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samedi 23 mai 2015

Pär Lagerkvist : Le nain

Paolo Ucello : La défaite du camp siennois illustrée par la mise hors de combat de Bernardino della Ciarda, (~1456)
Paolo Ucello : La bataille de San Romano entre Florence et Sienne

Les deux grandes questions de ce livre Le nain de Pär Lagerkvist  sont les suivantes :
Est-ce grand et merveilleux d’être homme et faut-il s’en réjouir? Est-ce dénué de sens et désespérant et faut-il s’en affliger?

Agnolo Bronzino : Le nain Morgante à la cour des Médicis à Florence
Agnolo Bronzino : Le nain Morgante, cour des Médicis
Le nain, personnage éponyme du livre, vit dans une cour de la Renaissance italienne, Florence (?), auprès d’un Prince qui pourrait être celui de Machiavel et qui est peut-être le mélange d'un Médicis, Lorenzo le Magnifique et d'un Sforza, Ludovico, duc de Milan, tous deux mécènes de Léonard de Vinci, ou de bien d’autres encore. Nous ne le saurons pas! Cela n’est pas dit mais nous reconnaissons pourtant un grand peintre, Maestro Bernardo, savant et philosophe, traité comme un égal par le Prince, qui peint la Cène, réalise le portrait d’une femme, la princesse, au sourire énigmatique, et imagine pour son maître des engins de guerre mystérieux : Vous savez qui? bien sûr! Et ajoutez à cette évocation un grand Condottieri et la guerre entre deux cité italiennes.

La Cène de léonard de Vinci réalisé de 1494 à 1498 pour le réfectoire du couvent dominicain de Santa Maria delle Grazie à Milan
Ultime Cène de Leonardo da Vinci (1494 à 1498 à Milan)

Le roman de Pär Lagerkvist n’est pourtant pas un roman historique à proprement parler bien qu’il nous fasse voir cette période brillante mais trouble et mouvementée de la Renaissance et qu’il nous promène dans les rues de la ville, hérissée de campaniles encore en construction et en proie à la peste; bien qu’il nous fasse assister à de somptueux banquets, à des fêtes éblouissantes qui se terminent dans un bain de sang, bien qu’il nous dépeigne les préoccupations et les mentalités de ces hommes de la Renaissance qui émergent d’un long Moyen-âge… Et cet aspect du récit n’est pas un des moindres plaisirs du texte. Mais Le nain est aussi un roman philosophique où l’écrivain explore toutes les facettes du Mal et questionne le sens de la vie.

Un roman philosophique

Homme de Vitruve: dessin de Léonard de Vinci (1492) Galleria  dell'Academia de Venise
Homme de Vitruve: dessin de Léonard de Vinci (1492)
Le journal du nain Piccolino, nous fait pénétrer, en effet, dans l’obscurité d’une âme sombre, pétrie de haine pour les hommes. Le nain, c’est le Mal, il se compare lui-même à Satan mais c’est aussi la souffrance lié à la difformité, à la différence, tout ce qui fait de lui un être solitaire. C’est à travers lui que nous découvrons les hommes et les femmes de cette cour où règnent le savoir, l’amour des arts et de la philosophie et les instincts les plus bas, l’ivresse de la guerre, la trahison, le meurtre. Nous sommes à une époque où les hommes craignent Dieu mais se livrent à leurs instincts d’une manière effrénée.
Derrière les somptueux pourpoints en velours des gentilshommes et les robes inscrutées de pierreries des femmes, se cachent des sentiments violents que le nain, dans sa misanthropie exacerbée nous révèle en termes exaltés : « Tous ces êtres qui se donnent le nom d’hommes et vous remplissent de dégoût. Pourquoi existent-ils?  Pourquoi se repaissent-ils de rire et d’amour et règnent-ils si orgueilleusement sur la terre. Oui, pourquoi existent-ils ces êtres lascifs, éhontés, dont les vertus sont pires que les vices. Puissent-ils brûler en enfer! Je me sentais comme Satan lui-même, entouré des esprits infernaux qu’ils invoquaient dans leurs réunions nocturnes et qui maintenant, affluant vers eux le visage ricanant, tiraient de leurs corps leurs âmes encore chaudes et puantes pour les emporter dans le royaume de la mort. »
 Le nain qui se croit héritier d’une très ancienne race n’appartient pas à cette espèce humaine qu’il méprise. Il se complaît à mettre en évidence la part bestiale qui est en eux; ainsi la description du banquet et de la gloutonnerie des Grands qui les ravale au rang de bêtes rappelle ce passage où dans l’Odyssée, les compagnons d’Ulysse sont métamorphosés en porcs par Circé. Il éprouve de la répugnance envers l’amour et la luxure, envers les femmes qu’il juge laides et dont l’odeur l’incommode, envers la mort dans ses manifestations physiques, cadavres, maladies, puanteur, sang, viscères. Mais il n’a aucune pitié et compassion, même envers la jeune princesse Angélica et Giovanni, le fils de Ludovico, qui, par leur jeunesse et leur sincérité échappent à la corruption ambiante : "L’amour est toujours répugnant. Mais l’amour entre des deux-là me parut encore plus déplaisant que ce que j’avais connu auparavant. Je brûlais de colère et d’indignation d’en être le témoin." Ces deux jeunes gens, n’en déplaise au nain, sont pourtant ceux qui représentent l’amour et la spiritualité face à l’abjection humaine.
Ravalés au rang de l’animal, en proie aux instincts les plus vils, quelle est notre espérance d’atteindre un jour la liberté s’interroge Maestro Bernardo : « Notre parcours est déterminé; après un petit essor qui nous remplit d’espérance et de joie, nous sommes tirés en arrière, comme le faucon ramené en arrière par la corde que tient le fauconnier. Quand obtiendrons-nous la liberté? Quand la corde sera-t-elle coupée, laissant le faucon s’élancer dans l’espace. »

A travers la vision de Piccolino, Pär Lagerkvist souligne donc la part animale qui est en chacun d’entre nous et explore toutes les grands questions que l’être humain se pose sur la Mort, sur religion et sur Dieu, le mal et le Bien, sur la liberté humaine mais aussi sur le futur de la race humaine.  Piccolino en écoutant les conversations des maîtres, du Prince et de Maestro Bernardo, révèle leurs contradictions. Une fois, les voilà certains de la grande destinée de l’humanité, prévoyant que l’homme percera les mystères qui l’entourent et dominera le monde; une autre fois, persuadés de la petitesse de l’homme et de l’étroitesse de son savoir, ils doutent : et nous sommes ainsi toujours ramenés aux deux Infinis de Pascal : "Qu’est-ce que l’Homme? Un néant à l'égard de l'infini, un tout à l'égard du néant, un milieu entre rien et tout.."
A l'interrogation de Pascal répond celle Maestro Bernardo :
Pourquoi donc cet infini existe-t-il autour de nous, autour de la vie, si nous sommes comme des prisonniers impuissants et que la vie reste confinée en nous? Pourquoi cet incommensurable?

Une philosophie pessimiste donc (écrite par un protestant qui croit à la prédestination??), un roman pas obligatoirement facile mais passionnant!  Le style est beau, très âpre et évocateur, suggestif. Le genre de  livre sur lequel il faut revenir en arrière pour en mesurer la portée! Il sort de ma lecture tout hérissé de marque-pages et il faudrait que je le cite en entier pour vous en montrer l’intérêt.

     Pär Lagerkvist : Prix Nobel de littérature 1951

Pär Lagerkvist  prix Nobel de Littérature 1951
Pär Lagerkvist  prix Nobel de Littérature 1951 (source)
"Pär Lagerkvist est un écrivain suédois, auteur de pièces de théâtre, de poèmes et d'essais... Fils d'un employé des chemins de fer, il a grandi dans une atmosphère très religieuse et en contact avec la vieille paysannerie. La confrontation, au lycée et à l'Université, avec un autre type de pensée comme la théorie de l'évolution, le pousse vers le radicalisme politique et artistique." (Dictionnaire des auteurs, Robert Laffont).
Il publie son premier livre, Hommes, en 1912. L'année suivante, il découvre le cubisme à Paris.
La Première Guerre Mondiale survient : il publie Angoisse (recueil de poèmes 1916), Chaos (1919).
Un pessimisme temporaire, puisque ses oeuvres suivantes traduisent tout de même sa foi dans l'Homme... mais avec un questionnement sur le bien et le mal, le sens de la vie. Dans le Sourire Eternel (1920), une nouvelle assez étonnante, les morts prennent la parole les uns après les autres, encore et encore, puis se lèvent, marchent longuement et vont trouver Dieu pour lui demander quel est le sens de la vie.
Commence un cycle sur le Mal : le Bourreau (1933), Le Nain (1944), Barabas (1950), La Sibylle (1956).
Prix Nobel de littérature en 1951." 
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20 commentaires:

  1. Bonjour Claudia. Je n'ai lu que Barabas il y a fort lontemps. Un grand roman. Celui-ci me tente, je vais y penser

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    1. Un grand roman que je conte lire parce que Le nain m'a mis l'eau à la bouche!

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  2. Plus que digne de lecture très certainement.

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  3. Le contexte me plait ! Je note. D'ailleurs, je m'achèterai une bio de vinci car il me fascine ! On est bien loin de la Suède, mais ce roman me tente beaucoup !

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    1. Mais il ne faut pas y voir une histoire de Léonard de Vinci même si c'est la Renaissance. L'interrogation philosophique pourrait être la même dans n'importe quel contexte.

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  4. Très peu lu cet auteur mais là tu me tentes beaucoup je suppose que je vais pouvoir le trouver à la médiathèque

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    1. Je ne le connaissais pas non plus. Mais décidément cela fait du bien de sortir des sentiers battus. En ce moment j'ai de la chance, je lis des romans vraiment passionnants comme Le cavalier suédois que ej viens de découvrir...

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  5. Je ne connais pas du tout mais ton billet est très tentateur ( comment fais-tu pour être aussi précise ?! Ça m'épate !

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    1. Précise? j'avais mis des tas de marque pages pour retenir les passages qui m'intéressaient donc j'y suis retournée facilement.

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  6. jamais entendu parler de cet auteur, cela fait envie

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  7. Je ne connais pas non plus mais suis également tentée !

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    1. C'est un écrivain qui a obtenu le prix Nobel. je suis ravie que mon futur voyage en Suède m'ait emmenée jusqu'à lui!

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  8. J'avais croisé cet auteur, non pas en vrai mais à l'occasion d'une expo à Nantes il y a des années, un truc d'étudiants, et je me souviens avoir noté à lire un de ces livres, mais toujours ps fait !
    J'espère me rattraper très vite car tu as réveillé mon envie !

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    1. Un prix Nobel, cela ne se refuse pas! J'en lirai aussi mais je ne sais par lequel commencer après le Nain.

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  9. Je ne connais pas cet auteur mais tu fais très envie de découvrir ce roman.
    Dis donc, tu vas tout connaître de la littérature suédoise avant de partir !

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    1. Tout connaître!! cela m'étonnerait ! C'est quand on commence à découvrir la littérature d'un pays que l'on se rend compte combien on est ignorant!

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  10. C'est un plaisir de repasser par ton blog, après plusieurs mois de bouderies bloguesques de ma part. Je ne suis pas sûr d'avoir lu celui-là, mais d'autres romans de Lagerkvist, notamment Barabbas ou La Terre Sainte m'ont fait une très vive impression.

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  11. Cleanthe! de retour! Bienvenue dans la blogosphère après ta longue bouderie!
    Barabbas a l'air très intéressant; Je compte le lire!

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