pas revu leur cours d'histoire depuis de nombreuses années de suivre le récit.
Retour aussi sur des épisodes du passé des personnages qui nous permettent de mieux les cerner, de comprendre leur personnalité.
Ce qui me frappe le plus cependant dans ce roman c'est la force du dialogue, le brio des maximes qui résument la pensée de Mirabeau à qui Marie-Antoinette sert de faire-valoir. En fait, j'ai eu l'impression d'être devant une forme théâtrale plus que romanesque. Je n'ai pas été surprise d'apprendre en lisant une interview de l'écrivain qu'il voulait adapter son récit au théâtre. En fait, en tant qu'Avignonnaise, c'est une pièce que je m'attends à voir bientôt au festival!

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« Ce livre a été chroniqué dans le cadre de la  HYPERLINK "http://chroniquesdelarentreelitteraire.com/" rentrée littéraire 2010 en partenariat avec  HYPERLINK  "http://fr.ulike.net/" Ulike   »

dimanche 5 septembre 2010

Lucien Jacques, Credo


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James Ensor

CREDO
 
Je crois en l’homme, cette ordure.
Je crois en l’homme, ce fumier,
Ce sable mouvant, cette eau morte.
Je crois en l’homme, ce tordu,
Cette vessie de vanité,
Je crois en l’homme, cette pommade,
Ce grelot, cette plume au vent,
Ce boute-feu, ce fouille-merde.
Je crois en l’homme, ce lèche-sang.
Malgré tout ce qu’il a pu faire
De mortel et d’irréparable.
Je crois en lui.
Pour la sûreté de sa main,
Pour son goût de la liberté,
Pour le jeu de sa fantaisie.

Pour son vertige devant l’étoile.
Je crois en lui
Pour le sel de son amitié
Pour l’eau de ses yeux, pour son rire,
Pour son élan et ses faiblesses.

Je crois à tout jamais en lui
Pour une main qui s’est tendue.
Pour un regard qui s’est offert.
Et puis surtout et avant tout
Pour le simple accueil d’un berger.


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Léonard de Vinci

Les compagnons Troubadours  de  Celsmoon:
Edelwe, Mango, Abeille, Emmyne, Chrestomanci, Mariel, Laurence , Ankya, Herisson08, Anjelica , George, Uhbnji , Fleur, Esmeraldae, Armande, Satya, Zik, Lystig, Amos, Bookworm, Emma, Julien, Marie, Yueyin , Soie , Alex , Hambre , Katell , Mathilde, Schlabaya, Hilde, Saphoo, La plume et la page, Tinusia, Chrys, Roseau, MyrtilleD, Cagire, Caro[line], L’or des chambres, Violette, claudialucia, Séverine, Maggie, Sev, Azilis.

mercredi 1 septembre 2010

Prix Nobel 1904 : Frédéric Mistral

 
Frédéric Mistral : un roi parmi les poètes
Frédéric Mistral (1830-1914), prix Nobel de littérature en 1904 connut une gloire sans égale. Père du Félibrige, ce mouvement occitan qui avait décidé de remettre le provençal à l'honneur en codifiant la langue, en la dotant d'une grammaire, en la faisant vecteur d'une littérature digne de ce nom, il était alors unanimement reconnu non seulement en Provence mais en France et dans le monde entier. En 1909 une foule de près 20 000 personnes vient saluer la statue de Mistral érigée de son vivant devant le Museon Arlaten, musée du Vieux Arles. A Aix-en-Provence pour la fête de Sainte Estelle, les étudiants détellent sa voiture pour avoir l'honneur de la tirer eux-mêmes. Les hommages se multiplient. En 1913, le président de la République, Raymond Poincaré, se fait conduire à Maillane pour saluer le prince des poètes. La réputation du Félibre est internationale et atteint les Etats-Unis, le légendaire Buffalo Bill lui-même lui rend visite.
En Provence, de nos jours, il conserve une place privilégiée dans le coeur des provençaux cultivés et soucieux de conserver leur patrimoine mais ils sont une minorité. Le muséon Arlaten qu'il a fondé avec l'argent de son prix Nobel consacré à l'ethnographie provençale lui rend hommage, des lycées portent son nom, des statues ornent les places.

Qui lit encore Mistral?
Mais qui le lit en France hors du pays d'Oc? Comme c'est le cas de bien des prix Nobel, il est tombé dans l'oubli. Pourquoi? Il y a plusieurs réponses à cette question. Selon ses détracteurs, Mistral a préféré la langue provençale, ce qui est semble-t-il un obstacle infranchissable. C'est vrai que dans un pays centralisé où la littérature régionale même de langue française est considérée comme inférieure, cela joue en sa défaveur. Mais il s'agit d'un faux problème. Nous lisons bien des traductions quand il s'agit de livres étrangers. Pourquoi n'en ferait-on pas de même avec la langue provençale?
D'autres l'accusent d'être régionaliste donc passéiste. Il est vrai que le souci de Mistral de faire oeuvre d'ethnographe en décrivant la Provence, ses paysages, ses coutumes, ses métiers, en rendant compte des croyances, des contes, des chansons populaires, en utilisant le vocabulaire spécifique de cette région peut éloigner de lui certains lecteurs. Mais c'est faire fi de la valeur littéraire de l'oeuvre qui sous-tend cette description, valeur pourtant incontestable comme en témoignent les universités étrangères aux Etats-Unis, au Japon, en Norvège qui, encore de nos jours continuent à étudier le grand Félibre, ce qui est plutôt rare en France tant nos préventions sont grandes..
Un régionaliste et un poète de talent
Non, Mistral n'est pas seulement un ethnographe et s'il s'affirme comme régionaliste et même indépendantiste, il est avant tout un poète, un grand poète! Cependant ses écrits sont tellement riches, tellement foisonnants, qu'ils peuvent dérouter car ils sont à la croisée de diverses influences. Baignés dans la lumière de la civilisation méditerranéenne antique (Mistral était un humaniste, il a étudié et aimé les langues, la littérature, la mythologie de la Grèce et de Rome), son oeuvre est aussi nourrie par la lecture de la Bible, la poésie du livre saint, les grandes figures bibliques. De plus, le poète est marqué par les croyances, les contes populaires de la Provence, les récits sur les êtres surnaturels qui peuplent les eaux des rivières et du Rhône, le paganisme de certaines légendes même quand elles sont récupérées par le christianisme, tout ce qui a imprégné son imaginaire depuis son enfance. C'est à la croisée de ces trois influences qu'il faut chercher Mistral. Ce n'est donc pas une lecture facile mais si l'on fait l'effort d'entrer dans cette oeuvre, la récompense est certaine.

Mireille aux Saintes Marie
Mes trois oeuvres préférées du Félibre
Est-ce à dire que j'aime tout dans l'oeuvre de Frédéric Mistral? Non! et je suis persuadée que tout écrivain, prix Nobel ou non, ne peut pas écrire que des chefs d'oeuvre. Certains vous parleront avec ferveur de Calendal, des Isles d'or... Quant à moi, mes trois oeuvres préférées sont Mireille que j'ai choisi de commenter ici, premier poème publié en 1859, salué par Lamartine comme un chef d'oeuvre, qui a la fraîcheur de la jeunesse, l'éclat de la passion et l'ardente couleur de la terre provençale brûlée par le soleil; les Mémoires et récits où Frédéric Mistral fait revivre le mas de ses parents, paysans aisés, enfance dominée par la figure du père, noble patriarche, et celle de la mère, digne et fière paysanne, figure maternelle pleine de tendresse; enfin Le Poème du Rhône, l'oeuvre testament, un peu alourdie par la volonté de Mistral de rendre compte minutieusement des derniers sursauts de la navigation sur le Rhône supplantée par le chemin de fer mais d'une richesse ethnologique passionnante. Un récit sombre et étrange, mystérieux et tragique, que Mallarmé admirait, oeuvre ultime où le symbolisme et l'obscurité contrastent avec la simplicité et la clarté de Mireille.


Mireille : Je chante une jeune fille de Provence...
Mireille que j'ai lu en français (car, contrairement aux apparences, je ne suis pas provençale) est un long et beau poème divisé en douze chants. On connaît souvent l'histoire de Mireille par l'opéra de Gounod. Si le livret reprend mot à mot certains passages des vers de Mistral, si le musicien a été fidèle à l'intrigue, il n'a pas pu rendre entièrement la poésie, la beauté épique de la description, la fraîcheur des deux amoureux, Mireille et Vincent, Roméo et Juliette de la terre provençale, enfants âgés de quinze ans prêts à mourir plutôt que de consentir à être séparés.
L'histoire est éternelle : Vincent, fils d'un pauvre vannier est amoureux de Mireille, fille d'un riche propriétaire de la Crau, Maître Ramon, au mas de Micocoules. Celui-ci veut donner sa fille à un homme de sa caste, le bouvier Ourrias qui, jaloux et violent, cherche querelle à Vincent et le blesse. Ce dernier, guéri par la sorcière Taven, envoie, selon la coutume, son père demander la main de Mireille. Mais Maître Ramon refuse avec mépris. Mireille, désespérée, entreprend la longue traversée du désert de La Crau pour aller prier les Saintes de fléchir la volonté son père. Mais le soleil de la Crau va avoir raison de la jeune fille qui meurt en arrivant aux Saintes Marie où l'attendent ses parents et Vincent.
Les personnages sont attachants. Mireille déformation de Merahivo qui signifie merveille est pour Mistral un dérivé du prénom Myriam donc de Marie. Ce n'est pas sans raison qu'il donne à son héroïne le prénom de la Vierge dont elle a la pureté, la candeur. L'extrême jeunesse des deux jeunes gens les préserve des préjugés des adultes, des considérations de fortune et de rang social. Leur amour est entier et leurs sentiments définitifs, exacerbés, sans concession. Mistral peint cet âge encore adolescent avec beaucoup de vérité comme une étape douloureuse, une épreuve qui peut conduire aux actes les plus extrêmes. Il se souvient peut-être, lui aussi, qu'il n'a pu épouser la jeune fille qu'il aimait, refusée par son père car elle n'avait pas de biens.

Homère portrait imaginaire Louvre

Une épopée : Humble écolier du grand Homère
En se proclamant au début du premier chant de Mireille, "humble écolier du grand Homère", Frédéric Mistral compose une épopée, certes, mais pastorale qui se déroule dans un mas provençal.
L'odyssée
Ainsi l'odyssée de Mireille, ce n'est pas la navigation périlleuse d'Ulysse qui essuie les tempêtes les plus terribles, poursuivi par la vindicte des Dieux, c'est la traversée du désert de La Crau, l'épreuve du feu du soleil, la souffrance de la soif, la mort. L'exploit de Mireille n'est pas celui d'un héros terrassant des monstres mais le courage dune petite fille obstinée, dévouée, amoureuse, qui continue à avancer vers le but qu'elle veut atteindre malgré la solitude et la douleur.
Les Héros guerriers
Les héros ne sont pas des rois mais de riches paysans, maîtres de grands domaines; les guerriers sont les farouches bouviers de Camargue, peuple fier et arrogant dont les chevauchées sauvages sur leurs petits chevaux camarguais endurants et fougueux à la poursuite des taureaux sont des faits de bravoure. Les prétendants de Mireille- car semblable à Penélope, elle doit repousser les amoureux qui veulent l'épouser - sont Alari, le berger, Véran, le gardien de cavales, Ourrias, le toucheur de boeufs. J'aime beaucoup ces paysans provençaux devenus sous la plume du poète, fier de ses origines, semblables à des princes, beaux ou redoutables, puissants dans leur humilité, dignes dans leur maintien même dans les occupations les plus quotidiennes.
 Ourrias. Né dans le troupeau, élévé avec les boeufs, des boeufs il avait la structure, et l'oeil sauvage et la noirceur, et l'air revêche et l'âme dure... Combien de bouvillons et de génisses dans les ferrades camarguaises n'avait-il pas renversé par les cornes. Ainsi en gardait-il entre les sourcils, une balafre pareille à la nuée que la foudre déchire; et les salicornes et les trainasses, de son sang, s'étaient teintes jadis. (chant IV)
 Ourrias,tel un héros grec (Achille?) bouillant, coléreux, orgueilleux, qui n'accepte pas l'échec et veut soumettre la femme qu'il a choisie. Tous sont dépeints dans un style ample, lyrique, avec un grandissement épique qui les transfigure, qui permet à notre imagination de s'envoler vers ce pays d'eau, de salins et de mer, la Camargue où la liberté, le souffle du mistral, les grands espaces s'offrent à nous, où se déroulent les exploits de ces hommes proches de la nature, en accord avec les éléments.
Véran : il avait cent cavales blanches épointant les hauts roseaux des marécages. (..) Jamais on ne les vit soumises car cette race sauvage, son élément c'est la mer; du char de Neptune échappée sans doute, elle est encore teinte d'écume ; et quand la mer souffle et s'assombrit, quand des vaisseaux rompent les câbles, les étalons de Camargue hennissent de bonheur et font claquer comme la ficelle d'un fouet leur longue queue traînante... (chant IV)
 Les Dieux
Une épopée donc, où les Divinités sont le Drac, le Dieu du Rhône qui entraîne ses victimes au fond de ses eaux sombres, les Trèves, lutins qui dansent sur les eaux quand le soleil ou la lune les fait miroiter. C'est ainsi que Ourrias trouvera le châtiment de sa cruauté envers Vincent en cherchant à traverser le Rhône dans une scène hallucinante où les Noyés du fleuve viennent le réclamer :
Les voilà! pauvres âmes éplorées! les voilà! sur la rive pierreuse ils montent, pieds nus : de leurs vêtements limoneux, de leur chevelure feutrée coule à grosses gouttes l'eau trouble. Dans l'ombre sous les peupliers ils cheminent par files, un cierge allumé à la main. (Chant V)
 Vision infernale de ces ombres glacées qui rappellent celles entraperçues par Ulysse lors de sa descente aux Enfers, une épreuve qui est celle aussi de Vincent succombant à l'attaque d'Ourias dans un lieu nommé Le Val d'Enfer, aux Baux. Ce site bien réel (on voit comment Mistral utilise les paysages de sa région comme décor) ) est constitué d'un amas de rocs tourmentés, d'un chaos sauvage où au fond de son antre appelé la grotte des Fées, vit Taven la sorcière. Taven, la magicienne, autre Circé avec ses filtres guérisseurs.
Le fantastique de ce chant VI est un étonnant mélange entre paganisme et christianisme. L'invocation du Christ et de Laurent le saint martyr, les farces des "follets", lutins tour à tour malicieux ou méchants, l'apparition de La Lavandière qui assemble les nuées, la mandragore dont se pare Taven, les sorciers de Fanfarigoule, La Garamaude et le Gripet, la Vieille de Février qui ramène le Froid, tous les êtres surnaturels du Pays d'Oc ... se rassemblent pour former un creuset bouillonnant de toutes ces croyances, scène irréelle, à couper le souffle où l'imagination du Poète ne connaît plus de limite et nous entraîne dans une danse haletante qui ne cesse de s'accélérer.
Quel vacarme!.. ô lune, ô lune, quel malencontre te courrouce pour descendre ainsi, rouge et large, sur les Baux!... Prends garde au chien qui aboie, ô lune folle! S'iI te happe, il t'engoulera comme un gâteau, car le chien qui te guette est le Chien de Cambal" (chant VI)
eglise.1283331218.jpgMais le Merveilleux chrétien reprend bien vite ses droits avec la figure des Saintes Marie à qui Mireille adresse ses prières et qui viendront l'encourager dans sa marche et l'accueillir en leur paradis.
O saintes qui pouvez en fleurs changer nos larmes, inclinez vite l'oreille devers ma douleur! Donnez-moi Vincent.
Mon père s'oppose à cet accord : de toucher son coeur, ce vous est peu de chose, belles saintes d'or!
bien que dure soit l'olive, le vent qui souffle à l'Avent, néanmoins la mûrit au point qui convient..(chant X)
Eglise des Saintes Marie

Virgile

L'influence de Virgile
Il y a un autre maître dont Mistral se réclame aussi : Virgile! Comme lui, Mistral célèbre la nature pastorale, les travaux des champs. Comme lui, il chante la terre Méditerranéenne, éternelle, à l'ombre de l'olivier, l'arbre symbolique de ce pays éclaboussé de soleil, saturé de couleurs et d'odeurs. Le lecteur est baigné dans cette atmosphère particulière aux pays méditerranéens et pris par le charme de cette description, de cette langue poétique qui célèbre les joies humbles des travailleurs et qui magnifie le travail champêtre : cueillette des feuilles de mûriers, dépouillement des cocons, fenaison, labourage, moisson...
Dans une terre labourable quand la culture se fait en temps propice, j'ai vu parfois attelées à la charrue six bêtes grasses et nerveuses; c'était un merveilleux spectacle! La terre friable, lentement devant le soc au soleil s'entrouvrait. Le fin laboureur, l'oeil sur la raie, la chanson sur les lèvres, y allait à pas tranquilles, en tenant le droit. Ainsi allait le ténement qu'ensemençait Maître Ramon, magnifique, tel qu'un roi dans son royaume.

Costume d'Arles: une Mireille


Mireille est un très beau poème injustement méconnu, une oeuvre riche et généreuse dont le personnage principal devenu un mythe a donné lieu en Provence à un type, celui d'une jeune fille portant le costume arlésien, doté de qualités de fraîcheur, de simplicité, de courage, jeune personne que l'on appelle : " une Mireille".
J'ajouterai que je suis assez amère quand je vois, par exemple, que le poème de Longfellow, chantant l'amour d'Evangeline, jeune acadienne déportée, figure devenue mythique en Acadie, est unanimement et justement reconnue et célébrée dans la littérature anglo-saxonne; alors que les français passent à côté d'une oeuvre qui, bien qu'elle ait la force d'un mythe, est rejetée seulement parce que l'auteur s'est affirmé comme provençal.


Cet article est écrit dans le cadre du blogoclub créé par Silyre et Lisa

dimanche 29 août 2010

Jules Supervielle, Marseille…

 

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Marseille sortie de la mer, avec ses poissons de roche,
ses coquillages et l'iode,
Et ses mâts en pleine ville qui disputent les passants,
Ses tramways avec leurs pattes de crustacés sont
luisants d'eau marine,
Le beau rendez-vous de vivants qui lèvent le bras
comme pour se partager le ciel,
Et les cafés qui enfantent sur le trottoir hommes et femmes
de maintenant avec leurs yeux de phosphore,
Leurs verres, leurs tasses, leurs seaux à glace et leurs
alcools,
Et cela fait un bruit de pieds et de chaises frétil-
lantes.
Ici le soleil pense tout haut, c'est une grande lumière
qui se mêle à la conversation,
Et réjouit la gorge des femmes comme celle des
torrents de montagne,
Il prend les nouveaux venus à partie, les bouscule un
peu dans la rue,
Et les pousse sans arrêt du côté des jolies filles.
Et la lune est un singe échappé au baluchon d'un
marin
Qui vous regarde à travers les barreaux légers de la
nuit.
Marseille, écoute-moi, je t'en prie, sois attentive,
Je voudrais te prendre dans un coin, te parler avec
douceur,
Reste donc un peu tranquille que nous nous regar-
dions un peu
O toi toujours en partance
Et qui ne peux t'en aller,
A cause de toutes ces ancres qui te mordillent sous
la mer.
Débarcadères : Marseille (1927)
Les compagnons Troubadours  de  Celsmoon:
Edelwe, Mango, Abeille, Emmyne, Chrestomanci, Mariel, Laurence , Ankya, Herisson08, Anjelica , George, Uhbnji , Fleur, Esmeraldae, Armande, Satya, Zik, Lystig, Amos, Bookworm, Emma, Julien, Marie, Yueyin , Soie , Alex , Hambre , Katell , Mathilde, Schlabaya, Hilde, Saphoo, La plume et la page, Tinusia, Chrys, Roseau, MyrtilleD, Cagire, Caro[line], L’or des chambres, Violette, claudialucia, Séverine, Maggie, Sev, Azilis.

samedi 28 août 2010

Le jardin de Max et de Gardénia : un livre pour les élèves de CE2


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Le jardin de Max et de Gardénia est un livre pour la jeunesse publié dans la collection Facettes chez Hatier destiné à être étudié en classe de CE2. Effectivement la lecture de ce livre pour des enfants de cet âge serait peut-être un peu ardue sans l'aide d'un enseignant ou d'un parent. Par contre il me paraît très riche pour l'exploitation pédagogique.
Le texte de Fred Bernard raconte l'histoire de Max, un petit chat qui vit dans un jardin modeste et a pour amie une souris, Gardénia, plus "responsable" que lui puisqu'elle est déjà grand-mère. Elle veille sur lui. Au fond du jardin, un mur interdit, le mur de tous les dangers, gardé jalousement par le terrible C.N.D.M, le Chat Noir Du Mur. Mais le jour où la maman de Max est enlevée par deux monstres velus, Max se précipite à sa suite et, accompagnée de la fidèle souris, se lance dans de folles aventures. Quels dangers affrontera-t-il de l'autre côté du mur? Rassurons-nous, l'histoire est résolument optimiste et finira bien.
Le récit est initiatique et présente la structure du conte traditionnel : Max, le petit chat, est heureux quand un évènement survient qui crée un manque : la disparition de sa mère. Pour réparer le manque, Max est obligé de partir, franchit le mur, bravant l'interdit. Il rencontre au cours de sa quête des personnages qui lui viennent en aide. Grâce à son courage et à ses adjuvants, Gardénia la petite souris, le chat noir, le chien rouge, le lapin carnivore ... il triomphe du méchant et peut retourner chez lui en ayant gagné en maturité. Le thème de l'interdit que l'on doit transgresser pour mieux atteindre l'âge adulte est donc primordial ici.
On voit aussi -et les enfants y seront très sensibles- que le récit s'apparente au genre "policier" : des animaux disparaissent. Une enquête a lieu qui mène à la découverte d'un parc et d'un château mystérieux. Le détective Max et ses auxiliaires affrontent toutes sortes de dangers avant d'élucider le mystère. Chemin faisant, des liens solides se nouent entre tous les personnages. Nous avons tous les ingrédients du club des cinq chez les animaux!
Les thèmes de l'amitié et de la solidarité sont très forts. Max n'arriverait pas à retrouver sa maman sans l'aide de ses amis. Or, avant de les rencontrer, il se méfiait d'eux. Chacun, en effet, avait une sinistre réputation et les rumeurs, les on-dits, les superstitions colportés par la pie ou le vieux crapaud entretenaient la peur des autres. Mais quand Max apprend à les connaître, il cesse d'en avoir peur. Belle occasion pour amener les enfants à une réflexion sur la xénophobie, le racisme. Rien n'est impossible. Malgré les différences, un chat peut-être l'ami d'une souris, se réconcilier avec son ennemi héréditaire, le chien, protéger le plus faible, le lapin. Il suffit d'accepter les autres comme ils sont, d'apprendre la tolérance.
Le texte ne manque pas d'humour : ainsi ces personnages sont désignés par des initiales ou plutôt des sigles. La Souris Grise Du Potager devient la S.G.D.P, Le Lapin Blanc du Labyrinthe, Le L.B.D.L, plaisanterie que l'on peut interpréter à des degrés différents. Pour les enfants qui seront amusés par cet emploi de sigles pour désigner chaque animal, il s'agira d'une sorte de code magique comme l'on trouve parfois dans les contes traditionnels ou des formules répétées à plusieurs reprises finissent par devenir des sortes d'incantation : Tire, tire tire la chevillette.. Le sigle participera au mystère, introduira dans une sorte de société secrète que seuls les initiés pourront comprendre. Les adultes y verront peut-être notre monde moderne qui use et abuse des sigles. Ceux-ci participent bien souvent à un jargon assez obscur qui exclue les non-initiés. Seuls les gens d'une même entreprise, d'une même profession peuvent se comprendre.( Petit clin d'oeil aux enseignants avec le CRDP : Le Chien Rouge Du Parc.). Trop souvent les sigles constituent une sorte de langage assez ésotérique qui devient un moyen de tenir les gens à distance, de leur en imposer. Dans le même ordre d'idée, les médecins de Molière parlent un latin de cuisine pour ne pas être compris de leurs malades et mieux les dominer.
A ce texte correspond les très belles illustrations de François Roca qui ne sont pas redondantes mais cherchent à le prolonger. Chacune propose une histoire à elle seule et l'enfant pourrait partir de l'image pour créer sa propre histoire. Chacune est une invitation au rêve, au voyage vers l'inconnu Les couleurs sombres, le choix des clairs-obscurs voulus par le peintre renforcent l'impression de mystère, créent une atmosphère onirique. Les tableaux utilisent des éléments du réel : le château, le parc à la française, les statues mais glissent vers l'étrange, le fantastique. On pense aux peintres surréalistes Delvaux, Magritte mais aussi au Douanier Rousseau dans la manière de peindre la verdure, les feuillages, de suggérer un ailleurs. La galerie du château avec ses armures et ses fenêtres éclairées d'une lueur irréelle rappelle La Belle et la Bête de Cocteau .
Un livre, donc, qui présente de nombreux centres d'intérêt et qui plaira très certainement aux élèves de CE2.

6a00d8342e8a5353ef01348362ef27970c-pi.1282469824.png Merci à Dialogues croisés et aux

dimanche 22 août 2010

Blaise Cendrars : Iles


Iles

Iles où l'on ne prendra jamais terre
Iles ou l'on ne descendra jamais
Iles couvertes de végétations
Iles tapies comme des jaguars
Iles muettes
Iles immobiles
Iles inoubliables et sans nom
Je lance mes chaussures par-dessus bord car je voudrais
   bien  aller  jusqu'à  vous

Blaise Cendrars Feuilles de Route

Claude Gutman : la fois où … j’ai menti


Le récit de Claude Gutman :  La fois...  où j'ai menti  fait parti d'une série de titres sur le même modèle, La fois où.. j'ai eu un animal,  La fois où.. je suis resté seul, destinés à des enfants de 6 à 9 ans aux éditions Pocket jeunesse.
Comme le titre l'indique l'histoire fait réfléchir sur le mensonge : quant à ses conséquences? Je ne dévoilerai pas le suspense du livre si je dis que aïe! aïe! la fois où j'ai menti ça s'est vraiment mal passé!Jetez plutôt un coup d'oeil sur les illustrations de la première de couverture, ce petit garçon avec des béquilles, c'est moi! Et le dessin de la quatrième, l'ambulance qui s'éloigne, c'est celle qui me transporte à l'hôpital! Je, c'est moi, Julien, qui vous raconte l'histoire. Ma soeur, Julie n'est pas très fûtée. Quand elle ment, les parents savent que ce n'est pas vrai parce que ce sont des mensonges "faux" et elle se fait toujours punir! Moi, je suis plus malin et vous le verrez un mensonge, ça peut rapporter gros mais pas toujours! Alors méfiez-vous. D'ailleurs, si je mens, c'est parce que c'est obligatoire. A l'école, avec les copains on se raconte "tout ce qu'on sait faire", comment on a échappé à tous les dangers. Oui, mais le jour où j'ai raconté...

Et bien, si vous voulez en savoir plus, venez me voir dans Kid Pocket. C'est Zad qui a fait mon portrait. Ma foi, je ne suis pas si mal et mon bicross est drôlement chouette. Bravo Zad!
Quant à papa Gutman, vous croyez peut-être qu'il va vous faire un brin de morale et vous dire que le mensonge, non, non, non, ce n'est pas bien. Papa Gutman, il a plus d'un tour dans son sac et à la fin... je m'en sors plutôt bien!  Enfin si l'on veut! A croire que papa Gutman aime bien les petits menteurs. Je me demande même si, quand il était petit, il n'était pas comme moi.


Merci à Dialogues croisés et aux éditions Pocket jeunesse

jeudi 12 août 2010

Olivier Bleys : le colonel désaccordé



Le livre d'Olivier Bleys paru aux Editions Gallimard : le colonel désaccordé est dédié à Chiquinha Gonzaga (1847-1935) pianiste et auteur de chansons brésiliennes qui a milité contre l'esclavage au Brésil. Il s'adresse aussi à tous ceux qui ont l'amour de la musique et en portent le regret.
Et en effet, le Brésil et la musique sont au coeur de ce roman même si le principal personnage, Dom Eduardo Alfonso Rymar,  pauvre mais héritier d'un grand nom, capitaine dans l'armée portugaise, exècre les deux! Nous sommes en 1807 et le régent portugais Dom Joao et toute la famille royale quittent Lisbonne pour s'exiler au Brésil, fuyant les armées napoléoniennes. Le capitaine Rymar, qui a perdu une jambe dans une bataille, embarque sur un navire dont il doit mener à bon port un chargement extrêmement précieux   d'instruments de musique, pianos et clavecins appartenant à la noblesse. Le capitaine s'acclimate très mal à son nouveau pays et ceci d'autant plus qu'il est nommé conservateur royal des instruments à clavier alors qu'il n'a aucune notion de musique, qu'il ne supporte pas le son des instruments et qu'il ne rêve que d'en découdre à la tête d'un bataillon. C'est là pourtant, qu'il va construire sa vie, dirigeant avec l'aide de son ordonnance, Querubim, un atelier de restauration de pianos, gravissant les échelons jusqu'au grade de colonel sans livrer un seul combat. C'est là, dans ce pays en pleine évolution, qui gagne peu à peu son indépendance, qu'il va fonder une famille, reportant sur ses fils son idéal d'un métier militaire. Oui, mais son fils adoptif, Angelo, ne rêve que de musique...
Le roman de Olivier Bleys se lit avec beaucoup de plaisir. Il allie l'intérêt d'une trame historique à celui d'un récit d'aventures. La chronique du Brésil de 1807 aux années 1836 est haute en couleurs et bien documentée. L'écrivain donne un tableau vivant et animé de ce pays où la nature est luxuriante et la population tout autant. En plein devenir, le Brésil tranche avec le mode de vie collet monté du vieux pays européen. La population y est cosmopolite où se mêlent européens fraîchement arrivés, anciens colons qui forment une classe un peu à part, très reconnaissable à ses vêtements colorés et aussi esclaves affranchis, produits de métissage qui tout en supportant le mépris des blancs accèdent à un statut supérieur. Les planteurs avec leur morgue et leur cruauté vis à vis des noirs sont aussi représentés. Pendant cette période le Brésil prendra conscience d'être un pays à part entière et conquerra son indépendance; il devra faire face, aussi, aux révoltes des esclaves cherchant à se libérer.
Le capitaine Rymar est une sorte d'anti-héros qui n'est pas très sympathique et qui prête souvent à rire; il ne manque pas de pittoresque avec son moignon reposant sur un pilon de bois de chêne du Portugal, qu'il refuse de changer - même si celui-ci est grignoté par la vermine-  par un bois exotique du Brésil, patriotisme oblige! Voué à la musique sur ordre royal alors qu'il ne supporte pas le bruit le plus infime comme le frottement des cils sur des lunettes, il doit se se protéger en portant des oreillettes en forme d'oreilles de cocker. Militaire malchanceux, il ne remettra plus les pieds sur un champ de bataille. Conventionnel dans ses moeurs, raciste, imbu de lui-même, il tombe dans un piège et épouse une métisse dont il est amoureux qui non seulement n'est pas vierge mais a déjà un enfant. C'est un personnage à qui il arrive tellement de mésaventures que l'on finit par s'y intéresser malgré ou peut-être à cause de ses contradictions. Tous ceux qui l'entourent, à commencer par le métis Eusébio qui devient son ami, sa femme Rosalia, son esclave Lisandre, ses fils, jeunes apprentis militaires, forment aussi des figures typiques de ce pays en mutation.
Enfin il y la musique, omniprésente, que nous découvrons à travers l'histoire des instruments apportés au Brésil, eux aussi en pleine évolution, les airs brésiliens, et l'amour indéfectible du fils de Rymar, Angelo, musicien contrarié dans sa vocation mais compositeur de génie.


capture-d_ecran-2010-05-27-a-10-14-261.1281612456.pngMes remerciements à dialogues croisés et aux édtiions Gallimard

mercredi 28 juillet 2010

Festival off d’Avignon 2010 : Oh Boy! par le Théâtre du Phare

 

Oh Boy! est une pièce du Théâtre du Phare, mise en scène par Olivier Letellier. Elle a reçu le Molière du spectacle Jeune public 2010 et je dois dire qu'elle le mérite amplement. J'ai vraiment apprécié, en effet, ce spectacle à la fois fort, bouleversant et en même temps plein d'humour et de sensibilité. Je crois même avoir préféré l'adaptation théâtrale au roman de Marie-Aude Murail dont il est tiré. Le personnage du jeune homme, Barthélemy, m'a paru, en effet, plus intéressant et plus convaincant car le spectateur épouse son point de vue alors que dans le roman, il est vu de l'extérieur et parait un peu benêt..

Mais d'abord, quel en est le sujet ? Trois enfants abandonnés par leur père et dont la mère s'est suicidée se retrouvent à l'orphelinat en attendant d'être placés ; ils font le serment de ne jamais se  laisser séparer. La solution? Etre adoptés tous les trois par leur demi-soeur ou leur demi-frère plus âgés qu'ils ne connaissent pas mais qui ont le même père qu'eux. Si la soeur est prête à adopter Venise, la jolie petite cadette, elle ne veut pas s'embarrasser des deux aînés, Siméon, un garçon de quatorze ans et la jeune Morgane "moches et surdoués". Alors Bart, le grand frère, accepte de faire l'essai afin d'obtenir la tutelle des trois. Oui, mais quand on a à peine vingt-six ans, que l'on est au chômage, que l'on aime bien s'amuser, que l'on n'y connaît rien aux enfants, que l'on est homosexuel (que va en dire la juge des tutelles?), que votre copain en profite pour vous laisser tomber et que la maladie s'en mêle, alors les ennuis commencent! Oh Boy!
Les thèmes graves comme ceux de la maladie, de la mort, de l'abandon mais aussi de l'amour, de la famille, de la différence, sont traités entre rires et larmes mais toujours avec beaucoup de pudeur, de retenue. L'humour toujours présent permet de désamorcer le tragique et rend la pièce accessible aux enfants aussi bien qu'aux adultes.
Un seul personnage sur scène, Bart, le grand frère, nous raconte l'histoire, grand enfant gouailleur, un peu immature mais plein de bonne volonté. Ecorché, d'une sensibilité exacerbée, (il n'a jamais connu son père), il va peu à peu se révéler à lui-même, assumer des tâches qui le dépassent, donner du temps, de l'amour, de la compréhension aux orphelins. Devenir adulte, en quelque sorte, car la pièce soulève ces questions essentielles pour tout enfant : qu'est-ce qu'être responsable? Comment devient-on adulte? La vulnérabilité de l'enfance, sa dépendance, la cruauté du monde des adultes sont ici abordées avec beaucoup de finesse.

L'acteur, Lionel Erdogan, interprète Bart avec naturel et subtilité, toujours à mi-chemin entre la dérision et l'émotion, il rend son personnage non seulement crédible mais attachant. Il a l'art de rendre vivant les objets qui l'entourent, de faire "voir" les décors, les êtres, grâce à une scénographie épurée et sobre mais pleine d'inventions et de surprises: une armoire devient tour à tour lit, bureau, maison, hôpital, route... Les enfants sont figurés par divers accessoires souvent surprenants, trois livres, un grand, un moyen et un petit, une chaise qui devient tour à tour minuscule et délicate comme une toute petite fille que l'on prend dans ses bras ou image de la mort quand elle tourne sur elle-même dans un mouvement rotatoire qui figure la vie puis s'interrompt brusquement. Un canard culbuto vacillant incarne la fragilité et la douleur de Morgane. Une poupée Barbie? Le juge des tutelles mais aussi le symbole de l'enfance, de Venise aussi bien que de Bart.  Les jeux de lumière avec les clairs-obscurs soulignent la présence de la Mort toujours menaçante. Des images pleines de poésie jaillissent comme ces balles de ping-pong qui fusent et retombent en pluie sur le spectateur, joie, illumination soudaines de Bart qui referme la blessure causée par l'abandon de son père.
La qualité d'écoute du public, les silences profonds qui succèdent aux rires, l'émotion ressentie et partagée, ajoutent encore au bonheur de ce spectacle théâtral.

Oh Boy!
d'après le roman de Marie-Aude Murail
compagnie Le théâtre le Phare
du 8 au 30 Juillet
au Théâtre de la Girasole
16H50

mercredi 21 juillet 2010

Festival off d’Avignon 2010 : Spartacus, théâtre la Licorne

Spartacus par le théâtre de La Licorne : le lion et le gladiateur

C'est une pièce un peu hors norme que je suis allée voir l'autre soir à Villeneuve-Lez-Avignon sur la colline des Mourgues. Et d'abord, au milieu des pins, un lieu plein de charme* qui domine la vieille cité avec ses remparts, ses toits de tuiles qui s'étagent jusqu'aux tours du Fort Saint André. Ensuite, le décor dans lequel va se dérouler la tragique histoire de Spartacus, une structure de métal qui reproduit un cirque romain, avec sa piste ovale, son arène où vont avoir lieu devant la plèbe assoiffée de sang (nous, les spectateurs!) de féroces combats de gladiateurs et des courses de chars miniatures. Nous sommes transportés à l'ère romaine et nous assistons au spectacle du théâtre La Licorne dirigé par Claire Dancoisne où l'objet animé, créé à partir de bouts de ferraille, de plaque métallique, de papier mâché, de cartons, est au centre de la magie théâtrale.

Les gladiateurs, de frêles créatures de métal manipulés à vue par des comédiens qui incarnent leur double humain, affrontent courageusement des ennemis d'une taille gigantesque, monstrueux éléphant construit avec toutes sortes de pièces de récupération, lion dont le masque d'acier à la mâchoire redoutable s'apprête à se refermer sur la victime et dont l'échine formé par le corps souple de deux comédiens imite à se méprendre la démarche sinueuse du félin. Au-dessus deux sur la tribune, dominant les jeux, l'empereur et son général,  interprétés par des chanteurs lyriques, commentent  la scène comme un opéra tragique.


Nous sommes projetés au milieu de combats  d'une violence inouïe où l'homme est sacrifié à la folie meurtrière de la foule. Les jeux de lumière crus, le bruitage, les enregistrement des cris des spectateurs réclamant la mise à mort, la démesure des comédiens-esclaves au corps maculé de sang, zébré de cicatrices qui, dans leur révolte, escaladent la structure métallique, montent à l'assaut des spectateurs, nous plongent dans une illusion parfaite. L'apparition toujours renouvelée d'objets extraordinaires comme ces pieds coupés défilant sur un tapis roulant, image de l'armée des esclaves en marche et, plus tard, après leur défaite, du massacre perpétré par l'armée romaine, concourt à la magie de cette mise en scène inventive qui, de plus, ne manque pas d'humour. Je pense aux comédiens qui aspergent la marionnette du gladiateur tombé au combat avec une éponge pleine de "sang", à cet échafaudage  échevelé qui figure le Vésuve, ou au bain de l'empereur et de son général dans des baignoires assez improblables, à la mouche-objet articulée, noyée dans le bain par un esclave opprimé qui exerce sa puissance sur ...  la seule créature plus faible que lui!
Un beau spectacle donc, malgré un fléchissement du rythme au cours de la pièce, intéressant, riche, et qui fait appel à notre imaginaire.  A voir en famille à partir de six ans.

Théâtre La Licorne
Spartacus  22H
Jusqu'au 23 Juillet (relâche le 20)
Réservation : 04 32 75 15 95
Villeneuve-lez-Avignon
Colline des Mourgues

Festival d’Avignon 2010 : Michel Quint, Effroyables jardins

J'avais beaucoup aimé la lecture de Effroyables jardins de Michel Quint, aussi c'est avec curiosité que je suis allée voir ce spectacle au festival off d'Avignon, Théâtre de Notre-Dame, texte mis en scène par Marcia de Castro et interprété par André Salzet.

Je rappelle en quelques mots le sujet de l'intrigue : un enfant éprouve de la honte de voir son père, instituteur, s'habiller en clown et se produire dans de petites fêtes où, Auguste sans talent, il se ridiculise. Il a parfois l'impression qu'il se comporte ainsi pour se mortifier ou encore pour régler une dette qui resterait toujours impayée. Un jour, son oncle lui apprend pourquoi son père agit de cette manière en lui racontant leur histoire à tous deux. Pendant la guerre, jeunes résistants mais un peu irréfléchis dans leurs actes, ils ont fait sauter un transformateur. Pris en otage avec deux autres personnes, ils sont retenus prisonniers au fond d'une fosse en attendant d'être exécutés si personne ne se dénonce. Une sentinelle allemande qui se révèle être clown dans la vie civile, leur vient en aide en leur donnant à manger et en les distrayant pour les soustraire à l'angoisse de ce qui les attend. Une preuve d'humanité au milieu de l'horreur. Enfin et contre toute attente, ils ne seront pas exécutés mais envoyés dans un camp. Ils apprendront plus tard que c'est à un ouvrier français, électricien travaillant dans le transformateur, brûlé par la bombe et qui meurt des suites de l'attentat, qu'ils doivent leur survie.
Michel Quint dans ce très beau texte décrit les effroyables jardins que nous cultivons en nous et qui sont faits de nos souffrances, de nos regrets, et de la culpabilité, sentiment obsédant, qui s'attache à sa proie pour ne jamais lâcher prise, de l'impossibilité de se pardonner. Il parle de la lâcheté et du courage, parfois si proches l'un de l'autre et qui peuvent coexister dans une seule personne, de la peur de la mort et de son indispensable corollaire, l'amour de la vie, chez des êtres jeunes qui ont à peine commencé à vivre. Mais il montre aussi comment dans la noirceur d'un monde livré à la guerre, à la brutalité nazie, la solidarité et la générosité allument un feu de joie et parviennent à sauver l'Humanité.
André Salzet est seul sur la scène dans un décor minimaliste. Un tabouret, par exemple, permettra de figurer la hauteur infranchissable qui sépare les prisonniers au fond de leur trou de la sentinelle qui les domine. Jeux de lumière sobres. Tout est dans l'interprétation.
Si j'ai moins été convaincue par l'enfant du début du texte, je me suis peu à peu laisser prendre par le jeu de l'acteur qui incarne tous les personnages et nous les fait voir avec une belle virtuosité. Peu à peu André Salzet nous amène au fond de la conscience de ces hommes et nous fait partager leurs sentiments, peu à peu l'émotion nous gagne jusqu'à un crescendo qui nous met les larmes aux yeux.
Une réussite!

Effroyables jardins Michel Quint
interprète André Salzet
Théâtre Notre-Dame Lucernaire -Avignon
13 à 17 rue du collège d'Annecy
11H jours impairs en alternance avec : Le joueur d'échecs de Stefan Zweig jours pairs
Jusqu'au 31 Juillet
Réservation 04 90 85 06 48