Il y avait longtemps que je voulais lire De la servitude volontaire ou le Contr'un, l'essai de La Boétie, pour que ce dernier ne soit plus seulement un nom rencontré dans Les Essais de Montaigne. Maggie me l'a proposé en Lecture commune mais ce n'est que maintenant et avec retard que je m'acquitte de cette tâche!
Et je dois dire d'entrée que ce texte m'a procuré un vif plaisir lié à mon admiration pour la liberté de pensée, la profondeur de vue, la hardiesse et les idées de ces hommes du XVIème siècle, ces humanistes si tolérants, si lucides, si ouverts aux idées nouvelles. Après eux, il faudra attendre les philosophes du XVIII siècle pour aller aussi loin.
Critique du gouvernement d'un seul
Les idées politiques de la Boétie sont si perturbantes que son ami Montaigne, lui-même, devenu son exécuteur testamentaire, a reculé et a renoncé à publier De la servitude Volontaire ou le Contre'un. Il ne voulait pas nourrir les revendications des protestants qui s'étaient emparés du texte de la Boétie pour critiquer le pouvoir royal dans un but religieux. Mais il est bien souvent lui-même en accord avec son ami (Voir Les cannibales)
C'est que cet essai présente la critique du gouvernement d'un seul (le Contr'un) et déplore l'obéissance passive de tout un peuple à ce pouvoir unique, obéissance que La Boétie appelle "la servitude volontaire".
"pour ce coup, je ne voudrois rien sinon entendre comme il se peut faire que tant d'hommes, tant de villes, de nations endurent quelque fois un tyran seul, qui n'a de puissance que celles qu'ils lui donnent; qui n'a pouvoir de leur nuire sinon qu'ils ont de vouloir de l'endurer; qui ne sçaurait leur faire mal aucun, sinon lors qu'ils aiment mieulx le souffrir que de le contredire."
Problèmes d'interprétation
On notera que La Boétie emploie le terme tyrannie dans un sens très général et il se garde bien de parler de la royauté française. La question se pose donc depuis des siècles : La Boétie a-t-il écrit un essai purement rhétorique ou au contraire un pamphlet virulent dicté par évènements contemporains qui traversent la France dans ces périodes de misère qui voient le peuple se soulever contre la gabelle et le pays se déchirer dans des querelles religieuses sanglantes? La Boétie est-il un théoricien ou un témoin de son temps et qui prend parti? Les partisans des deux interprétations sont partagés.
L'un d'eux affirme que le tyran de la SV n'est autre que Henri III.* D'autres proposent d'autres noms, Henri II, Charles IX. Certains pensent que le texte a été remanié par Montaigne ou par les huguenots après la mort de la Boétie pour servir leurs idées. Un critique affirme, étant donné les nombreuses citations d'auteurs grecs ou romains, que c'est seulement une oeuvre d'inspiration antique. A l'inverse, un tel voit en lui un précurseur de la révolution française! Tout et son contraire! Quand les plus grands spécialistes du XVIs se déchirent sur un tel sujet, il ne reste plus qu'à se taire!
Les raisons de la servitude volontaire
Pourtant, quand la Boétie écrit ce qui suit*, il paraît très clair sur la définition de la tyrannie et il y englobe la notion de royauté. Mais tenu à une extrême prudence il reste toujours très discret et rien ne permet d’affirmer dans quel but il a écrit cet ouvrage : éclairer? Faire réfléchir? ou aller plus loin critiquer le pouvoir royal? Appeler à la révolte? Il n’en reste pas moins que j’ai lu ce texte comme une dénonciation, que j’y ai senti une indignation et une conscience lucide.
*Il y a trois sortes de tyrans, les uns ont le roiaume par election du peuple; les autres par la force des armes; les autres par succession de leur race. ceus qui les ont acquis par le droit de la guerre, ils s’y portent ainsi qu’on conçoit bien qu’ils sont en terre de conqueste. ceus la qui naissent rois, ne sont pas communement gueres meilleurs, ains estans nés et nourris dans le sein de la tiranie avec le lait la nature du tiran, et font estat des peuples qui sont soubs eus comme de leurs serfs hereditaires (…) . celui a qui le peuple a donne l’estat devrait estre, ce me semble, plus supportable, et le seroit,comme je croy, n’estoit que delors qu’il se voit eslevé par dessus les autres, flatté par je sçay quoy qu’on appelle grandeur, il délibère de n’en bouger point…
Mais ce qui intéresse surtout La Boétie c’est de comprendre pourquoi les peuples acceptent sans réagir le pouvoir d'un seul. Voilà qui est étonnant car, affirme la Boétie, l’homme tend naturellement vers la liberté. L’amour qu’il a pour elle est inné chez lui.
La lâcheté des peuples ne peut être la seule explication possible. La force de la coutume et l'habitude de servir ne mèneraient-elles pas à l'acceptation de la tyrannie et à l'obéissance passive? Il oppose ainsi la nature à la coutume, l’inné et l'acquis.
Enfin, l’ignorance de ce qu'est la liberté expliquerait aussi cette servitude volontaire.
L'on en se plaint jamais de ce que l'on n’a jamais eu, et le regret en vient point sinon qu'après le plaisir; et toujours est avec la coignaissance du mal la souvenance de la joie passée.
Seule la culture et le savoir peuvent permettre de rester fidèle à l’idée de liberté et d’être conscient du joug que l’on subit. L’ignorance est donc une des bases les plus solides sur lesquelles s’établissent les tyrans. Et ceux-ci l’ont bien compris qui refusent l’instruction à leurs sujets et cherchent à les endormir avec des largesses et des fêtes qui les détournent de la pensée, les rendent crédules, et les amènent à une sorte de dévotion superstitieuse envers eux.
Le Grand Turc s’est bien avisé de cela que les livres et la doctrine donnent plus que tout autre chose aus hommes, le sens de se reconnoistre, et d’hair la tirannie; j’entens qu’il n’a en ses terres gueres de gens scavants, ni n’en demande.
On voit l’actualité du sujet car les régimes totalitaires et les idéologies d’extrême droite ne fonctionnent pas autrement.
Goering disait : « Quand j’entends parler de culture, je sors mon revolver » et une des premières mesures que prennent les islamistes extrémistes c’est d’interdire l’école aux filles. Louis XIV comme le régime hitlérien ou stalinien se basaient sur le culte de la personnalité.
Mais le véritable secret de la domination du tyran pour La Boétie, c’est que le tyran s’entoure toujours de quelques personnes cupides, avides de pouvoir et de richesses pour asseoir son pouvoir. Ceux-ci perdent leur liberté dans la crainte de déplaire au tyran et se font ainsi les gardiens les plus sûrs du régime. Rien n’a changé en politique depuis la Boétie et l’antiquité!
Etienne de la
Boétie, philosophe et poète, connu pour avoir été l'ami mythique de
Montaigne, est surtout l'auteur d'un court texte resté dans la
postérité: le Discours de la servitude volontaire .
Ecrit à l'âge de 18 ans, par celui que Pierre Clastres n'hésitait pas à
appeler "le Rimbaud de la pensée", ce texte qui constitue une oeuvre de
référence sur la question de la légitimité du pouvoir politique a été
depuis le XVIe siècle constamment réimprimé. Traduit en quinze langues,
il a donné lieu à une masse impressionnante de commentaires et
d'interprétations. Toutes les périodes de troubles politiques ont vu
réapparaître ce manifeste contre la tyrannie et il est aujourd'hui
encore convoqué par divers courants de pensée. Ces annexions militantes
témoignent de la résonance profonde et durable de ce texte et en font un
cas "curieux", énigmatique.
C'est sur cette énigme que se propose de se pencher cette émission, en
interrogeant le texte du Discours, dont la question centrale demeure toujours d'une modernité surprenante : pourquoi obéit-on ?
je viens de finir l'Obèle, ce serait une suite logique (dans les lectures, parce chronologiquement ce serait l'iverse)
RépondreSupprimerOui, La Boétie mais mieux encore Montaigne!
Supprimerun vrai plaisir de lire ce texte, je l'avais fait il y a longtemps mais je l'ai écouté récemment et il ne perd rien de sa force
RépondreSupprimeril est possible que La Boétie l'ait écrit plus tard que ce que l'on croit mais cela est sans importance
On dit qu'il l'a écrit à l'âge de dix huit ans mais comme il n'a jamais été publié de son vivant, il a dû pouvoir le remanier plusieurs fois , un peu comme Montaigne avec ses essais.
SupprimerComme tu l'écris, rien n'a changé depuis la Boétie ! finalement l'homme fait bien moins de progrès qu'il ne l'imagine.
RépondreSupprimerRien n'a changé, en effet, du moins en ce qui concerne les hommes de pouvoir!
Supprimer"Et ceux-ci l’ont bien compris qui refusent l’instruction à leurs sujets et cherchent à les endormir avec des largesses et des fêtes qui les détournent de la pensée, les rendent crédules, et les amènent à une sorte de dévotion superstitieuse envers eux." Ecrits-tu, Oui.
RépondreSupprimerL'actualite du jour s'etend sur des siecles, seuls les plaisirs diminuent pour beaucoup en ces temps presents ajouterais-je mais je n'ai peut-etre pas une vision assez precise de l'ensemble au point de vue planetaire. Pas mal sinon pleins d'analogies sautent a l'esprit.
Avoir ecrit ce livre vers l'age de 18 ans laisse songeur meme si il y a eu des remaniements par la suite, la base etait posee.
Oui, c'est toujours à l'instruction et à la culture que s'attaque un régime totalitaire!
RépondreSupprimerMontaigne, oui, je l'ai un peu laissé... La Boétie, bien sûr. En effet il y a eu une lecture commune.
RépondreSupprimerje l'ai téléchargé, je ne lis pas ton article pour avoir un oeil neuf, j'y reviendrai bien vite.
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