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mercredi 10 juin 2015

Victor Hugo : La légende des siècles La rose de l'infante

L'invincible Armada

La légende des siècles, recueil de poèmes écrit par Victor Hugo pendant son exil à Guernesey entre 1855 et 1876, a pour dessein ambitieux de raconter l’histoire de l’humanité de son origine à l’époque moderne et de montrer l’évolution positive de l’homme. Celui-ci, en effet, proche de la bête va se transformer pour accéder au statut d’homme en accédant aux divers degrés de la conscience dans une marche constante vers le Bien. Seule la bonté nous dit Victor Hugo peut sauver l’humanité et la faire parvenir en pleine lumière, dans le rayonnement de la liberté.

Cette évolution pourrait être symbolisée par deux poèmes, l’un au début de La légende du Siècle La Conscience qui voit Caïn après le meurtre de son frère Abel poursuivi par l’oeil de la Conscience sans pouvoir lui échapper.

Puis il descendit seul sous cette voûte sombre.
Quand il se fut assis sur sa chaise dans l'ombre
Et qu'on eut sur son front fermé le souterrain,
L'oeil était dans la tombe et regardait Caïn.


 et Les Pauvres gens, à la fin, où un pêcheur et sa femme accueillent dans leur maison deux enfants orphelins.

Diable ! diable ! dit-il, en se grattant la tête,
Nous avions cinq enfants, cela va faire sept.
Déjà, dans la saison mauvaise, on se passait
De souper quelquefois. Comment allons-nous faire ?


Victor Hugo s’appuie sur les textes fondateurs comme la Bible, le Coran, la mythologie antique, les chansons de geste du Moyen-âge… Il ne veut pas faire oeuvre d’historien mais de visionnaire.

Bien entendu j’avais très envie de choisir Les pauvres gens parce que comme tous les élèves (qui ont mon âge actuellement), je l’ai étudié à l’école et je le connais toujours par coeur ou presque! Mais je me suis dit qu’il fallait que j’innove en choisissant une poésie moins connue (peut-être, encore que…!) ; Voici donc un extrait de La rose de l’infante
Dans ce long poème Victor Hugo médite sur la destruction de la flotte espagnole envoyée par Philippe II pour envahir l’Angleterre :  L’invincible Armada  fut  dispersée par une tempête qui assura la victoire des anglais.
Victor Hugo veut montrer que la monarchie absolue est un frein au progrès de l’Humanité mais peut être détruite par le souffle de Dieu.

La rose de l'infante

Diego Vélasquez : L'infante Marguerite

Il peint d’abord l’infante, une charmante enfant dans un jardin riant :

Elle est toute petite ; une duègne la garde.
Elle tient à la main une rose et regarde.
Quoi ? que regarde-t-elle ? Elle ne sait pas. L'eau ;
Un bassin qu'assombrit le pin et le bouleau ;
Ce qu'elle a devant elle ; un cygne aux ailes blanches,
Le bercement des flots sous la chanson des branches,
Et le profond jardin rayonnant et fleuri.
Tout ce bel ange a l'air dans la neige pétri.
On voit un grand palais comme au fond d'une gloire,
Un parc, de clairs viviers où les biches vont boire,
Et des paons étoilés sous les bois chevelus.
L'innocence est sur elle une blancheur de plus ;
Toutes ses grâces font comme un faisceau qui tremble.
Autour de cette enfant l'herbe est splendide et semble
Pleine de vrais rubis et de diamants fins ;
Un jet de saphirs sort des bouches des dauphins.
Elle se tient au bord de l'eau ; sa fleur l'occupe ;
Sa basquine est en point de Gênes ; sur sa jupe
Une arabesque, errant dans les plis du satin,
Suit les mille détours d'un fil d'or florentin.
La rose épanouie et toute grande ouverte,
Sortant du frais bouton comme d'une urne verte,
Charge la petitesse exquise de sa main ;
Quand l'enfant, allongeant ses lèvres de carmin,
Fronce, en la respirant, sa riante narine,
La magnifique fleur, royale et purpurine,
Cache plus qu'à demi ce visage charmant
Si bien que l'oeil hésite, et qu'on ne sait comment
Distinguer de la fleur ce bel enfant qui joue,
Et si l'on voit la rose ou si l'on voit la joue.
Ses yeux bleus sont plus beaux sous son pur sourcil brun.
En elle tout est joie, enchantement, parfum ;
Quel doux regard, l'azur ! et quel doux nom, Marie !
Tout est rayon ; son oeil éclaire et son nom prie.
Pourtant, devant la vie et sous le firmament,
Pauvre être ! elle se sent très grande vaguement ;
Elle assiste au printemps, à la lumière, à l'ombre,
Au grand soleil couchant horizontal et sombre,
A la magnificence éclatante du soir,
Aux ruisseaux murmurants qu'on entend sans les voir,
Aux champs, à la nature éternelle et sereine,
Avec la gravité d'une petite reine ;
Elle n'a jamais vu l'homme que se courbant ;
Un jour, elle sera duchesse de Brabant ;
Elle gouvernera la Flandre ou la Sardaigne.
Elle est l'infante, elle a cinq ans, elle dédaigne.
Car les enfants des rois sont ainsi ; leurs fronts blancs
Portent un cercle d'ombre, et leurs pas chancelants
Sont des commencements de règne. Elle respire
Sa fleur en attendant qu'on lui cueille un empire ;
Et son regard, déjà royal, dit : C'est à moi.
Il sort d'elle un amour mêlé d'un vague effroi.
Si quelqu'un, la voyant si tremblante et si frêle,
Fût-ce pour la sauver, mettait la main sur elle,
Avant qu'il eût pu faire un pas ou dire un mot,
Il aurait sur le front l'ombre de l'échafaud.

Il décrit ensuite par contraste la figure lugubre du souverain Philippe « morne en son noir pourpoint, la toison d’or au cou » et la puissance de sa flotte, «sur quatre cents vaisseaux quatre-vingt mille épées ».

Giacomo Antonio Moro : Philippe II d'Espagne dans la légende des siècles de Victor Hugo :" morne en son noir pourpoint, la toison d’or au cou »
Giacomo Antonio Moro : Philippe II d'Espagne

Mais Victor Hugo se garde bien de décrire la fin de l’Invincible Armada. Il va procéder par une métaphore, celle du bassin balayé par le vent. Ainsi nous retournons à la petite infante  qui va avoir la preuve des limites du pouvoir royal.
Planche botanique de Pierre-Joseph Redouté,
Pierre-Joseph Redouté, Rosa Xcentifolia (rosier cent-feuilles)

Cependant, sur le bord du bassin, en silence,
L'infante tient toujours sa rose gravement,
Et, doux ange aux yeux bleus, la baise par moment.
Soudain un souffle d'air, une de ces haleines
Que le soir frémissant jette à travers les plaines,
Tumultueux zéphyr effleurant l'horizon,
Trouble l'eau, fait frémir les joncs, met un frisson
Dans les lointains massifs de myrte et d'asphodèle,
Vient jusqu'au bel enfant tranquille, et, d'un coup d'aile,
Rapide, et secouant même l'arbre voisin,
Effeuille brusquement la fleur dans le bassin.
Et l'infante n'a plus dans la main qu'une épine.
Elle se penche, et voit sur l'eau cette ruine ;
Elle ne comprend pas ; qu'est-ce donc ? Elle a peur ;
Et la voilà qui cherche au ciel avec stupeur
Cette brise qui n'a pas craint de lui déplaire.
Que faire ? le bassin semble plein de colère ;
Lui, si clair tout à l'heure, il est noir maintenant ;
Il a des vagues ; c'est une mer bouillonnant ;
Toute la pauvre rose est éparse sur l'onde ;
Ses cent feuilles, que noie et roule l'eau profonde,
Tournoyant, naufrageant, s'en vont de tous côtés
Sur mille petits flots par la brise irrités ;
On croit voir dans un gouffre une flotte qui sombre.
" Madame, dit la duègne avec sa face d'ombre
A la petite fille étonnée et rêvant,
Tout sur terre appartient aux princes, hors le vent. "




Cette LC est partagée avec : Laure, Une comète, Margotte, Océane. 
 
Logo du challenge Victor Hugo

dimanche 7 juin 2015

Challenge Victor Hugo : Rappel de la lecture commune




Un petit rappel de  la lecture commune pour le challenge Victor Hugo le mercredi 10 JUIN :  il s'agit de publier un poème au choix de La légende des siècles.

Avec Margotte, Laure, Une Comète, Claudialucia

Je programmerai mon poème pour le 10 Juin mais je ne viendrai vous voir qu'à mon retour de Suède..


Et si le coeur vous en dit voilà les LC  pour le challenge : Rejoignez-nous!

10 Octobre : Notre-dame de Paris
Nathalie, Laure, Claudialucia, Miriam

10 Novembre : Un poème à choisir dans le recueil Les orientales
claudialucia et ?

10 décembre : Une pièce de théâtre : Ruy Blas
Nathalie, Laure, claudialucia

samedi 6 juin 2015

Le festival d'Avignon 2015 : IN mon programme

Olivier Py et le festival In d'Avignon 2015 ( source Le Monde)

J'ai choisi et déjà réservé les places des pièces que je vais voir dans le festival IN d'Avignon 2015 qui a lieu du 4 au 25 Juillet. Bien sûr, il y a les trois Shakespeare que je ne pouvais manquer!

Richard III monté par Thomas Ostermeier (source Le Figaro)


Le roi Lear Olivier Py : Dimanche 5 Juillet 22H Cour d'Honneur
Richard III Thomas Ostermeir : Mercredi 7 18H Opéra
Antoine et Cléopâtre  Tiago Rodriguez : Vendredi 17 18H  Théâtre Benoit XII

Vous remarquerez que les pièces du dramaturge anglais seront  données en français, en allemand et en portugais surtitrés français, selon la nationalité du metteur en scène!

Fatou Cissé : le bal du cercle représente le Sénégal (source)

Et puis... pour le reste, je me suis laissé guider par des avis éclairés, ceux de ma fille pour certains spectacles, et par mes envies de découverte entre théâtre, danse, musique :

Danse : Retour à Berratham  Dimanche 19 Juillet  Cours d'Honneur  d'après l'écrivain Laurent Mauvignier chorégraphe Angelin Preljocaj  
 Un jeune homme revient à Barratham. Il avait quitté cet endroit juste avant la guerre. Il avait laissé  son amour de jeunesse Katja derrière lui. "La pièce porte surtout sur l'après-guerre, comme la guerre vit encore en nous" explique Laurent Mauvignier

Théâtre et musique   : Fugue Samuel  Achache Mardi 21 Juillet 22H Cloître des Célestins
avec des comédiens, musiciens, chanteurs; à partir d'une forme musicale ancienne, la fugue, le spectacle dissèque les principes pour en révéler le squelette.

Cassandre d'après Christa Wolf, musique Michael Jarrel, mise en scène Hervé Loichemol; Mercredi 22 18H Opéra
"Avec ce récit, je descends vers la mort". Cassandre la Troyenne est lucide. Vaincue par son destin il ne lui reste plus qu'une heure à vivre"Interprété par Fanny Ardant.

Danse : Le bal du cercle Chorégraphie de Fatou Cisse Jeudi 23 Juillet : Cloître des Carmes
Ce cercle, un ring, un podium, une agora, est le lieu du Tanabeer, une pratique ancestrale réservée aux femmes  dans la société sénégalaise.

The last supper  Ahmed El Attar  Vendredi 24 18H l'autre Scène-Vedène
The last supper aime à jouer de ses fausses ressemblances avec le dernier repas du Christ. Le metteur en scène égyptien et ses onze comédiens travaillent le langage comme foyer et symptôme d'une vertigineuse crise de sens.

Cuendo Vuelva a casa voy A ser otro  Mariano Pensotti samedi 25 18H La Fabrica
En Argentine, quarante ans après avoir enfoui un sac dans un jardin, Alfredo le retrouve et voit réapparaître les objets du jeune révolutionnaire qu'il a été.

LE OFFF

Pour le Off j'ai déjà quelques idées et ensuite je me laisserai guider par le bouche à oreille, le coup de coeur du moment.
Ce qui est sûr, c'est que je veux voir au Chêne Noir :

Des cailloux plein les poches 11H   Jeudi 16 ou samedi 18 :   2 places


  Noces de sang de Lorca12H30 Lundi 20 ou Dimanche 19 : 2 places


Le Prince travesti de Marivaux 18H45 Jeudi 16 ou le jeudi 23 : 2 places


et des spectacles qui reviennent cette année après avoir obtenu un vif succès l'année dernière, découverts grâce à Eimelle  ICI

Le cercle des illusionnistes 10H30 Théâtre Les Béliers
Un obus dans le coeur : Mouawad Théâtre du Balcon

vendredi 5 juin 2015

Canaletto, Rome, Londres, Venise : à l'hôtel de Caumont Aix en Provence

Canaletto : Le Bucentaure retournant au Mole après le mariage de Venise avec l'Adriatique

Il  y a d'abord le plaisir de découvrir L'hôtel de Caumont, magnifiquement rénové par la ville pour en faire un Centre d'art. Situé dans le quartier Mazarin à Aix-en-Provence, cet hôtel particulier a été édifié au XVIII siècle.

L'hôtel de Caumont

 

L'hôtel de Caumont
Jardin de l'hôtel de Caumont



 
 
Puis le plaisir de visiter l'exposition  : Canaletto, Rome, Londres, Venise!  L'hôtel de Caumont accueille, en effet, cinquante toiles et dessins de Giovanni Antonio Canal dit Le Canaletto. Ces oeuvres présentent Canaletto peintre de décors de théâtre dans l'atelier de son père,  auteur de  Caprices* ayant pour sujet la ville de Rome, puis son évolution, avec ses oeuvres de  jeunesse où il devient peintre de Venise sous l'impulsion de plusieurs commanditaires, avant de modifier sa palette et sa touche lors de son voyage en Angleterre; enfin son retour à Venise où il rencontre des rivaux,  Belloto son neveu et dans la personne de Guardi, ce dernier devenu un artiste reconnu de la ville .

Des installations numériques complètent l'exposition.
 

Les caprices

Bernado Belloto : Caprice avec le Capitole

    Canaletto : Caprice avec des ruines classiques et des bâtiments de la Renaissance

 
*La mode du Caprice au XVII et XVIII siècle est la peinture d'un paysage imaginaire empruntant des éléments au réel : ruines, monuments

Venise

Canaletto : Venise : Le Grand Canal vers l’est, vu du Campo San Vio
Canaletto:  Venise : La Punta della Dogana"
Le Bucentaure retournant au Mole (détail)

Angleterre

 

Canaletto : Angleterre Alnwick Castle - Vers 1752

 

L'installation numérique

Installation numérique : le tableau de Canaletto prend vie : mouvement des barques, animation sonore

jeudi 4 juin 2015

Stig Dagerman : Automne allemand


Stig Dagerman, écrivain et journaliste suédois  est envoyé en 1946 en Allemagne pour faire un reportage sur le peuple allemand vaincu. Cette série d’articles a été réunie dans ce livre intitulé Automne allemand. Je venais de le lire  quand le hasard a voulu que je continue avec le roman de Bernhard Schlinck, Le liseur. Ce qui m’a permis d’effectuer un survol de l’Allemagne de 1946, directement après la défaite, quand l’Allemagne est encore occupée par les armées étrangères jusqu’aux années 1960.
Si Le liseur de Schlinck parle de la jeunesse née après la guerre sur laquelle repose tout le poids de la culpabilité des parents nazis, les témoignages de Stig Dagerman portent sur la génération qui a vécu la guerre et a été complice du nazisme

Le journaliste est là pour sonder les idées politiques du peuple allemand après la défaite, pour savoir s’il se sent coupable de s’être placé derrière Hitler, s’il en éprouve des regrets. Stig Dagerman explore le thème de la culpabilité et de la honte mais en soulignant combien cette question est faussée en cet automne 1946, (c’est le titre du premier article) date à laquelle la population allemande exsangue vit dans les caves inondées des maisons en ruines, uniquement préoccupée par la survie, la recherche de nourriture et peu encline à se poser des questions de morale. Cette lutte de tous les instants contre le froid, la faim, l’humiliation de l’occupation étrangère souvent très dure, laisse peu de place pour les sentiments et le retour sur soi-même.. La misère n’a jamais été un facteur de régénérescence. Si les souffrances des allemands touchent Stig Dagerman, elles ne constituent pas une excuse, encore moins une réhabilitation. Elles ne dédouanent pas les allemands des atrocités qu’ils ont commises ou laissés commettre. Mais souligne le journaliste, les Alliés, en imposant cette punition aux allemands n’en sortent pas grandi eux-mêmes.
« De plus la faim et le froid ne figurent pas dans la gamme des peines prévues par la justice, pour la même raison qui veut que la torture et les mauvais traitements n’y figurent pas. »
De plus, il pose le problème de l’obéissance à l’autorité et de la contrainte exercée par l’état envers ceux qui ne s’y plierait pas.
Le journaliste parle lui aussi de la jeunesse allemande qui dès le plus jeune âge a été embrigadée, modelée, pliée à l’idéologie nazie. Elle se retrouve maintenant sur la sellette devant des tribunaux de dénazification.
Or comme le proclame un jeune homme  :
"-Mais Hitler était reconnu par le monde entier. Des hommes d’Etat sont venus ici signer des traités. Le pape a été le premier à le reconnaître. J’ai moi-même vu un photo sur laquelle le pape lui serre la main."

"L'Allemagne tout entière pleure ou rit devant le spectacle de la dénazification, (...) ces tribunaux dont les procureurs présentent leurs excuses à l'accusé avant que la sentence ne soit rendue, ces énormes moulins à papier qui offrent fréquemment, dans cette Allemagne qui manque de papier, le spectacle d'un accusé qui présente une vingtaine de certificats attestant une conduite irréprochable et qui consacrent un temps considérable à des milliers de cas absurdes et sans importance tandis que les cas véritablement graves semblent disparaître par quelque trappe secrète."
 
En abordant toutes ces questions avec honnêteté et exigence à travers le vécu des allemands aux lendemains de la guerre, Stig Dagerman renvoie à la propre responsabilité de la Suède alliée à l’Allemagne nazie mais aussi à celle de tous. Il révèle combien ces questions sont complexes et ne peuvent recevoir une réponse simple.

Un livre intéressant écrit par un jeune écrivain - il avait  23 ans- à la sensibilité exacerbée qui ira jusqu'au bout de l'angoisse et se suicidera en 1954.


mardi 2 juin 2015

La carrière de Lumière des Baux : Léonard de Vinci, Raphaël, Michel Ange


Les carrières de Lumière des Baux : Michel Ange, Léonard de Vinci, Raphaël année 2015
Michel Ange dans les Carrières de Lumière des Baux

 Fermées depuis 1935, les carrières des Baux ont été utilisées pour extraire de la bauxite et du calcaire. Elles sont situées dans un lieu pittoresque appelé Val d'Enfer qui a inspiré Frédéric Mistral pour Mireille. C'est dans cet endroit que Vincent, blessé par le bouvier Ourias, se réfugie dans l'antre de Taven, la sorcière, qui le soigne et le guérit. C'est là aussi, dans ces carrières monumentales et mystérieuses que Jean Cocteau tourne Le testament d'Orphée dont le tournage a été si bien mis en images par le photographe Lucien Clergue.

Dans les carrières des Baux, le testament d'Orphée de Cocteau , image de Lucien Clergue
Le testament d'Orphée photo de Lucien Clergue

Ce lieu n'est donc pas banal et si l'on parle à son propos de cathédrale, c'est parce que c'est exactement l'impression l'on en a en y pénétrant : Grandeur des murailles de blocs colossaux, élévation, hauteur démesurée du sol à la voûte. C'est en 1977 que la carrière a vu se développer des scénographies de projections d'images. 

Michel Ange : Carrière de lumière des Baux année 2015  Michel Ange, Raphaël, Léonard de Vinci
Michel Ange : Carrière de lumière

Les photographies que je vous présente sont de mauvaise qualité, prises sans flash dans l'obscurité, mais les silhouettes humaines en ombre chinoise qui se réflètent sur les murs d'images vous donnent bien l'échelle des plans. Le visiteur est minuscule et les images des oeuvres des trois Géants de la Renaissance sont immenses : Michel Ange, Raphaël, Léonard de Vinci. D'autre part, ces images sont en mouvement. Certains passages comme Le Jugement dernier de Michel Ange sont grandioses : les damnés sont précipités dans les flammes des enfers qui brûlent autour de vous et semblent vous encercler,  tandis que les anges attirent les élus vers le ciel vous amenant au milieu des nuages. La Chapelle Sixtine comme vous ne la verrez jamais! La musique et les chants qui accompagnent ses scènes forment un spectacle complet, impressionnant.

Les trompettes de Jéricho semblent jaillir des murailles : carrière des Baux année 2015 Michel Ange
Michel Ange : Le Jugement dernier Les trompettes de Jéricho

Michel Ange : Le Jugement dernier

Michel Ange

Michel Ange

Michel Ange : La Création d'Adam aux Carrière des Baux année 2015 Les trois géants de la Renaissance : Michel Ange Raphaël, Léonard de Vinci
Michel Ange : La Création d'Adam

Michel Ange : La création du monde : le soleil carrière des Baux année 2015 Les trois géants de la Renaissance Michel Ange, Raphaël, Léonard de Vinci
Michel Ange : La création du monde : le soleil

Et puis, bien sûr, il ne faut pas hésiter à aller visiter le joli village des Baux tout proche; très fréquenté, il faut le savoir! A éviter le dimanche si possible.

 Voir La vidéo

 Du 6 mars 2015 au 3 Janvier 2016
Les Carrières sont ouvertes tous les jours du 6 mars 2015 au 3 janvier 2016.
Du 6 au 31 mars : 10h-18h
Du 1er avril au 30 septembre : 9h30-19h
Du 1er octobre au 3 janvier 2016 : 10h-18h

dimanche 31 mai 2015

Bernard Schlink : Le liseur


Dans Le liseur de Bernard Schlink, un jeune garçon de 15 ans, Michaël, a une liaison avec une femme de 20 ans plus âgée que lui, Hanna. Il entretient avec elle une relation passionnée et prend l’habitude de lui lire des livres car Hanna, comme lui, s’intéresse à la littérature. Pourtant, un jour, elle disparaît sans laisser d’adresse. Des années plus tard, il la retrouve sur le banc des accusées (elles sont cinq) d’un procès antinazi. Il apprend alors que Hanna a été gardienne d’un camp de concentration et s’est rendue coupable de crimes contre l’humanité. Le jeune homme assiste au procès, fasciné par ce qu’il apprend de cette femme qui a été son premier amour. Il comprend alors le secret que celle-ci essaie à tout prix de cacher aux yeux de tous mais que je ne vous révèlerai pas ici. Plus tard, quand elle sera en prison, il prendra l’habitude de lui envoyer des enregistrements de livres. Mais arrive le jour où elle retrouve sa liberté et ….

J’ai refermé ce roman avec un sentiment de tristesse à l'écoute de la musique triste et nostalgique qui émane de la vie gâchée de Michaël. Marqué par l’amour de cette femme plus âgée, il éprouve un double sentiment de culpabilité, d’abord envers elle parce qu’il pense l’avoir trahie, ensuite envers les victimes quand il apprend l’horreur de ses actes. Il ne pourra jamais aimer une autre femme qu’elle et ne pourra jamais construire un relation stable avec une autre. De plus cette histoire individuelle rejoint l’histoire collective, celle amère, poignante, désespérante d’une génération née après la guerre, qui endosse la faute des parents nazis ou complices silencieux du nazisme, partagés entre l’amour qu’ils leur portent et la répulsion qu’ils éprouvent envers leur attitude. Une génération pourtant innocente mais qui ne connaîtra pas l'insouciance de la jeunesse.

Le roman pose aussi le problème du Bien et du Mal et montre que le glissement de l’un à l’autre ne tient parfois qu’à  peu de choses. Hannah s’engage dans l’armée parce qu’elle veut cacher son secret. Cette raison paraît dérisoire en rapport avec les crimes dont elle va se rendre coupable. La vie de toutes ces femmes juives qu’elle a laissé mourir a donc dépendu de ce fait qui apparaît comme une ironie tragique et douloureuse. Elle n’était pas un monstre, mais elle le devient non par conviction mais par "anesthésie" devant l'horreur, par "habitude" de la mort et de la souffrance,  manque de courage pour opposer un refus, manque d'empathie.. Quelle qu'en soit la raison, on ne peut que se poser la question :  comment une femme à priori "normale" peut-elle en arriver là? Le livre pose donc la question implicite: et vous qu'auriez-vous fait? Et vous que feriez-vous si une telle idéologie  renaissait de ses cendres en France? Une question qui reste donc toujours actuelle et universelle!

Bernard Schlinck dissèque les sentiments complexes de ses personnages avec beaucoup de finesse et de précision et ceci d’autant plus que le récit est en partie autobiographique.. Il analyse les contradictions entre amour et haine mais aussi entre le désir de comprendre les bourreaux et l’impossibilité de leur pardonner. Il met en lumière ce sentiment de culpabilité ressenti par les enfants pour les crimes des parents, une culpabilité si lancinante que même lorsqu’elle paraît s’effacer, elle est toujours prête à renaître.
Le style reflète la démarche de Michaël qui écrit cette histoire pour s'en débarrasser, pour prendre des distances avec elle, peut-être même pour oublier; mais sous l'apparente froideur et maîtrise de soi, l'émotion perce, la nostalgie sourd et l'on ressent les sentiments du "garçon" -comme l'appelait Hanna- qui, devenu homme, restera toujours arrêté à ces moments de son adolescence qui l'ont marqué à jamais.

Un coup de coeur donc, pour ce livre, et j’ai beaucoup aimé le film dont Wens vous parlera  dans son blog..

Mais l’amour qu’on porte à ses parents est le seul amour dont on ne soit pas responsable.
Et peut-être est-on responsable même de l’amour qu’on porte à ses parents. A l’époque, j’ai envié les autres étudiants qui prenaient leurs distances face à leurs parents, et du coup face à toute la génération de criminels, des spectateurs passifs, des aveugles volontaires, de ceux qui avaient toléré et accepté ; ils surmontaient ainsi sinon leur honte, du moins la souffrance qu’elle leur causait.
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Il m’arrive de penser que le confrontation avec le passé nazi n’était pas la cause, mais seulement l’expression du conflit de générations qu’on sentait être le moteur du mouvement étudiant. Les aspirations des parents dont chaque génération doit se délivrer, se trouvaient tout simplement liquidées par le fait que ces parents, sous Le Troisième Reich ou au plus tard au lendemain de son effondrement, n’avaient pas été à la hauteur. Comment voulait-on qu’ils aient quelque chose à dire à leurs enfants, ces gens qui avaient commis les crimes nazis, ou les avait regardé commettre, ou avaient détourné les yeux?

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Je voulais à la fois comprendre et condamner le crime de H.... Mais il était trop horrible pour cela. Lorsque je tentais de le comprendre, j'avais le sentiment de ne plus le condamner comme il méritait effectivement de l'être. Lorsque je le condamnais comme il le méritait, il n'y avait plus de place pour la compréhension. Mais en même temps je voulais comprendre H..; ne pas la comprendre signifiait la trahir une fois de plus. Je ne m'en suis pas sorti. Je voulais assumer les deux, la compréhension et la condamnation. Mais les deux ensemble, cela n'allait pas.




Le livre : Le liseur de Bernhard Schlink
Le film : The reader de Stephen Daldry
Félicitations à Aifelle, Dasola, Eeguab et merci à tous ceux qui ont participé sans toutefois trouver les bons titres, l'auteur et le réalisateur.

samedi 30 mai 2015

Un livre/Un film énigme 114


Pour ceux qui ne connaissent pas Un Livre/un film, l'énigme du samedi, je rappelle la règle du jeu.

Wens de En effeuillant le chrysanthème et moi-même, nous vous proposons, le 1er et le 3ème samedi du mois, et le 5ème pour les mois avec cinq samedis, un jeu sous forme d'énigme qui unit nos deux passions : La littérature et le cinéma! Il s'intitule : Un livre, Un film. Chez Wens vous devez trouver le film et le réalisateur, chez moi le livre et l'auteur. Eeguab ne nous relaiera pas cette année mais nous le remercions de tout le travail accompli l'année dernière.

Consignes  

Vous pouvez donner vos réponses par mail, adresse que vous trouverez dans mon profil : Qui suis-je? et  me laisser un mot dans les commentaires sans révéler la réponse pour m'avertir de votre participation. Le résultat de l'énigme et la proclamation des vainqueurs seront donnés le Dimanche.

Prochain rendez-vous

Rendez-vous  le troisième samedi du mois :  Le samedi 6 Juin

Enigme 114

Ce roman est l’oeuvre d’un écrivain allemand né en 1944. Son père, pasteur et professeur à l’université avait été relevé de ses fonctions par le régime nazi. L’écrivain parle au nom des enfants nés après la guerre et traite du sentiment de culpabilité de cette génération dont les parents ont été nazis ou complices du nazisme. Le livre partiellement autobiographique dont vous devez retrouver le titre a reçu plusieurs prix littéraires dans plusieurs pays dont la France et a été traduit dans 37 langues.

A propos des mouvements de 68 :

Il m’arrive de penser que le confrontation avec le passé nazi n’était pas la cause, mais seulement l’expression du conflit de générations qu’on sentait être le moteur du mouvement étudiant. Les aspirations des parents dont chaque génération doit se délivrer, se trouvaient tout simplement liquidées par le fait que ces parents, sous Le Troisième Reich ou au plus tard au lendemain de son effondrement, n’avaient pas été à la hauteur. Comment voulait-on qu’ils aient quelque chose à dire à leurs enfants, ces gens qui avaient commis les crimes nazis, ou les avait regardé commettre, ou avaient détourné les yeux?

..............................................

Je voulais à la fois comprendre et condamner le crime de H.... Mais il était trop horrible pour cela. Lorsque je tentais de le comprendre, j'avais le sentiment de ne plus le condamner comme il méritait effectivement de l'être. Lorsque je le condamnais comme il le méritait, il n'y avait plus de place pour la compréhension. Mais en même temps je voulais comprendre H..; ne pas la comprendre signifiait la trahir une fois de plus. Je ne m'en suis pas sorti. Je voulais assumer les deux, la compréhension et la condamnation. Mais les deux ensemble, cela n'allait pas.

Nous ne pourrons vous répondre ce samedi car nous partons à Montpellier assister à la Comédie du livre. Pour les 30 ans de cette manifestation littéraire les invités d'honneur sont, cette année,  des écrivains ibériques, espagnols, catalans, basques, portugais.

 

jeudi 28 mai 2015

Emile Zola : Le Paradou, le jardin magique de La Faute de l'abbé Mouret illustré par Gwenaëlle Péron

Gwenaelle Péron*: Jardin gyvernesque sur le site du peintre
Gwenaelle Péron*: Jardin gyvernesque source

 
Le livre de Evelyne Bloch Dano : Jardins de papier m'a donné envie de redécouvrir Le Paradou, ce jardin magique peint par Emile Zola dans La Faute de l'abbé Mouret. J'ai lu ce roman quand j'étais au collège et je me souviens avoir été charmée, ravie, enivrée par le jardin qui y est décrit. 
Le Paradou. Il porte bien son nom, le Paradou, puisqu'il s'agit d'un jardin d'avant la chute, un Eden luxuriant, redevenu sauvage, qui a oublié la main de l'homme pour se lancer à la conquête du ciel. Les Arbres se sont développés, les fleurs les plus belles comme les plus vénéneuses se sont épanouies dans toute leur flamboyante beauté! Tout est germination, appel à la vie, tout est une invite à  l'amour.
C'est dans ce paradis que l'abbé Serge Mouret et Albine se rencontrent, c'est dans ce Paradou aux lourds parfums sensuels que l'abbé déchiré entre l'amour de Dieu et la sensualité va commettre la faute. Le livre est une critique implicite du catholicisme qui fait de la sensualité un péché, refusant ainsi les lois de la nature et prônant la mortification de la chair : Serge a failli en mourir, Albine en mourra.

Evelyne Bloch-Dano reproche à Zola l'aspect souvent artificiel de ses évocations qui serait lié, dit-elle, à un excès de recherches documentaires. Il n'en reste pas moins que Zola, inspiré par les peintres impressionnistes et certainement par le Giverny de Monet, met en valeur les jeux d'ombre et de lumière, la fulgurance des couleurs et des nuances, les transparences du ciel, réussissant à "faire de certains passages de véritables tableaux poétiques en prose". E. Bloch-Dano

 

Le Paradou (extraits) 

 

Gwenaëlle Péron les dunes de Saint Anne la Palud  peintre contemporain
Gwenaëlle Péron : (source)

 
Une mer de verdure, en face, à droite, à gauche, partout. Une mer roulant sa houle de feuilles jusqu’à l’horizon, sans l’obstacle d’une maison, d’un pan de muraille, d’une route poudreuse. Une mer déserte, vierge, sacrée, étalant sa douceur sauvage dans l’innocence de la solitude. Le soleil seul entrait là, se vautrait en nappe d’or sur les prés, enfilait les allées de la course échappée de ses rayons, laissait pendre à travers les arbres ses fins cheveux flambants, buvait aux sources d’une lèvre blonde qui trempait l’eau d’un frisson. Sous ce poudroiement de flammes, le grand jardin vivait avec une extravagance de bête heureuse, lâchée au bout du monde, loin de tout, libre de tout.
C’était une débauche telle de feuillages, une marée d’herbes si débordante, qu’il était comme dérobé d’un bout à l’autre, inondé, noyé. Rien que des pentes vertes, des tiges ayant des jaillissements de fontaine, des masses moutonnantes, des rideaux de forêts hermétiquement tirés, des manteaux de plantes grimpantes traînant à terre, des volées de rameaux gigantesques s’abattant de tous côtés.
 

Gwenaëlle Péron : La cascade bleue (source)

 
La grotte disparaissait sous l’assaut des feuillages. En bas, des rangées de roses trémières semblaient barrer l’entrée d’une grille de fleurs rouges, jaunes, mauves, blanches, dont les bâtons se noyaient dans des orties colossales, d’un vert de bronze, suant tranquillement les brûlures de leur poison. Puis, c’était un élan prodigieux, grimpant en quelques bonds: les jasmins, étoilés de leurs fleurs suaves; les glycines, aux feuilles de dentelle tendre ; les lierres épais, découpés comme de la tôle vernie; les chèvrefeuilles souples, criblés de leurs brins de corail pâle; les clématites amoureuses, allongeant les bras, pomponnées d’aigrettes blanches. Et d’autres plantes, plus frêles, s’enlaçaient encore à celles-ci, les liaient davantage, les tissaient d’une trame odorante. Des capucines, aux chairs verdâtres et nues, ouvraient des bouches d’or rouge. Des haricots d’Espagne, forts comme des ficelles minces, allumaient de place en place l’incendie de leurs étincelles vives. Des volubilis élargissaient le cœur découpé de leurs feuilles, sonnaient de leurs milliers de clochettes un silencieux carillon de couleurs exquises. Des pois de senteur, pareils à des vols de papillons posés, repliaient leurs ailes fauves, leurs ailes roses,prêts à se laisser emporter plus loin, par le premier souffle de vent. Chevelure immense de verdure, piquée d’une pluie de fleurs, dont les mèches débordaient de toutes parts, s’échappaient en un échevellement fou, faisaient songer à quelque fille géante, pâmée(...)
 

Gwenaëlle Péron : Mercurienne (source)


 

Le soleil glissant à l’horizon trouvait toujours un nouveau sourire. Parfois, il s’en allait, au milieu d’une paix sereine, sans un nuage, noyé peu à peu dans un bain d’or. D’autres fois, il éclatait en rayons de pourpre, il crevait sa robe de vapeur, s’échappait en ondées de flammes qui barraient le ciel de queues de comètes gigantesques, dont les chevelures incendiaient les cimes des hautes futaies. Puis, c’étaient, sur des plages de sable rouge, sur des bancs allongés de corail rose, un coucher d’astre attendri, soufflant un à un ses rayons; ou encore un coucher discret, derrière quelque gros nuage, drapé comme un rideau d’alcôve de soie grise, ne montrant qu’une rougeur de veilleuse, au fond de l’ombre croissante ; ou encore un coucher passionné, des blancheurs renversées, peu à peu saignantes sous le disque embrasé qui les mordait, finissant par rouler avec lui derrière l’horizon, au milieu d’un chaos de membres tordus qui s’écroulait dans la lumière.






* Allez voir les beaux tableaux de Gwenaëlle Péron sur son site de peintures ICI

Voilà comment Gwenaëlle explique la naissance du tableau : Jardin gyvernesque dans  son billet Les chemins du hasard
Passant souvent à proximité de chantiers navals, j’aime observer la coque des bateaux en réparation. Souvent, la corrosion, les couches de peintures successives et les coquillages ont donné naissance à des mélanges de couleurs qui évoquent quelque paysage martien, fait de cratères, de coulures et d’audacieux mélanges. J’ai eu envie, pour ces essais sur papier, de partir de cette idée : peindre d’abord au hasard, par impression, au rouleau, des taches, des traits, des formes diverses. Et puis voir ensuite ce qui émergeait de cette première couche.
Plein de reflets et tout en fluidité (ça vous étonne?), c’est une sorte de jardin givernesque qui s’est doucement révélé. Une cachette sous les saules pleureurs, un lieu paisible, propice à la contemplation, mais dont on peut très bien imaginer aussi la transparence de l’eau bientôt troublée par le plongeon intrépide de l’enfant en nous. Cet être plein de rêves, éternel robinson amoureux des cabanes, qui n’attend que la bonne occasion pour surgir dans un grand éclat de rire…

lundi 25 mai 2015

Leo Perutz : Le cavalier suédois





J'a lu Le cavalier suédois de Leo Perutz dans le cadre de mon voyage à Stockholm au mois de Juin. Bien qu'il ne soit pas d'un écrivain suédois, qu'il ne se passe pas en Suède, il s'agit pourtant d'un moment de l'histoire de ce pays! 
Le cavalier suédois est une oeuvre assez inclassable.

Roman d’aventures : 

Le héros du roman n'a pas d'identité puisqu'il va prendre celle d'un autre. C'est pourquoi il est appelé Le Voleur sans autre précision. Intrépide, entreprenant et intelligent, il rencontre dans la campagne enneigée et glaciale, entre Prusse et Pologne, le jeune noble Christian Von Tornefeld. Déserteur, Christian fuit l’armée étrangère dans laquelle il servait pour rejoindre, en Pologne, l’armée suédoise et son roi Charles XII de Suède; le souverain est en guerre pour étendre son empire jusqu'à la mer Noire. Bien que le père de Christian soit parti de Suède après avoir été spolié de ses biens par Charles XI, Christian continue à se sentir « l’âme suédoise »! Le jeune noble, poursuivi par les dragons se cache dans un moulin où demeure un mystérieux meunier qui s’est pourtant donné la mort quelques années auparavant! Christian persuade son compagnon de se rendre à sa place chez son oncle qui est aussi son parrain pour lui obtenir du secours. Mais lorsque Le Voleur pénètre dans la propriété mal entretenue et ruinée il apprend que l’oncle est mort, laissant seule sa fille Marie Agneta aux mains d’usuriers et de domestiques peu délicats. La jeune fille se dit fiancée à Christian et fidèle à son souvenir. Pour Le Voleur le coup de foudre est immédiat; c'est décidé, il prendra la place de Christian  et deviendra Le cavalier suédois, conquerra la fortune dans le but d’épouser la jeune fille mais…. Je vous laisse découvrir ce qui lui arrive!

Roman picaresque et conte traditionnel

Le cavalier suédois rappelle aussi par certains aspects le roman picaresque avec son personnage principal, le voleur, surnommé aussi Pièges-à-Poules, et sa bande de brigands, tous très typés, affublés d’oripeaux et de surnoms, dont chacun possède, comme dans les contes de Grimm, (Quatre frères habiles ou Les six compagnons qui viennent à bout de tout), des qualités particulières qui permettent en les unissant d’être victorieux. Ils écument la région pour piller les objets liturgiques dans les églises. Mélange de picaresque et de conte traditionnel, le roman offre donc des surprises, des revirements, sous une forme originale et enlevée. Dès le départ on se laisse emporter avec délice dans l'aventure!

Roman fantastique

  C’est aussi un roman qui fait la part large à l’étrange et au fantastique et l’on ne sait jamais trop si les personnages sont réels ou bien s’ils sont sortis de l’enfer, fantômes ou diables, et si les incantations et les formules magiques ont une efficacité réelle ou au contraire imaginaire et fortuite! Mais tout est possible dans l'univers de Leo Perutz que Jorge Luiz Borges -qui l'admirait- considérait comme un "Kafka aventureux"*!

 Roman parabole

 Le cavalier suédois contient une parabole, un enseignement que notre héros finira par comprendre. Lorsque le voleur comparaît en rêve? ou en réalité? devant le Juge Suprême, ce qui lui sera reproché ce n’est pas d’avoir volé pour manger car les pauvres sont des victimes, ni d’avoir dérobé les objets du culte car l’argent et l’or ne concernent pas Dieu mais d’avoir trahi son ami. Et le châtiment qui paraît si léger au début va se révéler terrible à la fin, le roman se refermant sur lui-même, le dénouement répondant au prologue, avec une maîtrise parfaite. Leo Perutz boucle la boucle avec une imagination qui émeut et donne le frisson. Car la mort est toujours présente dans l'oeuvre et le roman d'aventure n'est jamais très loin de l'interrogation philosophique sur la liberté humaine. Peut-on échapper à sa classe sociale? Peut-on échapper à son destin?

Roman historique

Charles XII roi de Suède
 
Le cavalier suédois est un bonheur de lecture. Si vous y ajoutez que c’est aussi un roman historique qui m’a demandé de revoir l’histoire de la Suède et qu'il dépeint la vie au XVIII siècle, la misère, le  quotidien des paysans, la toute puissance des nantis, les conditions d’exploitation inhumaine des ouvriers par un homme d'église, vous comprendrez que cette oeuvre de Leo Perutz est vraiment passionnante.
 

Leo Parutz

Leo Parutz (1882_1957) écrivain autrichien de langue allemande
Leo Parutz (1882_1957)
Né en 1882, cet écrivain Juif autrichien de langue allemande aux lointaines origines espagnoles, mathématicien de formation, est resté longtemps dans l'ombre des bibliothèques. Pourtant, il avait fait partie des auteurs les plus lus de l'entre-deux-guerres. Originaire de Prague, il vit et travaille essentiellement à Vienne. Mais l'Anschluss et l'interdiction de ses ouvrages décident de son destin : il s'exile en Palestine en 1938 et l'après-guerre est pour lui synonyme d'oubli et de désintérêt. Décédé en 1957 en Autriche, il a été tiré des oubliettes d'une part grâce à Borges, qui cautionne l'auteur en préfaçant trois de ses livres déjà pendant la Seconde Guerre mondiale, d'autre part en France où le Prix nocturne lui est attribué à titre posthume en 1962 et où son oeuvre a été largement traduite et rééditée depuis une quinzaine d'années. source *voir l'article de Anna Kubiska Radio Prague

samedi 23 mai 2015

Pär Lagerkvist : Le nain

Paolo Ucello : La défaite du camp siennois illustrée par la mise hors de combat de Bernardino della Ciarda, (~1456)
Paolo Ucello : La bataille de San Romano entre Florence et Sienne

Les deux grandes questions de ce livre Le nain de Pär Lagerkvist  sont les suivantes :
Est-ce grand et merveilleux d’être homme et faut-il s’en réjouir? Est-ce dénué de sens et désespérant et faut-il s’en affliger?

Agnolo Bronzino : Le nain Morgante à la cour des Médicis à Florence
Agnolo Bronzino : Le nain Morgante, cour des Médicis
Le nain, personnage éponyme du livre, vit dans une cour de la Renaissance italienne, Florence (?), auprès d’un Prince qui pourrait être celui de Machiavel et qui est peut-être le mélange d'un Médicis, Lorenzo le Magnifique et d'un Sforza, Ludovico, duc de Milan, tous deux mécènes de Léonard de Vinci, ou de bien d’autres encore. Nous ne le saurons pas! Cela n’est pas dit mais nous reconnaissons pourtant un grand peintre, Maestro Bernardo, savant et philosophe, traité comme un égal par le Prince, qui peint la Cène, réalise le portrait d’une femme, la princesse, au sourire énigmatique, et imagine pour son maître des engins de guerre mystérieux : Vous savez qui? bien sûr! Et ajoutez à cette évocation un grand Condottieri et la guerre entre deux cité italiennes.

La Cène de léonard de Vinci réalisé de 1494 à 1498 pour le réfectoire du couvent dominicain de Santa Maria delle Grazie à Milan
Ultime Cène de Leonardo da Vinci (1494 à 1498 à Milan)

Le roman de Pär Lagerkvist n’est pourtant pas un roman historique à proprement parler bien qu’il nous fasse voir cette période brillante mais trouble et mouvementée de la Renaissance et qu’il nous promène dans les rues de la ville, hérissée de campaniles encore en construction et en proie à la peste; bien qu’il nous fasse assister à de somptueux banquets, à des fêtes éblouissantes qui se terminent dans un bain de sang, bien qu’il nous dépeigne les préoccupations et les mentalités de ces hommes de la Renaissance qui émergent d’un long Moyen-âge… Et cet aspect du récit n’est pas un des moindres plaisirs du texte. Mais Le nain est aussi un roman philosophique où l’écrivain explore toutes les facettes du Mal et questionne le sens de la vie.

Un roman philosophique

Homme de Vitruve: dessin de Léonard de Vinci (1492) Galleria  dell'Academia de Venise
Homme de Vitruve: dessin de Léonard de Vinci (1492)
Le journal du nain Piccolino, nous fait pénétrer, en effet, dans l’obscurité d’une âme sombre, pétrie de haine pour les hommes. Le nain, c’est le Mal, il se compare lui-même à Satan mais c’est aussi la souffrance lié à la difformité, à la différence, tout ce qui fait de lui un être solitaire. C’est à travers lui que nous découvrons les hommes et les femmes de cette cour où règnent le savoir, l’amour des arts et de la philosophie et les instincts les plus bas, l’ivresse de la guerre, la trahison, le meurtre. Nous sommes à une époque où les hommes craignent Dieu mais se livrent à leurs instincts d’une manière effrénée.
Derrière les somptueux pourpoints en velours des gentilshommes et les robes inscrutées de pierreries des femmes, se cachent des sentiments violents que le nain, dans sa misanthropie exacerbée nous révèle en termes exaltés : « Tous ces êtres qui se donnent le nom d’hommes et vous remplissent de dégoût. Pourquoi existent-ils?  Pourquoi se repaissent-ils de rire et d’amour et règnent-ils si orgueilleusement sur la terre. Oui, pourquoi existent-ils ces êtres lascifs, éhontés, dont les vertus sont pires que les vices. Puissent-ils brûler en enfer! Je me sentais comme Satan lui-même, entouré des esprits infernaux qu’ils invoquaient dans leurs réunions nocturnes et qui maintenant, affluant vers eux le visage ricanant, tiraient de leurs corps leurs âmes encore chaudes et puantes pour les emporter dans le royaume de la mort. »
 Le nain qui se croit héritier d’une très ancienne race n’appartient pas à cette espèce humaine qu’il méprise. Il se complaît à mettre en évidence la part bestiale qui est en eux; ainsi la description du banquet et de la gloutonnerie des Grands qui les ravale au rang de bêtes rappelle ce passage où dans l’Odyssée, les compagnons d’Ulysse sont métamorphosés en porcs par Circé. Il éprouve de la répugnance envers l’amour et la luxure, envers les femmes qu’il juge laides et dont l’odeur l’incommode, envers la mort dans ses manifestations physiques, cadavres, maladies, puanteur, sang, viscères. Mais il n’a aucune pitié et compassion, même envers la jeune princesse Angélica et Giovanni, le fils de Ludovico, qui, par leur jeunesse et leur sincérité échappent à la corruption ambiante : "L’amour est toujours répugnant. Mais l’amour entre des deux-là me parut encore plus déplaisant que ce que j’avais connu auparavant. Je brûlais de colère et d’indignation d’en être le témoin." Ces deux jeunes gens, n’en déplaise au nain, sont pourtant ceux qui représentent l’amour et la spiritualité face à l’abjection humaine.
Ravalés au rang de l’animal, en proie aux instincts les plus vils, quelle est notre espérance d’atteindre un jour la liberté s’interroge Maestro Bernardo : « Notre parcours est déterminé; après un petit essor qui nous remplit d’espérance et de joie, nous sommes tirés en arrière, comme le faucon ramené en arrière par la corde que tient le fauconnier. Quand obtiendrons-nous la liberté? Quand la corde sera-t-elle coupée, laissant le faucon s’élancer dans l’espace. »

A travers la vision de Piccolino, Pär Lagerkvist souligne donc la part animale qui est en chacun d’entre nous et explore toutes les grands questions que l’être humain se pose sur la Mort, sur religion et sur Dieu, le mal et le Bien, sur la liberté humaine mais aussi sur le futur de la race humaine.  Piccolino en écoutant les conversations des maîtres, du Prince et de Maestro Bernardo, révèle leurs contradictions. Une fois, les voilà certains de la grande destinée de l’humanité, prévoyant que l’homme percera les mystères qui l’entourent et dominera le monde; une autre fois, persuadés de la petitesse de l’homme et de l’étroitesse de son savoir, ils doutent : et nous sommes ainsi toujours ramenés aux deux Infinis de Pascal : "Qu’est-ce que l’Homme? Un néant à l'égard de l'infini, un tout à l'égard du néant, un milieu entre rien et tout.."
A l'interrogation de Pascal répond celle Maestro Bernardo :
Pourquoi donc cet infini existe-t-il autour de nous, autour de la vie, si nous sommes comme des prisonniers impuissants et que la vie reste confinée en nous? Pourquoi cet incommensurable?

Une philosophie pessimiste donc (écrite par un protestant qui croit à la prédestination??), un roman pas obligatoirement facile mais passionnant!  Le style est beau, très âpre et évocateur, suggestif. Le genre de  livre sur lequel il faut revenir en arrière pour en mesurer la portée! Il sort de ma lecture tout hérissé de marque-pages et il faudrait que je le cite en entier pour vous en montrer l’intérêt.

     Pär Lagerkvist : Prix Nobel de littérature 1951

Pär Lagerkvist  prix Nobel de Littérature 1951
Pär Lagerkvist  prix Nobel de Littérature 1951 (source)
"Pär Lagerkvist est un écrivain suédois, auteur de pièces de théâtre, de poèmes et d'essais... Fils d'un employé des chemins de fer, il a grandi dans une atmosphère très religieuse et en contact avec la vieille paysannerie. La confrontation, au lycée et à l'Université, avec un autre type de pensée comme la théorie de l'évolution, le pousse vers le radicalisme politique et artistique." (Dictionnaire des auteurs, Robert Laffont).
Il publie son premier livre, Hommes, en 1912. L'année suivante, il découvre le cubisme à Paris.
La Première Guerre Mondiale survient : il publie Angoisse (recueil de poèmes 1916), Chaos (1919).
Un pessimisme temporaire, puisque ses oeuvres suivantes traduisent tout de même sa foi dans l'Homme... mais avec un questionnement sur le bien et le mal, le sens de la vie. Dans le Sourire Eternel (1920), une nouvelle assez étonnante, les morts prennent la parole les uns après les autres, encore et encore, puis se lèvent, marchent longuement et vont trouver Dieu pour lui demander quel est le sens de la vie.
Commence un cycle sur le Mal : le Bourreau (1933), Le Nain (1944), Barabas (1950), La Sibylle (1956).
Prix Nobel de littérature en 1951." 
source