La
vie est une vraie comédie. On parle des anges qui pleurent; j’ai
toujours pensé, au contraire, qu’ils se tiennent les côtes en
voyant ce qui se passe sur notre globe; mais je m’étais promis de
dire toute la vérité, quand j’ai entrepris cette histoire, et
j’ai tenu ma promesse » Catriona
Les aventures de David Balfour
Dans le roman de Stevenson Kidnapped, traduit tout simplement par Enlevé, David Balfour a perdu sa mère dans son enfance. Il a seize ans à la mort de son père, modeste directeur d'école, et se retrouve seul et sans ressources. C'est alors que le pasteur lui remet une lettre de son père lui demandant de rejoindre son oncle, un certain Ebenezer Balfour, esquire de Shaws, dont le jeune garçon n'a jamais entendu parler. David apprend ainsi qu'il a de la famille et de plus qu'il est noble.
Hélas, la rencontre avec Ebenezer est plus qu'inquiétante. Le personnage avare, détesté dans la région, a un comportement bizarre envers son neveu qui lui fait craindre pour sa vie. David finit par comprendre que son oncle a usurpé le titre d'esquire et qu'en fait, c'est lui l'héritier du titre et du domaine. Sous prétexte d'une visite chez le notaire pour régulariser la situation, Ebenezer se débarrasse de son neveu en le vendant à un négrier qui le conduit en esclavage dans une île lointaine. C'est le début des aventures à bord du navire jusqu'au jour où le capitaine et ses seconds recueillent un naufragé, manifestement gentilhomme, portant une ceinture pleine d'écus qui provoque la convoitise de l'équipage. Il s'agit de Alan Brech Stewart et sa fortune, sacrée à ses yeux, est destinée aux chefs des clans qu'il s'apprêtait à rejoindre en France. David prend le parti de cet homme qui se révèle un combattant expérimenté, féroce et endurci. Ils tiennent en respect l'équipage qui finit par se rendre mais le bateau s'échoue sur des écueils de la côté écossaise. Tous deux se retrouvent en Ecosse traqué par les soldats du roi. Aventures périlleuses, souffrances du corps et de l'âme, le jeune homme n'est pas préparé à cette vie angoissante et rude de proscrit. Peu à peu va se nouer entre David et Alan une amitié indéfectible, traversée d'orages et de brouilles, au cours de laquelle chacun sera prêt à donner sa vie pour son ami.
Dans
Catriona, l'histoire continue et David s'emploie, parfois au péril de
sa vie, à sauver ses amis. Il lui faut permettre à Alan de quitter secrètement le pays pour gagner la France et témoigner en faveur de James Stewart, l'oncle d'Alan, injustement accusé d'un meurtre. De plus, il tombe amoureux d'une jeune
fille nommée Catriona, fille d'un Highlander proscrit, et comme tous les deux ont du caractère, leur relation fait parfois des étincelles ! J'ai beaucoup aimé aussi la conclusion du roman.
Ces deux romans d'aventures sont enlevés, riches en rebondissements, en dangers de toutes sortes, en personnages principaux attachants et d'autres, secondaires, nombreux, haut en couleurs.
L'Histoire d'Ecosse
La bataille de Culloden (1746) |
Pour suivre le roman de Stevenson Kinapped et sa suite Catriona il faut d’abord réviser un peu son histoire et dans ce cas particulier celle de l’Ecosse. Et c'est passionnant !
Nous sommes en 1751 peu après la bataille de Culloden au cours de laquelle, en 1746, la défaite sanglante des Highlanders écossais sonne le glas définitif des rebellions qui se sont succédé dans le pays pour rétablir le trône des Stuart. Une répression féroce s'abat sur les Highlanders.
Charles Edouard Stuart, appelé Bonnie prince Charlie, successeur de son père Jacques III dans la prétention au trône d'Angleterre et d'Ecosse, retourne en exil. Les chefs higlanders sont arrêtés et massacrés, certains parviennent à s'enfuir et se réfugient en France. Ceux qui restent sont soumis à des spoliations de la part de l'Angleterre, confiscation des terres, paiements de lourds impôts, interdiction de parler le gaélique, de porter le Kilt et le tartan, de jouer de la cornemuse. Tout est fait pour détruire la structure clanique. Il y a d'ailleurs dans le roman un scène pittoresque et amusante mais aussi très forte, un morceau de bravoure, où deux hommes s'affrontent dans un concours de cornemuse qui leur tient lieu de duel pour vider leur querelle.
Dans ce récit, Stevenson crée un personnage fictif David Balfour mêlé bien involontairement et à son corps défendant au destin et aux tourments des Higlanders. Et l'auteur campe à côté de David, un personnage historique bien connu, Alan Breck Stewart.
Cet Higlander qui a d'abord servi dans les troupes anglaises du roi Georges II, a rejoint le soulèvement jacobite à la bataille de Culloden. Il est l'homme à abattre pour les anglais, un déserteur, un traître qui vit en France, désormais officier dans les troupes écossaises de l'armée française. Sa tête est mise à prix. Il revient clandestinement dans son pays pour lever les loyers des chefs de clan exilés en France.
Alan Stewart a grandi sous la garde de son oncle James of the Glen d'Appin, chef du clan des Stewart d'Appin. Nous rencontrons ce personnage historique dans des circonstances tragiques qui appartiennent à l'Histoire de l'Ecosse et au récit de notre roman ! Il s'agit de l'affaire qui a secoué toute l'Ecosse et l'Angleterre à l'époque, le meurtre d'Appin. Le 14 Mai 1752, Collin Campbell de Glenure, surnommé le Renard rouge, venu percevoir les loyers des Stewart d'Arshiel, mesure très impopulaire, est abattu. Alan Beck est accusé du meurtre.
Stevenson nous raconte dans Kidnapped et Catriona, comment, condamné à mort par contumace, Alan échappera aux soldats royaux et parviendra à gagner la France grâce à son ami Balfour. Par contre, James of the Glen d'Appin est arrêté. Bien que sa culpabilité ne soit pas établie, il est jugé par le clan ennemi Campbell, rallié aux anglais, qui prononce son arrêt de mort. Dans Catriona, Stevenson détaille pour nous les enjeux politiques et les dessous de ce jugement injuste qui, même de nos jours, est encore contesté, avec des demandes de réhabilitation toujours repoussées !
Un Hommage aux Highlanders
Les clans des Higlanders : tenue traditionnelle |
David et Alan sont très différents l'un de l'autre. Alan est un homme de petite taille (ce qui le vexe), il n'a pas de titre, c'est pourquoi il se vante de porter le nom d'un roi (Stewart a donné le nom de Stuart). Il a la figure tavelée marquée par la variole (Berck est un surnom qui signifie, le Tacheté). Il est fanfaron, très content de lui-même et il n'est pas bon paraître se moquer de lui. Il est d'un courage et d'une endurance extrême, manie l'épée en grand maître, est ardent au combat dont il fait une sorte de jeu, peu enclin à s'effaroucher devant quelques cadavres de plus. En bon Highlander, la mort de ses ennemis lui paraît justifiée, le vol lui semble nécessaire à cause de la misère, défendre le voleur ou le criminel aussi puisqu'ils sont poursuivis par les anglais ! Il faut bien s'entraider, c'est un devoir. Il a pourtant un solide sens de l'honneur mais à la manière des Hautes-Terres ! Il se dévouera pour un ami ou pour son chef de clan jusqu'à la mort, il est fidèle à la parole donnée.
David est beaucoup plus jeune et plus sensible. Il n'a pas connu la guerre et est horrifié d'avoir tué des membres de l'équipage lors du combat. Le sang, les corps gisant sur le pont du navire le rendent malade. C'est un protestant et même un puritain. Il ne boit pas d'alcool et refuse les jeux de carte, perdition de l'âme, et son ami lui conseille de se laisser un peu aller, parfois. C'est un lowlander, fidèle au roi Georges, un bon whig, tout le contraire d'Alan Beck. Pour lui, les Highlanders sont des espèces de brigands sans foi ni loi, voleurs de bétail, criminels, opposés au pouvoir légitime. Son sens de l'honneur est exigeant et même si, parfois, il souhaite se désolidariser d'Alan Beck pour sauver sa vie, il ne le fera pas et rougit d'avoir de telles pensées. Il est rancunier et pardonne difficilement les offenses. Mais son courage pour affronter les épreuves forcent l'admiration de son camarade plus âgé. Finalement avec leur sale caractère, leurs défauts et leurs qualités, ce sont deux personnages bien sympathiques.
Il y a une certaine forme comique qui naît de l'incompréhension mutuelle des deux personnages que tout sépare. Lorsque Alan parle d'honneur, David le regarde avec effarement. Chacun accuse l'autre de ne pas avoir de morale :
J'ai remarqué plus d'une fois que vous autres, gens des Basses-Terres, vous n'aviez pas une idée claire de ce qui est juste ou injuste.
A ces mots j'éclatai de rire, et je fus fort surpris de voir Alan en faire autant, et rire aussi gaîment que moi.
Mais peu à peu la vision de David va changer et son opinion des Highlanders aussi. Le différend entre les deux hommes nous permet de mieux comprendre la mentalité des hommes des Hautes-Terres. Leur sens de l'honneur est très fort mais étroitement lié au système clanique qui fait passer la fidélité au chef et au clan avant toute loi. La détestation des « habits rouges », les soldats du roi, unit ces populations. La lutte pour survivre, pour maintenir leurs coutumes, leur langue est souterraine, oblige à la clandestinité, au secret. Le roman est un hommage aux Higlanders, à leur résistance glorieuse, à leur orgueilleuse sauvagerie, à la fierté avec laquelle ils vivent leur misère, à leur fidélité à la parole donnée, à leur courage non seulement dans la bataille mais dans les épreuves quotidiennes.
Quand Alan apprend que les fermiers highlanders paient la redevance au roi George mais qu'ils se privent pour payer une seconde redevance à leur seigneur exilé, David s'écrie :
Voilà ce que j'appelle de la noblesse ! Je suis un whig et je ne vaux guère mieux, mais j'appelle cela de la noblesse !
-Oui, dit Alan, vous êtes un whig mais vous êtes un gentleman, et c'est pourquoi vous parlez ainsi.
Il y a quelque chose que les Anglais n'ont pas pu tuer, c'est l'affection que les hommes du clan ont pour leur chef. Ces guinées en sont la preuve.
Et en fait, si Alan et David peuvent s'entendre, c'est finalement que leur conception de l'amitié et leur conception de la noblesse d'esprit se rejoignent.
Un voyage à travers l'Ecosse
David sur l'île de Earaid |
Le récit nous conduit dans une longue traversée à pieds à travers les Highlands et permettent de belles descriptions des paysages aimés et bien connus de l'écrivain. Le naufrage a lieu sur l'île Mull, sur la côte Ouest de l'Ecosse où le jeune homme est d'abord prisonnier sur un l'îlot sauvage Earaid. Là, il souffre de froid, de faim et de solitude.
Toute l'île d'Earaid, mais encore le pays adjacent de Mull, qu'on nomme le Ross, n'est autre chose qu'une succession de blocs granitiques, entre lesquels pousse un peu de bruyère.
Il entame ensuite le voyage pour gagner Appin où il sait qu'il retrouvera Alan. Il traverse le Loch Linnhe en direction d'Appin sur un bateau de pêcheurs
Les montagnes des deux rives étaient hautes, rudes et nues, très noires et très sombres sous l'ombre des nuages, mais couvertes comme d'un réseau d'argent formé par de petits filets d'eau qui reflétaient le soleil.
Elle avait l'air d'une âpre contrée, cette contrée d'Appin, pour que les gens l'aimassent autant que le faisait Alan Breck
On peut suivre leur trajet sur une carte tant l'inéraire est précis et détaillée, bras de mer, lacs profonds, montagnes escarpées et ravinées... pour arriver à Carriden où vit le notaire qui doit faire reconnaître son titre, près d'Edimbourg où a lieu la suite du récit Catriona.
La carte des clans écossais |
On voit bien les Stewart d'Appin, la puissance des Campbell, la frontière entre les Hautes et les Basses Terres.
C'est un bonheur pour moi d'avoir découvert ces deux romans passionnants. Et dire que je n'en connaissais même pas le titre avant de charger les oeuvres complètes de Stevenson dans ma liseuse. Et pourtant c'est un grand classique aussi bien en Ecosse qu'aux Etats-Unis. Je ne sais pas, par contre, si les anglais l'aiment beaucoup ! Il faut voir le nombre d'adaptations du livre au cinéma et à la télévision ! Même Michael Caine a voulu endosser le rôle d'Alan Beck, le héros national écossais !
Et si vous allez en Ecosse peut-être découvrirez-vous, non loin d'Edimbourg, sur Corstorphine Road, la statue d'Alan Beck Stewart au côté de son ami David Balfour, la réalité historique et la fiction littéraire à égalité dans la mémoire collective écossaise !
Alan Beck et David Balfour |
C'est captivant ! J'aime beaucoup les romans d'aventures et la genèse des deux livres est passionnante. Je vois que tu les as lus en anglais. J'aimerais bien m'y remettre aussi. Le niveau de langue est-il accessible ?
RépondreSupprimerPas lu! J'ignore même le contexte...
RépondreSupprimerje ne les connais pas non plus et tu donnes très envie de s'y plonger!
RépondreSupprimerJe ne crois pas l'avoir lu. Ça me plairait sûrement. Beaucoup lu Stevenson à un moment donné et puis j'ai un peu arrêté... faut s'y remettre !
RépondreSupprimerJe pense que j'ai dû lire jadis une vieille édition enfantine (donc sans doute fortement édulcorée) de "Enlevé!". je suis certain de n'avoir jamais lu "Catriona" (merci pour l'aperçu!). Pour le moment, touchant Stevenson, il faut déjà que j'arrive à finaliser mon billet sur "Journal de la construction d'un phare" avant de me remettre au recueil contenant notamment "Voyage avec un âne dans les Cévennes", un bouquin bien "épais"...
RépondreSupprimer(s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola
Quel super souvenir de lecture, je devais avoir 10 ans environ et je l'ai reçu en cadeau dans la fameuse collection rouge et or à l'époque, je me souviens encore de la couverture et de la tête de David Balfour
RépondreSupprimerC'était la première fois je crois que je lisais un vrai roman d'aventure autre que les Alice et club des cinq Je ne suis pas certaine d' avoir tout compris mais l'essentiel y était la preuve j'en ai encore le souvenir
De Stevenson je n'ai lu que Docteur Jekyll et Mister Hyde ainsi que Voyage avec un âne dans les Cévennes, j'avoue que ce dernier m'a laissé un souvenir impérissable ! La vie de Stevenson est un vrai roman, j'ai lu une biographie de lui. Comme il jouait avec sa flute des oeuvres musicales par exemple. Pas de CD ni d'internet à l'époque ni facilités pour se rendre à des concerts
RépondreSupprimerLorsque nous sommes allés en Californie, nous sommes allés sur se pas à Monterey...
Les Cévennes ou l'Ecosse, il est possible de voyager partout !
Bonne fin de semaine, Claudia-Lucia !
Jamais lus ces deux romans, merci pour le rappel historique, si nécessaire. Ce seront mes lectures de l'été, tu sais ces heures où il fait trop chaud pour mettre le nez dehors.
RépondreSupprimerTon billet est si complet, si tentant.....bonne journée
Cela fait bien envie, je vais essayer de les lire en VO mais un peu plus tard. Merci pour al carte d'Ecosse
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