Pages

samedi 18 juin 2011

L'été grec de Jacques Lacarrière (citation)

Le masque d'Agamemnon

Retour de Grèce! Dans le musée national archéologique d'Athènes, j'ai découvert les trésors de la civilisation mycénienne. Les masques d'or, en particulier, qui recouvraient le visage des défunts sont absolument stupéfiants.  Constitués par une feuille d'or qui prend l'empreinte du visage et en épouse les creux et les reliefs, ils donnent l'impression d'une réelle présence. Derrière le masque, on devine l'homme. Ils exercent sur ceux qui les regardent une fascination qui ne tient pas de la morbidité mais d'un autre sentiment. Voilà ce qu'en dit  Jacques Lacarrière dans L'été grec.

A l'encontre des masques égyptiens d'or massif (qui ne sont jamais des portraits mais une représentation idéalisée du mort devenu Osiris), à l'inverse des portraits du Fayoum (si fidèles que l'on peut reconstituer à leur seule vue l'âge, l'appartenance sociale, les fonctions du défunt), ces masques mycéniens sont à la fois d'étincelants portraits et des allégories de la mort souveraine. Souveraineté rendue encore plus apparente encore par cet ultime effort pour préserver le visage des hommes des altérations du néant mais aussi souveraineté de la vie sur la mort car nul doute que ces rois, ces despotes brutaux gavés de guerre, de chasse et de razzia n'aient cru continuer de régner sur leur peuple depuis leur tombe. Ils continuent manifestement de régner, de chasser, d'ordonner quelque part, entre le monde des ombres et celui des vivants et cette pérennité fantomatique, cette survie posthume marquent encore la Grèce classique (l'oeuvre d'Eschyle notamment) plus de dix siècles après la fin du règne de Mycènes.
 (...)  Si l'on veut tuer un roi mycénien, il faut le tuer deux fois, comme vivant et comme mort,  en ligotant son ombre par des rites appropriés. Ainsi dans son Agamemnon, Eschyle fait-il de Clytemnestre, meurtrière de son mari, un être écartelé entre la joie de la vengeance et la terreur de savoir qu'à Mycènes les morts ne meurent jamais entièrement. Dans son effort, dans son espoir dément d'abolir le règne posthume de son époux, elle mutile son cadavre en lui tranchant le sexe. Mais même ainsi, elle ne pourra vraiment le tuer : l'ombre continuera de vivre dans la tombe mais de vivre impuissante, sans action sensible sur les vivants.

 Les enfants des tombes royales de Mycènes

Ces masques proviennent de tombes royales. Dans l'une d'elles, à côté des adultes, deux jeunes morts. Leurs  jambes et leurs bras ont été recouverts de feuilles d'or, ce qui nous donne un aperçu de leur taille respective. Deux petits enfants revenus de la mort, présences éphémères et fragiles, dont l'or dessine une silhouette imprécise mais émouvante.


 Merci à Chiffonnette

Edward Abbey : Le feu sur la Montagne

Billy, 12 ans, vient passer les vacances chez son grand père dans un ranch du Nouveau-Mexique. Il se fait une joie de retrouver le vieil homme, John Vogelin, et son ami, Lee, mais aussi la liberté  des grands espaces, les bêtes du ranch, les chevauchées dans la nature... une nature pourtant peu hospitalière avec ce climat semi-désertique, ces terres arides, cette chaleur implacable, toutes calamités qui permettent  à peine au grand père de subsister.  Oui, mais les paysages ont une beauté magique, les couchers de soleil sont sublimes, sans parler des rencontres palpitantes avec  les animaux sauvages, des veillées autour d'un feu de bois, des nuits à la belle étoile... Billy est enthousiaste; plus tard, il aimerait bien venir travailler ici. Pourtant, lorsqu'il arrive il ne tarde pas à deviner la menace qui plane sur leur tête. L'US Air Force veut racheter le ranch de grand père pour y installer un champ de missiles.  Mais John Vogelin va se battre jusqu'au bout pour garder sa propriété, épaulé dans ce combat par son petit-fils. On devine pourtant que cette lutte est bien inégale.

J'ai vraiment adoré ce livre. Son charme tient, bien sûr, à la description de cette nature à laquelle Edward Abbey voue un grand amour qu'il a l'art faire partager. Il me donne envie de galoper à côté de nos héros malgré la chaleur, la soif, les fesses tannées par le cuir de la selle, de vivre à la dure, enserrant les dents, pour paraître costaud, comme le fait le petit Billy! Quand je lis un roman convaincant, je suis souvent capable de telles prouesses, mourant de soif dans le désert ou les pieds gelés dans le blizzard du Grand Nord canadien. C'est tellement bon de vivre à l'extrême, confortablement installée dans un fauteuil! 
Et puis derrière cette beauté, apparaît la fragilité de cette nature, des animaux, d'abord, que l'homme déclare nuisibles et qu'il détruit sans discernement, de ces paysages splendides que l'on va sacrifier à la guerre, que l'on va livrer à la destruction. Il y a la dénonciation du pouvoir exorbitant de l'armée qui peut exproprier les gens, les envoyer en prison s'ils résistent. Edward Abbey, exprime ici un sentiment écologique et antimilitariste. Contestataire, il prône le refus d'obéissance, le recours à l'auto-défense qui n'a rien de pacifique d'ailleurs! C'est l'arme à la main que le vieux Vogelin entend défendre son domaine, dans le meilleur style des westerns.

J'ai aimé aussi les liens qui unissent le grand père et le petit fils, cette conformité d'humeur et de goûts, cette solidarité farouche de l'enfant envers le vieillard, cette tendresse pudique que l'un ou l'autre ne veut pas exprimer mais qui apparaît à tout moment dans un mot, dans un geste, dans leur complicité étroite. C'est à travers des dialogues pleins d'humour, assez pince-sans-rire, que se dessine le caractère de l'enfant, les principes d'éducation du vieil homme et ses contradictions, et aussi la belle amitié et le respect mutuel qui lient le vieil homme, l'enfant et Lee, autre personnage important du récit.

Les engoulevents montaient et plongeaient sur le rideau de l'aube naissante, conscients de l'imminence du jour. Des pies firent leur apparition, oiseaux affamés au plumage noir et blanc d'universitaires guindés, et se mirent à piailler et piailler comme des théologiens qui se  querellent. Un troglodyte s'éveilla et poussa son chant de chute d'eau cristalline.
-Le paradis peut-il être plus beau? demandai-je.
- Le climat  est un peu meilleur ici, répondit Grand-père
- Il y a moins d'humidité, dit Lee.



J'ai découvert ce livre et ai eu envie de le lire dans le blog de Mango

Lire aussi Keisha

et aussi Folfaerie

Andres Serrano : le Piss Christ ou le Christ recrucifié



serrano-andres-piss-christ-1987.1305886326.jpg

Le jour où je me suis enfin décidée à aller voir l'exposition de la Fondation Lambert  :Je crois aux miracles, j'apprends que le musée est fermé parce que l'oeuvre  Andres Serrano, le Piss Christ, a été vandalisée par un groupe de catholiques extrémistes.
piss-christ-endommage.1305887035.jpgC'est donc plus tard que j'ai pu visiter l'exposition. La vision de Piss Christ que le conservateur a choisi de montrer après sa partielle destruction m'a choquée. Le visage du Christ est martelé, défoncé, amalgamé aux débris de verre. L'image en acquiert une force décuplée. Elle est le témoignage de la violence, du fanatisme mais aussi de la sottise humaine, c'est le Christ recrucifié!
La première fois que j'ai vu cette photographie qui a déjà été exposée à la Fondation Lambert, j'ai été frappée par la spiritualité qui émane de cette image. Sur ce fond de sang, le crucifix trempé dans l'urine se détache, dorée, comme habitée par une lumière qui provient non d'une source extérieure mais du Christ lui-même. Et cette lumière est si intense que le corps crucifié semble se dissoudre, se dématérialiser devant nos yeux. L'effet est d'une grande beauté mais aussi d'une vraie religiosité. Les éléments organiques, sang et urine, qui  composent la photo créent un effet de matière, d'épaisseur, qui contraste avec cette impression de sacré et rappellent la dualité du  Christ, Dieu mais homme aussi.
Je ne connaissais pas du tout, à l'époque, les intentions de l'artiste et je me suis demandé ce que l'oeuvre signifiait.
Le sang et l'urine étaient-ils le symbole de la Passion du Christ  : le sang de la souffrance  sous la torture, la flagellation, la crucifixion; l'urine, symbole de l'humiliation, des insultes, du calvaire vécu par l'homme livré à l'animalité de la foule?
Ou bien, au contraire, Andres Serrano, signait là une oeuvre volontairement provocatrice, pour dénoncer les crimes de la religion chrétienne, ces siècles d'obscurantisme, de fanatisme, de haine qui ont fait fleurir en Europe les tribunaux et les bûchers de l'Inquisition, les autodafés, les lynchages, les croisades et autres ignominies?
Pour avoir la réponse, il faut lire l'interview de Andres Serrano paru dans La Provencelors du passage de l'artiste à Avignon après la destruction de son oeuvre : Je ne suis pas un blasphémateur dont voici un extrait :
- Quel est le message de "Piss Christ" ? 
A.S. : Vous savez, les artistes ne pensent pas vraiment au message, il faut préserver une part de mystère... Maintenant, si on parle de ce que dit cette oeuvre sur le Christ, je voulais rappeler ce qu'est vraiment une crucifixion. Parce qu'un crucifix, ce n'est qu'un objet en bois familier, dont on ne se rappelle pas vraiment le sens. Le Christ a été mis en croix, il a été battu, on lui a percé le flanc avec une lance, il a pissé, il a chié et il a saigné jusqu'à la mort... Je veux qu'en regardant "Piss Christ", les gens se rappellent de ça.

andres-serrano-the-other-christ-1990.1305886394.jpg
Les autres oeuvres exposées dans la pièce avec le Piss Christ témoignent de cette même spiritualité. Parmi elles, la Pieta aux couleurs riches et somptueuses, semblable à une Vierge de la Renaissance, montre le visage vieillie, marqué par la souffrance de la Mère de Dieu qui tient dans ses bras son fils couronné d'épines. Que le Christ soit noir provoque un choc et donne une autre signification au tableau qui devient alors témoignage des souffrances du peuple noir. Une autre photographie intitulée Soeur Jeanne Myriam montre les mains humbles, ridées d'une religieuse se détachant sur l'aube blanche, symbole de foi et de pureté. Elle aussi a été stupidement endommagée par les intégristes qui non seulement ne comprennent rien à l'art mais dénient à l'artiste sa liberté de penser et de créer .
Ce sont les mêmes qui, il y quelques  siècles, brûlaient les oeuvres de Boticelli!

serrano.1305886676.gif

Dimanche poétique : Charles d'Orléans, Las! Mort...


 Après avoir lu le beau roman de Hella H. Haasse, En la forêt de Longue attente qui retrace la vie de Charles d'Orléans, chef de la lignée d'Orléans, père de Louis XII et ... poète, voici une ballade dédiée à Bonne d'Armagnac, sa deuxième femme! Fait prisonnier à la bataille d'Azincourt par les anglais, Charles d'Orléans est resté vingt-cinq en exil et n'a jamais revu son épouse.  Il apprend sa mort lorsqu'il est en captivité, ce qui lui inspire ce poème.
 Las ! Mort, qui t'a fait si hardie

De prendre la noble Princesse

Qui était mon confort, ma vie,
 
Mon bien, mon plaisir, ma richesse !

Puisque tu as pris ma maîtresse,

Prends-moi aussi son serviteur,

Car j'aime mieux prochainement 
m
ourir que languir en tourment,

En peine, souci et douleur !



Las! de tous biens était garnie

Et en droite fleur de jeunesse!

Je prie à Dieu qu'il te maudie,
 
Fausse Mort, pleine de rudesse!

Si prise l'eusses en vieillesse,

Ce ne fût pas si grand rigueur;

mais prise l'as hâtivement,

Et m'as laissé piteusement

En peine, souci et douleur !



Las ! je suis seul, sans compagnie!

Adieu ma Dame, ma liesse !

Or est notre amour departie,

Non pourtant, je vous fais promesse

Que de prières, à largesse,
 
Morte vous servirai de coeur,
  
Sans oublier aucunement;

Et vous regretterai souvent

En peine, souci et douleur.



Dieu, sur tout souverain Seigneur,

Ordonnez, par grâce et douceur,

De l'âme d'elle, tellement

Qu'elle ne soit pas longuement

En peine, souci et douleur !


Les compagnons Troubadours du dimanche de Bookworm :
Alex : Mot-à-mots Alinea66 : Des Livres… Des Histoires…Anne : Des mots et des notes, Azilis : Azi lis, Cagire : Orion fleur de carotte, Chrys : Le journal de Chrys, Ckankonvaou : Ckankonvaou, Claudialucia : Ma librairie, Daniel : Fattorius, Edelwe : Lectures et farfafouilles, Emmyne : A lire au pays des merveilles, Ferocias : Les peuples du soleil, George : Les livres de George, Hambre : Hambreellie, Herisson08 : Délivrer des livres?, Hilde : Le Livroblog d’Hilde , Katell : Chatperlipopette, L’Ogresse de Paris : L’Ogresse de Paris, L’or des chambres : L’Or des Chambres, La plume et la page : La plume et la page, Lystig : L’Oiseau-Lyre (ou l’Oiseau-Lire), Mango : Liratouva, MyrtilleD : Les trucs de Myrtille, Naolou : Les lectures de Naolou,Oh ! Océane !, Pascale : Mot à mot, Sophie : Les livres de Sophie, Wens : En effeuillant le chrysanthème, Yueyin : Chroniques de lectures Océane :

Jorge Semprun, L'écriture ou la vie ( citation )


 L'écriture ou la vie


Je ne possède rien d'autre que ma mort, mon expérience de la mort, pour dire ma vie, l'exprimer, la porter en avant. Il faut que je fabrique de la vie avec toute cette mort. Et la meilleure façon d'y parvenir, c'est l'écriture. Or, celle-ci me ramène à la mort, m'y enferme, m'y asphyxie. Voilà où j'en suis : je ne puis vivre qu'en assumant cette mort par l'écriture, mais l'écriture m'interdit littéralement de vivre.
 

La vie était encore vivable. Il suffisait d'oublier, de le décider avec détermination, brutalement. Le choix était simple : l'écriture ou la vie. Aurais-je le courage- la cruauté envers moi-même- de payer ce prix?




La Mort qu'il faut

Une année à Buchenwald m'avait appris concrètement ce que Kant enseigne, que le Mal n'est pas l'inhumain, mais, bien au contraire, une expression radicale de l'humaine liberté.





vendredi 17 juin 2011

Jorge Semprun et Charles Baudelaire : Ô Mort, vieux capitaine...




En apprenant la fin de Jorge Semprun, j'ai envie de publier ce texte.  Il réunit dans la Mort, Charles Baudelaire et Jorge Semprun, le grand poète du XIX ème et le grand écrivain du XXème siècle.

O Mort, vieux capitaine, il est temps! levons l'ancre!
Ce pays nous ennuie, ô Mort! Appareillons!
Si le ciel et la mer sont noirs comme de l'encre,
Nos coeurs que tu connais sont remplis de rayons!
Verse-nous ton poison pour qu'il nous réconforte!
Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau,
Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu'importe?
Au fond de l'inconnu pour trouver du nouveau!
Charles Baudelaire (les Fleurs du Mal)
O Mort, vieux capitaine, il est temps! levons l'ancre... J'aime ces mots qui éveillent en moi la vision d'une grande nef aux voiles noires levant l'ancre pour un dernier voyage, une image si belle que curieusement elle provoque en moi ni crainte ni angoisse mais simplement une douce nostalgie. Pourtant, ce n'est pas ce sentiment que je veux retenir à propos de ce poème mais plutôt celui que j'ai éprouvé en lisant le livre de Georges Semprun : Quel beau dimanche

O Mort, vieux capitaine.. C'est ainsi que Georges Semprun accompagne et réconforte son ancien maître et ami mourant dans un camp de concentration. Et ces vers qui éclairent les derniers instants du vieux professeur sont comme une mince trouée d'espoir dans les ténèbres. Ils sont une petite flamme vacillante, toujours prête à s'éteindre mais pourtant tenace et courageuse, perçant l'obscurité.  Ils sont la réponse athée, pleine de tendresse et de beauté, au sentiment de déréliction qui s'empare de l'homme face à la mort. Ils affirment, face aux bourreaux qui le leur dénient, l'humanité des victimes et leur volonté de préserver intact ce qui les rattache à l'humain : amitié, respect, attention à l'autre..  La poésie répond ainsi à un monde barbare et sa force est telle qu'elle est comme un coup de tonnerre dans le ciel noir d'orage de l'enfer nazi.
   




Hella S. Haasse : En la forêt de longue attente


Le roman de Charles d'Orléans (1394-1465).
En la forêt de la longue attente  est  l'histoire de Charles d'Orléans, petit-fils de Charles V, neveu de Charles VI le Fou. Son père, Louis d'Orléans, frère de Charles VI, a été assassiné par le duc Bourgogne, Philippe le Hardi, très puissant seigneur qui n'a de cesse d'étendre son duché, profitant de l'incapacité à régner de Charles VI pour faire de la Bourgogne un puissant royaume, indépendant de celui de France. A l'âge de 14 ans, Charles d'Orléans se retrouve orphelin et à la tête de la puissante maison d'Orléans. Il doit venger son père comme il l'a promis à sa mère Valentine Visconti en tenant tête à Bourgogne devenu le conseiller du roi. Il lui faut guerroyer aussi contre l'Angleterre, en particulier contre Henry V qui prétend avoir des droits légitimes sur la couronne de France, déjouer mille intrigues de cour, complots sournois auxquels succèdent des  traités et des promesses solennelles d'amitié, vite suivis de trahisons. Or, Charles d'Orléans n'est pas un guerrier ni un courtisan, ni un politique! C'est un érudit qui aime l'étude, la lecture, excellent latiniste de surcroît, un penseur et surtout un poète. L'amour de la poésie l'accompagnera toute sa vie et l'aidera pendant les vingt-cinq années qu'il vécut en Angleterre après avoir été fait prisonnier à la bataille d'Azincourt.
Le titre du roman est issu du premier vers de ce poème de Charles d'Orléans  :
En la forêt de Longue Attente,
Chevauchant par divers sentiers,
M'en vais, cette année présente,
Au voyage des Désiriers.
Devant sont allés mes fourriers
Pour appareiller mon logis
En la cité de destinée;
Et pour mon coeur et moi ont pris
L'hôtellerie de Pensée.
391px-charles_ier_dorlans.1305557934.jpg
Charles d'Orléans, fils de Louis d'Orléans et de Valentine Visconti
Dans son avant propos, Hella Haase affirme que si ce roman historique est étayé par de solides recherches son but n'est pas de reconstruire le passé médiéval. L'Histoire n'est pas ici une fin mais un moyen dit-elle de "retracer  la lente et douloureuse évolution d'un être qui parvient, grâce à la découverte de la créativité, à rester fidèle à lui-même en dépit du rôle social que les circonstances l'obligent à assumer".
Autrement dit, dans ce personnage, c'est l'homme et le poète qui touchent l'écrivain. Grâce à ce que Marguerite Yourcenar appelait la magie sympathique, cette puissance suggestive qui jaillit d'une complicité secrète, Hella S. Hasse nous livre un portrait passionnant, émouvant et profondément humain de cet homme pourtant si éloigné de nous dans le temps. L'art de l'écrivain, sa  perception intuitive de l'homme, nous révèlent un être de chair et de sang qui nous émeut, un poète délicat qui exprime des sentiments sincères dans une langue pleine de raffinement et de beauté. J'ai vraiment pleinement aimé ce portrait qui met en valeur, comme le disait Paul Eluard, un "des plus grands poètes français" mais aussi un homme sensible, intelligent et lettré, qui a été séparé de la femme qu'il aimait, Bonne d'Armagnac, sa seconde épouse, par la captivité et ne l'a jamais revue, une existence douloureuse, sacrifiée à la raison politique.
A côté de ce portrait passionnant, l'écrivain fait revivre des hommes et des femmes tourmentés, déchirés, machiavéliques, perfides ou parfois innocents, qui forment une tragi-comédie humaine haute en couleurs. Le contexte historique nous rappelle les moments les plus sombres de la guerre de Cent ans :  Charles VI, le roi enfermé dans sa folie, horriblement séquestré dans son propre palais, manipulé par la reine et par ses conseillers, Isabeau de Bavière, la Reine obèse dans son fauteuil roulant, reniant son propre fils Charles VII pour servir ses intérêts et sa cupidité, les Grands, ducs de Bourbon, Bourgogne,  Berry s'acharnant à défendre leur pouvoir et leur fortune dans une France rendue exsangue par les guerres, sans pitié pour un peuple agonisant sous les impôts, la famine, les épidémies. Le Moyen-âge français nous est ainsi restitué à travers la vision contemporaine d'un écrivain qui aborde l'Histoire non par des détails extérieurs et superficiels mais par l'essentiel, l'essence de l'Homme.
Un grand roman que j'ai vraiment beaucoup aimé.

La maison royale de Valois


charles_v.1305549598.jpg              gisant_jeanne_de_bourbon_saint_denis.1305549640.gif
Charles V Le Sage                   Jeanne de Bourbon
(1338 à 1377)                   (1338 à 1380)
Roi de France                    Reine de France
charles-vi-le-bien-aime-et-le-fou.1305551160.PNG          isabeau_de_baviere2.1305551286.jpg
Charles VI  Le Fou                     Isabeau de Baviere
Roi de France                             Reine de France
(1368 à 1422)                             (1371-1435)
charles-vii.1305558504.jpg              marie_danjou-epous-ed-e-charles-vii.1305559035.jpg
Charles VII le Victorieux              Marie d'Anjou
Roi de France                                (1404 1463)
(1403 146)
louis_xi.1305559206.jpg

Louis XI le Prudent
Roi de France
(1423-1483)

La Maison d'Orléans

louis_ier_dorleans.1305560353.jpg            valentine-visconti_2.1305560044.PNG
Louis d'Orléans                      +   Valentine Visconti
(frère de Charles VI Le Fol)          (1366 à 1408)
(1372 à 1407)
Charles d'Orléans et Marie de Clèves
charles_d_orleans_et_marie_de_cleves.1305560701.jpg
Charles d'Orléans            trois épouses
(1426 à 1486)                   +Isabelle de France
Duc d'Orléans                    +Bonne D'Armagnac
+Marie de Clèves
Louis XII fils de Charles d'Orléans et de Marie de Clèves
louis-xii-roi-de-france.1305559230.jpg
Louis XII
Roi de France

(1483 1515)

Départ en Lozère

Je pars pour quelques jours en  Lozère. A bientôt!

Sylvie Germain : Le Monde sans vous


Dans Le Monde sans vous, Sylvie Germain réunit deux textes à la mémoire de ses parents disparus. Elle ne cherche pas, dit-elle, à édifier un mausolée à la manière de Mallarmé écrivant pour les Grands, écrivains ou artistes disparus. Rien de spectaculaire ici maisdes mots, de simples mots sans prétention, moins pour chercher à bâtir de superbes tombeaux que pour tenter d'ouvrir en grand les tombeaux vides, et de les maintenir tels."
Les Variations sibériennes sont dédiées à sa mère qui vient de mourir. L'écrivain voyage dans le Transsibérien et écrit au rythme de ce paysage qui défile devant elle, dans un mouvement perpétuel :  Sombre et grasse est la terre. Tchernoziom. Noirs et luisants sont les sentiers de boue entrevus en bordure des forêts.  (..) Mais d'un blanc étincelant, marbré d'écorchures noires, défilent les bouleaux." Et cette symphonie de la nature convoque une image inversée de la mère, un peu comme le négatif d'une photographie : Sibérie : un pays où tu n'es jamais allée, ma mère, et qui n'éveillait aucun désir en toi. (...) Tu aimais le midi et ton coeur était couleur de Méditerranée.La voix des grands  poètes se mêlent à la sienne comme une incantation pour célébrer la mère : Ossip Mandelstam, Arseni Tarkovski, Boris Pasternak, Blaise Cendrars...  Ma mère, tu n'étais pas poète, et ta main n'était pas celle d'un merle blanc. Tu étais une vivante et tu étais ma mère. Cela constitue déjà une ample prose, et c'est par voie de prose que je m'adresse à toi.

Variations sibériennes est un texte à savourer par petites gorgées, pour mieux goûter certains passages magnifiques et se laisser gagner par l'émotion. Pour dire la beauté de cette nouvelle prose du transsibérien -après celle de Cendrars- il faut se taire! Lire, revenir en arrière, repartir. Il faut se laisser envahir par ce style poétique, par la beauté des mots et des paysages de ce pays du Nord, du froid, de la vie, de l'infertilité. Terre de l'en-deçà et de l'au-delà de la vie.  Nous vivons avec la voyageuse, l'étendue, la vastitude, la profondeur de cette terre qui dort, de ce pays où le vent est maître de l'espace. Le Transsibérien nous entraîne toujours plus loin là où le train achève sa course : Vladivastok, un nom superbe, signifiant "le Possesseur, le Souverain de l'Est".  Ainsi semblable à  la petite Jéhanne de France en route avec Blaise Cendrars, la mère, la Petite Henriette de France, accompagne sa fille et part vers un lointain bien plus loin même que  la Sibérie : "Tu es, tu vas dans l'absolu du Loin.Tu t'éloignes de ta fin, et c'est un commencement."
Dans le deuxième texte très court Kaléidoscope ou notules en marge du père, Sylvie Germain va tenter de reconstituer l'image fondatrice, celle du père. Mais cette image est mouvante, fragmentée, jamais achevée, belle pourtant. Comme dans un kaléidoscope, elle semble faite de "poussières d'étoiles",  de petits éclats de rien ou de tout glanés de ci de là, dans une fresque de Piero della Francesca, dans "l'or qui tremble au coeur des roses" que cultivaient le père mais aussi le père de son père, dans ce terrain en jachère au-dessus de la basilique de Vézelay,  dans le Saint Christophe d'un peintre ardennais... Kaléidoscope: la beauté d'une image regardée sous l'angle le plus aigu, le plus abscons, sous l'éclairage le plus impondérable : le Père à l'Enfant. Mon père."
Voir aussi le billet de Clara

dailogues-croises-capture-d_ecran-2010-05-27-a-10-14-261.1304455409.pngMerci à la librairie Dialogues croisés et aux Editions Albin Michel

Sylvie Germain : Le Monde sans vous Liouba (citation)


Liouba, bébé mammouth de 40000 ans


Dans Le Monde sans vous, Variations sibériennes, Sylvie Germain voyage dans le Transsibérien. Voilà ce qu'elle écrit sur Liouba, un bébé mammouth découvert en Sibérie.
Ne rêve-t-elle pas la science de rendre vie à des espèces animales disparues dont les restes ont été retrouvés  alors que pendant ce ce temps d'autres espèces encore vivantes sont condamnées à s'effacer de la terre, du fait du saccage de leurs territoires ancestraux sans que cette extinction n'émeuve grand monde?
Il y a quelques années, un éleveur de rennes nénètse de la péninsule de Yamal, au nord de la Sibérie, a découvert le corps congelé d'un bébé mammouth. Son excellent état de conservation, qui a permis d'analyser la majeure partie de son code génétique, donne bon espoir à des chercheurs de faire naître un nouveau rejeton mammouth par introduction de séquences de son ADN dans le génome d'un éléphant actuel. Le bébé Liouba deviendrait ainsi, après une sieste de 40 millénaires, la grand mère de petits bâtards laineux dont on pourrait exploiter fructueusement le poil, les défenses d'ivoire, la force énorme, et certainement bien d'autres richesses encore, dont la vente de quelques spécimens à des parcs zoologiques.
C'est joli "Liouba", ça signifie "Amour".


56270471_p1287677965.1303333736.gif Initié par Chiffonnette


Jean-Baptiste Clément : Le temps des cerises


Cette chanson de Jean-Baptiste Clément est dédiée : A la vaillante citoyenne Louise, l'ambulancière de la rue Fontaine-au-Roi, le dimanche 27 mai 1871. 
Jean-Baptiste Clément, partisan de la Commune de Paris, socialiste révolutionnaire, composa cette chanson en 1866. Elle fit publiée en 1867 avec la musique de Renard.  Il la dédia plus tard  à Louise, une courageuse jeune fille de vingt deux ans, venue aider les communards le 28 Mai 1871 alors qu'ils étaient encore en train de lutter sur une barricade de la rue Fontaine-au-Roi bien que Paris fût déjà aux mains des Versaillais.
" Qu'est-elle devenue? A-t-elle été comme tant d'autres fusillée par les Versaillais," s'interroge Clément . N'était-ce pas à cette héroïne obscure que je devais dédier ma chanson la plus populaire?"
Jean Baptiste Clément est aussi l'auteur d'airs aussi connus que : Dansons la Capucine, La Marjolaine ...
Quand nous en serons au temps des cerises,
Et gai rossignol et merle moqueur
Seront tous en fête.
Les belles auront la folie en tête
Et les amoureux du soleil au coeur.
Quand nous en serons au temps des cerises,
Sifflera bien mieux le merle moqueur.
Mais il est bien court, le temps des cerises,
Où l'on s'en va deux cueillir en rêvant
Des pendants d'oreilles.
Cerises d'amour aux robes pareilles
Tombant sous la feuille en gouttes de sang.
Mais il est bien court le temps des cerises,
Pendants de corail qu'on cueille en rêvant.
Quand vous en serez au temps des cerises,
Si vous avez peur des chagrins d'amour
Evitez les belles.
Moi qui ne crains pas les peines cruelles,
Je ne vivrai pas sans souffrir un jour.
Quand vous en serez au temps des cerises,
Vous aurez aussi des chagrins d'amour.
J'aimerai toujours le temps des cerises :
C'est de ce temps-là que je garde au coeur
Une plaie ouverte,
Et dame Fortune, en m'étant offerte,
Ne saurait jamais calmer ma douleur.

Les compagnons Troubadours du dimanche de Bookworm :
Alex : Mot-à-mots Alinea66 : Des Livres… Des Histoires…Anne : Des mots et des notes, Azilis : Azi lis, Cagire : Orion fleur de carotte, Chrys : Le journal de Chrys, Ckankonvaou : Ckankonvaou, Claudialucia : Ma librairie, Daniel : Fattorius, Edelwe :Lectures et farfafouilles, Emmyne : A lire au pays des merveilles, Ferocias : Les peuples du soleil, George : Les livres de George, Hambre : Hambreellie, Herisson08 : Délivrer des livres?, Hilde : Le Livroblog d’Hilde , Katell : Chatperlipopette, L’Ogresse de Paris : L’Ogresse de Paris, L’or des chambres : L’Or des Chambres, La plume et la page : La plume et la page,Lystig : L’Oiseau-Lyre (ou l’Oiseau-Lire), Mango : Liratouva, MyrtilleD : Les trucs de Myrtille, Naolou : Les lectures de Naolou,Oh ! Océane !, Pascale : Mot à mot, Sophie : Les livres de Sophie, Wens : En effeuillant le chrysanthème, Yueyin :Chroniques de lectures Océane :

Erin Hart : La légende de la sirène



"La légende de la sirène" est un roman à suspense de Erin Hart, américaine passionnée de folklore Irlandais. L'intrigue se déroule entre la ville de Saint Paul, Minnesota, aux Etats-Unis, et l'Irlande; elle se dédouble, entre réalité et légende, en deux enquêtes.
D'une part, dans la réalité, à Saint Paul, le meurtre de Triona dont on n'a jamais retrouvé l'assassin. Sa soeur Nora Gavin soupçonne Peter Hallett, le mari de Triona, mais ne trouve aucune preuve convaincante de sa culpabilité. C'est pourquoi, extrêmement perturbée, dépressive, elle s'exile en Irlande pour travailler avec l'archéologue Cormac dont elle tombe amoureuse. Cinq ans après la disparition de Triona, en apprenant le remariage de Peter, Nora se sent assez forte pour retourner à Saint Paul. Elle est bien décidée cette fois à réunir des preuves pour confondre celui qu'elle continue à croire coupable et qui est une menace, pense-t-elle, pour sa nouvelle épouse mais aussi pour Elizabeth, fille de Peter et de Triona.
D'autre part, au siècle passé, dans le village du père de Cormac, la disparition de Mary Heaney, jeune femme soupçonnée d'être une Selkie. La Selkie, dans le folklore irlandais, est une femelle phoque venue sur terre sous la forme d'une créature humaine pour changer de peau. Retenue prisonnière loin de son élément naturel, la mer, mariée à un homme "terrestre" et devenue mère, la Selkie garde la nostalgie de son origine mais ne peut redevenir phoque que si elle retrouve la dépouille qu'on lui a dérobée. Oui, mais, ces disparitions de Selkie ne couvriraient-elles pas des crimes sordides, en particulier, dans le cas de Marie Heaney? C'est ce que se demandent la sociologue Roz Byrne et Cormac.
Le récit se lie avec beaucoup de plaisir et l'on est pris par cette double enquête bien menée et passionnante. L'écrivain utilise, d'une part, les moyens les plus modernes d'investigations en matière de criminalité en faisant appel à la génétique des populations, à la botanique criminalistique. Nous apprenons ainsi ce qu'est "la Floerka persrpinacoïdes", "la fausse Sirène", plante qui va jouer un grand rôle dans l'enquête.. D'autre part, Erin Hart nous introduit dans le monde féerique du folklore et la musique irlandais avec la belle chanson en gaélique an "Mhaighdean Mhara" ("La Sirène") qui a inspiré l'intrigue et le titre. Erin Hart nous amène dans le Donegall mystérieux, sur les falaises battues par le vent, à la rencontre des phoques au regard liquide.. Elle l'habileté de laisser le Fantastique s'introduire dans l'histoire par le biais de personnages comme Triona et Elizabeth à la sensibilité si proche du Merveilleux celte, amies des créatures marines, femmes-phoques?
Je crois que ce que j'ai vraiment aimé dans ce livre, c'est son originalité. Il s'agit, bien sûr, d'un roman  avec une intrigue policière classique qui joue sur les ressorts du suspense mais l'introduction du folklore irlandais, du Merveilleux celte, donne une tonalité nouvelle au genre.
dailogues-croises-capture-d_ecran-2010-05-27-a-10-14-261.1304455409.png Merci à Dialogues croisés et aux éditions Payot

Les lettres de la Grande Blasket




Les lettres de la Grande Blasket aux éditions Dialogues Croisés ont été écrites de 1931 à 1951 par Eibhlis Ni Shuilleabhain (Elizabeth O'Sullivan), native de cette île située dans le Kerry, au Sud-Ouest de l'Irlande. Elles sont adressées à George Chambers, un anglais qui avait rencontrée la jeune fille en visitant la Grande Blasket et était devenu son ami. Les lettres sont suivies d'un texte de Hervé Jaouen, le traducteur, qui raconte sa visite de l'île désertée par ses habitants.
Seul un tiers des lettres de la jeune femme a été conservé pour des questions de format de l'ouvrage. Et je l'ai un peu regretté, il faut bien le dire, parce que l'on finit par s'attacher à Eibhlis et on aimerait en savoir plus sur elle. A travers ses écrits l'on devine son caractère, son courage, sa patience, sa résignation aux décrets de Dieu, ses peines et ses joies et aussi sa finesse, sa sensibilité à la beauté. Quand on apprend subitement qu'elle est mariée, on aurait aimé savoir comment elle avait choisi son mari, pour ne donner qu'un exemple... Bref! entrer plus encore dans l'intimité de cette voix amie comme si ces messages nous étaient adressés en personne. J'adore ce genre de lettres  rédigées par des gens du peuple qui racontent leur vie quotidienne avec leurs mots, sans recherche esthétique, mais avec une émotion et un sincérité d'où naît la poésie. La langue de Eibhlis est un anglais maladroit, précise le traducteur, avec un vocabulaire et des tournures gaéliques. Eibhlis raconte la beauté de son île et son amour pour cette terre natale si sauvage, si éloignée de tout. Mais elle parle  aussi des privations, des souffrances de ces insulaires qui sont peu à peu obligés de quitter leur île pour s'exiler en Amérique afin de pouvoir survivre.
Classées par ordre chronologique mais choisies pour leur thématique, les lettres conservées ont pour but de nous montrer les aspects essentiels de la vie sur l'île et elles se révèlent passionnantes, peignant une civilisation maintenant disparue qui nous paraît étrange. Le travail d'abord, très dur, très pénible, quand il faut aller chercher la tourbe en haut de la montagne et la redescendre à dos d'âne, ou épandre dans les champs le goémon que les hommes arrachent à la mer, quand il faut transporter un à un, sur le dos, les moutons ou les vaches que l'on va vendre à la ville par un petit sentier escarpé et dangereux jusqu'au bas de la falaise. Elles montrent aussi les pêcheurs privés de leur seul moyen de subsistance par les tempêtes et l'arrivée de l'hiver. En effet, les conditions climatiques sont extrêmes, l'hiver dure jusqu'à fin d'Avril, les vents sont redoutables, la mer trop souvent déchaînée coupe tout lien avec la terre. Les privations, la disette sont le lot de tous. Parfois, certains n'ont plus que quelques pommes de terre pour survivre. Eibhlis raconte aussi les coutumes, les enterrements, la petite bouteille d'eau bénite que les pêcheurs accrochent à leur canot, les superstitions. Ici on a peur des morts et on croit aux fées. Nous partageons aussi les moments de joie, comme la fête de Noël, qui nous paraissent bien modestes mais qui apportent un peu de gaieté dans le coeur de tous. C'est presque un travail d'ethnologue que fait la jeune femme sans le savoir et l'on devine parfois que son correspondant l'y invite en lui posant des questions précises.
J'ai été étonnée aussi d'apprendre que la Grande Blasket fut une pépinière de talents, "une île aux trésors" dit Hervé Jaouen : le livre L'homme des îles écrit par le grand oncle de Eibhlis, Tomas O' Crohan; Vingt ans de jeunesse"de Maurice O' Sullivan  et Peig de Pieg Sayers.  Et je suis curieuse  de lire ces ouvrages maintenant après avoir fait connaissance de la jeune fille des Lettres de la Grande Blasket. Je lui laisse d'ailleurs la parole en guise de conclusion avec ces mots si beaux, si pleins d'émotion :
8 Décembre 1945
Niamh* m'a montré un livre il y a quelques jours avec dessus une photo de la vieille maison, et je pleurais presque en la regardant, cependant que le sable des souvenirs faisait s'écouler à travers ma mémoire ces images perdues de la mer si calme et les mouettes qui crient et les canots revenant de la Grande Terre et la Grève blanche, blanche de sable blanc, et comment les bandes d'entre nous y jouaient ensemble comme une seule famille, tellement éparpillée maintenant et même plus un seul enfant sur ces sables blancs abandonnés.

* Niahm : La fille d'Eibhlis

Lire aussi dans le blog  Mystère jazz