Pages

mercredi 18 janvier 2012

Théophile Gautier : Histoire du Romantisme (1) La bataille d'Hernani

La bataille d'Hernani. A gauche le gilet rouge de Gautier

Quand Théophile Gautier écrit l'Histoire du Romantisme en 1871, il est âgé, malade, et il mourra d'ailleurs l'année suivante qui en verra la publication,  en 1872. Beaucoup de ses amis qui ont fait parti de son groupe nommé Le Petit Cénacle, tous adorateurs de Victor Hugo, ont disparu. : "Pour moi, il me semble que je ne suis plus contemporain... J'ai comme le sentiment de n'être plus vivant"  affirme-t-il a un dîner chez Flaubert, un an avant sa mort.  Aussi, c'est avec nostalgie qu'il se remémore ses souvenirs, ce qui n'exclut pas l'humour.

Gautier se souvient de sa jeunesse exaltée et il raconte en quelques chapitres (il y en a 12 en tout) les souvenirs de la fameuse bataille de Hernani dans laquelle il a joué un rôle!

Nous avons eu l'honneur d'être enrôlé dans ces jeunes bandes qui combattaient pour l'idéal, la poésie et la liberté de l'art, avec un enthousiasme, une bravoure et un dévouement qu'on ne connaît plus aujourd'hui. Le chef rayonnant reste toujours debout sur sa gloire comme une statue sur une colonne d'airain, mais le souvenir des soldats obscurs va bientôt se perdre, et c'est un devoir pour ceux qui ont fait partie de la grande armée littéraire d'en raconter les exploits oubliés.

Pour comprendre l'enjeu de la bataille



1830! Date historique dans l'Histoire de la littérature et plus précisément du théâtre français. La première représentation de Hernani, drame de Victor Hugo, va bientôt avoir lieu et avant même qu''il soit joué, il  provoque  déjà le scandale.

Les générations actuelles doivent se figurer difficilement l'effervescence des esprits à cette époque; il s'opérait un mouvement pareil à celui de la Renaissance. une sève de vie nouvelle circulait impétueusement. Tout germait, tout bourgeonnait, tout éclatait à la fois."

Les romantiques, en effet, tous admirateurs de Shakespeare, prennent le grand dramaturge anglais pour modèle, ce qui revient à s'opposer à toutes les règles du théâtre classique. Désormais on ne choisira plus obligatoirement le sujet chez les classiques romains ou grecs et chez les rois et les reines. Hernani est un noble espagnol, déchu de ses droits, en rébellion contre le trône d'Espagne, qui est devenu hors-la-loi et vit en proscrit dans la montagne. 
De plus, on ne sépare plus la comédie de la tragédie comme dans le théâtre classique. On pratiquera comme chez Shakespeare le mélange des genres. Dans la vie le comique et le tragique se côtoient affirme V Hugo.
Enfin le drame romantique ne respecte plus les règles classiques des trois unités, de temps, de lieu, d'action. Il remplace le récit des actes héroïques par le spectacle de ces actes. Le vers se libère et n'obéit plus aux règles strictes de l'alexandrin.
Voilà qui va scandaliser les partisans du classique, le Bourgeois au crâne rasé et au menton glabre auxquels vont s'opposer les jeunes Romantiques chevelus  : N'était-il pas tout simple d'opposer la jeunesse à la décrépitude, les crinières aux crânes chauves, l'enthousiasme à la routine, l'avenir au passé?

"Enrôlés" dans la bataille par Gérard de Nerval


Gérard de Nerval dessin de Théophile Gautier


Pour la présentation au Français, les partisans de Hugo recrutent "la claque" qui devra, en applaudissant, assurer le triomphe de la pièce. Théophile Gautier étudie alors la peinture dans l'atelier de Rioult avant de choisir la voie de la littérature. Lui et ses amis rêvent d'assister à cette représentation aussi quand Gérard de Nerval, déjà célèbre par sa traduction de Goethe, et qui connaît Victor Hugo, vient les enrôler,  c'est l'enthousiasme.
Gérard de Nerval distribuent à chacun d'eux un carré de papier rouge marqué d'un mot espagnol Hierro signifiant Fer, devise d'une hauteur castillane bien appropriée au caractère d'Hernani... en leur recommandant de n'amener que des homme sûrs.

Dans l'armée romantique comme dans l'armée d'Italie, tout le monde était jeune. Les soldats pour la plupart n'avaient pas atteint leur majorité, et le plus vieux de la bande était le général en chef âgé de vingt-huit ans. C'était l'âge de Victor Hugo à cette date.

La légende du gilet rouge.

Théophile Gautier autoportrait

La légende du gilet rouge, explique  Théophile Gautier a collé à sa peau telle la tunique de Nessus. Quarante ans après,  ce ne sont pas ses vers, ses romans, ses articles que le vulgaire retient quand on prononce son nom mais   : Oh! Oui! le jeune homme au gilet rouge et aux longs cheveux.

Le soir de la fameuse bataille, en effet, Théophile Gautier apparaît vêtu d'un gilet rouge qu'il s'est fait faire tout spécialement par son tailleur pour cette occasion. Et si vous ne voyez pas ce que cela avait d'extraordinaire à l'époque, l'écrivain se fait un plaisir de vous l'expliquer avec humour :

Qui connaît le caractère français conviendra que cette action de se produire dans une salle de spectacle où se trouve rassemblé ce que l'on appelle Le Tout Paris avec des cheveux aussi longs que ceux d'Albert Dürer et un gilet aussi rouge que la muleta d'un torero andalou exige un autre courage et une force d'âme que de monter à l'assaut d'une redoute hérissée de canons vomissant la mort.

Mais si le jeune homme accepte avec sang froid les railleries de tous les bourgeois il bout intérieurement d'indignation : et nous nous sentions un sauvage désir de lever leur scalp avec notre tomawak pour en orner notre ceinture; mais à cette lutte nous eussions couru le risque de cueillir moins de chevelures que de perruques; car si elle raillait l'école moderne sur ses cheveux, l'école classique, en revanche, étalait au balcon et à la galerie du Théâtre-Français une collection de têtes chauves pareilles au chapelet de crânes de la déesse Dourga. Cela sautait si fort aux yeux, qu'à l'aspect de ces moignons glabres sortant de leurs cols triangulaires avec des tons de couleurs de chair et de beurre rance, malveillants malgré leur apparence paterne, un jeune sculpteur* de beaucoup d'esprit et de talent, célèbre depuis, dont les mots valent les statues, s'écria au milieu du tumulte : "A la guillotine les genoux!"

* Auguste Preault

La bataille d'Hernani




Dès les premiers mots de la pièce, éclate la bagarre, les cris de protestation houleux, les tumultes que n'arrive pas à réprimer "la bande d'Hugo" "aux airs féroces" "qui fait régner la terreur". La passion l'emporte, les uns hurlent, trépignent d'indignation, les autres applaudissent, louent, s'enthousiasment. Théophile Gautier est bien conscient qu'il est difficile maintenant de comprendre comment ces vers qui sont devenus pour ainsi dire classiques ont pu susciter une telle indignation!

Comment s'imaginer qu'un vers comme celui-ci :
Est-il minuit? -Minuit bientôt

ait soulevé des tempêtes et qu'on se soit battu trois jours autour de cet hémistiche? On le trouvait trivial, familier, inconvenant; un roi demande l'heure comme un bourgeois et on lui répond comme à un rustre : minuit. C'est bien fait. S'il s'était servi d'une belle périphrase, on aurait été poli, par exemple  :
                                                     L'heure
Atteint-elle bientôt sa douxième demeure?


Les classiques refusent donc le mot propre mais ils ne supporte pas non plus les épithètes, les métaphores, les comparaisons, "en un mot, le lyrisme"..

Gautier a assisté à trente représentations. Le triomphe d'Hernani, Théophile Gautier n'a pu nous le raconter.  Le manuscrit s'interrompt là. l'écrivain, malade, épuisé, n'a pu le reprendre et le terminer.

Une anecdote

Victor Hugo
Théophile Gautier  ne parle pas que de la bataille d'Hernani dans son Histoire du Romantisme. Il évoque aussi le souvenir de ses amis avec lesquels il a formé le Petit Cénacle, en imitation du Grand Cénacle de Nodier, autour de Victor Hugo.
Il raconte comment lui et ses amis (il a dix-huit ans) ont été présentés à Victor Hugo, leur Dieu, par Gérard de Nerval, les cavalcades folles dans les  escaliers de la maison du Maître, quand trop intimidés pour tirer le cordon de sonnette, ils redescendaient  en courant et s'arrêtaient, les jambes flageolantes,  pour reprendre haleine. Enfin la première vision de l'idole :
Mais voici que la porte s'ouvrit et qu'au milieu d'un flot de lumière, tel que Phébus Apollon franchissant les portes de l'Aurore, apparut sur l'obscur palier, qui? Victor Hugo , lui-même, dans sa gloire. Comme Esther devant Assuérus, nous faillîmes nous évanouir. Hugo ne put, comme le satrape vers la belle Juive, étendre vers nous pour nous rassurer son long sceptre d'or, par la raison qu'il n'avait pas de sceptre d'or. Ce qui nous étonna.

Les membres de ce Petit Cénacle étaient pour certains des personnages excessifs au romantisme exacerbé, dit frénétique et  presque caricatural : au côté de Gautier, il y avait Gérard de Nerval, Petrus Borel, Thimotée O' Neddy, Jehan du Seigneur, Jules Vabre, Célestin Nanteuil, Joseph Bouchardy.

Je vous présenterai les portraits que Théophile Gautier  a fait d'eux dans mon prochain billet.

****

Alexandre Dumas raconte dans Mes mémoires, Chapitre CXXXII  cette anecdote que je trouve savoureuse .


Alexandre Dumas Litho de Déveria (1830)


La première représentation d’Hernani a laissé un souvenir unique dans les annales du théâtre : la suspension de Marion Delorme, le bruit qui se faisait autour d’Hernani, avaient vivement excité la curiosité publique, et l’on s’attendait, avec juste raison, à une soirée orageuse.
On attaquait sans avoir entendu, on défendait sans avoir compris.
Au moment où Hernani apprend de Ruy Gomez que celui-ci a confié sa fille à Charles V, il s’écrie
... Vieillard stupide, il l’aime !
M. Parseval de Grandmaison, qui avait l’oreille un peu dure, entendit : « Vieil as de pique, il l’aime !» et, dans sa naïve indignation, il ne put retenir un cri :
- Ah ! pour cette fois, c’est trop fort !
- Qu’est-ce qui est trop fort, monsieur ? Qu’est-ce qui est trop fort ? demanda mon ami Lassailly, qui était à sa gauche, et qui avait bien entendu ce qu’avait dit M. Parseval de Grandmaison, mais non ce qu’avait dit Firmin.
- Je dis, monsieur, reprit l’académicien, je dis qu’il est trop fort d’appeler un vieillard respectable comme l’est Ruy Gomez de Silva, « vieil as de pique ! »
- Comment! c’est trop fort ?
- Oui, vous direz tout ce que vous voudrez, ce n’est pas bien, surtout de la part d’un jeune homme comme Hernani.
- Monsieur, répondit Lassailly, il en a le droit, les cartes étaient inventées... Les cartes ont été inventées sous Charles VI, monsieur l’académicien! Si vous ne savez pas cela, je vous l’apprends, moi... Bravo pour le vieil as de pique ! Bravo Firmin ! Bravo Hugo ! Ah !…
Vous comprenez qu’il n’y avait rien à répondre à des gens qui attaquaient et qui défendaient de cette façon-là.
 


mardi 17 janvier 2012

Wallace Stegner : La bonne grosse montagne en sucre



La bonne grosse montagne en sucre est un de ces bons gros bouquins qui, une fois commencé, ne peut être interrompu sous peine de dépérissement. Comment, en effet, abandonner en cours de route ces héros si attachants et si imprévisibles qui -et cela à cause du personnage principal Harry Mason (dit Bo Mason)-  se mettent dans des situations inextricables? On souhaiterait tant qu'ils puissent en sortir indemnes, ce qui n'est pas le cas, hélas! La vie, dans ce roman de Stegner, est toujours prête à virer au cauchemar et ne ménage pas ses acteurs.
Pourtant, lorsque, en ce mois de Décembre 1904, la jolie rouquine, Elsa, irritée par le remariage de son père après la mort de sa mère, fuit sa maison de Minnéapolis dans le Minnesota pour aller vers l'Ouest dans le Dakota du Nord, c'est une grande et passionnante histoire qui commence. Là, elle rencontre Bo Mason, un beau gosse extrêmement doué et qui, de plus, tombe fou amoureux d'elle et fait tout gagner son amour. On se croirait transporté dans un western avec cette rencontre de deux jeunes gens idéalement beaux prêts à vivre de merveilleuses aventures. Qu'importe si le père d'Elsa met en garde sa fille contre ce mariage, et tant pis si Bo n'a pas de profession mais beaucoup de rêves et s'il se révèle un brin violent et incapable de se maîtriser!  La vie n'a rien de romantique et la suite, l'on s'en doute, réserve bien des malheurs à Elsa et ses enfants, Chester et Bruce...
Les centres d'intérêt de ce roman sont nombreux. Et d'abord, la présence de la nature, de ces grands espaces de l'Ouest et de ces régions qui exercent un attrait puissant.
Ensuite les personnages riches et tourmentés :
Complexe ce Bo Mason, travailleur acharné, dur à la tâche, d'une force herculéenne, adroit, qui sait tout faire de ses mains,  doté d'une mémoire phénoménale, mais instable, incapable de se fixer, fidèle en amour mais considèrant bien vite sa femme et ses enfants comme des boulets attachés à ses pieds. Un rêveur, un chasseur de mirages qui joue sa  vie comme  à la roulette d'un casino. Ce qu'il veut, c'est faire fortune et vite, se trouver une bonne grosse montagne en sucre, ce lieu d'une inconcevable beauté qui avait attiré toute la nation vers l'ouest, cette contrée ou une terre grasse laissait sourdre la richesse et où des cieux tombaient de la limonade et où, comme le dit la chanson :
Les flics y ont des jambes de bois
L' aumône y pousse dans les fourrés,
Les poules y pondent des oeufs coque,
Les dogues y ont des crocs en caoutchouc..
Pays  mythique dont la recherche jamais interrompue entraîne Bo Mason et sa famille sur les routes, d'un état à l'autre, de déménagements en déménagements. Bo cultive des terres, fait de la contrebande au moment de la prohibition, tient une maison de jeux, achète une concession, soumet sa femme et ses enfants à une angoisse incessante ponctuée par ses crises de rage et de violence. Pays disparu car l'Amérique de cette première moitié du XXème siècle, qui a traversé la guerre de 14-18, malmenée par la crise de 29, n'est plus semblable à la reine des fées dont la chevelure fleurait le vent, l'herbe et les grands espaces...
La musique venue de derrière la lune s'était tue, les sources de limonade avaient tari en même temps que la moitié des  banques  du pays. Les ruisselets d'alcool qui cascadaient naguère entre les rochers avaient été captés et dérivés vers le domicile des riches, les aumônes ne se cueillaient plus sur les buissons, les poules avaient la pépie, les dogues des véritables crocs, les contrôleurs des trains des yeux de lynx et le climat avait changé.
On s'attache aussi au personnage d'Elsa, d'abord rebelle, révoltée, mais qui accepte ensuite tout  de son mari, se consacrant à lui et à ses enfants. Meurtrie, malheureuse, c'est certain. Résignée? Brisée?  Non ! car elle a su conserver sa dignité et rester elle-même malgré l'avilissement de son mari. C'est une belle figure, courageuse, que tous admirent et respectent. Du moins, c'est le point de vue de son fils et des ses voisins. Pourtant, moi, je la préférais lorsqu'elle résistait et cette image de la mère et de l'épouse admirable, stoïque, mais qui subit toutes les humiliations, me fait grincer des dents.  D'autant plus qu'elle accepte beaucoup de compromissions car elle vit des trafics malhonnêtes de son mari. Il semble que ce soit là l'idéal de femme de Wallace Stegner, idéal que je ne partage pas.
Enfin les deux fils, si dissemblables et dont le destin sera marqué définitivement par leur père envers lequel ils éprouvent  amour et haine, attirance et répulsion, admiration et  mépris, peur et pitié.
La  beauté du roman vient  aussi des sentiments éveillés par ces vies brisées, par le passage du temps inéluctable et douloureux, par les changements de cette Amérique devenue sorcière, les transformations d'une société  qui ne peut plus être guidée par le rêve et qui est ramenée aux contraintes prosaïques de la réalité économique.
On a dit de Wallace Stegner qu'il était le maître du désenchantement et c'est bien là ce que ressent le lecteur en fermant le livre :
Le moment  est venu de songer à ce que sera notre séjour dans la basse-fosse et de faire ami-ami avec les rats et les araignées. ô belle dame sans merci, prends-tu donc plaisir à contempler dans la pénombre nos lèvres bleuies? 


Wallace Stegner : La bonne grosse montagne de sucre édit. Phébus en 2002  (804p.)
Wallace Stegner(1904-1993) est un écrivain de l'Ouest américain. Il est né à Lake Mills dans l'Iowa et il grandit à Great Falls dans le Montana ainsi qu'à Salt Lake City dans l'Utah et dans le sud de la Saskatchewan, lieux que l'on retrouve dans La bonne grosse montagne de sucre. Comme ses personnages Bo  et Elsa Mason, Stegner dit qu'il a  vécu dans vingt endroits dans huit états différents et au Canada. Très célèbre aux Etats-Unis, où il est reconnu comme un maître par les écrivains de l'école du Montana tel Jim Harrisson, où il a été récompensé par de grands prix (entre autres le Pulitzer pour Angle d'Equilibre en 1972), il n'est traduit en français que tardivement.2-85940-815-0.1234790447.gif
La bonne vieille montagne de sucre publié en 1943 a cependant fait l'objet d'une traduction en 1946 sous le titre de La Montagne de mes rêves mais il faudra attendre 1998 pour qu'un autre roman de Stegner soit traduit : Vue cavalière.

Publié en 2008 dans mon ancien blog.

dimanche 15 janvier 2012

Terry Prachett : Les romans du Disque-Monde

C'est en 1983 que Terry Prachett, auteur de Fantasy, écrit le premier volume des Annales du Disque-Monde. Le Disque-Monde est  univers imaginaire où règnent les personnages traditionnels de la Fantasy, fées, sorcières, trolls mais détournés par l'absurde et le comique. A travers cet univers Terry Prachett écrit une satire de la société où l'homme et ses comportements sont analysés et tournés en dérision.
Terry Pratchett étant un écrivain très prolixe, j'ai pioché un peu au hasard dans les dizaines de romans qu'il a écrits sur le Disque-Monde, ceux-ci étant divisés en cycle.
j'ai choisi dans le cycle des sorcières une saga pour adolescents qui raconte l'histoire d'une petite fille  Tiphaine Patraque qui vit sur le Causse. Et oui, c'est une sorcière du calcaire même si, comme chacun sait,il s'agit pierre un peu molle sur laquelle  la magie ne prend pas ( en principe!).

Jai lu les deux premiers de la série : Les Ch'tits d' hommes libres  (1) et Un chapeau de ciel (2).


Dans Ch'tits hommes libres, Tiphaine Patraque a neuf ans. Elle est la petite fille de Mémé Patraque, une sorcière qui veille sur le Causse et possède une grande science pour soigner les moutons. Tiphaine, elle, a un art particulier pour fabriquer le fromage. Mais le jour où la Reine enlève son petit frère Tiphaine se met en colère. Elle part à la recherche de l'enfant dans un royaume de neige peuplé de cauchemars qui ont toutes les chances - je veux dire les malchances- de devenir vrais. Elle est aidée en cela par la bande des Mac Nac Feegle appelés aussi Pictsies ou Ch'tits hommes libres. Bref! La vaillante Tiphaine armée de sa poêle à frire devient leur Kelda (leur reine) juste le temps nécessaire à récupérer son frère et au passage un autre garçon, le fils du baron, enlevé lui aussi.

Dans Un chapeau de ciel, Tiphaine a 11 ans. Elle a convaincu ses parents de la placer comme "domestique" chez une vieille dame pour l'aider dans les tâches ménagères, en réalité pour apprendre à devenir sorcière.
 Mais être sorcière, c'est avant tout rendre service aux autres,soigner les maladies et couper les ongles de pieds (malpropres) du vieux voisin valétudinaire. Rien d'exaltant. Cependant quand un dangereux Rucheur s'empare de l'esprit de Tiphaine, il faudra tout le courage et le talent de la fillette, toute la force des Mac Nac Feeegle (imbattables quand ils ne s'arrêtent pas dans un cabaret) et la magie de la plus grande sorcière de tous les temps, Maîtresse Ciredutemps, pour vaincre l'horrible monstre.

Les Mac Nac Feegle sont hilarants, voleurs, menteurs, ivrognes, aimant la bagarre plus que tout! Ils ont un petit pois à la place du cerveau. Ils me rappellent les personanges secondaires des films de John Ford! Ils parlent un drôle de langage (bravo au traducteur Patrick Couton) langage, qui, contrairement à ce que certains croient n'a rien à voir avec du Picard ou du Ch'ti. Lisez-les à voix haute, vous le comprendrez! Certains passages sont d'une drôlerie irrésistible comme lorsque Jeannie la Kelda se met dans la tête d'apprendre à lire à son mari Rob Deschamps.
Tiphaine est une petite fille qui a du caractère et même parfois un (sale) caractère. Elle est curieuse de tout, apprend les mots dans un dictionnaire  et on suit ses aventures avec intérêt. On apprend aussi que la magie ne peut remplacer l'observation, la réflexion et qu'elle doit aider à secourir les autres.
Ces deux livres sont des petits bijoux d'humour décalé à lire sans modération, maman et fille (mais je suppose que cela peut plaire aussi aux garçons), pour un beau partage de lecture, d'émotion et de rire.


Un échantillon du langage des Ch'tits
Malheureusement les Pisctsies étant des individualiste forcenés, chacun avait son propre cri de guerre et Tiphaine ne put ne décrypter que quelques- uns dans ce vacarme :
Qui'ls prennent la vie mais pwint la culotte!
-Et vlan, six sous de mwins!
- Vous preneuz la grand-route et mi vot portaefeuye!
- Peut en resteu que mille!
-Ah! maeteuz-vos cha dans l'trakkan!
.. mais les voix s'unirent peu à peu en un seul rugissement qui ébranla les murs.
-Ni rwa! Ni rinne! Ni djeus! Ni maets! Fini de s'faire avwar!
 
Quelques passages :
Les Mac nac Feegle forment la plus dangereuse des espèce de fées, surtout quand ils sont soûls.  ils volent tout ce qui n'est pas cloué. Si c'est cloué, ils volent aussi les clous. Malgré tout ceux qui ont réussi à les connaître et à survivre affirment qu'ils sont aussi étonnamment loyaux, forts, tenaces, braves et qu'ils ont, à leur façon de la moralité. ( Par exemple , ils ne volent pas ceux qui ne possèdent rien. )
Ce batracien, autrefois avocat (un avocat humain; les batraciens s'en passent sans peine), avait été transformé en, crapaud par une marraine fée qui comptait le changer en grenouille mais faisait mal la différence entre les deux. Il vivait désormais dans le tumulus, où il mangeait des vers et donnait un coup de main aux Feegle pour les sujets de réflexion difficile.
Challenge de Calypso avec Le mot Monde dans le titre


Challenge de Aymeline

Un Livre/Un film : énigme n°17, Nikos Kanzantzaki : Zorba le grec



Le prix Sirtaki est accordé à : Aifelle, Asphodèle, Dominique, Dasola, Eeguab, Gwenaelle, Jeneen, Lystig, Marie-Josée, Miriam, Nanou, Sabbio. Merci à tous ! 

Le livre : Zorba le Grec de  Nikos Kanzantzaki
Le film : Zorba le grec, le réalisateur : Cacoyannis,  l'acteur principal : Anthony Quinn, la danse : Le Sirtaki 




Nikos Kanzantzaki est né en Crète, à Heraclion en 1883. Il disait  : D'abord Crétois, ensuite Grec. Il est mort  en Allemagne, à Fribourg en 1957.
Son enfance a été marquée par les révoltes crétoises contre l'occupant turc en 1881- 1897-1899 qui ont obligé ses parents à fuir la Crète.. Kazantzaki a fait ses études de droit à Athènes puis il a étudié en France en de 1907 à 1909, où il a suivi les cours de Bergson dont la philosophie l'a marqué toute sa vie. Il a publié sa thèse sur Nietzsche en 1909.  Il s'est aussi intéressé au marxisme et au boudhisme tout en restant chrétien et même mystique. Ce qui est moins incohérent que ce que l'on peut le penser au premier abord car pour lui (cf : Le Christ recrucifié) le Christ est du côté des pauvres, il prône le partage des richesses alors que le Christ de l'Eglise est celui des riches et des puissants .
Nikos Kazantzaki a occupé des fonctions politiques mais il a surtout été un écrivain, poète, philosophe, essayiste, traducteur prolixe, doué d'une force travail et d'une facilité à l'écriture extraordinaires. Il traduit l'Odyssée en moins de 45 jours et écrit les cinq romans de sa vieillesse en quelques années  :  Zorba le grec (1946), Le Christ recrucifié(1948), La liberté ou la Mort (1950),  La dernière tentation (1950).  Il est mis au ban de l'église chrétienne othodoxe pour ce dernier livre. On sait le scandale causé par l'adaptation du roman au cinéma par Scorcese auprès de groupes chrétiens fanatiques.

 Sur sa tombe, cette épitaphe : «  Je n'espère rien, je ne crains rien, je suis libre. »
Zorba le grec
Un écrivain se rend en Crète pour exploiter la mine de lignite que son père lui a léguée.  Il rencontre  sur le port, en attendant le bateau, un personnage étrange, haut en couleur, la soixantaine bien sonnée, qui n'a de cesse de se faire engager par lui comme domestique ou homme à tout faire ou peu importe! Le personnage a du bagout, de la gaieté, une  forte personnalité et fascine l'intellectuel qui se laisse convaincre et le prend à son service.  En Crète, le narrateur et son serviteur descendent dans un hôtel tenu par Hortense, une prostituée française qui leur raconte sa vie. Zorba devient l'amant de la vieille courtisane qu'il surnomme Bouboulina et invite son maître à jouir de la vie en tombant dans les bras de la Veuve, une superbe jeune femme que tous les mâles du village convoitent mais qui l'air de le trouver à son goût. Le narrateur, un intellectuel qui ne vit que pour et par ses livres, refuse :
  Ma vie avait fait fausse route et mon contact avec les hommes n'était plus qu'un monologue intérieur. J'étais descendu si bas que si j'avais eu à choisir entre tomber amoureux d'une femme et lire un bon livre sur l'amour j'aurais choisi le livre.
Mais lorsqu'il cèdera à ses désirs il provoquera un drame.
La mort de la Veuve puis celle de Bouboulina qui lui donnent une vision terrible de la société crétoise et l'échec de l'exploitation de la mine décident de son départ. Cependant, le narrateur perdu  dans ses méditations, coupé de la réalité et de l'action, en lutte contre sa sensualité, refusant sa condition d'homme, a changé...  Zorba  lui a réappris à vivre.

Tous les hommes ont leur folie, mais la plus grande folie, m'est avis que c'est de ne pas en avoir.

Un roman en partie autobiographique :
Dans le prologue de Zorba le Grec qu'il écrit en 1946, Nikos Kazantzaki annonce quels ont été ses maîtres à pensée durant toute sa vie :  Homère, Bergson, Nietzsche et Georges Zorba.

Dans Zorba le Grec,  Kazantzaki  utilise des souvenirs personnels si bien que l'on peut dire que son roman qui reste une fiction est en partie autobiographique et que son personnage n'est pas inventé. Mais qui est ce Georges Zorba qui a joué un si grand rôle dans la vie de l'écrivain?
Il est né en Macédoine en 1867 dans ce qui était alors l'Empire Ottoman. Fils d'un riche propriétaitre terrien il a travaillé dans les champs et s'est occupé des troupeaux de  moutons, est devenu bûcheron, a travaillé à la mine en France. Il se marie, a huit enfants mais la mort de sa femme le secoue profondément. En 1915, il devient moine au mont Athos. C'est là qu'il rencontre Nikos Kazantzaki et devient son ami. Tous deux ont exploité une mine de lignite, non en Crète mais dans le Péloponèse, à Prastova, en 1917. Après l'effrondement de la mine les deux amis se séparent. L'écrivain part à Antibes puis en Suisse, Zorba  en Serbie où il se remariera et où il mourra en 1942..
C'est cette expérience que Nikos Kazantzaki raconte dans le roman.
D'après leur correspondance, l'on peut s'apercevoir que l'écrivain prête à son personnage Alexis Zorba, les caractéristiques morales et la philosophie de Georges Zorba. Cet être entier, énergique, enthousiaste, qui aime rire, qui aime la danse et la musique, pense que l'action prime sur la pensée. Il reproche à son patron d'être un intellectuel coupé de la vie et de ne pas savoir en profiter. Il ne faut pas se perdre en vaine méditations mais agir! C'est lui qui devient le maître à penser de son maître!

Influence de Nietzsche et de Bergson dans le roman :
A propos de l'influence de ces philosophes sur Kazantzaki, le critique Morton P. Lewitt pense qu' Alexis Zorba devient un héros calqué sur le Zarathoustra de Nietzche  par la préférence donnée à l'action sur la méditation, par la volonté de prendre en main son destin, par l'amour du rire et de la danse. Si le surhomme nietzchien est  "un dieu épicurien ramené sur terre" Alexis Zorba incarne ce surhomme. Quant à l'influence bergsonienne, elle serait dans cette intuitivité du personnage qui acquiert la sagesse par la connaissance de la nature humaine, par "la force de la vie elle-même" et  par sa grande capacité à rire car le rire signale une révolte contre la vie sociale. Comme Bergson, Alexis Zorba refuse d'agréer les conventions sans les remettre en question.  Et il cite ce passage de Bergson dans son essai Du Rire :
"C’est  ainsi  que  des  vagues  luttent  sans  trêve  à  la  surface  de  la  mer,  tandis  que  les  couches inférieures observent une paix profonde.  Les vagues s’entrechoquent, se contrarient, cherchent leur équilibre.  Une écume blanche, légère et gaie, en suit les contours changeants. Parfois le flot qui fait abandonne  un  peu  de  cette  écume  sur le  sable  de la  grève.  L’enfant  qui joue  près  de là  vient  en ramasser  une  poignée, et  s’étonne, l’instant  d’après,  de  n’avoir  plus  dans le creux  de la main  que quelques gouttes d’eau, mais d’une eau bien plus salée, bien plus amère encore que celle de la vague qui l’apporta.  Le rire naît ainsi que cette écume. Il signale, à l’extérieur de la vie sociale, les révoltes superficielles.  Il dessine instantanément la  forme mobile de ces ébranlements.  Il est, lui aussi, une mousse à base de sel.  Comme la mousse, il pétille.  C’est de la gaieté.  Le philosophe qui en ramasse pour en goûter y trouvera d’ailleurs quelquefois, pour une petite quantité de matière, une certaine dose d’amertume."

Je reprends ici les citations  que j'avais relevées lors de ma première lecture du roman dans un précédent billet et qui donnent une vision de la philosophie de Zorba . Voici quelques "leçons" de Zorba à son maître :

- Quel est ton métier? lui demandais-je.
-Tous les métiers : du pied , de la main, de la tête, tous. Manquerait plus que ça, qu'on choisisse.

 Quand je joue du santouri, on peut me parler, je n'entends rien et même si j'entends, je ne peux pas parler. J'ai beau vouloir, rien à faire, je ne peux pas.
Mais pourquoi, Zorba?
-Eh! la passion!
 

Les bons comptes font les bons amis. Si tu me forces, ce sera fini. Pour ces choses-là, il faut que tu le saches, je suis un homme.
-Un homme, Qu'est-ce que tu veux dire?
-Eh bien, quoi, libre!
 

Ne ris pas patron! Si une femme couche toute seule, c'est de notre faute à nous, les hommes. On aura tous à rendre des comptes le jour du jugement dernier. Dieu pardonne tous les péchés, comme on a dit, il a l'éponge en main, mais ce péché-là, il ne le pardonne pas! Malheur à l'homme qui pouvait coucher avec une femme et qui ne l'a pas fait! patron.

Tu ne veux pas d'embêtements? fit Zorba stupéfait et qu'est-ce que tu veux alors?
Je ne répondis pas.
- La vie, c'est un embêtement, poursuivit Zorba, la mort, non. Vivre sais-tu ce que ça veut dire? Défaire sa ceinture et chercher la bagarre.
 

Pourquoi? Pourquoi? On ne peut donc rien faire sans pourquoi? Comme ça  pour son plaisir.

Tu n'as pas faim! dit Zorba en se frappant les cuisses. Mais tu ne t'es rien mis sous la dent depuis ce matin. Il faut s'occuper de son corps aussi, aie pitié de lui. Donne-lui à manger, patron, donne lui à manger, c'est notre bourricot, tu vois. Si tu ne le nourris pas, il te laissera en plan au beau milieu de la route.

Un livre /Un film
Il y a dans le roman deux scènes d'une grande force et qui ont une puissance visuelle étonnante. Le film de Cacoyannis  a su en rendre la grandeur sauvage et primitive.  Il s'agit de la scène où la Veuve est mise à mort par l'ensemble du village et égorgée devant nous. Irène Papas y est sublime. Elle n'a pas besoin de parole pour nous faire ressentir ses émotions, son visage, le moindre de ses mouvements est expressif.
La deuxième scène est la mort de Bouboulina dont le village va piller la maison avant qu'elle ait rendu le dernier soupir. Les  vieilles femmes toutes de vêtues de noir s'introduisent dans la chambre pour épier le dernier souffle de l'ancienne courtisane. Elles ressemblent à des corbeaux attendant la mort, prêts à frapper.  Et comme elles donnent le signal de la curée avant même que Bouboulina  ne soit morte, cela donne un jeu de scène hallucinant au cours de laquelle l'actrice qui interprète le rôle, Lila Kedrova, se redresse brutalement sur son lit comme si elle avait senti le bec des charognards la déchirer.

Pour le film  Voir Wens

samedi 14 janvier 2012

Un livre, un Jeu : Enigme n°17



Wens de En effeuillant le chrysanthème et moi-même, nous vous proposons, le samedi, un jeu sous forme d'énigme qui unit nos deux passions : La littérature et le cinéma! Il s'intitule : Un livre, Un film.

Chez Wens ICI vous devez trouver le film et le réalisateur, chez moi le livre et l'auteur.

Consignes :  Vous pouvez donner vos réponses par mail (que vous trouverez dans mon profil) : Qui êtes-vous? et  me laisser un mot dans les commentaires sans révéler la réponse pour m'avertir de votre participation. Le résultat de l'énigme et la proclamation des vainqueurs seront donnés le Dimanche.



Enigme n° 17
Transportons-nous aujourd'hui dans la patrie de Minos et de Pasipahae. C'est là que se déroule l'action du roman située dans les années 1920. Celui-ci est écrit en 1945 par un des plus grands écrivains grecs contemporains. Il met en scène un maître et un serviteur dont le nom prête son titre au roman.

Les bons comptes font les bons amis. Si tu me forces, ce sera fini. Pour ces choses-là, il faut que tu le saches, je suis un homme.
-Un homme, Qu'est-ce que tu veux dire?
-Eh bien, quoi, libre!

jeudi 12 janvier 2012

juan Manuel de Prada : La tempête


La Tempête de Giorgione

 La Tempête. Si j'ai choisi ce roman de Juan Manuel de Prada, c'est pour la référence à l'oeuvre du Gorgione qui allait m'amener inévitablement à Venise! Bingo!  Je suis arrivée dans la Serinissime en plein mois de Janvier avec  Alejandro Ballesteros, universitaire espagnol, qui a dilapidé sa vie, dit-il, à l'exégèse de ce tableau. Une fois sa thèse finie, Ballesteros se rend à Venise pour voir l'oeuvre. Enfin! A peine parvenu dans sa chambre d'hôtel, il téléphone, impatient, au directeur du musée de l'Accademia, Gilberto  Gabetti qui doit lui servir de cicerone et lui donner son avis de spécialiste sur sa thèse. Mais voilà que, de sa fenêtre, il assiste en direct à un meurtre. Un homme est poignardé sous ses yeux. Mais dès lors qu'il se porte au secours de la victime et qu'elle meurt dans les bras, Ballesteros va être impliqué dans ce meurtre même si le soutien de Gabetti lui évite d'être soupçonné. Il découvre bien vite que le mort est un célèbre faussaire, ami de Gabetti et professeur de Chiara,  fille adoptive de ce dernier.

J'avoue avoir été déçue par ce roman même s'il a été couronné d'un prix littéraire en 1997. Il repose d'abord sur une invraisemblance difficile à avaler  :  un universitaire travaille pendant des années sur la Tempête à partir de reproductions, publie une thèse qui se révèle "un pavé" sans avoir jamais vu l'original! Très crédible, en effet!  Et comme une partie de l'intrigue  repose sur le fait qu'il n'a jamais vu le tableau, on tombe dans le ridicule. L'histoire "policière" ne m'a donc pas convaincue. 
Je n'ai pas accroché, non plus, aux personnages de Gilberto Gabetti et de sa fille adoptive Chiara qui m'ont paru invraisemblables et inconsistants, et n'ai pas été touchée non plus par l'amour fou de notre universitaire pour Chiara tant le récit manque de conviction..
L'analyse du tableau de Giorgione ne m'a rien appris  nouveau. J'ai déjà lu des interprétations de cette image mystérieuse et, en fait, à l'encontre de ce j'espérais, ce  n'est pas vraiment le sujet du roman. Reste la description de Venise que Ballesteros découvre sous la neige, ce qui donne lieu à quelques passages bien écrits mais parfois redondants car Venise, associée à la mort,  ne trouve jamais grâce aux yeux de l'écrivain et n'est décrite que par sa décrépitude et ses immondices.  mais ma foi, pourquoi pas? Après tout Thanatos aussi est séduisant!

Nota :  Certaines critiques disent que ce n'est pas le livre le plus réussi de Prada. j'ai donc l'intention d'en lire d'autres.

Juan Manuel de Prada est né en 1970 à Baracaldo en Byscaye.

Les 12 d'Ys : Javier Marias: Un coeur si blanc



Un coeur si blanc de Javier Marias  est un coup de... coeur! Dès le premier chapitre, en effet, qui s'ouvre sur le suicide de Teresa, une jeune femme, tout juste revenue de voyage de noces avec Ranz, son mari, j'ai été happée par la force de cette scène analysée par le menu, appréhendée par le détail. En attirant l'attention sur tout ce qui entoure la mort, les attitudes que chacun adopte machinalement, les gestes mécaniques, parfois absurdes ou bizarres en ces circonstances tragiques, du père, de la soeur de la mariée, des invités, l'écrivain nous décrit la mort comme un spectacle, une mise en scène terrible qui se met en place devant nous où chaque acteur est aussi spectateur. Car  ce qui est saisi par les sens, par la vue : le sang, le soutien gorge enlevé, le sein déchiqueté, par l'ouïe : le robinet qui coule, le commis de l'épicerie qui siffle, ne peut l'être par l'esprit plongé dans le chaos, la stupeur, incapable de raisonner. L'écrivain pose le décor, montre les déplacements extérieurs, construit la  scène, la précise, l'affine et ce qui est extérieur va finir par être ressenti par nous-mêmes de l'intérieur comme si nous étions, par exemple, le père de Teresa, hébété, incapable de réfléchir avec cohérence et d'agir.

Cette première scène a une telle puissance d'émotion qu'elle pourrait avoir une vie en elle-même, être une nouvelle. Elle présente même, comme toute bonne nouvelle, une chute :  Tout le monde dit que Ranz,(...),  le mari, mon père, n'avait pas eu de chance, puisqu'il devenait veuf pour la deuxième fois"

Mais cette phrase nous invite à poursuivre le récit avec le mot "mon père"  qui nous permet de découvrir le narrateur. Juan est le fils de Ranz. Son père s'est remarié avec Juana, la soeur cadette de Teresa, et Juan est né de leur union bien après le drame. Il a longtemps cru que sa tante Teresa était morte de maladie et personne n'a jamais découvert non plus pourquoi elle s'était suicidée. Il parle quatre langues, est interprète dans les grands sommets internationaux auprès de chefs d'état et c'est à une de ces occasions qu'il découvre Luisa, interprète elle aussi, au cours d'une rencontre entre les chefs du gouvernement anglais et espagnol. Son récit débute avec son mariage et le malaise qu'il va ressentir devant une confidence de son père après la cérémonie. Une  scène qu'il surprend entre un homme et une femme inconnus dans la chambre voisine de la sienne pendant son voyage de noce à Cuba accentue encore cette inquiétude.
Le roman nous livrera ce secret de famille que Juan ne veut pas connaître mais dont il besoin pourtant pour assumer sa vie.

Les thèmes de ce roman sont incroyablement riches et me touchent particulièrement.
Celui de la mémoire par exemple, de l'impossibilité de retenir l'image de ce qui s'est passé d'où la multiplication à notre époque des moyens de reproduction pour retenir de passé : or pendant que nous essaierons de  le revivre, de le reproduire ou de le rappeler et d'empêcher qu'il soit passé, un  temps différent aura lieu au cours duquel, sans doute, nous ne serons pas ensemble, ne décrocherons pas le téléphone, ne nous déciderons à rien et ne pourrons éviter aucun crime, aucune mort (sans pour autant les commettre et les causer), parce que nous le laisserons passer hors de nous comme s'il n'était pas nôtre, dans cette tentative morbide de le faire durer et de revenir quand il est déjà passé."

La difficulté de donner un sens à notre vie  qui n'est parfois qu'illusion et non-sens  et pourtant...
Ce qui se fait est identique à ce que nous ne faisons pas, ce que nous écartons ou laissons passer, identique à ce que nous prenons ou nous saisissons, ce que nous ressentons, identique à ce que nous n'avons pas éprouvé, pourtant notre vie dépend de nos choix et nous la passons à choisir, rejeter, sélectionner, à tracer une ligne qui sépare ces choses équivalentes, faisant de notre histoire quelque chose d'unique qui puisse être raconté et remémoré.

Sur l'essence des relation humaines et l'amour :
Toute relation personnelle est toujours une accumulation de problèmes, d'insistances, mais aussi d'offenses et d'humiliations." "Tout le monde oblige tout le monde, non pas tant à faire ce qu'il ne veut pas, que ce qu'il ignore vouloir, car pratiquement  personne ne sait pas ce qu'il ne veut pas, et moins encore ce qu'il veut, et cela, il n'y a aucun moyen de la savoir.

Le thème de la  culpabilité et de l'innocence si important dans le roman est abordé par le biais de Shakespeare et Macbeth : "I have done the deed" "j'ai fait l'acte" dit Macbeth quand il a tué Duncan sur les instigations de sa femme. Pour apaiser son effroi Lady Macbeth qui vient de plonger ses mains dans le sang de Ducan pour barbouiller le visage des serviteurs et les faire accuser, murmure  à son mari : "Mes mains ont la couleur des tiennes mais j'ai honte de porter un coeur si blanc". Un coeur si blanc, c'est le titre du roman qui s'éclairera pour le lecteur au dernier chapitre.
 Une instigation n'est rien d'autre que des mots, des mots sans maître que l'on peut traduite, qui se répètent de bouche en bouche, de langue en langue et de siècle en siècle... les actes eux-mêmes dont personne ne sait jamais s'il veut les voir accomplis, tous actes involontaires, les actes qui ne dépendant plus de ces mots dès qu'ils se réalisent, mais les effacent, restent coupés de l'après et de l'avant, eux seuls subsistent, irréversibles, alors qu'il y a réitération et rétractation, répétition et rectification des mots, ils peuvent être démentis ... il peut y avoir déformation et oubli.

Et certes les propos du livre et la manière d'envisager la vie sont bien noirs. Pourtant lorsque Juan saura la vérité, son pessimisme se tempère. Il peut désormais envisager un avenir avec Luisa et même si nul ne peut jurer que l'amour est éternel, il est important d'avoir quelqu'un que l'on aime et qui nous aime.Car c'est finalement l'amour qui peut nous sauver du non-sens.

Une des caractéristiques de l'écriture de Javier Marias tout au cours du roman,(nous l'avons vu dès la première scène) est l'analyse très précise, très fine, qui donne son importance aux détails; or ceux-ci finissent par être essentiels et nous amènent à participer! Un autre de ces particularités est un procédé de réitération des scènes, des paroles telles qu'elles ont été dites, des voix qui font écho avec leur intonation précise, et qui reviennent à plusieurs reprises comme un leit-motiv, comme si la scène recommençait inlassablement dans un processus qui rappelle celui de la mémoire, une scène vécue et revécue parce qu'on ne peut pas ou que l'on ne veut pas l'oublier.   Mais dans ces répétitions s'introduisent des variantes où l'on voit peu à peu le personnage se transformer et s'ouvrir. Et c'est ainsi que ce "romancier de la construction et de l'intelligence" comme il est dit de Javier Marias dans la quatrième de couverture, le devient aussi de l'émotion. C'est ainsi que nous sommes gagnés par la nostalgie de ces mots, de ces efforts démesurés et vains de la mémoire, qui, à travers ce récit tragique, nous parle de nous, de la difficulté de donner un sens à notre vie, d'aimer mais qui est aussi un encouragement à continuer tant que l'on a quelqu'un  dans notre sommeil pour nous protéger et nous aimer.

...nous nous sentons vraiment protégés que lorsqu'il y a quelqu'un derrière nous, quelqu'un que nous ne voyons pas forcément, qui couvre notre dos de sa poitrine tout près de nous frôler, qui finit toujours par nous frôler, et au milieu de la nuit, quand nous nous réveillons en sursaut à cause d'un cauchemar ou parce que nous ne pouvons trouver le sommeil, parce que nous sommes fiévreux ou que nous nous croyons seuls, abandonnés dans le noir, nous n'avons qu'à nous retourner et voir, juste en face de nous, le visage de celui qui nous protège et qui se laissera embrasser partout où l'on peut embrasser (sur le nez, les yeux et la bouche, le menton, le front et les joues; et les oreilles, c'est tout le visage) ou qui, peut-être, nous mettra la main sur l'épaule pour nous apaiser, ou pour nous tenir, ou pour s'agripper peut-être.

PS : J'ai adoré aussi la présentation du métier d'interprète lors dans grandes conférences ou sommets internationaux traitée avec un humour noir décapant... Et les relations de Juan avec son amie Berta  une femme blessée par la vie et aux réactions assez surprenantes.




Rosa Montero : La fille du cannibale



Dans La fille du cannibale Lucia Romero, écrivain pour enfants, la quarantaine bien sonnée,  part en voyage avec son mari Ramon Iruna qui est fonctionnaire au ministère des Finances. Juste avant l'embarquement, celui-ci part aux toilettes mais il n'en ressort jamais. Lucia, angoissée a l'idée de rater l'avion, n'a pourtant pas quitté la porte des yeux. Qu'est devenu Ramon? Les recherches de la police sont infructueuses. Quand Lucia reçoit une demande de rançon par une organisation terroriste, elle va livrer elle aussi sa propre enquête, épauler en cela par ses voisins, un vieil anarchiste de quatre-vingt ans surnommé Fortuna qui n'a pas froid aux yeux et un jeune homme de vingt ans, Adrian, trop jeune pour elle ... mais terriblement séduisant!
L'enquête policière assez complexe et rocambolesque permet à  Lucia de découvrir ses sentiments, de secouer les habitudes ancrées que l'on ne remet pas en question parce que l'on se laisse enliser dans la routine quotidienne. En faisant le point sur sa vie, elle s'aperçoit que tout n'y est pas si rose.  D'abord, elle n'aime plus Ramon. Il y a bien longtemps qu'il n'y a plus rien entre eux! Elle prend conscience qu'elle ne sait rien de cet homme qui lui paraissait si banal et si lisse! Ensuite, elle déteste Belinda la cocotte, l'héroïne idiote de contes stupides qu'elle écrit pour les enfants..  Enfin, elle a quarante ans, un dentier et de nombreuses cicatrices dus à un accident de la route et c'est très lourd à assumer. Si l'on ajoute que ses parents, d'anciens acteurs narcissiques, sont incapables de lui apporter le moindre soutien moral, qu'elle est la fille d'un présumé cannibale (son père ayant mangé de "l'homme" pour survivre au cours d'un dramatique accident, du moins c'est ce qu'il raconte), si je vous dis encore qu'elle tombe amoureuse du nouveau voisin qui pourrait être son fils... etc... vous comprendrez que le roman de Rosa Montero n'est pas sans sel et  la vie de son héroïne de tout repos. Ceci raconté avec humour (noir souvent) qui n'exclut pas la gravité et une réflexion désabusée et lucide sur la vie en général, et en particulier sur les rapports entre hommes et femmes dans le couple, sur le statut de la femme aussi.  Et elle a  parfois la dent dure et le verbe mordant!.
C'était une de ces femmes dont la raison de vivre est la maternité, comme si accoucher était l'oeuvre suprême de l'Humanité, celle qui nous intronise dans l'Olympe aux côté des lapins.

 Mais au-delà de l'humour, il y a la souffrance de vieillir, la peur de la  solitude et de la mort, la déception face à une réalité que l'on trouve trop dure et que l'on refuse d'accepter.

Le récit de Lucia qui parle à la première personne est entrecoupé par celui de notre anarchiste  qui a été torero, une façon d'ailleurs de nous faire découvrir ce métier dans les années 30 et ses facettes surprenantes.  Le vieil homme raconte le voyage qu'il fit, enfant, à la suite de son frère, en Amérique du Sud et comment, au Chili, il fit parti de la bande d'anarchistes de Duretti. Il nous fait pénétrer ensuite dans le milieu anarchiste espagnol et revivre ainsi l'Histoire de l'Espagne, ce qui est l'un des aspects les plus passionnantes du roman. Le récit est vibrant et souvent douloureux comme lorsque Fortuna évoque la guerre civile :  Moi je suis entré dans le malheur ce 18 Juillet 1936 et à partir de cette date les choses n'ont fait qu'empirer :  la défaite des républicains, l'exil, les camps de concentration français, la deuxième guerre mondial, le franquisme : Mais nous pouvons supporter dans nos vies une haute dose de souffrance. Au départ nous pensons que nous allons pouvoir la surmonter, en réchapper. Que nous avons déjà laissé le pire derrière nous parce qu'il ne peut rien arriver de pire que ce qui a été vécu. Mais oui, évidemment, bien sûr  qu'il peut y avoir pire. Ne tentez pas le malheur. C'est un bourreau sadique.

A travers ce personnage Rosa Montero parle aussi  et d'une très belle manière du problème du Bien et du Mal, de la vieillesse, de l'acceptation et de la compréhension de la mort et il transmet son savoir à Lucia. 
Il n'y a pas à avoir peur de la réalité parce qu'elle n'est pas que terrible, elle est belle aussi.
La vie est beaucoup plus grande que nos peurs. Et nous sommes même capables de supporter plus que nous ne le souhaiterions.

Lorsque le roman se termine La jeune femme a retrouvé un équilibre. Elle a passé cette crise de la quarantaine au cours de laquelle on dit adieu à sa jeunesse et qui ressemble tant à celle de l'adolescence où l'on enterre son enfance. Un beau roman.


Rosa Montero est née à Madrid où elle vit. Après des études de journalisme et de psychologie, elle est journaliste à El Pais et est l'auteur de plusieurs romans, parmi lesquels Le Territoire des Barbares et La Folle du logis.

Je mets aussi un lien vers mes billets des livres de de Javier Cercas qui est un de mes auteurs  espagnols préférés :


J'ai participé avec ce billet au défi lancé par Ys et intitulé Les 12 de Ys. il s'agit de lire chaque mois un livre parmi ceux qu'elle présente sur un pays ou un continent précis. Pour ce mois de janvier Ys nous  a proposé la découverte d'auteurs espagnols contemporains et là, j'ai foncé car c'est une littérature que j'aime particulièrement. Voir ICI

mardi 10 janvier 2012

Un petit arrêt!


Depuis quelques jours je ressemble à ça! Moustaches et  Lapins en moins!

J'essaie de venir dans Ma Librairie pour vous répondre mais... j'ai peur de vous transmettre mes microbes! Alors je fais une pause. Mon  rendez-vous avec YS  du  12 est programmé (écrivains espagnols) celui du samedi 14  Un livre/ un Film aussi. Et d'ici là vous me verrez venir toute requinquée pour  la réponse à l'énigme et le challenge de Calypso  le Dimanche 15. 
Merci à tous ceux, celles qui viennent me voir et à qui je n'ai toujours pas répondu et à bientôt dans mon blog et le vôtre!.

lundi 9 janvier 2012

Virgil C. Gheorghiu : La maison de Petrodava ou Les noirs chevaux des Carpates





La maison de Pétrodava*  de Virgil Gheorghiu paru en 1961 est un roman envoûtant et il est très difficile de s'en détacher dès lors que vous avez ouvert la première page.
Pétrodova  est situé dans la vallée de Bistritza, sur le versant oriental  des Carpates, en Moldavie, la patrie de Virgil Gheorghiu. C'est là que réside la famille Rocca, une dynastie d'éleveurs de chevaux. Le récit de La maison de Petrodava se déroule autour de deux figures de femmes  exceptionnelles : Roxana  Rocca et sa fille Stella toutes deux éprises de justice avec une intransigeance qui n'admet aucune pitié. Nous sommes au début du XXème siècle et la guerre de 14 va bientôt éclater.
Roxana, l'unique héritière de Petraky Roca, accepte d'épouser l'instituteur du village, Lucian Apostol, et ceci bien qu'il soit un homme de la plaine et par là suspect de bien des faiblesses, à une condition : qu'il lui soit toujours fidèle. On verra ce qu'il en coûte au jeune homme de trahir sa promesse! Stella est le portrait de sa mère. Comme elle, éleveuse d'étalons farouches, comme elle en lutte contre une Nature sauvage avec laquelle elle se mesure victorieusement. Elle défendra son premier mari, le prince russe Illiyuskin, cousin du tsar, en l'arrachant aux mains des Bolchéviks. Veuve, elle épousera en seconde noce, le lieutenant Michel Barasab qui quitte l'armée parce qu'il a peur de la mort et de la guerre. C'est un être trop sensible pour vivre avec une femme Rocca. Il ne pourra pas en sortir indemne.
Les personnages de ce roman sont des personnages de tragédie antique. Le sens de l'honneur -ici de la justice- exclut toute  tendresse, voire toute humanité.  L'écriture est à la fois lyrique et épique.  Nous sommes pris dans ce récit haletant, sans concession, avec des personnages  féminins hors du commun, exacerbées,  grandioses, qui vont jusqu'au bout pour être fidèles à elles-mêmes, jusqu'à la folie, jusqu'à la mort.  Certaines scènes de ce roman sont d'une force incroyable :  la scène de la mort de Lucian Apostol, la  lutte de  Stella contre le torrent déchaîné...
La nature tient un rôle à part entière dans le roman; de même  les chevaux fougueux des Carpates en symbiose avec leurs maîtres, complicité qui exclut tous ceux incapables d'y participer.
Ce  roman qui nous dépeint les coutumes et les mentalités d'un peuple orgueilleux et  dur  façonné par l'âpreté de la vie dans les hautes montagnes des Carpates - que Gheorghiu connaît bien  puisqu'il est le sien - est une oeuvre qui ne peut laisser personne indifférent.

* le roman a été réédité sous le tire : Les noirs chevaux des Carpates

dimanche 8 janvier 2012

Emile Nelligan, le Rimbaud québécois

 


copie_2_de_ph29-23-1_rgb_med_1.1275169886.jpg

Aujourd'hui j'ai envie de présenter un des poètes les plus célèbres du Québec, Emile Nelligan. Je l'ai découvert dans une librairie près de mon hôtel, dans le quartier de  Côte-des-Neiges, lors d'un séjour à Montréal, ville où il est né en 1879. Regardez son portrait. De Rimbaud, il a cet air d'extrême jeunesse et de fragilité que l'on observe chez le poète français au même âge. Il est aussi précoce que lui. Ses premiers vers sont publiés alors qu'il a seize ans. Sa voix s'éteindra aussi très vite mais pas pour les mêmes raisons. Emile Nelligan est atteint de troubles mentaux très graves. Il est interné  en 1899 et c'est à l'asile qu'il mourra en 1941. On sent dans ses poèmes l'influence non seulement de Rimbaud mais aussi de Baudelaire, Nerval, Verlaine...
J'ai choisi son poème le plus connu Soir d'hiver  qui est mon préféré.

Alexander V. Jackson : Les Laurentides (peintre québécois , groupe des sept)

Soir d'hiver

Ah ! comme la neige a neigé !
Ma vitre est un jardin de givre.
Ah ! comme la neige a neigé !
Qu’est-ce que le spasme de vivre
A la douleur que j’ai, que j’ai !
*
Tous les étangs gisent gelés,
Mon âme est noire : Où vis-je ? où vais-je ?
Tous ses espoirs gisent gelés ;
Je suis la nouvelle Norvège
D’où les blonds ciels s’en sont allés.
*
Pleurez, oiseaux de février,
Au sinistre frisson des choses,
Pleurez, oiseaux de février,
Pleurez mes pleurs, pleurez mes roses,
Aux branches du genévrier.
*
Ah ! comme la neige a neigé !
Ma vitre est un jardin de givre.
Ah ! comme la neige a neigé !
Qu’est-ce que le spasme de vivre
A tout l’ennui que j’ai, que j’ai !...
**

Et puis un autre petit poème en prime!

Quelqu'un pleure dans le silence

Quelqu'un pleure dans le silence
Morne des nuits d'avril ;
Quelqu'un pleure la somnolence
Longue de son exil ;
Quelqu'un pleure sa douleur
Et c'est mon coeur !


Poème publié dans mon ancien blog en 2010.

Un livre, un Jeu : énigme n° 16 Le roi Lear de William Shakespeare

Vous avez trouvé : Aifelle, Eeguab, Célestine,  Jeneen, Miriam et Pierrot Bâton. Vous n'avez pas deviné? Ce n'est pas grave! L'important c'est de participer! Merci à toutes et à tous!
Le Roi Lear de Shkespeare
Ran de Kurosawa

 Le roi Lear décide de partager son royaume entre ses  trois filles :  Goneril, l'aînée, mariée au duc D'Albany, Régane qui a pour époux le duc de Cornouailles et Cordélia dont deux prétendants se disputent la main. Il exige en contrepartie de garder ses titres et veut savoir laquelle de ses trois filles l'aiment le plus pour partager son héritage en fonction de leur amour. Goneril et Régane  s'exécutent et se lancent avec aisance dans de beaux discours qui ne leur coûtent rien. Cordélia refuse car,  pour elle, la sincérité se passe de paroles? Son père la bannit avec dureté. Cordélia que le roi de France a pris pour épouse quitte le Royaume. Le roi Lear demeure tour à tour chez ses deux  filles qui vont l'humilier, puis le chasser et enfin décider de l'assassiner. Le comte de Kent qui s'interpose en faveur de Cordélia est banni aussi. Il se déguise en serviteur pour continuer à servir Lear et à veiller sur lui.  C'est lui et le Fou qui guident le roi Lear vers Douvres où le roi de France débarque par amour de Cordélia pour remettre sur le trône le père de sa bien-aimée.
Parallèlement court une autre intrigue qui  double l'histoire du roi Lear. En effet, le comte de Gloucester, vassal du roi, a deux fils, l'un légitime, Edgar,  l'autre bâtard, Edmond. Edmond qui nourrit une haine féroce envers  son frère, héritier légitime, persuade son père que Edgar veut l'assassiner. Le Comte le croit et Edgard, poursuivi est obligé de se cacher sous la défroque d'un mendiant-fou. Gloucester ayant pris le parti du roi Lear est énucléé par le duc De Cornouailles et dépossédé de de ses biens. C'est son fils Edgar qui va veiller sur lui et conduire l'aveugle à Douvres pour échapper à ses ennemis.

Le Roi Lear a pour thème le pouvoir, ici le pouvoir que Lear abandonne en échange  de l'amour et de la déférence de ses enfants.  Ce qu'il veut c'est être aimé parce qu'on le lui doit en tant que père et en tant que roi mais mérite-t-il cet amour? Son attitude envers Cordélia prouve bien que non. De même Il n'aime pas plus ses aînées qu'il maudit quand elles lui font défaut. En tant que roi, il s'aperçoit au cours de ses errances de proscrit qu'il ne mérite pas plus l'amour de ses sujets, la justice n'existe pas dans son royaume.
Le Roi Lear est une donc une pièce sur l'apparence et la réalité. Le roi Lear ne sait pas distinguer l'un et l'autre et il en sera puni. ll manque de discernement, trop imbu de lui-même, trop habitué à voir tout le monde se courber devant lui. Il ne voit pas la sincérité de Cordélia, ni du comte de Kent et il prend pour véritable amour les serments de ses deux filles. A cet aveuglement spirituel va corresponde l'aveuglement réel du Comte de Gloucester. Lear qui se trompe paie son erreur en sombrant dans la folie, Gloucester en devenant infirme et en aspirant au suicide.
La pièce est extrêmement pessimiste puisqu'elle se termine dans un bain de sang. Pourtant avant leur mort le roi Lear et le comte de Gloucester vont comprendre la vérité. Ils meurent mais ils ont le bonheur de constater l'amour de leur enfant, de leur demander pardon. On peut dire qu'il y a une rédemption des personnages qui a travers les zones sombres de la folie ou de la cécité accèdent à la lucidité. C'est la limite du pessimisme de la pièce.
 D'autre part contrairement à Ran de Kurosawa, film où la guerre mène à la folie et au chaos, le royaume d'Angleterre est sauvé, dans Le Roi Lear, grâce au Duc d'Albany qui n'a pas voulu céder à la haine de Goneril. Voir Wens pour le film


Challenge de Maggie et de Claudialucia

samedi 7 janvier 2012

Un livre, un film : Enigme N°16




Wens de En effeuillant le chrysanthème et moi-même nous vous proposons, le samedi, un jeu sous forme d'énigme qui unit nos deux passions : La littérature et le cinéma! Il s'intitule : Un livre, Un film.

Chez Wens ICI vous devez trouver le film et le réalisateur, chez moi le livre et l'auteur.

Consignes :  Vous pouvez donner vos réponses par mail (que vous trouverez dans mon profil) : Qui êtes-vous? et  me laisser un mot dans les commentaires sans révéler la réponse pour m'avertir de votre participation. Le résultat de l'énigme et la proclamation des vainqueurs seront donnés le Dimanche.



Enigme n° 16
Cette pièce de théâtre est une des plus grandes tragédies classiques de la littérature et explore les thèmes de l'apparence et de la réalité, de la folie aussi et de l'amour filial..

As-tu vu un chien de ferme aboyer aux trousses d'un mendiant?
(......)
Et la pauvre créature fuir devant le mâtin?Là, tu pourrais contempler la noble image de l'autorité; chien en fonction est obéi.
Canaille d'huissier, retiens ta main sanglante.
Pourquoi fouettes-tu cette prostituée? Dénude ton propre dos,
Car tu as chaude envie de faire avec elle
Ce pourquoi tu la fouettes. L'usurier fait pendre le fripon.
Sous les habits troués se voient les moindres fautes;
Robes et manteaux fourrés cachent tout. Fais au crime un blindage d'or
Et le puissant glaive de la justice, inoffensif se brisera;
Revêts-le de haillons, un fétu de pygmée le percera.

Toujours vrai , toujours d'actualité, n'est-ce pas?