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mardi 15 mars 2016

Henrik Ibsen : la cane sauvage


Dans la collection de la Pléïade, Régis Boyer explique que les pièces de Henrik Ibsen sont parfois difficiles à comprendre pour un esprit latin mais beaucoup moins, en général, pour un scandinave. Pourtant il constate que même les norvégiens ont paru désorienté par la pièce d’Ibsen La Cane sauvage et il écrit :
« Cette histoire de cane sauvage désarçonnait au risque de masquer le véritable tragique du sujet. Qu’est-ce que ce bric-à-brac où évoluent une petite fille presque aveugle, une femme qui ne cesse de dire un mot pour un autre, un pleutre grotesque qui est fatigué avant d’avoir entrepris quoi que ce soit, le tout sur un arrière plan de grenier-forêt sauvage où roucoulent des pigeons « culbutants » ou caquètent des poules et dont sort un prétendu lieutenant, en képi, tenant dans la dextre un lapin écorché? C’est pourquoi les représentations ne furent pas aussi nombreuses ni applaudies que pour d’autres pièces. »

Hjalmar et sa fille Hedvig dans le fim La cane sauvage

Et oui, surprenant ce résumé, non? Et pourtant, c’est bien ça!
La petite fille qui devient aveugle c’est Hedvig, quatorze ans, fille de Gina et Hjalmar Ekdal, une délicieuse fillette qui adore et admire son père. Sa mère, la femme qui dit un mot pour l’autre, Gina, de condition modeste, joue à la bourgeoise en employant des mots qu’elle ne connaît pas et qu’elle déforme. Mais si elle a bien des travers, le mensonge et une conscience peu chatouilleuse, Gina est sincère dans son dévouement et son amour envers son mari.
Le pleutre grotesque, paresseux et de faible intelligence, qui se prend pour un génie et fait travailler sa femme et sa fille, c’est Hjalmar. Le lieutenant en képi est le vieil Ekdal, le grand père de Hedvig. Personnage pathétique, sénile, alcoolique, il considère le grenier comme une forêt et un terrain de chasse. Il a été officier, grand chasseur, mais il est déshonoré et ruiné après avoir été grugé par Werle, grand bourgeois, richissime propriétaire d’usines. Enfin, n’oublions pas le fils Werle, Gregers, un imbécile puritain, exalté, qui va mettre le feu au ménage des Ekdal sous prétexte de purification, à la recherche de la vérité absolue qu'il appelle "la créance idéale".

Hedvig Ibsen* de Grandjean (1840)

Voilà les personnages d’Ibsen et, jamais, le dramaturge n’a été aussi noir et aussi pessimiste. On sent en lui un mépris de la nature humaine, une féroce ironie envers ces  personnages qui sont des imbéciles, dangereux pour Gregers, et tout aussi condamnable pour Hjalmar suffisant, égoïste et veule, deux personnages pour qui le spectateur ne peut éprouver que de la répulsion. Enfin, c'est ce que j'ai éprouvé à la première lecture car je comprends que les personnages sont plus complexes et qu'ils portent en eux, l'un la faute de son père, l'autre le déshonneur du sien. Ils ont besoin de se mentir à eux-mêmes pour vivre, Gregers en se croyant investi d'une mission, Hjalmar en pensant être un génial inventeur.
 Le docteur Reilling, leur voisin, affirme d'ailleurs: "Si vous retirez le mensonge de la vie de personnes ordinaires, vous leur retirez en même temps le bonheur ».

Le reste de la compagnie est en grande partie composée d’égoïstes, de débauchés, de jouisseurs sans âme. Mais la tendresse d’Ibsen se réveille quand il parle de la petite  Hedvig, la seule capable d’aimer autrui plus qu’elle-même, la seule qui ne mente pas,  qui ne triche pas avec elle-même. La cane sauvage blessée par les chasseurs qu’elle a recueillie dans le grenier est la représentation symbolique de Hedvig. Un oiseau sauvage qui ne sait pas feindre et qui ne peut être que la victime du monde qui l’entoure.
 
La cane sauvage mise en scène au Théâtre de la Colline en 2014
Le grenier où l'on élève des poules et des lapins, devenu forêt profonde dans le fantasme du grand père mais aussi de toute la famille, est un lieu de rêve, un échappatoire à la vie réelle, mensonge nécessaire au bonheur de la famille, "le mensonge vital". Il peut être aussi interprété par la psychanalyse comme les replis profonds de la conscience, la part obscure de l'être humain, le ça.
On a beaucoup glosé aussi sur la signification érotique du canard et oui! Manque de chance c'est d'une cane qu'il s'agit (voir ci-dessous)
  Une pièce étrange, déroutante, et qui pourtant émeut!

Le titre français retenu traditionnellement est : Le canard sauvage. Dans son analyse de la pièce, Régis Boyer explique que cette traduction est erronée. Ibsen joue en effet, en norvégien, sur l'article indéfini en employant parfois le neutre lorsqu'il s'agit de l'animal, parfois le féminin pour signifier la similitude avec la fillette. Il ne peut donc s'agir que d'une cane.

* Hedvig Ibsen, la soeur de Henrik, donne son nom à la petite Hedvig de La cane sauvage. Elle a huit ans dans le tableau peint par Grandjean.



lundi 14 mars 2016

Corinne Wargnier : C'est ainsi que la vie s'est arrêtée



C’est ainsi que la vie s’est arrêtée de Corinne Wargnier est un roman à l’atmosphère étonnante. Le lecteur a l’impression de pénétrer dans un no man’s land, un endroit entre parenthèses ou vivent ou plutôt végètent des personnages réunis dans la pension de famille de Tessa. Pourquoi sont-ils là? En vacances? et pourquoi dans cette ville dont le nom a un consonance italienne mais qui semble située nulle part, un lieu morne, sans beauté, englué dans l’immobilisme, noyé dans la poussière, accablé par la chaleur. Le lecteur plonge dans un monde qui semble devoir beaucoup à ce sentiment de l’absurdité de la vie que l’on retrouve chez Beckett, Buzzati ou le Camus de L’étranger. Le récit m’a paru aux premiers abords très (trop?) classique et je me suis dit que tout allait dépendre de la manière dont il était traité. Je vous rassure tout de suite, je l’ai aimé, je me suis laissé emporter progressivement par toutes ces tranches de vie, ces personnages de chair et de sang qui se débattent face à la solitude, la peur de vieillir, face au deuil des êtres qu’ils ont aimés,  de leur jeunesse, de leur amour, de leurs espoirs.

Le roman présente deux parties : La première Chez Tessa enferme les voyageurs dans le huis clos de la pension avec juste quelques échappées dans le jardin ou vers la ville mais qui ne sont en rien libératrices. L’attente s’installe : il s’agit d’aller voir la mer mais la sortie est sans cesse différée par la nécessité de réparer le minibus qui doit les y amener.
Peu à peu nous nous intéressons à ces personnages dont certains sont attachants avec leurs tourments, les souffrances, leur passé qui se révèlent à nous  : ainsi Armand Faulkner, vieil acteur vieillissant dont la carrière décline, qui dresse un bilan de sa vie; Lucie, la jolie jeune femme brune en mal d’amour, Alix engagée dans une liaison adultère et son amant Mattias, les Wright, couple bizarre et pathétique, et Tessa, courageuse et secrète.
Les personnages apparaissent selon des points de vue différents, chacun d’entre eux observant l’autre,  étranges dans un univers où le sens se dissout ou le temps est suspendu. La plus étonnante et la plus lucide de ces observations est celle de Gab (Gabryel, le fils de Tessa), simple d’esprit. Le monde représente pour lui une énigme indéchiffrable. Ainsi l’absurdité du comportement humain est soulignée, non sans ironie, par celui qui n’est pas considéré comme «normal » :  « Au début j’étais étonné. Mais maintenant je suis habitué. Et en réfléchissant bien, je me dis que c’est dans l’ordre des choses. Parce que les gens sont bizarres et souvent incompréhensibles. »

Ce n’est pas surprenant, donc, que le roman se termine, dans l'épilogue, par les mots émouvants de Gab  : « C’est ainsi que la vie s’est arrêtée qui donne son titre au roman.

Dans la seconde partie du roman, La route de l’océan, les personnages partent enfin à la découverte de cette mer toute proche -nous dit-on- et pourtant si lointaine. Le lecteur pourrait attendre une libération, un souffle bénéfique, une respiration joyeuse. Mais il n’en est rien! J’ai même eu l’impression au niveau de l’intérêt du roman que l’histoire piétinait. Impression passagère! Au contraire, dans une sorte de crescendo, l’écrivaine nous mène sûrement, au cours de ce voyage dans lequel les tensions s’exacerbent, vers un dénouement inattendu, une fin tragique qui procure un sentiment de tristesse mais qui, curieusement, donne un sens à ces vies.

L’écriture de Corinne Wargnier, précise, élégante, crée une sensation d’accablement liée à tous les sens, la chaleur écrasante, la sueur, l’étouffement, la brûlure du soleil, l’aveuglement de la lumière. J’ai beaucoup aimé cette auteure et sa maîtrise dans la manière de conduire le récit en apparence immobile mais qui va son chemin et finit par nous surprendre et nous secouer, libérant l’émotion qui est en nous.

Je mets ce roman en livre en voyageur. Cela vous permettra de le découvrir ainsi que cette jeune édition Sur le Fil qui vient d’ouvrir ses portes en 2015 près de Toulon.Voir ICI



vendredi 11 mars 2016

Les plumes d'Asphodèle : Le grand Attracteur


Le grand Attracteur

J'ai eu envie d'écrire un poème sur le grand Attracteur, un des mystères du ciel qui me fascine.

"Un énorme superamas de galaxies se cache dans l'hémisphère sud. Il pourrait être l'élément principal du Grand Attracteur, un immense mur de matière qui attire irrésistiblement notre Voie lactée et le groupe de galaxies qui lui est lié.
Toutes les galaxies s'écartent les unes des autre, d'autant plus vite qu'elles sont éloignées. Cette loi de l'expansion de l'Univers qu'Edwin Hubble énonça en 1929 n'est vérifiée qu'en moyenne. L'Univers n'étant pas homogène, les galaxies s'attirent mutuellement, se regroupent en amas, superamas et longs filaments de matière, modifiant leur vitesse relative. Ainsi, loin de s'enfuir, la galaxie d'Andromède, notre plus proche voisine géante, se rapproche de nous. Plus globalement, le Groupe local, un ensemble d'une quarantaine de galaxies dominé par Andromède et la Voie lactée, s'écarte du mouvement général d'expansion à la vitesse de 366 kilomètres par seconde dans la direction de la constellation australe du Centaure. Cette découverte, réalisée en 1994 par l'Israélien Avishai Dekel, indiqua que ce mouvement était dû à l'attraction d'une masse gigantesque équivalente à cent millions de milliards de soleils, soit environ un million de Voie lactée. Elle fut nommée le Grand Attracteur." (source)

Voie Lactée


Naine rouge

Le Grand Attracteur

Grand Attracteur, lumineux géant de l’espace,
Grand dévoreur céleste, avaleur des étoiles,
Vedette des cieux bleus, chanteur des hautes sphères,
Du super continent de notre Voie lactée
Oubliant le talent des Géantes locales,
Chaleur des naines rouges, supernovas de glace,
Tu attires à toi, projecteur de nos peurs,
fragilisant nos vies, prétention mortifère,
Nos galaxies lancées, tourbillonnantes et frêles.
Andromède au long cou, vêtue de fanfreluches,
Nuages Magellan de diamants constellés,
Roses et gros et brillants, fumés par la nuit noire,
Films de nos cancers, débris météorites,
Fortune de ce ciel qui nous verse le rêve
Qui nous verse la peur et provoque nos pleurs,
Nébuleuse du Crabe ou du Cheval fougueux
Grand Attracteur, Titan, image du divin!


Et moi…

Et moi, et moi, et moi, barricadé, aveugle,
six cent millions d’années nous séparant à peine,
Six cent millions d’années, vitesse de lumière,
Minuscule manant, mammifère minable
Homme,
Je me vante parfois dans ma grandeur épique
de dominer le monde en me plaignant de vivre.


Nébuleuse du Crabe

Nébuleuse du cheval

Le grand Attracteur : carte du ciel

"La Voie Lactée est elle-même membre d’un groupe d’une cinquantaine de galaxies que l’on appelle le Groupe Local. Ce groupe est dominé par deux galaxies spirales massives, notre Voie lactée et la galaxie d’Andromède, séparées d’environ 2,5 millions d’années-lumière. La plupart des autres galaxies du Groupe Local se concentrent autour des deux premières, ce qui donne à l’ensemble une structure dipolaire.
Près de la Voie Lactée, on trouve en particulier les Grand et Petit Nuages de Magellan, deux galaxies irrégulières respectivement à 180.000 et 210.000 années-lumière. Du côté d’Andromède, apparaît une troisième spirale, celle du Triangle, à 2,6 millions d’années-lumière de nous. En plus des cinq galaxies précédemment citées, on trouve plus d’une cinquantaine de galaxies moins massives, donc moins faciles à observer, en particulier une grande proportion de galaxies elliptiques naines et quelques irrégulières." (source)
Galaxie d'Andromède

Nuages de Magellan


Ce texte écrit dans le cadre de l'atelier : Les plumes  d'Asphodèle  avec ces mots imposés. Ouf! Ce n'était pas facile aujourd'hui et certains mots ne passaient pas pour le sujet choisi! Mais tant pis!
Vedette, fragiliser, fortune, film, projecteur, fumé, (paparazzi), fanfreluche, réputation, prétention, chanteur, oublier, local, gros, météorite, étoile, talent, chaleur, lumineux, diva,  barricader et moi .


mardi 8 mars 2016

Sigrid Undset : Jenny

Sigrid Unset

Après Henrik Ibsen, je continue la préparation de mon voyage en Norvège, en lisant l’une des plus grandes écrivaines norvégiennes :  Sigrid Undset, prix Nobel de littérature. Je relirai un jour Christine Lavransdatter considéré comme son chez d’oeuvre mais je veux commencer par découvrir d’autres oeuvres d’elle qui me sont inconnues.

Jenny, en partie autobiographique, est un roman qui aborde le thème de l’indépendance de la femme et de sa liberté sexuelle. Jenny Winge est une jeune peintre. D’un milieu modeste, elle a dû aider sa mère veuve à élever ses frère et soeurs, puis elle est partie à Rome, rêve de tout artiste et de tout voyageur cultivé. Elle partage un appartement avec son amie la belle et fragile Fransika, et toutes deux se lient d’amitié avec deux amis norvégiens, peintres comme elles :  Gunnar Heggen et le Lennart Alhin. C’est dans un rue de Rome que Helge Gram, étudiant en archéologie, les rencontre et se joint à eux. Bien vite, il tombe amoureux de Jenny,  et ils vont vivre un amour platonique et heureux, au cours de promenades bucoliques dans la ville enchantée. Ils décident de se marier mais lorsqu’ils retournent à Oslo, l’enchantement se dissipe. Jenny s’aperçoit qu’elle n’est pas amoureuse et refuse de se donner à Helge. Les deux jeunes gens se séparent. Le père de Helge, homme mûr mais encore séduisant va alors aider Jenny déprimée. Désolée de ne pouvoir aimer vraiment, en quête d'amour, elle en fait son amant. Je ne vous en dis pas plus quant aux conséquences de son geste.
L’analyse psychologique des personnages est complexe. Ce sont des êtres tourmentés, pleins de contradictions. Jenny veut être indépendante mais elle a besoin d'un mari, d'un guide, pour s'appuyer sur lui. Elle se donne sans amour à un homme mais elle ne peut se consoler d'avoir trahi son idéal de pureté.  D’apparence forte, indépendante, sûre d’elle, elle va se révéler fragile. Elle brave la société mais ne parvient pas à se libérer de sa morale et de ses lois sévères. Tous sont marqués plus ou moins par la religion et par la morale sociale, et s'ils les refusent, ils en subissent le joug, les femmes plus que les hommes.
j’ai beaucoup aimé la première partie à Rome où l’on a le temps de s’attacher aux personnages dans un décor plein de charme et la troisième partie qui montre l’errance physique et morale de Jenny et le retour à Rome. La seconde partie à Oslo m’a paru beaucoup plus théorique et donc moins intéressante. Sigrid Undset y expose ses idées sur la femme à travers plusieurs personnages, Gunnar Heggen, prenant ici une grande importance. On y découvre pourtant des portraits et des analyses psychologiques très fortes, celles d’une grande écrivaine qui pénètre dans les méandres des consciences humaines pour en révéler les profondeurs : ainsi le couple Gram, les parents de Helge, lié par la haine, avec la noirceur corrosive de l’épouse jalouse, le mépris féroce de l’époux prisonnier d’un lien qu’il ne supporte plus.
Paru en Norvège en 1911, ce roman a fait scandale mais au-delà des controverses qu’il a fait naître, il a le mérite de poser des questions jamais abordées avant Ingrid Undset et de le faire avec franchise.  Une femme peut-elle prétendre à la liberté sexuelle sans être mise au ban de la société, peut-elle élever son enfant seule? Doit-elle si elle se marie, abandonner son travail, son art si elle est peintre, et se soumettre à la volonté de son mari? Une femme est-elle destinée à être mère, épouse et rien d’autre? Il n'est pas sûr que Sigrid Unset réponde entièrement par l'affirmative si l'on en juge par le dénouement pessimiste de son roman que les féministes de l'époque n'ont pas manqué de lui reprocher!
Mais on comprend combien ces questions remettaient en cause les fondements de la société en Norvège à cette époque, pourquoi en France, en 1929, il méritait encore « un avertissement aux lecteurs », et  l’intérêt qu’il peut avoir de nos jours dans de nombreuses sociétés.


dimanche 6 mars 2016

Irène Némirovsky : Suite française



Une suite française qui devait compter cinq romans


Irène Némirovsky écrit Suite française entre 1940 et 1942, peu avant d’être arrêtée par la gendarmerie française et envoyée à Auschwitz où elle mourra. Préservé par ses filles, le manuscrit sera publié en 2004. C’est donc presque sur le vif que l’écrivaine décrit sa vision de l’exode en Juin 1940 au moment de l’entrée des allemands dans Paris qui pousse une partie de la population sur les routes et l’occupation allemande dans un petit village français du Morvan.
Suite française devait être composée de cinq volets d’où ce titre, mais elle n’a eu le temps d’en écrire que deux : Tempête en Juin qui raconte les épreuves subies par plusieurs familles françaises pendant l’exode, et, Dolce qui décrit le village sous l’occupation en prenant pour personnages principaux, Madame Angelliers, une riche propriétaire terrienne dont le fils est prisonnier de guerre, sa belle-fille Lucile et l’officier allemand Bruno Von Falk qui va loger chez elles.

Une société française passée au vitriol

Cahier de Suite française sauvé par les filles d'Irène Némirovsky
La société française est passée au vitriol et surtout les grands bourgeois comme la famille Pericand dont la mère qui doit partir seule, en l’absence de son mari, est une représentante. Dans une scène qui frise la farce, on voit Madame Péricand sauver - dans l’ordre- des flammes de la maison bombardée, ses trois enfants, ses bijoux, son or, la nourrice… et oublier le grand-père qu’elle avait pourtant l’habitude de cajoler… pour son héritage ! Et que dire du riche collectionneur Charles Langelet qui n’aime au monde qu’une chose, ses porcelaines précieuses, et qui vole l’essence d’un jeune couple qui lui avait fait confiance, ou encore du grand écrivain Gabriel Corte, imbu de lui-même, attaché à ses privilèges, à son confort, sorte d’enfant gâté, odieux, et qui fait preuve tout au cours du voyage non seulement d’un égoïsme forcené mais de lâcheté. On pourrait dire la même chose de Mr Corbin le directeur de la banque qui abandonne ses employés, les Michaud qu’il devait amener à Tours pour prendre sa maîtresse dans sa voiture.
L’égoïsme, l’intérêt, l’avarice, l’hypocrisie, la lâcheté sont les traits de cette société où les habitants et commerçants vendent l’eau et les oeufs à prix d’or et ferment leur porte aux malheureux jetés sur les routes.
Finalement les seuls qui paraissent sympathiques et altruistes sont Mr et Mrs Michaud, employés de banque sans fortune, craignant pour la vie de leur fils Jean-Marie, prêts à aider ceux qui sont en difficulté.
Dans les notes manuscrites du cahier d’Irène Némirovky, elle écrit à propos des Michaud : « ceux qui trinquent toujours et les seuls qui soient nobles vraiment »  et à propos des français  de la haute bourgeoisie : « Tout ce qui se fait en France dans une certaine classe sociale depuis quelques année n’a qu’un mobile : La peur. Elle a causé la guerre, la défaite et la paix actuelle. Le français de cette caste n’a de haine envers personne; il n’éprouve ni jalousie, ni ambition déçue, ni désir réel de vengeance. Il a la trouille. » « Les autres français possédant moins ont moins peur ».
Ils ont peut-être moins peur, ce qui les rend sympathiques, mais les jeunes filles couchent avec le beaux soldats ennemis et les parents n’empêchent pas les enfants de jouer avec eux!
Les jeunes gens échappent aussi pour certains à la dent dure de Nemirovsky : Madeleine, la fermière, Lucile prisonnière de son triste mariage, Hubert Pericand, seize ans, qui s’enfuit pour aller combattre avec le soldats français ou son frère Philippe, le curé, qui est vraiment sincère dans sa foi.

La critique du catholicisme

Kristine Scott-Thomas : Mrs Angelliers Suite française

Cette semaine, je m’étonnais dans Les chiens et les loups de la manière dont Irène Némorovsky jugeait la société juive et des propos qu’elle tenait sur les juifs des milieux financiers. Finalement Dans Suite française, l’on s’aperçoit qu’elle ne ménage pas plus la haute bourgeoisie catholique. On sait qu’elle-même s’est convertie au catholicisme en 1938. Elle souligne l’étroitesse d’esprit, le manque de générosité, et surtout l’hypocrisie d’une classe attachée à l’argent mais qui va à l’église régulièrement. La plupart de ces catholiques de bonne famille sont des Tartuffes. Avec des accents satiriques qui donnent lieu à de véritables scènes de comédie, elle montre Madame Péricand, catholique à la bonté ostentatoire, persuadée que Dieu la récompensera, distribuer des provisions à ses compagnons de voyage puis cesser brutalement en invectivant ses enfants qui partagent leurs bonbons, quand elle s’aperçoit que, devant la pénurie, son  argent ne servira à rien!
« La charité chrétienne, la mansuétude, des siècles de civilisation tombaient d’elle comme de vains ornements révélant son âme aride et nue. »Ou encore Mrs Angelliers si pieuse et si près de ses sous, qui déplore que son fils ait une maîtresse non pour la morale mais parce qu’elle coûte cher à entretenir! Ou bien qui est prête à risquer sa vie, dans sa haine des allemands, pour sauver Bonnet, mais qui regarde la bouteille de vin offerte par Lucile  : « Du vin ordinaire? Oui, à la bonne heure! « Elle veut bien être fusillée, pensa Lucile, pour avoir caché chez elle l’homme qui a tué un allemand, mais elle ne lui sacrifierait pas une bouteille de vieux bourgogne ».
La  vicomtesse de Montmort, elle, si humble et pleine de componction, si persuadée de la supériorité de son nom et de son élévation morale, pousse son mari à dénoncer Bonnet, la collaboration avec l’ennemi ne la dérangeant pas outre mesure; elle se détourne avec mépris de l’institutrice laïque : « Ses élèves affirmaient même qu’elle n’avait pas été baptisée, ce qui semblait moins scandaleux  qu’invraisemblable, comme si on eût dit d’une créature humaine qu’elle était née avec une queue de poisson. La conduite de cette personne étant irréprochable, la vicomtesse la haïssait d’autant plus… »

Le livre/Le film

Film de Saul Dibb : Suite française

On notera que dans le film de Saul Dibb, Lucile devient le personnage principal dès la première partie puisque, parisienne, elle s’enfuit de Paris pour le village de son mari, Bussy. Mais ce qui diffère le plus, c’est le dénouement complètement et profondément ridicule. J’imagine la réaction d’Irène Nemirovsky si elle avait pu voir ça! D’abord Lucile ne trouve rien de mieux que d’amener Benoît à Paris au moment même où les allemands cantonnés dans le village s’en vont, alors que dans le livre, elle demande des bons d’essence à Von Falk, mais a l’intelligence d’attendre qu’ils soient partis! Ce qui évite la rocambolesque scène finale dans laquelle Benoit tue un officier allemand (le deuxième!) qui les a arrêtés, lui et Lucile, Bruno Von Falk les laissant partir magnanimement! D’autre part, le film édulcore le style et la dureté de l’écrivaine dénonçant les travers de la société française, bref! ce qui fait la valeur du roman!

Résultat de l'énigme n° 123

Le roman : Suite française de Irène Némirovsky
le film : Suite française de Saul Dibb

Vous avouez tous que je vous ai mâché le travail en choisissant pour cette énigme un titre d' Irène Nemirovky déjà  à l'honneur dans le blogoclub cette semaine.
Bravo donc à : Aifelle, Dasola, Eeguab, Keisha, Maggie




samedi 5 mars 2016

Un livre/un film : Enigme du samedi


`
Pour ceux qui ne connaissent pas Un Livre/un film, l'énigme du samedi, je rappelle la règle du jeu.

Wens de En effeuillant le chrysanthème et moi-même, nous vous proposons, le 1er et le 3ème samedi du mois, un jeu sous forme d'énigme qui unit nos deux passions : La littérature et le cinéma! Il s'intitule : Un livre, Un film. Chez Wens vous devez trouver le film et le réalisateur, chez moi le livre et l'auteur.

Consignes  

Vous pouvez donner vos réponses par mail, adresse que vous trouverez dans mon profil : Qui suis-je? et  me laisser un mot dans les commentaires sans révéler la réponse pour m'avertir de votre participation. Le résultat de l'énigme sera donné le Dimanche.

La prochaine énigme aura lieu le troisième samedi du mois de Mars , le 19 Mars

Enigme N° 123
Ce roman a été écrit pendant la deuxième guerre mondiale au moment où les allemands envahissent Paris et où les français partent sur les routes.  L'écrivaine y décrit d'une manière satirique et souvent acerbe la réaction de la population face à l'occupation.
La vieille madame A. et l'Allemand, lorsqu'ils se trouvaient face à face, faisaient tous deux un mouvement instinctif de retrait qui pouvait passer de la part de l'officier pour une affectation de courtoisie, le désir de ne pas importuner de sa présence la maîtresse de maison et ressemblait plutôt à l'écart d'un cheval de sang lorsqu'il voit une vipère à ses pieds, tandis que Madame A. ne se donnait même pas la peine de réprimer le frisson qui la secouait et demeurait raidie dans l'attitude d'effroi que peut causer une bête dangereuse et immonde. Mais cela ne durait qu'un instant : la bonne éducation est faite justement pour corriger les réflexes de la nature humaine.



jeudi 3 mars 2016

Marc Pautrel : Une jeunesse de Blaise Pascal



Comme le titre l’indique dans Une jeunesse de Blaise Pascal, Marc Pautrel prend le parti de choisir la période de la vie de Blaise comprise entre l’âge de douze et trente-et-un ans, années consacrées aux mathématiques, riches de traités et de découvertes scientifiques, années pendant lesquelles Dieu tient peu de place dans l’existence du jeune homme. Vous ne rencontrerez donc pas ici le philosophe, le métaphysicien, le janséniste tourmenté par la foi, le Pascal au verbe inspiré, visionnaire, le Pascal des Pensées.

Pascal a perdu sa mère a trois ans et son père Etienne Pascal, savant mathématicien, décide de l’éduquer lui-même. Le jeune Pascal doté d’une intelligence vive et précoce fait preuve d’un don exceptionnel en mathématiques si bien que le père décide de ne pas les lui enseigner avant qu’il ait appris le latin et le grec, c’est à dire jusqu’à seize ans. Marc Pautrel décrit comment ce manque développe chez Pascal une soif de connaître qui l’amène à découvrir par lui-même ce qu’on lui cache et à retrouver tout seul la 32ème proposition des Eléments d’Euclide. Etienne Pascal, bouleversé par l’intelligence de son fils, lève l’interdiction et l’emmène avec lui à des réunions de mathématiciens- il a treize ans- où il rencontrera les plus grands esprits de l’époque : Gassendi, Fermat, Roberval, Mersenne. Le jeune prodige est capable d’argumenter avec les savants et même de les dépasser.

La pascaline



Le triangle de Pascal

Suit une période d'études et de découvertes intenses. Il va créer la machine à calculer (la Pascaline), poursuivre les expériences de Toricelli et prouver l’existence de la pression atmosphérique, inventer la théorie des probabilités... Ce sont des années bouillonnantes d’idées et exaltantes malgré la faible santé de Blaise, des années où il peut se croire l’égal de Dieu.

.. Il découvre toujours les secrets, les ressorts cachés du monde, et Dieu est dans le Monde, ou s’il n’y est pas, alors c’est qu’il n’est pas, et Pascal le saura, c’est sa raison d’être, éclairer la surface des choses à nouveau chaque jour, exactement comme le soleil : il ne modifie rien, il donne seulement à voir, mais d’une lumière insoutenable.

Mais en 1654, il échappe à la mort. Après un accident de carrosse, il reste dans le coma pendant deux semaines. A son réveil il a une révélation qui va lui faire rencontrer Dieu. Un total bouleversement dans son existence.

Marc Pautrel dit avoir été très fidèle en ce qui concerne les faits mais avoir dû imaginer le reste, ce qui lui a laissé une grande liberté de création. C’est pourquoi il nous parle d’une jeunesse de Pascal; elle aurait pu être différente, une parmi d’autres. Le texte est intéressant car il explore un tournant décisif de la vie de Pascal, du mathématicien au visionnaire, du matérialisme à la foi, comme s’il avait été impossible au jeune homme de concilier la rationalité et Dieu. Peut-être parce que les mathématiques le faisaient douter du mystère du monde et puis l’Eglise, toute puissante, ne déclarait-elle pas hérétique celui qui prétendait expliquer la Création.

Que dire du livre? Il est très rapide, très court. J'aurais aimé plus d'explications, en particulier sur les découvertes scientifiques de Pascal, plus de développement, mais ce n'était pas le propos de l'auteur.  Il m’a manqué un peu de corps, de chair…  Mais vous me connaissez, je suis boulimique quand il s’agit de lecture!
Cela n'enlève pas les qualités de cette biographie. Elle est bien écrite, le style est peaufiné et même ciselé. Un texte concis, sans fioritures, classique dans le sens du XVII ème siècle, plus proche du Pascal mathématicien que du Pascal visionnaire.

«Il regarde la grande roue tourner et donner un sens à l’eau, il a la bizarre sensation qu’il est lui-même devenu à la fois la roue et l’eau, comme le fruit d’une inéluctable union, il est en même temps l’artisan et l’outil. Parce que ses questions sont immenses et que toujours il voudra découvrir le lieu où vont se cacher les morts, ses découvertes elles aussi sont devenues immenses.» 






                                    Merci à Dialogues croisés et aux éditions Gallimard

mercredi 2 mars 2016

Nuit d'Hiver : Hommage à Harald Sohlberg, peintre norvégien

Nuit d'Hiver à Rondane : Harlad  Oskar Sohlberg national Gallery d'Oslo
Nuit d'Hiver à Rondane : Vinternatt i Rondane de Harlad  Oskar Sohlberg

Dans le cadre de la poésie du Jeudi, Asphodèle nous a demandé d'écrire notre propre texte pour ce jeudi 3 Mars. D'où ce poème en hommage à un peintre norvégien Harald Sohlberg et à son tableau Vinternatt i Rondane que je vais découvrir à Oslo au mois de mai. Mais déjà par l'intermédiaire de ces reproductions, je l'aime beaucoup.

 Vinternatt * :  Nuit d'hiver


Dressez-vous dans la nuit, sommets crépusculaires

Vagues pétrifiées s’élançant vers le ciel

Suaire aux plis figés, domaine des esprits,

Royaume de la Mort, dans ta blanche noirceur,

Violette argentée, éblouie de lumière,

Mystère de la nuit et des trolls et des fées.

Dressez-vous dans la nuit, sculptées par la beauté

Froides apparitions, vertigineux effroi,

Solitudes peuplées, glaçage d’un gâteau

Improbable, sucré, aux rondeurs torturées,

Glaciale féérie, tu divagues, tu chantes

Un air purifié, mystère de la vie

un chant pur et doré qui m’emplit de bonté

Au jardin de l’esprit, aux neigeuses contrées,

Etoile de la vie, hivernale et bleutée.

Harald Oskar Sohlberg

Harald Sohlberg : autoprotrait

Harald Oskar Sohlberg (1869-1939) est un des plus grands  peintres de Norvège. Il illustre le style néo-romantique qui fleurit dans les années 1890 après le réalisme des années 80.. Nuit d'hiver à Rondane que l'on peut voir au musée d'Oslo est le tableau phare de ce mouvement.

Il se forma chez Zahrtmann à Copenhague (1891-92) et chez Harriet Backer à Oslo. Il poursuivit ensuite ses études à Paris et à Weimar. Avec sa première toile, Braise de nuit (1893, Oslo, Ng), il participe, dans les années 1890, à l'introduction en Norvège de la peinture d'atmosphère néo-romantique, qu'il continue d'illustrer : Nuit d'été (1899, id.), Pré fleuri près de Røros (1905, id.), Nuit d'hiver à Rondane (1914, id.) ainsi que la monumentale réalisation Nuit (1902-1903, Trøndelag Kunstgalleri, Trondheim). La solitude et l'infini de la nature imprègnent tout son art, qui s'exprime dans un dessin sévère, finement détaillé et une luminosité évoquant l'émail. (source encyclopédie larousse)

Les montagnes de Rondane  fut l'un de ses sujets de prédilection, il a passé 15 ans à les peindre  ainsi que la ville de Roros.


Harald Sohlberg  Après la tempête de neige ; rue de Roros peintre norvégien mouvement néo-romantique
Harald Sohlberg  Après la tempête de neige ; rue de Roros

Harald Sohlberg : rue de Roros

Harald Sohlberg : principale rue de Roros


Norvège Harald Sohlberg : Maison de pêcheur peintre norvégien néo-romantique
Harald Sohlberg : Maison de pêcheur

Harald Sohlberg : Pré fleuri près de Roros peintre norvégien néo-romantique
Harald Sohlberg : Pré fleuri près de Roros

Peintre norvégien Harald Sohlberg : Nuit d'été  galerie nationale Oslo
Harald Sohlberg : Nuit d'été
Harald Sohlberg :


mardi 1 mars 2016

Irène Némirovsky : Les chiens et les loups


Les chiens et les loups (1940) se déroule en Ukraine dans les milieux juifs. La société est divisée en trois « castes » : ceux de la ville du bas, les pauvres juifs, petits artisans, boutiquiers, « la racaille infréquentable » qui porte des guenilles et parle yiddish; la ville moyenne où vivent non sans hiérarchie médecins, avocats, commerçants, petits bourgeois et où coexistent juifs, russes et polonais. Et enfin le ville haute interdite aux juifs sauf à ceux qui possèdent une grande fortune et peuvent se permettre de tout acheter. Les chiens et les loups, c’est cette opposition entre ceux qui réussissent et  dominent et ceux qui sont pauvres et obéissent.

C’est dans la ville moyenne qu’habite la petite Ada Sinner dont le père Israël est un intermédiaire entre la ville moyenne et la haute. Chez elle vivent aussi sa tante, veuve, son cousin Ben et sa cousine Lilla. Au cours d’un pogrom, Ada et  Ben se réfugient dans la ville haute. Ils demandent asile aux cousins Sinner, la branche riche de la famille. Les enfants y sont accueillis avec hauteur mais Ada y fait une rencontre qu’elle n’oubliera pas : son cousin, Harry, enfant délicat, raffiné, richement habillé, qui sera le seul amour de toute sa vie. Elle le retrouvera dans l’exil, à Paris, où la famille est obligée de fuir après la mort de son père. La vie à Paris contraste avec la vie en Ukraine mais elle y est toujours difficile; heureusement Ada est peintre et son travail va lui permettre de s’en sortir.

La description de la vie en Ukraine est passionnante et j’ai trouvé que c’était le moment le plus fort du livre. La ville à plusieurs niveaux comme dans un film de Fritz Lang, la misère, le pogrom dans le ghetto, la fuite des enfants, la découverte de l'inégalité sociale vécue comme un choc, tout est animé d’une vie intense, raconté avec un grand talent. J’ai suivi aussi avec intérêt les tribulations du personnage principal qui est, de plus, entourée de personnages secondaires bien campées. Ada est attachante, intelligente et courageuse. Elle lutte contre les difficultés de l’exil, et ne baisse pas les bras! C’est un beau portrait de femme. Son amour pour Harry semble être sa grande faiblesse. Au départ on peut se demander si elle est attirée par Harry qui n'a pourtant rien d'exceptionnel ou par ce qu’il représente. Mais on voit, plus tard, combien elle est désintéressée et fière, n’acceptant rien de lui.

Ce qui m’a frappée dans la description des milieux juifs par Irène Némirovsky c’est l’incroyable étanchéité qui existe entre les classes sociales, une hiérarchie féroce, un mépris et une dureté pour ceux qui ne réussissent pas, l’importance accordée à l’argent. La valeur de l’homme est déterminée par le fait qu’il a ou n’a pas de fortune. L’écrivaine parle de la race juive et de ses caractéristiques physiques et morales et il en sort un portrait peu flatteur. Si Irène Nemirovsky n’était pas juive elle-même, morte dans un camp de concentration, je dirais qu’elle est antisémite, tant sa critique de la société juive est virulente. Elle appartient pourtant elle aussi a une haute bourgeoisie, dont la fortune est assise sur la finance, et elle aussi a vécu en riche et insouciante jeune fille. Pourtant, elle n'hésite pas à publier des nouvelles dans Gingoire, un journal d'extrême-droite connu pour son antisémitisme. Elle se convertit au catholicisme en 1938 peut-être pour des raisons de prudence en ces temps troublés! Il n’en reste pas moins qu’elle reste hantée par son identité juive dans toute son oeuvre, qu'elle la refuse ou non.

Livre lu dans le cadre du blogoclub de Sylire


dimanche 28 février 2016

Peer Gynt de Henrik Ibsen et Edvard Grieg

                 
Edvard Munch : affiche pour Peer Gynt (1896)
        

Henrik Ibsen

Henrik Johan Ibsen est un dramaturge norvégien. Il se présente comme un « anarchiste aristocrate». Fils de Marichen Ibsen et de Knud Ibsen, Henrik Johan Ibsen naît dans un foyer que la faillite des affaires paternelles, en 1835, désunit rapidement.…



De sa pièce de théâtre Peer Gynt (1867), Henrik Ibsen disait : « De l’ensemble de mes livres je (le) tiens pour celui qui est le moins susceptible d’être compris en dehors des pays scandinaves ». Et si cela ne tenait qu’à moi, je dirais que c’est bien vrai. Et pourtant elle a joui d’un engouement exceptionnel aussi bien en Norvège que dans le monde entier, et a été traduite dans de nombreuses langues. Lire Peer Gynt m’a bousculée dans mes attentes, en me faisant dévier du chemin théâtral que je connais et je ne parle pas seulement des pièces classiques. Même le théâtre élisabéthain et encore moins le drame romantique et les revendications d’Hugo, ni les pièces contemporaines, ne m’ont permis de m’adapter facilement à un tel chamboulement! je suis allée de surprises en surprises tant en ce qui concerne la langue que le déroulement de la pièce et surtout le sens. Que veut dire le dramaturge? Même à la fin de la pièce, l’on s’interroge.

 La traduction de la Pléïade dans laquelle j’ai lu la pièce n’est pas en vers mais les niveaux de langue toujours changeants sont bien rendues : Poésie et lyrisme, alternent avec un langage protéiforme satirique, familier voire au trivial. Bien sûr, chez Shakespeare ou Hugo aussi, on retrouve aussi ce changement de registre mais la familiarité et la vulgarité sont le propre des personnages grotesques et ne concernent pas, ou alors rarement, les personnages nobles. Dans Peer Gynt, le mélange du fantastique et de l’humour, les personnages sont parfois comiques et même caricaturaux là où l’on s’attendrait à avoir peur,  est aussi étonnant.

Peer Gynt  est un lesedrama c’est à dire une pièce en vers destinée seulement à la lecture, ce qui laissait à son auteur la possibilité de laisser libre cours à son imagination : les personnages fantastiques du folklore norvégien envahissent la scène, les décors sont nombreux et divers, on est transporté des forêts profondes et des fjords norvégiens à l’Afrique, dans le désert, au milieu des palmiers comme au pied du Sphynx égyptien. Une pièce qui ne devait pas être jouée et pourtant elle a été portée à la scène un grand nombre de fois! Ce que l’on peut expliquer par le fait qu’elle stimule par sa complexité même la créativité des plus grands metteurs en scène.

En fait la pièce qui compte cinq actes paraît diviser en trois parties déterminées par les lieux et les périodes de la vie de Peer Gynt.

La jeunesse de Peer Gynt


 La première partie se déroule en Norvège et correspond à la jeunesse de Peer Gynt. Le jeune homme, inspiré d'un personnage folklorique norvégien, ment toujours et prétend vivre des aventures qui sont arrivées à d’autres. Il est incapable d’assumer ses responsabilités, de s’occuper de sa ferme et de venir en aide à sa mère, Ase. C’est dans cette partie que Peer Gynt se met à dos les villageois, veut épouser la fille du roi des trolls, le seigneur des montagnes de Dove. Poursuivi par ses ennemis, il s’enfuit après la mort d'Ase et après avoir salué Solveig, une jeune fille qui l’aime et qui promet de l’attendre.
 C’est la partie que j’ai préférée avec la poésie de la nature norvégienne qui occupe la première place et l’étrangeté du Petit Monde, les trolls, les nixes, les sorcières, qui sont la base des croyances populaires, un héritage de la culture païenne. Notons aussi la très belle scène de la mort d'Ase, si émouvante et poétique dans laquelle le fils accompagne sa mère au seuil de la mort.

Peer Gynt est un ambitieux, à la recherche du pouvoir et de la richesse. Il est prêt à tout pour  épouser la princesse sauf.. à se laisser crever les yeux! C’est alors que le roi des Trolls prononce une phrase qui semble porter le sens (un des sens?) de la pièce. A la question : quelle est la différence entre un humain et un troll? Il répond :  On dit à l’humain «  Homme, sois toi-même! » et au troll  « Troll, sois pour toi-même! »

La maturité de Peer Gynt

dessin de décor : la cabane de Solveig de Nicholas Roerich
La deuxième partie raconte la maturité de Peer Gynt qui a vécu des aventures multiples. On le retrouve courant les mers ou les déserts, l’Afrique ou l’Amérique, tour à tour négrier, contrebandier, prophète, toujours empêtré dans le mensonge qui devient une arme pour manipuler autrui.
C’est la partie que je n’ai pas aimée et qui m’a ennuyée, trop rocambolesque, ni fantastique, ni proche de la réalité. De plus, l’Afrique de Ibsen est très convenue, rien à voir avec l’authenticité qui est la sienne quand il parle de son pays!
Peer Gynt, le mauvais garçon, s’est encore endurci dans le mal, allant jusqu’au meurtre pour sauver sa vie. Le personnage devient de plus en plus corrompu et repoussant. Alors que Solveig, toujours fidèle dans son amour et sa foi, l'attend au pays.
La parole du roi des montagnes de Dove se réalise. Peer Gynt est bien un troll et non un humain car il n’est pas lui-même, il est pour lui-même !

La vieillesse de Peer Gynt
Peer Gynt et les trois pelotes(incarnation des Trolls)

La troisième partie se déroule en Norvège, c’est la vieillesse de Peer Gynt guetté par la Mort et que le diable poursuit de ses assiduités. Peer Gynt, le menteur, s’en sort toujours par une pirouette, en utilisant le mensonge pour berner les autres.  Mais au moment où rien ne paraît pouvoir le sauver, l’amour de Solveig le tire des griffes de ses ennemis. L’amour plus fort que la mort? Oui, mais pour combien de temps? La fin reste ouverte :  
on entend la voix du fondeur de boutons  derrière la maison : Nous nous rencontrerons au tout dernier carrefour, Peer, et alors, nous verrons...si... Je n'en dis pas davantage.
J’ai aimé  ce passage car l’on retourne en Norvège dont l’auteur nous restitue l’essence. L’on retrouve alors les personnages populaires, la mort symbolisée par le Fondeur de boutons, chacun doit passer dans sa cuiller. Le diable apparaît sous les traits d’un personnage maigre, avec un filet d’oiseleur sur l’épaule pour attraper les âmes perdues et avec un sabot à la place d’un pied, figure coutumière des légendes norvégiennes.

Solveig est l’antithèse de Gynt. Si celui-ci incarne le mal, l’égoïsme, la manipulation d’autrui,  Solveig est altruisme, bonté, dévouement. Mais dans ce combat entre le mal et le bien qui est au centre la pièce, jamais l’on ne voit Peer Gynt évoluer vers le Bien. Sauf, un moment éphémère où le chant de Solveig et sa fidélité lui font comprendre ce qu’il a perdu. Quant à Solveig, elle paraît être une idée désincarnée plus qu’un être réel. Le pessimisme et l'amertume d' Ibsen semblent triompher.

Suite musicale de Peer Gynt, musique de Grieg

Henrik Ibsen avait demandé à Edvard Grieg de mettre sa pièce en musique alors que les deux hommes ne s'entendaient pas! Grieg trouvait la pièce "débordante d'esprit et de fiel". Quant à Ibsen, il n'apprécia pas la musique composée par Grieg peut-être trop romantique pour convenir à la noirceur satirique de Peer Gynt? Pourtant l'oeuvre musicale connut un immense succès. Si vous avez le temps, écoutez ces extraits. Vous verrez que même si vous pensez ne pas la connaître, cette musique vous parlera!



Edvard Grieg: Au matin suite 1/1 op. 46



Edvard Grieg Chanson de Solveig  suite 2 /4 op.55 : chanté par la soprano norvégienne Marita  Solberg



Edvard Grieg : Dessin animé sur la suite 1/ 4 Op. 46  de Peer Gynt  Dans l'antre du roi de la montagne. C'est cette musique que Fritz Lang a utilisé dans M. Le Maudit.


Edvard Grieg
 Edvard Grieg naît à Bergen en 1843 et meurt dans sa ville natale en 1907.
Pianiste de formation, Edvard Grieg est un compositeur norvégien de la période romantique. Il est particulièrement attaché à la mise en valeur du folklore norvégien au moyen de la musique.
Edvard Grieg naît dans une famille de musiciens : son père joue en tant qu’amateur dans un orchestre de la ville, sa mère lui donne ses premières leçons de piano et lui fait découvrir l’histoire de la musique à travers Mozart, Weber et Chopin. Grâce aux encouragements du violoniste norvégien Ole Bull dont il fait la connaissance à l’âge de quinze ans, Edvard Grieg part en 1858 au conservatoire de Leipzig pour y faire ses études musicales. Il découvre les œuvres de Schumann ou de Wagner au Gewandhaus, et propose sa première composition à son examen final en 1862 (Quatre pièces pour piano).
Edvard Grieg entame alors une carrière de pianiste. Il déménage à Copenhague où il rencontre les compositeurs Niels Gade et Rikard Nordaak, et commence à éprouver un intérêt prononcé pour la culture nordique. En 1867, il s’installe à Christiana et y fonde l’Académie norvégienne de musique. Il dirige régulièrement l’orchestre de la société de musique et compose de nombreuses pièces (Humoresques, Concerto en la mineur pour piano), ce qui est d’autant plus facile lorsqu’il se voit accorder par l’Etat une rente viagère, à partir de 1872.
En 1876, Edvard Grieg rencontre le succès avec Peer Gynt, un opéra né de l’œuvre d’Ibsen. Après une période de crise durant laquelle il se concentre sur le folklore de sa région, il part en tournée en Europe et se fait acclamer de toutes parts. La qualité de l’écriture pianistique inspirée par Liszt, ainsi que l’audace de l’harmonie, font de Grieg un compositeur majeur de la Norvège et inspireront Debussy ou Ravel. (Source bibliographique:  France Musique)