Tania de Montaigne et son livre Noire (source) |
Tania de Montaigne nous convie à un voyage dans le temps mais aussi dans notre présent avec Noire, la vie méconnue de Claudette Colvin paru chez Grasset.
« Prenez une profonde inspiration, soufflez, et suivez ma voix, désormais, vous êtes noir, un noir de l'Alabama dans les années cinquante. Vous voici en Alabama, capitale : Montgomery. Regardez vous, votre corps change, vous êtes dans la peau et l'âme de Claudette Colvin, jeune fille de quinze ans sans histoire. Depuis toujours, vous savez qu’être noir ne donne aucun droit mais beaucoup de devoirs… »
Tania de Montaigne nous raconte comment, en ce jour du 2 mars 1955, une jeune fille noire de 15 ans a refusé de se lever pour céder la place à un blanc dans l’autobus au temps de la ségrégation qui régnait alors aux Etats-Unis. Elle dit comment cet acte héroïque influera sur la lutte des Noirs, le combat qui s’ensuit et l’irrésistible élan qui pousse toute la communauté noire à faire la grève des transports entraînant ainsi des perturbations économiques retentissantes. Les autorités sont alors bien obligées d’entendre les voix indignées qui s’élèvent contre la ségrégation. Jetée en prison, Claudette décide de plaider non coupable et d’attaquer la ville pour non respect de la constitution. Elle perdra, bien sûr, et en subira les conséquences toute sa vie, ses rêves d’étude et d’avenir (elle est une bonne élève, studieuse) définitivement étouffés. Elle a été la première, elle tombera pourtant dans l’oubli. Ce sont ceux qui suivront qui resteront célèbres : Rosa Parc qui a réitéré le geste de Claudette Colvin va devenir le symbole de la lutte vite relayée par le pasteur Martin Luther King.
C’est pour réparer cette injustice et pour éclairer ce personnage gommé par l’Histoire que Tania de Montaigne écrit ce livre. Celui-ci montre que même au sein de la société noire, il y a des injustices et une ségrégation qui, pour n’être pas raciale, est cependant sociale et religieuse. Claudette Colvin est écartée et ne deviendra pas l’égérie de la lutte antiségrégationniste parce qu’elle est d’un milieu populaire et parce qu’elle est mère célibataire d’un enfant qu’elle a eu avec un blanc, heurtant ainsi la bonne morale chrétienne! Rosa Park, elle, est une femme de la bourgeoisie, institutrice, instruite et moralement recommandable!
Vous croyez tout savoir sur la ségrégation aux Etats-Unis? Détrompez-vous! Il y a toujours des éléments que vous ignorez, à moins d’être un spécialiste! Comment, par exemple, empêcher les noirs d’arriver jusqu’à un bureau de vote, dans un pays prétendument démocratique, où ils en ont le droit?
Noire relate ce qu’était la société dans les années 50 aux Etats-Unis et rappelle que la violence raciale existe toujours là-bas mais aussi en France. Chez nous aussi le racisme est vécu au quotidien par ceux qui n’ont pas la peau blanche. L’auteure, elle-même, l’a expérimenté et est marquée dans sa chair par des blessures insidieuses mais durables.
Il est bon de lire ce livre intéressant, énergique, qui transmet des émotions mais sans pathos, qui assène des vérités et qu’il faut découvrir à la lueur des événements actuels.
Si un noir fait quelque chose de mal, ce sont tous les noirs qui payent. Qu’un seul trébuche et tous seront montrés du doigt. Parce qu’un seul a dit ou fait quelque chose de contrevenant, on pourra dire : « Vous, les noirs, vous êtes comme ci ou comme ça ». » « Vous, les juifs, vous faites ceci ou cela ». »Vous, les musulmans vous aimez ceci, vous n’aimez pas cela ». Et nous finissons par le croire et nous finissons par le penser, et alors ce préjugé deviendra nôtre et nous nous surprendrons un jour à dire face à un évènement qui implique un noir si nous sommes noirs,un musulman si nous sommes musulmans, un juif si nous sommes juifs : « ce n’est pas bon pour nous »? Mais qui est ce nous? Nous n’en savons rien mais nous pensons désormais qu’il faut en tenir compte. (…) Nous avons intégré la pensée raciste, elle modifie notre regard comme une paire de lunettes aux verres déformants. Et c’est une lutte en soi que de ne pas suivre cette pente, que de ne pas se laisser gagner par ce « nous », par la principe de ce qui est « bon pour nous », par la crainte de se faire remarquer, par la peur de ce gendarme devenu intérieur, de ce croquemitaine, par le processus d’une dilution de ce que nous sommes dans le plus petit dénominateur commun.
Pourtant ce livre se termine par une note d’espoir à laquelle il est bon de se raccrocher!.
Pendant que j'écrivais ces pages, des policiers blancs ont fait l'objet d'une enquête pour avoir publié des photos de soirées "négros" où ils se peignent le visage en noir, portent des boubous et des bananes autour du cou ou de la taille.
Pendant que j'écrivais ces pages, le propriétaire blanc d'une équipe de basket a enjoint à sa petite amie, pourtant pas franchement blanche, de ne pas fréquenter de noirs.
Pendant que j'écrivais ces lignes, une ministre s'est fait traiter de guenon, et le vice-résident d’une fédération de football a déclaré en parlant d’un joueur noir : « quand il est arrivé, il mangeait des bananes, aujourd’hui, il est titulaire en série A. » Pendant que j'écrivais ces lignes, un grand jury, majoritairement blanc, a décidé de ne pas renvoyer devant la justice un policier blanc ayant abattu de six balles à bout portant un jeune noir non armé.
Pendant que j'écrivais ces mots, des milliers, des millions de gens, de couleurs, de cultures différentes, se sont rencontrés, aimés et ont fait des enfants qui brouilleront les pistes, pourtant bien balisées, de la pensée raciste.
Pendant que j'écrivais ces mots, un homme blanc marié à une femme noire et père de deux enfants métis est devenu le maire de New-York. Il faudrait être fou pour penser que depuis les années 1950 tout a changé, que le racisme n'existe plus, que chacun avance sans préjugés; mais il faudrait être aveugle pour ne pas voir que pour cent reculs il y a mille avancées. C'est sur elles que je mise.
Pendant que j'écrivais ces pages, le propriétaire blanc d'une équipe de basket a enjoint à sa petite amie, pourtant pas franchement blanche, de ne pas fréquenter de noirs.
Pendant que j'écrivais ces lignes, une ministre s'est fait traiter de guenon, et le vice-résident d’une fédération de football a déclaré en parlant d’un joueur noir : « quand il est arrivé, il mangeait des bananes, aujourd’hui, il est titulaire en série A. » Pendant que j'écrivais ces lignes, un grand jury, majoritairement blanc, a décidé de ne pas renvoyer devant la justice un policier blanc ayant abattu de six balles à bout portant un jeune noir non armé.
Pendant que j'écrivais ces mots, des milliers, des millions de gens, de couleurs, de cultures différentes, se sont rencontrés, aimés et ont fait des enfants qui brouilleront les pistes, pourtant bien balisées, de la pensée raciste.
Pendant que j'écrivais ces mots, un homme blanc marié à une femme noire et père de deux enfants métis est devenu le maire de New-York. Il faudrait être fou pour penser que depuis les années 1950 tout a changé, que le racisme n'existe plus, que chacun avance sans préjugés; mais il faudrait être aveugle pour ne pas voir que pour cent reculs il y a mille avancées. C'est sur elles que je mise.
Voir le billet de Lewerenz ICI
LIVRE VOYAGEUR
Merci à Lewerenz qui m'a envoyé ce livre et sachez qu'il continue à voyager. Inscrivez-vous s'il vous intéresse, vous pourrez prendre tout le temps que vous voulez pour le lire.
pour le sujet je note ce livre mais rassure moi ce n'est pas un melo à la tatiana de Rosnay ?
RépondreSupprimerNon, ce n'est pas un mélo, c'est plutôt une étude. Tu peux te faire une idée en lisant les extraits. Je te l'envoie?
SupprimerJamais lu cette romancière, un sujet qui m'intéresse. Bel hommage qui rend sa place dans l'histoire à cette jeune femme méconnue.
RépondreSupprimerSi le sujet t'intéresse, je te l'envoie
RépondreSupprimerJe croyais que Rosa Park était la première, le sujet m'intéresse.
RépondreSupprimerC'est plus complexe que cela; Je t'envoie le livre.
RépondreSupprimerIl y a des jours où l'on est accablée par toutes les vilenies qui se commettent partout .. mais je suis convaincue qu'il faut s'informer un maximum pour les combattre, donc je note pour un peu plus tard.
RépondreSupprimerJe te note dans la liste pour un peu plus tard.
SupprimerBillet redoutablement intelligent, comme d'habitude. Je suis contente qu'il t'ai plu :-)
RépondreSupprimerMerci Lewerenz : le redoutablement.. m'a bien amusée.
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