Le livre passionnant d'Alexi Jenni La conquête des îles de la Terre Ferme laisse la parole à un narrateur fictif, Juan de la Luna, qui raconte son histoire. C’est par un long retour en arrière que celui-ci, vieillissant, présente d’abord son enfance, celle d’un fils d’Hidalgo d’Estramadure presque aussi pauvre que ses paysans mais pétri d’orgueil et nourri de chevalerie. Un jeune garçon qui multiplie frasques et sottises avec les garnements de son âge, puis est envoyé dans un monastère où il apprend à aimer la lecture et où il devient presque moine. Presque, oui, car le voilà qui s’enfuit pour suivre une femme mariée, pècheresse tentatrice. Enfin, envoyé au diable, c’est à dire à Cuba, par le vieux mari de sa maîtresse, notre héros fait connaissance de Hernan Cortès et son récit finit par rejoindre la grande Histoire : celle de la conquête de l’empire aztèque. Le jeune homme que Cortès appelle Innocent - et c’est vrai qu’il a encore l’innocence d’une jeunesse préservée de la violence dans un monastère - devient son secrétaire et mieux son historien.
Hernando Cortes (wikipedia) |
Las de végéter dans cette île où il ne voit pas la couleur de l’or, Hernan Cortez décide de partir en levant une armée hétéroclite, d’aventuriers, d'hidalgos désargentés, de paysans, d’artisans, plus rarement de vrais soldats de métier. Ils sont cinq cents au départ, renforcés par des esclaves noirs, tous galvanisés par l’énergie et les paroles de Cortès. Ce dernier est un chef né, il a le discours qui fédère et suscite l’enthousiasme, le charisme qui draîne les sympathies, une volonté qui ne plie jamais et une assurance qui en impose. Il saura aussi se montrer ferme, impitoyable et dur pour maintenir la discipline. Bien décidée à faire fortune, la petite troupe embarque sur des vaisseaux armés par le gouverneur de Cuba pour découvrir de nouvelles îles. Ils accosteront bientôt sur la terre ferme d'abord chez les Mayas,sur les côtes du Yucatan, puis au Mexique, pour le plus grand malheur de ceux qui y vivaient.
carte du voyage de Hernando Cortés |
Et là, on est sidéré et l’on se demande comment une troupe aussi peu nombreuse et constituée pour ainsi dire de bras cassés, a pu vaincre un empire si immense, si puissant, si organisé, et détruire une civilisation millénaire aussi raffinée que brillante.
Certes, les Espagnols pouvaient passer pour des Dieux aux yeux des autochtones. Ils avaient des vaisseaux, des armures, des chevaux, des chiens de guerre, des canons, mais ceci en nombre limité alors qu’ils devaient affronter des milliers d’hommes, des combattants innombrables aux techniques de guerre éprouvées. Certes, les conquérants sont aidés par les épidémies qu’ils propagent dans tout le royaume et qui déciment les populations mais dont ils sortent indemnes. Leur cupidité ainsi que la ferme conviction qu’ils possèdent la vraie foi et qu’ils doivent christianiser ces peuples dans l’ignorance les fanatisent. De plus, ils ne peuvent plus revenir en arrière. Et pour cela Cortés fait brûler les navires sur la côte du Mexique rendant impossible tout idée de retour. Ils n’ont plus qu’un choix : vaincre ou mourir !
Pourtant ce qui est décisif et lorsque Cortès s’en aperçoit il saisit sa chance, c’est que les Aztèques et leur empereur Montezuma ont des ennemis. Les populations qu’ils ont vaincues comme les Totonaques ou le Tlaxcaltèques doivent leur payer de lourds tributs aux Mexicas en jeunes gens pour les sacrifices humains et en récolte. Or, jouer sur la division est le plus sûr moyen de vaincre. Des milliers de combattants viennent rejoindre les conquistadors.
Calendrier solaire aztèque |
Alexis Jenni n’est pas sans manier l’ironie et c’est un des plaisirs du roman, quand il met face à face les mentalités des deux peuples, soulignant ainsi l’avidité, l’appât du gain qui mènent les uns et le curieux sens de l’honneur des autres qui au regard des européens est d’une grande naïveté. Ainsi le plan de guerre de Montezuma pour chasser les Espagnols, stratagème que tous ces conseillers considèrent comme imparable, est celui d’humilier les ennemis en leur faisant des cadeaux somptueux :
« Offrons le grand soleil d’or et la lune d’argent qui sont prêts depuis que les premiers signes sont apparus (…) Ils sont peu nombreux, ils sont pauvres, ils sont démunis, ils errent sur des rivages qui ne sont pas les leurs. Ils ne sauraient être à la hauteur de nos cadeaux, ils ne pourraient que s’humilier en nous offrant un présent. Honteux, troublés, répétant jusqu’à perdre le souffle des remerciements, incapables de combler une telle dette, ils partiront. Ou ils s’offriront d’eux-mêmes en sacrifice. »
Or plus les cadeaux sont luxueux, plus s’accroît au contraire l’avidité des envahisseurs !
Incompréhension totale entre deux cultures : lndignation vertueuse des Espagnols devant cette terrible religion aztèque qui pratique des sacrifices humains, offre le coeur et le foie à manger aux Dieux, verse le sang pour faire avancer la course du soleil ! Mais eux-mêmes, Espagnols, bons catholiques brûlent vif leurs ennemis sur des bûchers comme le pratique leur église, les pendent à un gibet ou les humilient, ce qui est bien pire pour les indiens que d'être mangé ! Les uns trouvent que tous ces dieux serpent, dieu soleil … sont grotesques et ridicules, les autres restent dubitatifs devant un dieu unique mais qui est trois, un dieu qui a une mère toujours vierge !
Enfin, entre les Espagnols qui tuent et anéantissent leurs adversaires pour faire table rase et s’emparer de tous leurs biens et les Aztèques qui ménagent leurs ennemis pour pouvoir les taxer, on comprend que malgré leur incommensurable supériorité numérique les perdants n’étaient pas à même de triompher.
Et puis il y a la leçon que reçoit Innocent auprès de son maître Cortés, on ne peut régner que par la terreur et l’émerveillement mais la terreur d’abord, la terreur ! Au risque d’y perdre son âme. Et le roman se clôt sur des personnages vieillissants et désenchantés qui ont perdu ce qu’il y avait d’humain en eux.
"Je sais bien ce que je suis devenu. La toute-puissance exercée par certains hommes sur d'autres qui en sont dépourvus les rend ignobles."
Ce roman nous dit l’auteur raconte une histoire vraie mais avec "les menteries qui sont au coeur de tout roman". Et après tout quand les historiens eux-mêmes ne sont pas d’accord, c’est finalement la version romanesque qui a raison !
"On nous logea dans un palais, il était immense, il était pour nous. Il fallut pour ça traverser toute la ville, et une heure durant nous dûmes marcher dans les rues sans en voir le bout, sans que s'interrompe jamais l'alignement continu des maisons, des palais, des temples, entrecoupés seulement d'autres rues perpendiculaires, de jardins plantés d'arbres, de canaux où les indiens debout sur des barques allaient comme dans des rues."
et qu'ils prennent conscience de leur petitesse :
"La foule sur la chaussée était telle, et l’Empereur si spectaculaire, et ses guerriers si impressionnants, face à nous si seuls au milieu des eaux, que je me dis à cet instant-là, en regardant la ville colossale où nous nous apprêtions à entrer, que nous étions allées trop loin et qu’à force de jouer habilement avec de mauvaises cartes Cortés finirait par perdre; et ce jour était peut-être arrivé, ce serait aujourd’hui, ou alors demain."
Episodes épiques aussi, celle de leur fuite nocturne après la mort de Montezuma et la bataille homérique qui s’ensuit ou encore le transport des bateaux à dos d’hommes à travers les montagnes et la dernière bataille. Le roman nous offre aussi une réflexion sur la violence de la colonisation espagnole qui a tout sacrifié à l’appât de l’or et à la prétendue supériorité de sa religion.
Merci Ingammic pour ce livre que j'ai beaucoup aimé ! ICI
Ce n'est pas un gros pavé? Cela pourrait m'intéresser, le côté historique.
RépondreSupprimerSelon les critères du "Pavé de l'été", ce n'est pas un pavé puisqu'il ne compte que 407 pages !
SupprimerDire que je n'ai toujours pas lu Alexis Jenni ! Mon mari en a lu plusieurs et j'ai donc du choix dans mes étagères, las, d'autres livres me tentent toujours plus ! Mais, à te lire, j'ai tort.
RépondreSupprimerJ en'ai lu que celui-ci mais il vaut la peine et il est agréable à lire !
SupprimerComme je suis contente qu'il t'ait plu ! A relire ton billet, je me suis replongée dans ce roman foisonnant, épique et profond. Concernant la défaite des autochtones, ce qui m'avait aussi marquée, en plus du fait que les espagnols trouvent sur place des alliés qui se battent à leurs côtés, c'est que le but de leur combat n'est pas de tuer l'ennemi mais au contraire de lui laisser la vie sauve. Là aussi, c'est un état d'esprit qui va à l'encontre de la culture occidentale d'alors, et qui leur a coûté cher ..
RépondreSupprimerOui, finalement ce qui a énormément contribué à la victoire des espagnols c'est la différence de mentalité !
Supprimerj'aime beaucoup cet auteur!
RépondreSupprimeret je vois que je n'ai pas encore tout lu ;-)
Et moi je vois qu'il me faut ne lire d'autres !
Supprimerune belle idée de livre que je note immédiatement, cette histoire m'a toujours passionné, j'ai lu Las Casas il y a quelques années je note celui là même si les précédents romans d'Alexis Jenni ne m'ont pas emballé mais j'ai bien aimé sa biographie de John Muir
RépondreSupprimerCelui-ci est vraiment intéressant ! Tu verras !
SupprimerJe le note! Pas pour l'instant (mois de la littérature de l'Europe de l'Est + voyage en Guadeloupe) la PAL est pleine, mais pourquoi pas ensuite!
RépondreSupprimerAlexis Jenni parlait d'amour ce matin sur France-Culture, Saint-Valentin oblige. Ici j'ai l'impression d'une histoire pleine de fureur et de bruit .. et de massacres. C'est un auteur qui m'intimide, va savoir pourquoi.
RépondreSupprimerje crois que j'aimerai beaucoup aussi!
RépondreSupprimerJe suis sûre qu'il me passionnera, une histoire fort vivante ici, merci beaucoup!
RépondreSupprimer