Pages

dimanche 6 décembre 2020

David le Bailly : L’autre Rimbaud

J’avais repéré ce livre, L'autre Rimbaud de David Le Bailly,  à la rentrée littéraire en septembre et je voulais le lire parce que, bien sûr … Rimbaud !
Cette biographie ne porte pourtant pas sur Arthur mais sur son frère aîné Frédéric, celui qui figure sur la photo de communiants des deux frères qui n’ont qu’un an de différence. L’auteur, David le Bailly, a été surpris de découvrir que la présence de Frédéric avait été effacée de l’image pour ne laisser la place qu’au petit génie, au poète précoce, bref ! à Arthur.

Frédéric et Arthur Rimbaud
 Pourquoi ce silence autour de Frédéric ? Qu’a-t-il fait pour provoquer le rejet de la mère qui n’admire qu’Arthur, le mépris de sa soeur Isabelle qui se fait l’exécutrice testamentaire du poète et, au passage, fait main basse sur l’héritage d’Arthur au détriment de l’aîné.

David le Bailly mène l’enquête pour savoir comment expliquer la disparition de ce frère dont Arthur a pourtant partagé les jeux, liés par une complicité qui les réunit, enfants, autour de la détestation de la mère.

Dès l’enfance où les deux frères fréquentent le même lycée, l’un se révèle si doué qu’il force l’admiration non seulement de ses condisciples mais aussi de ses professeurs. L’autre, Frédéric n’a pas la même aptitude aux études, de là à dire qu’il est idiot, il n’y a qu’un pas qu’ont allègrement franchi les biographes d’Arthur plein de mépris pour l’humble Frédéric et son métier, conducteur de coche et porteur de bagages.
Les portraits croisés des personnages nous font découvrir un Frédéric, modeste, malheureux, poursuivi par la vindicte de sa mère, dominatrice, orgueilleuse, avare, imbue de sa personne et de son rang social (c’est une riche propriétaire terrienne). Haineuse, elle mène un combat épique pour empêcher Frédéric d’épouser la femme qu’il aime, de trop basse extraction selon elle. Ce sont des  scène fortes dans le livre, étonnantes tant elles montrent la haine qu’elle peut porter à son fils, son délire de supériorité, mais aussi, à cette époque, la toute puissance des parent sur les enfants. Intérêt historique : Frédéric a plus de trente ans et la loi l’empêche de se marier si sa mère ne l’y autorise pas !

L’hypocrisie de la société bourgeoise, bien pensante, qui va à la messe tous les dimanches mais obéit à une morale conventionnelle et dénuée de sincérité, est aussi très bien décrite. La soeur et la mère s’appliquent, à la mort d’Arthur, à réécrire la légende du poète, gommant ses frasques de jeunesse, les scandales qu’il a provoqués, la rébellion qu’il affichée, faisant de lui une repenti qui se rachète par une vie de pureté tout en exerçant le métier respectable de commerçant. C'est dégoulinant de bonnes pensées !

Arthur lui-même n’en sort pas grandi qui participe par ses lettres à sa mère ou à sa soeur au mépris du frère à qui il n’écrit jamais. Si l’on n’a pas de réponse sur le fait qu’il ait abandonné brutalement la poésie, on voit cependant que sa préoccupation essentielle, devenir riche, est bien loin des aspirations du jeune homme visionnaire et inspiré qu’il a été jadis.  
Ajoutez que l’on y rencontre Verlaine, un autre allumé, celui-là aussi !

L’auteur, en suivant les traces de son personnage qui l’intéresse aussi à titre privé, mêle à son enquête des considérations personnelles - mais en même temps universelles- qui l’amènent à s’interroger sur les rapports entre mère et fils, et ceux , ô combien conflictuels, entre frères.

Un livre intéressant !

vendredi 4 décembre 2020

Balzac : La femme abandonnée

Le personnage de la vicomtesse de Bauséant est un personnage important de La Comédie humaine. Dans Le père Goriot  on l'y voit tenir un brillant salon parisien où il est de bon ton de paraître et n’y est pas reçu qui veut. Mais lorsqu’elle est abandonnée par son amant, elle quitte son mari et vient se réfugier à Bayeux. Mise au ban de la société pour sa scandaleuse conduite et son indépendance, elle vit orgueilleusement retirée dans ses appartements. Balzac lui consacre cette courte nouvelle intitulée La Femme abandonnée. Le second personnage est le jeune baron Gaston de Nueil, parisien lui aussi, mais en exil à Bayeux pour des raisons de santé. Il s’ennuie à mourir dans cette société provinciale étriquée et rigide. Aussi lorsqu’il entend parler la vicomtesse, son imagination fait le reste et il en tombe amoureux sans l'avoir encore rencontrée. Il finira par devenir son amant et vivre avec elle mais …

Avec sa vive imagination et sa promptitude à tomber amoureux, le baron me fait penser au Julien Sorel de Stendhal. Surtout dans la scène où renvoyé par la vicomtesse et raccompagné à la porte de la demeure par un serviteur, il comprend que son honneur est en jeu et son orgueil le pousse à la témérité. Mais la comparaison s’arrête là, Julien étant un roturier peu habitué à la société mondaine, ce qui n’est pas le cas de Gaston de Nueil.

L’intrigue de cette nouvelle est légère, assez convenue et m'a laissée un peu sur ma faim. Toute sa valeur réside à mes yeux dans deux éléments :

La conclusion de la nouvelle

La brutalité de la chute racontée en une phrase et d’un ton entièrement détaché, crée un choc, conclusion lapidaire, inattendue, de cette histoire d’amour. C’est dommage que Balzac ne se soit pas arrêté à cette phrase, ce qui aurait donné une plus grande force au dénouement qui me rappelle la manière de Victor Hugo dans La légende des siècles : et le lendemain Aymerillot prit la ville. Mais Balzac n’est pas Hugo (et réciproquement)  et il parle ici en moraliste! C'est pourquoi la conclusion est suivie  par des considérations dignes d’un entomologiste sur la nature humaine, la femme amoureuse.

La satire de la vie provinciale

Ce que j’ai le plus apprécié dans La femme abandonnée, c’est la satire acide de la société provinciale qui est décrite avec une méchanceté étudiée. Dans ses romans, Balzac nous montre la société en action, dans la nouvelle, il nous en fait la synthèse et nous la décrit comme une carte du ciel, avec ses planètes tournant autour du soleil. Or ce dernier est ici un astre bien faible en province et Balzac a des formules acérées  pour le décrire :
"C’était d’abord la famille dont la noblesse, inconnue à cinquante lieues plus loin passe, dans le département, pour incontestable et de la plus haute antiquité…"  "Cette espèce de  famille royale  au petit pied " " Cette famille fossile" " Le chef de cette race illustre est toujours un chasseur déterminé. Homme sans manières, il accable tout le monde de sa supériorité nominale…"
"Sa femme a le ton tranchant, parle haut, a eu des adorateurs, mais fait régulièrement ses pâques; elle élève mal ses filles et pense qu’elles seront toujours assez riches de leur nom. "

"Puis viennent les astres secondaires" :
Ceux qui gravitent autour de la noblesse ancienne, une noblesse récente  plus à la mode mais tout aussi conventionnelle et figée, dans un autre style, les gentilshommes campagnards, les membres du clergé tolérés pour leur fonction mais roturiers donc inférieurs.
Et Balzac de conclure :
La vie de ces routinières personnes gravite dans une sphère d’habitudes aussi incommutables que le sont leurs opinions religieuses, politiques, morales et littéraires.

Bien entendu pour le réac Balzac, la supériorité parisienne même s'il s'agit de la noblesse n'est pas à démontrer et tout ce qui s'attache à la province est dénigrée. Mais comme il n'épargne pas, non plus, les parisiens, disons que c'est acceptable !

 Lecture commune (oui, je suis en retard !)

initiée par Maggie Ici

Miriam Ici 

Céline Ici


dimanche 22 novembre 2020

Christophe Lambert : L'agence Pendergast : Le prince des ténèbres tome 1

 

J'ai eu ma petite-fille à la maison pendant une semaine, son papa étant malade. C'est moi qui lui ai fait classe pendant son absence forcée à l'école. Son institutrice lui a donné ce livre : L'agence Pendergast de Christophe Lambert. C'est le premier d'une série qui compte pour l'instant 5 tomes. Il fait partie de la sélection des incorruptibles qui propose à des classes des lectures appropriées à leur âge avant de voter pour leur livre préféré. (Voir ici)

 Fiche de lecture d' Appoline, le pseudonyme  choisi par ma petite fille (10 ans).

 Titre  : L'agence Pendergast : Le prince des ténèbres tome 1

Nom de l'auteur : Christophe Lambert

Nom de l'illustrateur : Florent Sacré

 160 pages

 Editions Didier-jeunesse

Sean, orphelin, est devenu pickpocket car il a été élevé par un bandit nommé Bill le Boucher. Un jour, il vole la montre d'Archibald Pendergast et celui-ci le poursuit, le retrouve, lui propose un marché : de travailler pour lui à l'agence Pendergast, chasseuse de monstres paranormaux.

Les amis de Sean sont Célia, monsieur Pendergast et le savant Gégé. Ses ennemis sont Joé l'indien, Bill le Boucher, le comte Vlad, c'est à dire Dracula, et, bien sûr, tous les autres êtres paranormaux. 

J'aime ce roman parce qu'il est fantastique et qu'il y a du suspense. En même temps,  il y a des moments amusants. Le personnage de Sean m'a plu parce qu'il est gentil, attentionné et courageux.

J'ai trouvé que l'histoire était courte et facile à lire. Elle est intéressante et je recommande ce livre à la lecture.

La statue de la Liberté et Ellis Island

L'avis de la grand-mère

L'agence Pendergast, c'est un peu l'histoire du roman de Charles Dickens, Olivier Twist, mais transposée aux Etats-Unis, à New York, et adaptée au fantastique.

Nous sommes en 1893, et Sean Donovan dont les parents ont été tués par des indiens, a été recueilli par un truand, Bill le Boucher, qui lui apprend le métier de pickpocket. Mais le petit garçon a le coeur trop sensible, voler les personnages âgées ou les pauvres qui ont déjà du mal à survivre, très peu pour lui !  C'est pourquoi il ne peut payer à Bill le tribut mensuel que celui-ci lui demande, ce qui met l'enfant en danger. D'autre part, Archibald Pendergast à qui il a volé sa montre lui laisse le choix entre rejoindre son agence ou aller en prison. 

Le petit voleur n'a pas trop le choix et entre dans l'agence Pendergast qui est située au pied de la statue de la Liberté et qui surveille l'arrivée des migrants sur Ellis Island. Car parmi le flot de personnes qui débarquent dans le port de New York, se cachent des êtres peu recommandables, paranormaux, vampires, loups garous, sorciers,  qui cherchent à infiltrer le pays. C'est le début de l'aventure pour Sean qui va être confronté au comte Vlad, c'est à dire à Dracula lui-même !

Ce roman pour la jeunesse qui est proposé par les incorruptibles aux élèves de CM2 /6ième est bien écrit et d'un niveau de lecture facile. Je pense qu'il pourrait être lu aussi par des enfants plus jeunes, bons lecteurs. Le personnage du petit garçon est attachant  mais  les autres sont pour l'instant peu développés, aussi bien celui de Célia, la métisse, et de Joé, l'indien. Pour l'instant Joé l'indien et Sean sont ennemis car le jeune héros n'aime pas les indiens. Il ne faut pas oublier comment ses parents sont morts. A la fin, du roman on pressent qu'ils vont devenir des amis, ce qui se précisera, je pense, dans les tomes suivants.

J'ai bien aimé la référence historique à Ellis Island même si ma petite fille y est restée insensible malgré mes explications ! Quant au combat de Sean et de Vlad sur la tête de la statue de la Liberté, il m'a rappelé le film d'Alfred Hitchcock, Cinquième colonne, dans lequel l'espion est poursuivi jusqu'en haut de la statue où il trouve la mort.


mardi 10 novembre 2020

Voyage Picardie/ Pas de Calais avec Victor Hugo : Abbeville Collégiale Saint Vulfran

Abbeville : Collégiale Saint Vulfran Eugène Boudin
 
Victor Hugo  continue son voyage. Après la visite des falaises du Tréport, de Mers, d'Ault, il se rend à Saint Valery d'où il prend une patache qui l'amène à Abbevile. Il y arrive la nuit.
Lisez ce texte pour le plaisir de le savourer ! Quant à moi, je ne m'en lasse pas !

Un quart d’heure après j’étais en route pour Abbeville. J’ai toujours aimé ces voyages à l’heure crépusculaire. C’est le moment où la nature se déforme et devient fantastique. Les maisons ont des yeux lumineux, les ormes ont des profils sinistres ou se renversent en éclatant de rire, la plaine n’est plus qu’une grande ligne sombre où le croissant de la lune s’enfonce par la pointe et disparaît lentement, les javelles et les gerbes debout dans les champs au bord du chemin vous font l’effet de fantômes assemblés qui se parlent à voix basse ; par moments on rencontre un troupeau de moutons dont le berger, tout droit sur l’angle d’un fossé, vous regarde passer d’un air étrange ; la voiture se plaint doucement de la fatigue de la route, les vis et les écrous, la roue et le brancard poussent chacun leur petit soupir aigu ou grave ; de temps en temps on entend au loin le bruit d’une grappe de sonnettes secouée en cadence, ce bruit s’accroît, puis diminue et s’éteint, c’est une autre voiture qui passe sur quelque chemin éloigné. Où va-t-elle ? d’où vient-elle ? la nuit est sur tout. À la lueur des constellations qui font cent dessins magnifiques dans le ciel, vous voyez autour de vous des figures qui dorment et il vous semble que vous sentez la voiture pleine de rêves.  Victor Hugo Voyage 1837

Abbeville : Collégiale Saint Vulfran
 
Si l’arrivée à Abbeville de Victor Hugo ressemble à un conte de fées, la vision que j’en ai eue ne m’a pas fait le même effet ! Dès l’entrée dans la ville commence le règne de la voiture et pourtant nous n’étions pas à l’heure de la sortie des bureaux et, en cette période de vacances, pas de lycées, de collèges ou d’écoles ouverts. Nous en avons déduit que c’était le quotidien de ce centre ville, des embouteillages partout, dans toutes les rues, y compris sur la place de la collégiale Saint Vulfran que nous voulions voir. 
Entrée de la place saint Vulfran

Place de la collégiale

Aucun effort pour chasser la voiture hors de la cité, pour donner à cette église gothique plus d’espace, plus d’aération ! Au contraire un parking et des constructions serrées qui la cernent, bâtiments d’une grande laideur qui enjambent les rues ! Toutes mes excuses aux Abbevillois pour ce que je vais dire, mais moi qui déplorais les embouteillages sur le bord du Rhône à l'heure de pointe, moi qui pensais qu’Avignon n’était pas assez « verte », c’est parce que je n’avais jamais vu le centre d'Abbeville! Dans les années 80, la place du palais des papes était, elle aussi, envahie par l'automobile juste avant la construction du parking souterrain mais... il y a près de quarante ans !

Par contre la collégiale vaut le détour et j'ai regretté de ne pas avoir eu le temps de visiter le musée Boucher de Perthes mais nous étions là pour notre "tournée" des églises gothiques !

Abbeville Portail central vu à la verticale du bas : l'entrelacs de ses dentelles

 Elle est très richement ornée et intéressante aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur et j'ai énormément aimé la statuaire. Elle est avec l’abbatiale Saint Riquier et la chapelle Saint Esprit de Rue un bel exemple du gothique flamboyant. Edifiée au XII siècle, elle contient les reliques de Saint Wulfram de Sens apporté par le comte de Ponthieu.  C’est vers la fin du  XV siècle que fut réalisé le décor gothique flamboyant. Mais l’église ne fut achevée qu’au XVII siècle, sa construction étant retardée par les guerres de religion et les invasions espagnoles. Le monument subit plusieurs restaurations : au XIX siècle pour la consolider, et après la deuxième guerre mondiale car elle fut en partie détruite par le pilonnage de l’artillerie allemande suivi d’un incendie.

Abbeville Collégiale Saint Vulfran Statuaire Portail sud

Portail Sud Marie Cléophas et ses quatre fils dont Saint jacques le Mineur

Le portail sud est celui des trois Marie : au centre la vierge Marie. A gauche Marie Cléophas et Marie Salomé à droite

Marie Salomé et ses fils Saint jacques le Majeur et Saint Jean l'évangéliste
 source

Portail central : Saint Paul et lion

A l'intérieur, on remarquera que la nef présente deux parties distinctes : la nef centrale gothique dont la voûte culmine à 35 mètres, édifiée au XV et au début du XVI siècle qui offre l'élévation de ses hauts piliers gothiques et de ses élégantes ogives. Et une partie qui date du XVII siècle et contient le choeur, présente une très belle voûte en bois semblable à la coque d'un navire.


La partie côté choeur


Les deux parties de la construction


La nef centrale côté portail central


Le portail central intérieur très ouvragé et la chaire

Une belle visite et ensuite, vite ! Nous partons pour l'abbatiale gothique de Rue !

vendredi 6 novembre 2020

Picardie/ Pas de Calais : Voyage avec Victor Hugo sur les falaises du Tréport à Ault

 

Dans le tome II de son Livre En voyage : France/Belgique, Victor Hugo  écrit une longue lettre à sa femme Adèle le 8 septembre 1837. Il est à Dieppe et il lui raconte la promenade à pied accomplie la veille à partir du port du Tréport à Cayeux en passant par Mers, Ault et Saint Valery.

Ma journée d’hier, chère amie, a été bien remplie. J’étais au Tréport, je voulais voir le point précis où finit la dune et où commence la falaise. Belle promenade, mais pour laquelle il n’y a que le chemin des chèvres et qu’il fallait faire à pied. J’ai pris un guide et je suis parti. Il était midi. 

Courageux, papa Hugo ! Si j'ai fait le même parcours, c'est d'une manière moins glorieuse, en voiture.

Le Tréport : la falaise
 

Le Tréport : le phare

Le Tréport à marée basse

Du Tréport on peut apercevoir, en face, la falaise de Mers-les-Bains.

Falaise de Mers-les-Bains vue du Tréport et au-delà la ville d'Ault

C'est du Tréport que Victor Hugo part avec son guide pour gagner la falaise de Mers -les-Bains.
Les deux villes sont séparées par une longue plage de sable.

À une heure j’étais au sommet de la falaise opposée au Tréport. J’avais franchi l’espèce de dos d’âne de galets qui barre la mer et défend la vallée au fond de laquelle se découpent les hauts pignons du château d’Eu ; j’avais sous mes pieds le hameau qui fait face au Tréport. 

La ville de Mers au pied de la falaise :  vue du Tréport

Et c'est du haut de la falaise de Mers qu'il admire l'église du Tréport

Eglise du Tréport

La belle église du Tréport se dressait vis-à-vis de moi sur sa colline avec toutes les maisons de son village répandues sous elle au hasard comme un tas de pierres écroulées. Au delà de l’église se développait l’énorme muraille des falaises rouillées, toute ruinée vers le sommet et laissant crouler par ses brèches de larges pans de verdure. La mer, indigo sous le ciel bleu, poussait dans le golfe ses immenses demi-cercles ourlés d’écume. Chaque lame se dépliait à son tour et s’étendait à plat sur la grève comme une étoffe sous la main d’un marchand. Deux ou trois chasse-marées sortaient gaîment du port. Pas un nuage au ciel. Un soleil éclatant.

Le Tréport : son église

Et puis ce texte qui prouve, si besoin est, que Victor Hugo ne manque pas d'humour !

Au-dessous de moi, au bas de la falaise, une volée de cormorans pêchait. Ce sont d’admirables pêcheurs que les cormorans. Ils planent quelques instants, puis ils fondent rapidement sur la vague, en touchent la cime, y entrent quelquefois un peu, et remontent. À chaque fois ils rapportent un petit poisson d’argent qui reluit au soleil. Je les voyais distinctement et de très près. Ils sont charmants quand ils ressortent de l’eau, avec cette étincelle au bec.
Ils avalent le poisson en remontant, et recommencent sans cesse. Il m’a paru qu’ils déjeunaient fort bien.
Moi j’avais mal déjeuné par parenthèse. Comme c’était un port de mer, j’avais mangé du beefsteack bien entendu, mais du beetsteack remarquablement dur. À la table d’hôte, où les plaisanteries sont rarement neuves, on le comparait à des semelles de bottes. J’en avais mangé deux tranches, et pour cela j’étais fort envié à la table d’hôte, l’un enviait mon appétit, l’autre mes dents. J’étais donc comme un homme qui a mangé à son déjeuner une paire de souliers. Moi, j’enviais les cormorans.

Bateau de pêche entouré d'une nuée d'oiseaux

 Suit cette étrange vision et splendide description à la Hugo (j'adore !) de l'arrivée à Ault par le haut de la falaise, un paysage tel que je n'ai pu le voir ! Et oui, quand on est en voiture !
 
Une heure après, toujours par le sentier tortueux de la falaise, j’approchais du Bourg-d’Ault, but principal de ma course. À un détour du sentier, je me suis trouvé tout à coup dans un champ de blé situé sur le haut de la falaise et qu’on achevait de moissonner. Comme les fleurs d’avril sont venues en juin cette année, les épis de juillet se coupent en septembre. Mais mon champ était délicieux, tout petit, tout étroit, tout escarpé, bordé de haies et portant à son sommet l’océan. Te figures-tu cela ? vingt perches de terre pour base, et l’océan posé dessus. Au rez-de-chaussée des faucheurs, des glaneuses, de bons paysans tranquilles occupés à engerber leur blé, au premier étage la mer, et tout en haut, sur le toit, une douzaine de bateaux pêcheurs à l’ancre et jetant leurs filets. Je n’ai jamais vu de jeu de la perspective qui fût plus étrange. Les gerbes faites étaient posées debout sur le sol, si bien que pour le regard leur tête blonde entrait dans le bleu de la mer. À la ligne extrême du champ une pauvre vache insouciante se dessinait paisiblement sur ce fond magnifique. Tout cela était serein et doux, cette églogue faisait bon ménage avec cette épopée. Rien de plus frappant, à mon sens, rien de plus philosophique que ces sillons sous ces vagues, que ces gerbes sous ces navires, que cette moisson sous cette pêche. Hasard singulier qui superposait les uns aux autres, pour faire rêver le passant, les laboureurs de la terre et les laboureurs de l’eau. 


Falaise de Bourg d'Ault

À deux heures et demie, j’entrais au Bourg-d’Ault. On passe quelques maisons, et tout à coup on se trouve dans la principale rue, dans la rue mère d’où s’engendre tout le village, lequel est situé sur la croupe de la falaise. Cette rue est d’un aspect bizarre. Elle est assez large, fort courte, bordée de deux rangées de masures, et l’océan la ferme brusquement comme une immense muraille bleue. Pas de rivage, pas de port, pas de mâts. Aucune transition. On passe d’une fenêtre à un flot.
Au bout de la rue en effet on trouve la falaise, fort abaissée, il est vrai. Une rampe vous mène en trois pas à la mer, car il n’y a là ni golfe, ni anse, pas même une grève d’échouage comme à Étretat. La falaise ondule à peine pour le Bourg-d’Ault.

Falaise d'Ault

La mer ronge perpétuellement le Bourg-d’Ault. Il y a cent cinquante ans, c’était un bien plus grand village qui avait sa partie basse abritée par une falaise au bord de la mer. Mais un jour la colonne de flots qui descend la Manche s’est appuyée si violemment sur cette falaise qu’elle l’a fait ployer. La falaise s’est rompue et le village a été englouti. Il n’était resté debout dans l’inondation qu’une ancienne halle et une vieille église dont on voyait encore le clocher battu des marées quelques années avant la Révolution, quand les vieilles femmes qui ont aujourd’hui quatre vingts ans étaient des marmots roses.
Maintenant on ne voit plus rien de ces ruines. L’océan a eu des vagues pour chaque pierre ; le flux et le reflux ont tout usé, et le clocher qui avait arrêté des nuages n’accroche même plus aujourd’hui la quille d’une barque.

Photo extraite du Journal du Dimanche Voir article ici

Nous étions garés sous la flèche rouge, (image de droite) et, en effet, l'on voyait bien comment la falaise grignotait la ville peu à peu. (image de gauche)

Depuis la catastrophe du bas village, tout le Bourg-d’Ault s’est réfugié sur la falaise. De loin tous ces pauvres toits pressés les uns sur les autres font l’effet d’un groupe d’oiseaux mal abrité qui se pelotonne contre le vent. Le Bourg-d’Ault se défend comme il peut, la mer est rude sur cette côte, l’hiver est orageux, la falaise s’en va souvent par morceaux. Une partie du village pend déjà aux fêlures du rocher.
Ne trouves-tu pas, chère amie, qu’il résulte une idée sinistre de ce village englouti et de ce village croulant ? Toutes sortes de traditions pleines d’un merveilleux effrayant ont germé là. Aussi les marins évitent cette côte. La lame y est mauvaise ; et souvent, dans les nuits violentes de l’équinoxe, les pauvres gens du Tréport qui vont à la pêche dans leur chasse-marée, en passant sous les sombres falaises du Bourg-d’Ault, croient entendre aboyer vaguement les guivres de pierre qui regardent éternellement la mer du haut des nuées, le cou tendu aux quatre angles du vieux clocher.

Ault : église Saint Pierre (photo wikipédia)
 

Cet endroit est beau. Je ne pouvais m’en arracher. C’est là qu’on voit poindre et monter cette haute falaise qui mure la Normandie, qui commence au Bourg-d’Ault, s’échancre à peine pour le Tréport, pour Dieppe, pour Saint-Valery-en-Caux, pour Fécamp, où elle atteint son faîte culminant, pour Étretat où elle se sculpte en ogives colossales, et va expirer au Havre, au point où s’évase cet immense clairon que fait la Seine en se dégorgeant dans la mer.
Où naît la falaise, la dune meurt. La dune meurt dignement dans une grande plaine de sable de huit lieues de tour qu’on appelle le désert et qui sépare le Bourg-d’Ault, où la falaise commence, de Cayeux, village presque enfoui dans les sables, où finit la dune.

Plage vue du haut de Ault en direction de Cayeux





jeudi 5 novembre 2020

Petit billet d'humeur : Lire c'est boire et manger.

Blinded by books Rick Beerhorst


Je lis dans Le Monde que la Belgique reconfinée laisse les librairies ouvertes et le commentaire suivant :

Non seulement le livre est considéré comme important, mais il figure désormais sur la liste des biens « essentiels », ceux qui permettent d’échapper aux fermetures, au même titre que les magasins d’alimentation, les magasins de bricolage, les jardineries, les papeteries, ou encore les merceries.

Et oui, pourquoi bricoler, jardiner, coudre, serait-il plus important que lire ? On se le demande bien ! 

Eugen Spiro

 Alors j'en reviens à mon bon vieux Victor Hugo :

Lire c'est boire et manger. L'esprit qui ne lit pas maigrit comme le corps qui ne mange pas.

Matthias Stom (1600-1652)

mercredi 4 novembre 2020

Voyage en Picardie/ Pas de Calais : Amiens (2) Les hortillonnages

Amiens : les hortillonnages, promenade en barque Photo Aurélia Frey

Les hortillonnages d’Amiens où l’histoire d’une déception

Les hortillonnages d’Amiens sont des jardins gagnés sur les marais à l’est de la ville. Dès le moyen-âge, l’homme a aménagé cette terre au prix d’un travail constant et a approvisionné la cité jusqu’au siècle dernier. L’acheminement des produits de la terre se faisait en barque à fond plat et aux bords relevés nommées barque à cornet.

Barques à cornet photo Aurélia Frey

  Les hortillonnages s’étendaient sur 300 hectares entrecoupés de 65 km de canaux (rieux) et traversés par la Somme.

De nos jours, il ne reste plus que sept hortillons (maraîchers) qui vendent leurs légumes au marché sur l’eau à Saint Leu.  
Des visites en barque à travers les canaux font le bonheur des touristes (voir ici https://www.somme-tourisme.com/amiens-et-autres-histoires/les-hortillonnages-dedale-de-jardins-sur-leau)

Les hortillonnages d'Amiens

Mais pour mon Amiénois d’origine, (celles qui ont lu son blog En effeuillant le chrysanthème ont reconnu Wens, bien entendu !)  il n’était pas question de jouer au touriste.
« je vais te faire voir les hortillonnages comme je les ai vus dans mon enfance et nous irons au bord des étangs où j’allais pêcher. »
  A nous, la nature  sauvage, le miroitement et le friselis de l’eau sur les étangs livrés à la faune aquatique contrastant avec les jardins bien ordonnés des hortillons regorgeant de fruits et de légumes pimpants, les barques qui passent dans un silencieux clapotis sur les rieux ombragés…

Oui, mais quand l’Amiénois est arrivé dans un lieu connu de lui seul, il n’y avait plus que des barrières, des propriétés privées qui interdisaient l’accès aux étangs privatisés eux aussi ! Force fut d’aller se promener sur le chemin de halage  (goudronné ! entendez-vous bien, l’horreur !)...

Chemin de halage
 

... sur le bord de Somme où la seule barque qui passe est munie d’un moteur de hors bord... Scandale ! Mon Amiénois se souvient que, dans son enfance, les maraîchers manoeuvraient les lourdes barques chargées d'énormes légumes à la force des bras, en poussant sur une perche.

la Somme

... où les étangs ne peuvent que s’apercevoir à travers un trou de verdure.


Plus de promenades sur ces terres boboïsées, rachetées aux maraîchers. Et sur les bords de ces étangs, plus les terrains de pêche de l’enfant de jadis! 

A la place des jardins maraîchers

Et oui,  Sous le pont de Camon, coule la Somme. Vienne la nuit, sonne l’heure, les jours s’en vont, je demeure.... 
Heureusement la cathédrale, elle, est immuable !
(Voir Amiens 1)
 

La Somme vue du chemin de halage
 

Quant à moi, faute de comparaison, j’ai apprécié cette jolie découverte des hortillonnages ou du moins de ce qu'il en reste, la beauté de l'eau et des reflets sur les étangs aperçus de la berge, les jolis ponts incurvés sur les rieux, la courbe de la Somme lente et paisible.

Etang vu du chemin de halage

Rieux et étang vus du chemin de halage

Mais la promenade en barque, je ne l’ai vue qu’à travers les photos de ma fille, Aurélia.  Las! C'est une visite que j'aurais faite volontiers.

Promenade guidée en barque à moteur électrique photo Aurélia Frey
 
Les hortillonnages : Promenade guidée en barque photo Aurélia Frey

Les hortillonnages : Promenade guidée en barque photo Aurélia Frey

Les hortillonnages : Promenade guidée en barque photo Aurélia Frey