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lundi 8 janvier 2024

Guy de Maupassant : Le Horla

 


Je viens de relire Le Horla de Maupassant pour accompagner le travail de ma petite-fille après avoir découvert cette nouvelle quand j’avais son âge, après l’avoir étudié avec mes élèves, lu et relu avec chacune de mes trois filles et enfin, vu au théâtre dans un seul en scène (festival off Avignon 2013)  ! Et bien, on le croira ou non, il y a toujours quelque chose de nouveau à découvrir, un thème différent, un détail qui vous accroche cette fois-ci plus que cette fois-là. C’est le propre des classiques, la richesse et la polyvalence de la lecture !

 Il y a en fait trois versions de l’histoire dont la première s’intitule Le journal d’un fou (1885) et les deux autres, (1886 et 1887) Le Horla. La dernière, celle que dont je parle ici, est présentée sous forme de journal intime. Cette oeuvre est écrite cinq années avant la mort de Maupassant qui, atteint de la syphilis, décède, en 1995, dans la maison psychiatrique du docteur Blanche, le cerveau ravagé par la maladie, en proie à des crises d’angoisse, à de terribles hallucinations, gagné par la folie après avoir tenté de se suicider en 1992.

Maupassant, quand il écrit Le Horla, est déjà atteint de troubles psychiatriques. Son personnage, bien que fictionnel, est donc très proche de lui et ce récit permet d’avoir la description précise,  sous la plume d’un écrivain talentueux, des troubles neurologiques et de leur évolution liés à ce fléau qui touche de nombreux hommes célibataires au XIX siècle. Les jeunes filles ne sont accessibles que par le mariage, enfermées dans des couvents, ou, à défaut, comme le dit Rimbaud, à l'abri «sous l’ombre du faux col effrayant de son père ». Reste la fréquentation des prostituées :  La maison Tellier, maison close de Maupassant reste célèbre !   On pense aussi à Gérard de Nerval qui décrit les troubles psychiatriques engendrés par la syphilis dans Aurélia, cette oeuvre devenue un classique des études de médecine, un passage obligé des étudiants en psychiatrie !

La structure de la nouvelle fantastique
 
 
Le Horla

 

Cette nouvelle  fantastique, le Horla, est  aussi classique par sa structure :  

 Le réalisme :  Dans un cadre réaliste, l’action se déroule du 8 mai au 10 Septembre, en Normandie, sur les bords de Seine, près de Rouen. Le narrateur vit paisiblement dans ce décor idyllique quand il commence à avoir de la fièvre, à se sentir triste, anxieux, à perdre le sommeil, l’appétit… Les détails réalistes créent un décor concret qui rend plus vraisemblable l'apparition du surnaturel et instaure le doute dans l’esprit du lecteur.

Le surnaturel : Ce malaise qui va tourner à l’angoisse est dû à un élément perturbateur, un être invisible qui surveille constamment le narrateur, l’épie, et vient même se coucher sur lui pour l’étrangler ou boire son âme sur ses lèvres ! Une sorte de Vampire  !  
 Le Horla, c’est ainsi qu’il se nomme, en référence, pensent les critiques car Maupassant ne donne pas d’explication, à un mot Normand le Horsain qui signifie l’étranger. Le nom semble désigner celui qui est à la fois Hors et Là, au dehors et au dedans, oxymore décrivant ce double vampirique qui a pris possession du personnage et qui s’efforce de l’effacer.

Je suis perdu ! Quelqu’un possède mon âme et la gouverne ! Quelqu’un ordonne tous mes actes, tous mes mouvements, toutes mes pensées. Je ne suis plus rien en moi, rien qu’un spectateur esclave et terrifié de toutes les choses que j’accomplis. »

Dès lors le narrateur se demande s’il n’est pas en train de devenir fou et va chercher des preuves de l’existence du Horla pour acquérir la certitude que celui-ci est bien réel : Des preuves ? Il en a et plusieurs ! le Horla boit l’eau et le lait qu’il pose sur sa commode, il tourne les pages d’un livre, il cueille une rose et la déplace, il empêche le miroir de réfléchir l’image du narrateur…
Des preuves de sa folie ? Il en a tout autant ! Ses maux physiques et mentaux ne cessent de s’aggraver, l’anxiété devient angoisse, la peur, épouvante, ses souffrances atteignent un paroxysme : troubles de la personnalité, dédoublement de la personnalité, effacement du moi,  hallucinations, paralysie du sommeil, paranoïa…
La présence du Horla ne cesse de s’affirmer détruisant le narrateur jusqu’à une sorte de crescendo au cours de laquelle la créature domine l’humanité et devient le maître de l’univers.

« Mais le Horla va faire de l’homme ce que nous avons fait du cheval et  du boeuf ; sa chose, son serviteur, sa nourriture, par la seule puissance de sa volonté. »

La chute de la nouvelle : L’écrivain a amené le lecteur à douter : il nous a rappelé que nos sens ne sont pas capables de tout saisir. La vue, l’ouïe, l’odorat… nous induisent en erreur. Donc, peut-être Le Horla existe-t-il vraiment puisque l’on ne peut voir l’invisible, sinon pourquoi sévirait-il jusqu’au Brésil selon ce que rapporte la très sérieuse  Revue du Monde scientifique ?  Ou bien, le  narrateur a sombré dans la folie comme semble l’annoncer l’incendie de sa maison  qui entraîne la mort de ses domestiques et la dernière phrase du récit : "Il va donc falloir que je me tue, moi !"

Le doute qui laisse planer le mystère en conclusion donne sa valeur a toute nouvelle fantastique.

 
Les qualités picturales des descriptions

 

La Seine vue sur Rouen

 Quand on lit la nouvelle pour la  première fois, c’est  l’aspect fantastique qui fascine le plus, bien sûr !  Mais il y a tout ce qui nourrit le texte et, en particulier, les qualités picturales de l'oeuvre ! 

Le narrateur vit dans une belle maison sur le bord de la Seine, près de Rouen «  la grande  et large Seine  qui va de Rouen au Havre, couverte de bateaux » qui passent devant la maison du narrateur composent un tableau riant et paisible de la Normandie.
A gauche, là-bas, Rouen, la vaste ville aux toits bleus, sous le peuple pointu des clochers gothiques…. Ils sont innombrables, frêles ou larges, dominés par la flèche de fonte de la cathédrale et pleins de cloches qui sonnent dans l’air bleu des belles matinées…
semblable à un tableau de Monet.


Le voyage au Mont Saint Michel qui arrache le personnage à la peur et la folie  est le prétexte à une  magnifique description de l’abbaye que Maupassant fait surgir au milieu de « cette baie démesurée » » « entre deux côtes écartées se perdant dans la brume » « sur l’horizon encore flamboyant » du soleil couchant  « le profil de ce fantastique rocher qui porte sur son sommet un fantastique monument. »

Du crépuscule à l’aurore,  la  vision lointaine se rapproche ensuite jusqu’aux détails :  « j’entrai dans ce gigantesque bijou de granit, aussi léger qu’une dentelle, couvert de tours, de sveltes clochetons, où montent des escaliers tordus, et qui lancent dans le ciel bleu des jours, dans le ciel noir des nuits, leurs têtes bizarres hérissées de chimères, de diables, de bêtes fantastiques, de fleurs monstrueuses, et reliés l’un à l’autre par de fines arches ouvragées. »
Diffusion de la lumière comme dans un tableau impressionniste, contrastes de couleurs, beauté plastique des formes, nous ressentons comme un apaisement cet intermède de beauté qui permet au narrateur d’échapper à l’horreur du Horla.

J’ai aimé aussi ce récit dans le récit  pendant lequel le moine compte au personnage les légendes du pays ou lorsqu’il lui explique que nous pouvons être trompés par nos sens en lui donnant comme exemple le vent

« Est-ce que nous voyons la cent millième partie de ce qui existe ? Tenez, voici le vent, qui est la plus grande force de la nature, qui renverse les hommes, abat les édifices, détruit les falaises et jette aux brisants les grands navire, le vent qui tue, qui siffle, qui gémit, qui mugit, - l’avez-vous vu, pouvez-vous le voir ? Il existe, pourtant. »

 

 

Mais c'est par une seule phrase que Maupassant convoque, avec Bougival, ce lieu de divertissements populaires, guinguette, bal, canotage (on sait que Maupassant en est adepte),  non loin de Paris,  tous les peintres impressionnistes et c'est grâce à l'évocation de la fête et des plaisirs que le narrateur du Horla pense tenir la créature maléfique éloignée.

 

Auguste Renoir : Le Bal de Bougival

Auguste Renoir : Le déjeuner des canotiers

 

"J’ai été dîner à Bougival, puis j’ai passé la soirée au bal des canotiers... Croire au surnaturel dans l’île de la Grenouillère serait le comble de la folie."


Monet : La Grenouillère
Auguste Renoir : La Grenouillère


 
Canotage  : Berthe Morizot
 

Canotage :  Edouard Manet/ Gustave Caillebotte

 

Le théâtre est aussi un lieu où oublier la peur . Ainsi le personnage  se rend  à la Comédie française où l’on joue un pièce d’Alexandre Dumas fils et il assiste à la fête de la République le 14 juillet, « Les pétards et les drapeaux m’amusaient comme un enfant."

 

Claude Monet : le 14 juillet

La fête nationale est d'ailleurs prétexte à un monologue pessimiste sur la sottise la nature humaine, que ce soit de la part du peuple,  "un troupeau imbécile" "on lui dit : «  amuse-toi ! ».  Il s’amuse" et "ceux qui dirigent sont de sots, ils obéissent à des principes qui ne peuvent être que niais... ».

 

Le XIX siècle, le siècle des sciences

L'influence de Mesmer (1730_1815)


La nouvelle traite aussi des préoccupations scientifiques de l’époque de Maupassant. Et pour justifier sa croyance dans des forces invisibles qui échapperaient à l’homme et ne seraient donc pas de l’ordre du surnaturel  le narrateur s’appuie sur  les théories de Mesmer,  médecin allemand qui soignait ses patients grâce à un « fluide animal » appelé magnétisme ou mesmérisme. Il fait allusion aussi  aux pratiques des  médecins de l’école de Nancy ou école de la suggestion, Hyppolite Berheim et Ambroise Liébeault,  que Maupassant connaissait et qui utilisaient l’hypnose pour guérir l’hystérie.
La thérapie de l'hypnose encore très mal définie par les  médecins eux-mêmes a donné lieu à des controverses entre l’école de Nancy et Charcot, de la Salpétrière. Elle  est encore plus mal connue du grand public pour qui ces pratiques  flirtent avec l’occultisme et le spiritisme dans le désir de faire parler les morts.

Depuis que l’homme pense, depuis qu’il sait dire et écrire sa pensée, il se sent frôlé par un mystère impénétrable pour ses sens grossiers et imparfaits, et il tâche de suppléer, par l’effort de son intelligence, à l’impuissance de ses organes. (…) De là, sont nées les croyances populaires au surnaturel, la légende des esprits rôdeurs, des fées, des gnomes, des revenants, je dirai même la légende de Dieu, car nos conceptions de l’ouvrier-créateur, de quelque religion qu’elles vous viennent, sont bien les inventions les plus médiocres, les plus stupides, les plus inacceptables sorties du cerveau apeuré des créatures. Rien de plus vrai que cette parole de Voltaire : « Dieu a fait l’homme à son image mais l’homme le lui a bien rendu ». « Mais depuis un peu plus d’un siècle, on semble pressentir quelque chose de nouveau. Mesmer et quelques autres nous ont mis sur la une voie inattendue, et nous sommes arrivés vraiment, depuis quatre ou cinq ans surtout, à des résultats surprenants. »

Ainsi dans Le Horla, le narrateur assiste à une séance d’hypnose au cours de laquelle sa cousine, hypnotisée, accomplit des actes qui lui ont été dictés par le praticien, sans que sa volonté soit sollicitée. Or, la conclusion du narrateur est que Mesmer  et ses successeurs, en jouant sur la faculté d'intervenir  par l'hypnose sur le psychisme de l'être humain, sont responsables de la montée en puissance du Horla,  ce « Seigneur » qui dominera le Monde.

"Ils ont joué avec cette arme du Seigneur nouveau (le Horla), la domination d’un mystérieux vouloir sur l’âme humaine devenue esclave. Ils ont appelé cela magnétisme, hypnotisme, suggestion... Que sais-je ?  Je les ai vus s’amuser comme des enfants imprudents avec cette horrible puissance ! Malheur à nous ! Malheur à l’homme !"

La nouvelle annonce donc la fin de l'être humain ! 





dimanche 31 décembre 2023

Avignon : Meilleurs voeux pour l'année 2024

 

Avignon : décor de fêtes : l'hôtel de ville



Bonnes fêtes et une heureuse année 2024 à tous !


Avignon : Place de l'Horloge



Avignon : place de l'Horloge








jeudi 28 décembre 2023

Flemming Jensen : Imaqa, une aventure au Groenland

 

 

Flemming Jensen est un humoriste et écrivain danois et le livre que je viens de découvrir Imaqa, - Peut-être, en Groenlandais -,  est, en effet, plein d’humour, ce qui n’exclut pas la profondeur et le tragique.

J’ai été emballée par ce bouquin plein de tendresse et d’humanité qui pose les vrais problèmes de la colonisation, ici le domination du Danemark sur le Groenland, avec ses corollaires négatifs et dévastateurs qui s’appellent condescendance, paternalisme voire mépris du peuple dominateur envers celui qui est dominé. C’est tout cela que nous donne à voir Flemming Jensen sans oublier de nous faire rire et il nous présente aussi les troubles identitaires générés chez les autochtones par cette domination lorsqu’elle s’efforce comme le font les Danois de faire disparaître la langue et les coutumes considérées comme inférieures et tout ce qui fait la base d’une communauté minoritaire. Le récit se déroule dans les années 1970. Depuis le Groenland a obtenu son autonomie en 1979 renforcée en 2009. Il n’est toujours pas indépendant. Souvenez-vous qu’un imbécile a même proposé de l’acheter au Danemark !

J’ai adoré les personnages. En cela Flemming Jensen me rappelle le Steinbeck de Tendre Jeudi  et plus encore, bien sûr, puisqu’il s’agit de la même civilisation, un autre écrivain danois, Jorn Riel et ses Racontars arctiques .
Martin, le personnage principal, Candide de l’histoire, danois, vit à Copenhague et a soif d'autres horizons pour combler le vide de sa vie. Enseignant, il demande sa mutation pour le Groenland et choisit un petit village, le plus isolée possible au nord du cercle polaire : Nunaqarfik. Pour un changement, cela va en être un, en effet !  Un choc de civilisations, de mentalités aussi ! Martin se rend vite compte qu’il a tout à apprendre de ce peuple accueillant, qui vit en accord avec la Nature dont il accepte les lois pourtant très dures. Et puis il y a la langue dont l'apprentissage est, Ô combien, difficile! Martin s'y lance avec enthousiasme si bien que l’on ne sait plus vraiment qui est l’enseignant et qui est l’enseigné ! Ce qui va, on s’en doute, à l’encontre de toutes les directives du ministère de l’éducation nationale danoise et lui causera bien des ennuis. Il est là pour coloniser, non ? Et apporter les bienfaits d’une civilisation supérieure, non ?

 Martin entre avec délices dans cette civilisation encore authentique où l’on répond aux difficultés, et aux deuils par le rire et la dignité, où la solidarité n’est pas un vain mot, où la porte est toujours ouverte et où tout est prétexte à faire la fête au risque de glisser dans l’alcoolisme ! Car tout n'est pas rose, ici ! Mais voilà encore une occasion de rire :  un conférencier de la ligue antialcoolique vient les catéchiser et repart plus ivre que tout le monde après une cuite mémorable !

Et puis quand Martin tombe amoureux, de la charmante Naja dans la plus grande discrétion (croit-il, le pauvre homme !),  alors là, je vous prie de croire qu’il est bien accroché ! Sachez aussi, Martin vous le dira, que l’on n’apprend jamais aussi bien une langue que sur l’oreiller !
 
La modernité n’est pas encore parvenu à remettre en cause les coutumes d’une société qui vit de la pêche, de la chasse aux phoques et … aux mouettes, en cas de disette. Pourtant la tentation est grande ! Ce qui donne lieu à des passages hilarants, quand les habitants commandent  sur catalogue, l’une une télévision, l’autre une machine à laver alors qu’il n’y pas l’électricité.  Malgré les difficultés de leur vie, les gens sont fiers de ce qu'ils sont, fiers des savoirs ancestraux, de la pêche à quarante hameçons, de la chasse pour nourrir la famille, de la conduite des chiens de traîneaux dans des courses mythiques qui demandent expérience, courage, ténacité, intelligence… Martin veut tout apprendre et son ami Gert est là pour cela ! Gert, un drôle de personnage, un filou sympathique, un ami qui vous veut du bien ! Un personnage charismatique ! L’inénarrable Gert qui devient l’ami de Martin ( Martinii) mais quel ami ! et qui le roule dans la farine !  

Gert parle très bien le danois mais il s’adresse à Martin en « petit-danois» (si le terme existe !) et lui explique : 

« - Ecoute : moi, Groenlandais parler mal Danois.
 Alors toi croire moi être un idiot.
Toi croire moi être un idiot
égale moi plus facilement rouler toi. »

Oui, l’on rit bien dans cette première partie du livre qui révèle des moments de bravoure comme les séances de cinéma... un peu particulières, la livraison par bateau de tonnes de rouleaux de papier hygiénique, l'arrivée d'un chanteur de l'opéra royal accompagné à l'orgue par Pavia, un autre personnage incontournable avec sa peur des fantômes !  Des scènes de comédie hilarantes ! 

Mais déjà se devine la fêlure à travers le personnage de Jakunguak, Jakob, jeune homme parti étudier à Copenhague pour sa cinquième année (obligatoire) afin d’apprendre le danois. Or le retour au pays se passe mal. Jakunguak est devenu un étranger, il a oublié sa propre langue et surtout, il ne peut plus se contenter du quotidien de la famille. Le malaise s’installe entre son père et lui. Peu à peu le drame se tisse, ce qui amène à une seconde partie beaucoup plus sombre.
Mais je ne vous en dis pas plus ! Ce livre est un régal et je le recommande à chacun pour la connaissance qu’il nous apporte du Groenland, pour la réflexion sur la colonisation et la destruction programmée des coutumes d’un peuple au nom de la modernité et de la rentabilité économique, pour ses personnages attachants et son humour, pour le rire et les larmes dont il est empreint. 

"Sur un rocher surplombant l'immense fjord de Qaqajaq se tenaient Abraham, Isaac et Abel, victimes innocentes de la chrétienté missionnaire qui avait encombré plusieurs générations de Groenlandais de noms de baptême tirés de l'Ancien Testament.

Néanmoins, il en va ainsi au Groenland, on s'adapte aux réalités. Aussi Abraham avait-il depuis toujours été appelé Abala, beaucoup plus aisé à prononcer pour une bouche groenlandaise.

Isaac était appelé Isanguaq parce qu'il était un petit gars bien sympathique.

Quant à Abel, il s'appelait Angutekavsak, ce qui est malgré tout bien plus facile à dire que ce drôle de son pataud, sans doute agréable si on la bouche pleine de dattes, mais un peu malencontreux ici où habitent les hommes."




Ellen J. Levy : Le médecin de Cape Town

 

Dans le roman Le médecin de Cape Town, Ellen J. Levy  nous raconte l'histoire de Margaret Ann Bulkley, irlandaise, née à la fin du XVIII siècle, devenue chirurgienne en se faisant passer pour un homme à une époque où le savoir est interdit aux femmes.

 

James Barry peintre, oncle de Margaret Bulkley

C’est la ruine de son père, emprisonné pour dette, qui précipite le destin de Margaret en la plongeant, elle et sa mère, dans une situation précaire. Son oncle, le célèbre peintre James Barry décède après leur  avoir refusé son aide. Aussi, c’est avec le soutien de son tuteur vénézuélien, le général Fernando de Mirandus, qui lui servit de professeur et lui ouvrit sa bibliothèque et avec l’accord de sa mère, qu’elle décide de prendre une identité masculine afin de pouvoir s’inscrire à l’université de médecine d’Edimbourg interdite aux femmes. Elle emprunte alors le nom de son oncle auquel elle ajoute celui du général et devient James Miranda Barry. Elle obtient son doctorat de médecine en 1812 à l’université d’Edimbourg et devient chirurgien militaire après avoir passé son examen au Collège Royal de chirurgie à Londres en 1813.
 

James Miranda Barry, chirurgien
 

Nommée au Cap, elle devient inspecteur médical pour la colonie. Elle se lie d’amitié avec le gouverneur Lord Charles Somerset et tous deux sont soupçonnés d’homosexualité,  délit sévèrement réprimé à l’époque, ce qui crée un scandale. Elle est obligée de quitter le Cap pour l’île Maurice et ne revient en Angleterre que pour assister aux funérailles de Lord Somerset. C’est ainsi qu’Ellen Levy a choisi de terminer son roman.  Après la mort du Lord, l’écrivaine résume ensuite dans un bref épilogue les trente ans de vie de James Barry à travers le monde et ce qui a trait à son métier de médecin. On sait qu’il effectua la première césarienne en Afrique, lutta contre le choléra, la syphilis, améliora l’hygiène publique et la prise en charge de la santé des soldats.

Le roman d’Ellen J. Levy est intéressant à plusieurs titres. Dans une premier partie qui présente l’enfance et la formation universitaire de le jeune fille ainsi que sa transformation du féminin au masculin, l’écrivaine nous présente un personnage qui a réellement existé et qui a eu une vie hors du commun. Bien sûr, l’on ne sait pas tout sur le docteur Barry mais Ellen Levy s’est appuyée sur des faits avérés pour retracer son histoire. Pour le reste, elle a dû laisser libre cours à son imagination.
Toute la première partie du roman m’a beaucoup plu car elle présente la société et la condition féminine de ce début du XIX siècle dans laquelle la femme n'a aucun doit et doit rester dans l'ombre pour ne pas déranger l’ordre établi.

 "Naturellement, c'était illégal d'être une femme sur un bateau de la marine. Il existait tellement de situations où les femmes étaient illégales – la médecine, l'armée, l'université. A en croire la loi, le sexe féminin devait être une puissance monstrueuse – risquant à tout moment de dépasser les hommes, constituant une terrible menace -, une force redoutable pour entraîner de telles contraintes. Il semblait que nous étions plus dangereuses que l'opium, la poudre à canon ou les Enclosure Acts combinés."

 
Elle nous amène aussi à une réflexion sur ce que c’est qu’être homme ou femme ou tout simplement ce que c'est qu'être ! Il ne suffit pas d’un changement de vêtements. Au début, Margaret s’entraîne à devenir James Barry mais elle ne le sera vraiment qu’en prenant conscience que c’est son intériorité qu’il faut modifier. Vivre en tant que femme, c’est vivre sous contrainte, sous éteignoir, éviter de donner son avis, cacher son intelligence, être conforme aux exigences de la société. Vivre en tant qu’homme, c’est vivre librement, au grand jour. En fait, c’est être elle-même !

« Malgré ma petite stature, j’avais le maintien des hommes libres, me comportais comme si j’appartenais au monde, ou plutôt comme si le monde m’appartenait. Ce n’étaient pas mes vêtements qui les convainquaient, c’était ma conduite : on voyait dans ma démarche que mon corps m’appartenait. On voyait dans ma démarche que j’avais le monde en héritage, que j’étais un fils fortuné. »
« Ils ont raison bien sûr, ceux qui disent que je n'étais pas une femme faisant semblant d'être un homme : j'étais quelque chose de bien plus choquant – j'étais une femme qui avait arrêté de faire semblant d'être autre chose, une femme qui n'était qu'une personne, l'égale de n'importe qui d'autre – en étant simplement moi-même : une personne qui avait de l'esprit, était difficile, charmante, têtue, brillante, en colère, je ne faisais plus semblant de ne pas être cette personne ».
 

Elle nous présente aussi la formation des étudiants en médecine, les difficultés que rencontre James  pour tenir son rôle, en ce qui concerne la sexualité, les règles, la nécessité de porter des bandages pour comprimer les seins, dans un monde exclusivement masculin.

James Barry et son serviteur


Par contre, j’ai beaucoup moins aimé la suite, la deuxième partie, lorsqu’elle arrive au Cap. Là où j’aurais voulu des renseignements précis sur le métier du chirurgien à cette époque, la description de ce que représentait son travail et les innovations qu'il avait apportées,  il n’y a que quelques allusions. Ce qui intéresse Ellen Levy, c’est d’abord l’histoire d’amour avec Lord Somerset. Barry devient un mondain, qui fréquente la haute société, un dandy qui s’habille avec raffinement - ce qui est attesté -  mais elle est aussi une amante, puis une femme enceinte qui doit renoncer à son enfant. La part d’imagination est importante ici car l’on n’a jamais su exactement ce qu’il en était de la vie amoureuse de Barry. Personnellement, c’était ce qui m’intéressait le moins et du coup, j’ai éprouvé une petite déception pour ce roman même si j’ai apprécié de connaître le destin de cette femme hors norme. 


LC avec Je lis, Je blogue ICI

A Girl From Earth ICI

Voir Keisha ICI

dimanche 24 décembre 2023

Joyeux Noël !

 



Tableau de Viggo Johansen : Nuit de Noël (1871) Copenhague


Joyeux Noël à tous !



jeudi 21 décembre 2023

Eric Fouassier : Le bureau des affaires occultes Tomes 1,2,3

 

J’ai lu les trois tomes de Le Bureau des affaires occultes  une trilogie historique policière.

Le Bureau Des Affaires Occultes - : Le Bureau des affaires occultes (Tome 1)
Le Bureau Des Affaires Occultes - : Le Fantôme du Vicaire ( Tome 2)
Le Bureau Des Affaires Occultes - :  Les Nuits de la peur bleue  ( tome 3) -

 

 

Nous sommes au XIX siècle, le siècle des sciences et du positivisme. En 1830, le bureau des affaires occultes est créé par un ministre de Louis-Philippe pour répondre aux enquêtes qui paraissent surnaturelles mais ont pourtant une explication rationnelle, les malfaiteurs s’appuyant sur des bases scientifiques peu connues à l’époque pour mystifier leur entourage.
Valentin Verne en est nommé directeur et va avoir à résoudre plusieurs affaires, parfois seul, parfois avec l’aide de Vidocq, bagnard et ancien policier (oui, celui qui a inspiré Balzac et Hugo !), parfois avec l’aide de sa petite amie, comédienne, ou de jeunes policiers qu’il a choisis pour renfort.

Valentin Verne, enfant des rues, orphelin, qui a été adopté par un homme riche, a poursuivi des études de sciences, en particulier en physique et chimie. S’il n’a pas continué dans cette voie et est entré dans la police c’est pour éradiquer le Mal et en particulier celui fait aux enfants, innocentes victimes de la misère et de la maltraitance. Lui-même, enlevé par un homme pervers appelé le Vicaire, a pu s’enfuir mais son compagnon d’infortune Damien est resté prisonnier. Comme son père adoptif avant lui, Valentin cherche le Vicaire, incarnation du Mal sur la terre, tout en traquant les criminels. Valentin parviendra-t-il à terrasser le Vicaire et à sauver Damien ? Et d'ailleurs qui est Damien ?

Le Vicaire…. De longues mains blanches aux veines comme des serpents, un visage en lame de couteau qui hantait encore les nuits du jeune inspecteur, avec un crâne luisant, ses yeux vicieux, profondément enfoncés, dans leurs orbites. C’était pour mettre fin aux agissements de ce démon en soutane que Valentin avait embrassé une carrière de policier. Tome 2

 Dans le premier roman Le Bureau des affaires occultes, il aura à résoudre l’affaire de suicides inexplicables et suspects, survenus dans des familles bourgeoises ou nobles et proches du pouvoir.

Dans le second, Le Fantôme du Vicaire, il poursuit et confond des escrocs qui jouent sur le chagrin et la crédulité de personnes en deuil au cours de séances de spiritisme. On sait que le spiritisme a été très à la mode à cette époque et plus tard, après la mort de Léopoldine, Victor Hugo s’y est largement adonné. D’ailleurs, Eric Fouassier nous fait le plaisir de convoquer devant nous, comme des esprits, de grands personnages du siècle qui y ont cru, Alfred de Musset, Théophile Gautier, pour ne citer qu’eux.…
Enfin dans le troisième tome, Les Nuits de la peur bleue, c’est sur le choléra et son mode de transmission que porte l’intrigue. Là, on rencontre George Sand !

Donc, j’ai lu la trilogie et je me suis laissée prendre au piège de ces lectures de type addictif qui m’ont coûté des heures de sommeil car, pauvre lectrice, je n’ai pas eu envie de lâcher le livre à mi-chemin même si certains passages m'ont paru moins intéressants.

Alors, ces passages ?  Autant commencer par là et en être débarrassée.  
Les livres étant conçus pour être lus individuellement l’auteur doit préciser par quelques paragraphes bien placés ce qu’il faut savoir des épisodes précédents pour comprendre l’histoire. C’est indispensable, je suppose, mais c’est long et forcément répétitif pour le lecteur qui enfile les trois tomes à la suite comme des perles sur un collier; répétitive, aussi, la structure de l’intrigue, en particulier quand l’héroïne envoyée en repérage ou comme « chèvre » dans une enquête super-dangereuse est sur le point de mourir, sauvée in extremis par le héros. Une fois ça va mais plusieurs ! Encore que lorsque c’est l’héroïne qui sauve sa peau elle-même et qu’elle sauve son chevalier-servant en prime, cela nous fait plaisir, à nous… lectrices !

Ceci dit, ne chipotons pas ! Parfois, bien sûr, les histoires sont rocambolesques, les péripéties plus ou moins attendues mais je ne doute pas que cela fasse finalement partie du plaisir de la lecture. Que voulez-vous ? Quand on commence cette trilogie, c’est comme si l’on entrait dans un roman-feuilleton populaire publié chaque semaine dans les feuilles de chou parisiennes du XIX siècle. Et cela nous met dans le même état ! On veut la suite ! L’auteur joue sur nos nerfs, ménage des suspenses, crée des types de personnage (il a l’art du portrait-charge, caricatural, bien campé) et nous balade dans les bas-fonds du Paris de 1830, dans la misère et la fange du peuple encore agité depuis les trois Glorieuses et fâché de s’être fait voler la révolution. Le récit fait la part belle aux intrigues politiques, décrivant les grognes et les rages des opposants, les soulèvements du peuple toujours prêt à exploser. Et ce que j’ai aimé, en particulier, il rappelle le combat de femmes du peuple, déjà, à l'époque, pour la reconnaissances des droits de la femme, du vote, du divorce, de l’égalité. On en était loin!

Eric Fouassier est un bon conteur et moi, je suis comme la Catherine de Jane Austen lisant Les Mystères d’Udolphe dans Northanger Abbey ! Je marche ! Que dis-je ? Je cours ! Mais si vous restez sur place, alors abandonnez ! Ce n’est pas pour vous ! 

Après les fiévreuses journées de juillet 1830 qui avaient chassé Charles X et permis l’avènement de Louis-Philippe, roi des Français par la grâce de Dieu et la volonté nationale, Paris avait tardé à retrouver un semblant d’ordre. Dans les rues débarrassées de leurs barricades, s’étaient succédés cortèges, manifestations et défilés de toute sorte. On avait assisté pendant des semaines à ce spectacle inouï du peuple envahissant chaque jour le Palais-Royal, résidence du nouveau souverain. On entrait là comme dans un moulin. (Tome 1)

Une trilogie policière du genre feuilletonesque agréable à lire et bien documenté sur le plan historique et scientifique, l’écrivain étant aussi docteur en droit et en pharmacie.

mardi 19 décembre 2023

Jean-Baptiste Andrea : Veiller sur elle


 


Parlons un peu du prix Goncourt !  Veiller sur elle de Jean-Baptiste Andrea ! Voilà un moment que je l’ai lu et je ne suis pas encore arrivée à le commenter ici !

Mimo est mourant. Entouré des frères de l’abbaye piémontaise où il vit bien qu’il ne soit pas moine, le vieil homme retrace pour nous son passé. Issu d’une famille pauvre, il est appelé Michelangelo par sa mère qui veut qu’il reprenne le métier de son père et devienne un grand sculpteur. Michelangelo Vitaliani ! Et effectivement, Mimo est doué et précoce. Aussi quand sa mère, à la mort de son père, l’envoie chez son oncle pour apprendre la sculpture, l’élève débutant dépasse le maître, un alcoolique sans talent. Le jeune garçon est déjà un grand artiste.
L’enfance de Mimo sera celle d’un enfant du peuple, obscur, victime de maltraitance, humilié, battu et ignorant car, même s’il sait lire et écrire, il n’a pas accès aux livres. Sa rencontre avec Viola Orsini, fille d’une grande famille, change le cours de sa vie. Il s’initie à la délicatesse des sentiments, il accède à la culture grâce aux livres qu’elle lui prête. Une amitié naît entre les enfants qui survivra à l’enfance malgré la différence de classe, les aléas de la vie et les orages de l’Histoire, la montée du fascisme et la guerre.

Chacun des deux personnages est hanté par ses démons. Tous deux souffrent  :  Mimo d’être atteint de nanisme et d'être pauvre, Viola d’être femme, un mal différent mais pourtant comparable, tous deux empêchés de se réaliser, d’être libres !  
A Florence où il se retrouve seul, éloigné de Viola, en proie à la jalousie des autres apprentis de son atelier et où il lui est difficile de créer, Mimo fréquente les milieux interlopes, boit, se bagarre et, comme il s’intéresse peu à l’actualité et aux idées politiques, se laisse enrôler dans des corpuscules fascistes.
Viola, qui est d’une intelligence exceptionnelle, dotée d’une mémoire absolue, ne peut se résigner au sort réservé aux femmes de son milieu : mariage avec un homme fortuné pour sauver sa famille de la ruine. Elle cherche obstinément à réaliser son  rêve : voler ! Mais ses désirs, ses ambitions, son intelligence et sa culture, sa vie même, sont mis sous éteignoir parce qu’elle est une femme !

C’est cette histoire d’une amitié improbable, orageuse mais solide, dont les racines plongent dans  une des époques les plus tourmentées et des plus terribles de l’Italie qui est l’un des grands intérêts du roman.
Et puis il y a cette splendide statue, oeuvre de Mimo, la Pieta Vitaliani, devant laquelle de nombreux visiteurs ont éprouvé des malaises (façon syndrome de Stendhal) si forts qu’elle est désormais cachée au public, enfouie dans les caves de l’abbaye.


La Pieta de Michel Ange

Vitaliani ne cherche pas à rendre son christ beau, mais il l’est malgré lui, ses joues glabres creusées par l’agonie, ses yeux clos, tout juste fermés par la main apaisante de sa mère. Une troublante impression de mouvement se dégage de l’œuvre, là encore en opposition à celle, hiératique, de Buonarotti. Impression qui n’a rien de métaphorique : de nombreux spectateurs qui l’avaient fixée trop longtemps, on juré l’avoir vu bouger.
 Quel est le mystère de cette Piéta ? Nous l’apprendrons, bien sûr, au cours de notre lecture.

Il s’agit donc aussi d’un livre sur l’essence de l'art et les émotions qu’il nous procure, une réflexion sur le rôle de la Beauté dans un pays où elle est partout, dans les rues comme dans les églises, sur les places et dans les paysages.


L'annonciation Fra Angelico

 
Ainsi, dans le passage suivant, Mimo amène Viola à Florence et lui fait découvrir les fresques de Fra Angelico qu’elle admire mais qu’elle n’a jamais vues.

D’un geste, j’invitai Viola à entrer dans la première cellule. Elle franchit le seuil, s’arrêta devant l’Annonciation de Fra Angelico et se mit à pleurer, sans saccades, sans tristesse, à pleurer de joie devant l’ange aux ailes de paon et la femme-enfant qui allait changer le monde.

J’ai pris beaucoup de plaisir à lire ce livre. La rentrée littéraire a fait la part belle à l’Italie cette année avec aussi Perspectives et Le portrait de mariage. C’est des trois romans celui que j’ai  préféré et qui m’a le plus touchée.

lundi 18 décembre 2023

Lisbonne : le palais de Fronteira

Le palais de Fronteira : Le bassin des Cavaliers avec son mur d'azulejos et la galerie des rois
 

Le palais de Fronteira fut construit  en 1670 à la demande de Dom João Mascarenhas, deuxième Comte de Torre et premier Marquis de Fronteira et son épouse, Dona Madalena de Castro.  Cette grande famille de la noblesse  occupa de hautes fonctions à la cour et dans le pays au cours des siècles.
 
D’abord pavillon de chasse, le palais situé au nord de Lisbonne, au milieu des forêts, devint ensuite le lieu de résidence principal des marquis après avoir échappé au tremblement de terre de 1755.  Le pavillon central fut alors agrandi.


 Le palais de Fronteira : côté jardin

La visite du palais et, en particulier du jardin, avec ses fontaines, son bassin au mur d’azulejos sur lequel caracolent les cavaliers des grands familles nobles du Portugal, ses grottes de rocaille, a un charme fou.

 

Le palais de Fronteira : les jardins

 

Palais de Fronteira : fontaine

 

Le palais de Fronteira :  le bassin des Cavaliers

Les cygnes noirs du bassin  des Cavaliers



Ces azulejos  présentent un message subtil aux rois. Ils rappellent que si les rois dominent la noblesse dans leur galerie, celle-ci, au rang inférieur,  reste le fondement de leur pouvoir et les défenseurs du royaume.

 

La noblesse à cheval : les défenseurs du royaume

 



Le bassin  des Cavaliers est dominé par la galerie des rois encadrée de chaque côté par une tourelle et un escalier orné d'azulejos dans le style baroque portugais. En effet, les azulejos bleus et blancs sont typiques du style baroque. Avant cette époque, ils pouvaient être polychromes avec notamment du jaune.



Tous les rois portugais figurent dans cette galerie  sauf  trois : les trois rois espagnols, Philippe I à partir de 1580, Philippe II, Philippe III. Les rois espagnols règneront sur le Portugal jusqu'en 1640, date de la guerre de Restauration pendant laquelle le Portugal, épaulé par les anglais, gagnera son indépendance et mettra sur le trône un roi Portugais, Jean IV, le Restaurateur. L'indépendance du Portugal ne sera reconnue par l'Espagne que 28 ans après.

 

Azulejos : le fruit du magnolia (détail)

 

Le verger , à un degré inférieur

 Le verger est situé au-dessous du jardin d'agrément et séparé de lui par un mur couvert d'azulejos représentant les saisons.

 

L'été


L'automne :  la chasse

L'automne : Le châtelain


 Comment y aller ?

 

Le palais de Fronteira vu de la galerie des rois


Nous avons voulu nous rendre jusqu’au Palais de Fronteira à pied à partir du centre, pensant que ce serait une agréable promenade. D’abord la montée à travers le parc du marquis de Pombal,  puis la marche dans le quartier Benefica, avec ses grandes artères bruyantes, sa circulation intense, ses passerelles qui se chevauchent ou enjambent la voie ferrée, ses grands immeubles, ne sont pas de tout repos ! De plus, si vous vous perdez, les lisboètes ne vous renseigneront pas. Même s'ils sont sympathiques, ils n’ont pas l’air de connaître le palais de Fronteira. Ce fut le cas pour ceux à qui nous avons demandé ! Bref ! Nous  y sommes arrivés, épuisés !

J’ai trouvé ces renseignements dans un guide et je vous les transmets parce qu’ils sont bons à savoir :
 

Il existe plusieurs façons de rejoindre le Palacio dos Marqueses da Fronteira :
    •    En métro: en descendant à l’arrêt Jardim Zoologico, vous serez ensuite à 20 minutes de marche du Palais. Belle visite du Zoo avec les enfants.
    •    En taxi: prendre un taxi à Lisbonne ne vous coûtera pas grand-chose et il vous déposera juste devant la porte.

    •    En bus: le 770 vous déposera à proximité

La visite des jardins se fait librement (tous les jours sauf dimanche et jours fériés. De 10h à 17h / fermeture à 13h le samedi), avec un prix d’entrée de 6 euros.
Le billet pour le palais coûte 11 euros et les visites se font à des horaires précis  avec un guide qui parle bien le français et est un passionné de l’histoire du Portugal.
    •    Tous les matins (sauf Dimanche / jours fériés), à 10h30, 11h00, 11h30 et 12h00 entre juin et septembre
    •    Tous les matins (sauf Dimanche / jours fériés) à 11h00 et 12h00 d’octobre à mai
 

 

mardi 5 décembre 2023

Pause : Lisbonne

 

Lisbonne : Décembre 2022

 

Il y a un an, j'étais à Lisbonne et je m'étais promis d'y revenir car je n'avais pu tout voir ! Et comme il y aussi beaucoup de merveilles que je veux revoir,  me voici à nouveau là-bas pour une semaine !  

A bientôt ! 

 

Voir Lisbonne dans mon blog : https://claudialucia-malibrairie.blogspot.com/search/label/Lisbonne


lundi 27 novembre 2023

Gouzel Iakhina : Convoi pour Samarcande

 

 

 J’ai lu et beaucoup aimé le premier roman de Gouzel Iakhina, Zouleikha ouvre les yeux et voilà que le talent de cette écrivaine russe se confirme avec ce troisième et formidable livre : Convoi pour Samarcande

Quelle force dans ce roman qui s’appuie sur une réalité historique terrible ! Nous sommes en 1920, après la révolution d’Octobre 1917, la famine règne dans la région de la Volga. Le pouvoir soviétique décide de sauver les enfants de la famine en les envoyant à Samarcande où ils pourront être pris en charge par des institutions pour y être nourris et soignés. C’est un officier de l’armée rouge, Deïev, qui prend en charge les cinq cents enfants, orphelins ou abandonnés par leurs parents. Il est assisté par la commissaire Blanche, l’infirmier Boug, et des femmes chargées des soins à leur apporter. Dès le début, un différend oppose Deïev à Blanche au sujet des enfants grabataires. Pour la commissaire, ces enfants sont déjà condamnés, mourants, et ne doivent pas intégrer le convoi. Deïev décide de les amener et de les sauver tous si possible.

« J’ai voyagé dans le pays de l’Oural à Petrograd, et c’est partout la même chose ! Les enfants n’ont plus leur place nulle part ! »  C'est le cri de Deïev  à l’inspecteur chargé de vérifier le bon état du convoi … P307

Il s’agit d’un voyage de quatre mille kilomètres, dans des régions où règne la faim, dans un pays totalement désorganisé par la guerre, où les Tchékistes font régner la terreur, où il faut traverser des zones désertiques infestées par les Russes blancs, des cosaques rebelles et cruels, dans une lutte toujours renouvelée pour obtenir des vivres et de l’eau à chaque arrêt, des médicaments, et du bois pour alimenter la locomotive.

« Partout les gens s’entretuent, encore plus que pendant la guerre civile. Les soldats du ravitaillement des villes tuent les paysans ! Les paysans tuent les communistes ! Les communistes tuent les Koulaks ! Les Koulaks tuent les Tchékistes ! Les Tchékistes tuent les bandits blancs. ! Et les bandits blancs tuent tous les gens qui leur tombent sous la main ! Parce qu’ils ont tous la guerre dans leurs coeurs ! Elle n’est pas au Turkestan, ni à Orenbourg, mais dans nos coeurs »
 

Ce voyage va se révéler une course hallucinée contre la mort, aux confins de la folie.

Les enfants, malades, meurent, les uns après les autres, le choléra frappe et décime nombre d’entre eux. Le jeune homme fait preuve d’un dévouement sans limites, risque sa vie dans sa quête de nourriture. Chaque petit mort qu’il enterre lui-même le long du chemin en le berçant dans ses bras est une défaite personnelle et lui arrache une partie de lui-même. Il ne respecte plus les termes de son contrat qui lui ordonne de ne recueillir que des enfants de la Volga. Et il fait monter dans le train tous les petits vagabonds à moitié morts de faim qui veulent en faire partie malgré la menace d’être envoyé dans un camp qui pèse sur lui et qu’il fait courir à ceux qui l’assistent.
Deïev est un personnage extrêmement attachant. On comprend qu’il a vécu des choses terribles et que le souvenir de ceux qu’il a tués le hante, que les atrocités auxquelles il a assisté ne peuvent s’effacer. Sa sensibilité est exacerbée, ses souffrances aussi. Rien ne semble pouvoir adoucir ses blessures, le sentiment de culpabilité lancinant qu'il éprouve.

« Mes camarades plus intelligents disaient aussi que dans ce train, je ne sauvais pas des enfants, mais moi-même. Eh! bien, pourquoi pas ? A mon avis, c’était le meilleur moyen que je pouvais trouver. A mon avis tous ceux que nous avons rencontrés pendant ce mois et demi ont fait la même chose. Ils se sont sauvés. »  P455

Il est entouré de personnages à la forte personnalité, comme l’infirmier Boug où Fatima, une belle personne qui donne amour et tendresse aux enfants. Et partout, malgré la cruauté et la guerre qui règnent dans les coeurs, il y a des élans de solidarité qui prouvent que l’humanité en péril n’est pas complètement morte et que les humains sont capables du meilleur comme du pire ! 


Les enfants de la Volga 1920 (voir Ici )

Quant aux enfants, certains sont individualisés comme le petit Zagreïka dont le destin est un crève-cœur, les autres forment un groupe qui nous est présenté dans ses caractéristiques communes, enfants des rues, orphelins, abandonnés, affamés, battus, maladifs… Ils ne doivent parfois leur survie qu’à leur débrouillardise, au vol, à la prostitution, ils ont un langage riche, fleuri, bien à eux, et se donnent des surnoms qui peignent leur caractère, leur maladie ou infirmité, mais aussi leur "spécialisation" quant aux "métiers" qu’ils exercent, surnoms qui trahissent une imagination et une certaine résilience par rapport aux maux qu’ils subissent : Prof rouillé, Griga Une Oreille, Pet de mouton, Jojo Vipère, Egor Argilovore, Toute Tordue, Procha famélique, Toussia Grande Gueule; Macha N’y Touche pas; Sazon Coupe-Jarret, Malouf L’Esbrouffe, Lida Prostitue-toi, Zina Mange Pourri, Guek La Torture, Tassia Pas Une Salope, Tombe La Lame, Gaffar Voleur de chevaux, Illya Fossoyeur,  etc….  

"Les sobriquets de « travail » ne parlaient pas seulement de leur propriétaire, mais aussi de leur âme enfantine."

Ce livre est ainsi un bel hommage à tous ces enfants martyrisés.

De plus, les talents de conteuse de Gouzel Iakhina  donnent une grande intensité à certaines scènes, celle où les enfants chaussés des bottes trop grandes, prêtées par les soldats de l'armée rouge, montent dans le train, ou encore celle, impressionnante, où un pope célèbre la messe devant  les cosaques de Iablotchnik et leur ataman dans le wagon-église du train, ou encore quand Deïev, malade, soigné dans le caravansérail des Basmatchis, est confronté à Bek Bouré et aux trois têtes coupées de ses ennemis.

Un très beau roman à la lecture riche et marquante !


* Gouzel Iakhina a aussi écrit Les enfants de la Volga, son second livre,  que je n’ai pas lu.





 

mercredi 22 novembre 2023

Théâtre : Julie Duval : l'odeur de la guerre

 


 

Je n'avais pas pu voir  L'odeur de la guerre au festival d'Avignon en juillet 2023 et voilà que la pièce est programmée à nouveau ce mois de Novembre à Avignon, à la Scala de Provence

L’odeur de la guerre est l’histoire de Jeanne qui cherche à échapper au déterminisme de son milieu et à se libérer des violences qu’elle a subies dans son corps. Née dans un foyer modeste où la parole est difficile, et malgré l’amour de ses parents prisonniers eux-mêmes de leur condition sociale, elle ne connaît de la sexualité que le viol, un « accident » qui laisse des séquelles.

Là où l’école n’a pas réussi, elle va trouver cette libération à travers les cours de théâtre qu’elle suit  lorsqu'elle arrive à Paris et qui ouvrent son esprit à la beauté des mots, de la langue, et à la beauté des sentiments. Là où elle ne peut parler parce qu’elle n’a pas les mots, parce qu’elle n’est « rien », son professeur lui donne l’exemple de Molière mettant en scène des personnages du peuple dans Dom Juan, personnages qui ne sont pas « rien », au contraire, mais vrais et touchants parce qu’ils n’essaient pas d’être autre chose que ce qu’ils sont.

 A travers le sport qu’elle pratique, la boxe thaïlandaise, c’est le corps qui se libère de ses tensions, de ses colères, qui réapprend à bouger, à reprendre possession de lui-même.
« On ne boxe pas pour se battre, pour se bagarrer, pour faire mal, lui dit son coach, la boxe, c’est une question d’équilibre. » 


Photo Émeric Gallego


Jeanne, c’est Julie Duval, la comédienne seule en scène, qui a écrit le texte et interprète sa propre histoire. Elle est tous les personnages et parvient d’un geste, d’un changement de voix, d’une expression du visage, à nous les faire voir, à nous faire partager leurs sentiments. La mise en scène de Juliette Bayi, minimaliste, un banc, un punching ball, des gants de boxe, est efficace, joue sur le corps, son retrait, sa douleur, son affranchissement, et nous transporte dans des espaces différents.
Un bon spectacle, très physique ! Effectivement Julie Duval est boxeuse-comédienne ou comédienne-boxeuse. Elle a de la présence et s’impose aux spectateurs.       

jeudi 16 novembre 2023

Fédor Dostoievsky : Le Petit Héros


 

Le petit Héros est une nouvelle écrite par  Dostoievsky en avril 1849 quand il était enfermé à la forteresse Pierre et Paul, accusé d’un complot contre le tsar.

Fédor Dostoïevsky fait partie d’un groupe de jeunes gens aux idées progressistes, réunis autour de la figure de Petravesky, mais plus bavards que révolutionnaires. Il n’était coupable, en fait, que d’avoir conservé chez lui un écrit interdit et une presse à imprimer pour éditer des textes anti-gouvernementaux. Il est condamné à mort avec ses compagnons en décembre 1849. Avec une perversité machiavélique, le tsar imagine alors une mise en scène macabre : le 22 Décembre, les condamnés sont alignés, la tête encapuchonnée, face au peloton d’exécution. Au dernier moment le tsar commue la peine de mort en quatre ans de  bagne. 

Bien longtemps après, Dostoievsky écrira dans L’idiot : Peut-être y-a-t-il de par le monde un homme auquel on a lu sa condamnation à mort, qu’on a laissé souffrir cette torture  et puis à qui on a dit : «  Va, tu es gracié. ». Cet homme là pourrait dire ce qu’il a éprouvé. C’est de cette douleur et de cette horreur que le Christ a parlé. Non, on n’a pas le droit d’agir ainsi avec un être humain. »

Le jour de Noël 1849, Dostoievsky part pour la Sibérie. Il y passera neuf ans, quatre au bagne, cinq dans l’armée comme simple soldat. Ce sont ces années que racontent Les souvenirs de la maison des morts.  voir mon billet ICI

Le petit héros


 

C’est donc dans sa cellule où il attend son jugement qu’il écrit, à la lueur de la bougie, Le Petit héros, un souvenir autobiographique échappé à son enfance.

Le garçon a onze ans il est envoyé pour les vacances d’été près de Moscou, chez un parent qui reçoit beaucoup. Dans la grande maison de campagne, les invités se pressent, toute la bonne société moscovite qui aime briller et qui se rassemble pour faire assaut de bel esprit, montrer ses toilettes et raconter des méchancetés : "les ragots allaient leur train, puisque, sans eux, le monde ne serait plus lui-même et des millions de personnes mourraient d’ennui comme des mouches."
Les belles dames lui caressent distraitement les cheveux, c’est encore un enfant …  et pourtant plus tout à fait ! Il est à cet âge charnière où l’enfant n’est pas encore homme mais où la sensualité s’éveille et où il ressent les premiers émois amoureux sans qu’il sache vraiment leur donner un nom : «Il y avait quelque chose au fond de mon coeur, quelque chose que le coeur ne connaissait pas, qu’il n’avait encore jamais senti, mais qui le faisait parfois brûler et battre, comme effrayé, et souvent une rougeur inattendue inondait mon visage. Parfois je me sentais comme honteux et blessé de tous les privilèges enfantins dont je jouissais. ».
Parmi ces grandes dames, une jeune femme blonde, coquette, joyeuse, un peu « toquée » se moque de ses timidités, l’humilie en public à un âge où la susceptibilité est à fleur de peau, et elle devient vite son « ennemie ». La naïveté de l’enfant attise les moqueries suscitant son angoisse, sa honte et son désespoir.  C’est pour faire cesser ses rires qu’il enfourche un cheval sauvage et dangereux, qu’aucun cavalier aguerri ne veut monter, ce qui lui vaut le respect et l’amitié de la blonde rieuse et son surnom de « Petit héros ». 

Le chevalier servant
 
Grande dame de la noblesse russe

 
 Mais le coeur du « Petit héros » va à l’amie de la belle Blonde, Mme M* dont la beauté et tristesse le touchent. L’enfant devient peu à peu son chevalier servant. Il lui sert d’alibi. Il lui vient en aide dans les rapports ombrageux qu’elle entretient avec Mr M*, son mari jaloux"non par amour mais par amour-propre", sans trop comprendre les enjeux mais avec une intuition due à la délicatesse de ses sentiments : "je me trouvais dans un étonnement étrange devant tout ce qui m’avait été donné de voir ce matin-là." C’est d’un oeil  attentif qu’il observe la société, à la fois séduit par ce qui brille mais déjà critique, sans percevoir, parfois, les non-dits et  les drames vécus par les adultes.

Comment comprendre, en effet, ces joute oratoires où la Blonde pour défendre son amie cherche à ridiculiser M.M* et "à faire revêtir au mari jaloux le costume le plus comique et le plus bouffon, et, je suppose, celui de Barbe bleue.".  Pourquoi  Mme M* fait-elle savoir à son mari qu'elle ne désire pas dire au revoir à Mr N*  ? Mais pourquoi voit-elle celui-ci en secret avec la complicité du jeune garçon ?

 Le point de vue de l'enfant, le jugement de l'adulte

Cette nouvelle initiatique assez cruelle est d’une grande finesse psychologique. L’enfant qui raconte son histoire à la première personne est un jouet dans les mains des adultes qui le manipulent et se moquent de lui. Le jeune garçon en est conscient mais ne peut rien faire si ce n'est souffrir et s'indigner. Mais c'est de sa propre initiative, pourtant, qu'il  vient au secours de Madame M*.

En prenant le point de vue de l’enfant qui ne comprend pas tout mais devine et ressent, Dostoievsky laisse au monde des adultes un aura de mystère. C’est au lecteur de compléter ce qui n’est pas dit explicitement. 

Mais l’écrivain adulte qui s’efface derrière le petit garçon, reprend la parole lorsqu’il présente une critique de cette société oisive, frivole et factice. Ainsi à propos du mari de Madame M*, sa plume se fait féroce :

  On le disait un homme intelligent. C’est ainsi que, dans certains cercles, on appelle une race particulière, engraissée sur le compte d’autrui, qui ne fait absolument rien, qui ne veut absolument rien faire, a un morceau de gras  à la place du  coeur.

Puis passant de l’individu à toute une classe sociale : « Dans leur orgueil démesuré, ils n'admettent pas qu'ils auraient des défauts.  Ils ressemblent à cette race de filous de l'existence, des Tartufes et Falstaffs congénitaux, qui se sont tellement pris dans leurs propres  filouteries qu’à la fin ils arrivent à se persuader qu’il doit en être ainsi, ils vont répétant si souvent qu’ils sont honnêtes, qu’ils finissent par croire que leur friponnerie est de l’honnêteté. Incapables d’un jugement quelque peu consciencieux ou d’une appréciation noble, trop épais pour saisir certaines nuances, ils mettent toujours au premier plan et avant tout leur précieuse personne, leur Moloch et Baal, leur cher moi. La nature, l’univers n’est pour eux qu’un beau miroir qui leur permet d’admirer sans cesse leur propre idole et de n’y rien regarder d’autre ;"

Dans cette belle nouvelle, Dostoievsky peint avec précision et sensibilité la révélation de l’amour, ce moment si émouvant et exaltant mais aussi si troublant et délicat  où l’enfant se dépouille de sa chrysalide et prend conscience de ce qu’il éprouve et il conclut : « Ma première enfance venait de s’achever. »