Avec L'histoire de l'Histoire de Ida Hattemer-Higgins le lecteur vit une aventure déroutante. Pour comprendre ce roman il faut quitter les sentiers balisés, accepter de se perdre dans un labyrinthe étouffant d'où l'on a l'impression de ne pouvoir s'échapper. Impression pas toujours agréable, déconcertante, mais qui nous permet d'émerger à l'air libre en découvrant le sens du roman. Car celui-ci est une interrogation sur la mémoire, sur la culpabilité aussi, à la fois collective et individuelle. C'est le sens du titre, la petite histoire du personnage nous permettant de rejoindre la grande, l'Histoire collective de l'Allemagne à l'époque nazie.
Une jeune femme se retrouve dans la forêt, près de Berlin, vêtue de vêtements masculins souillés de terre. Elle ne sait plus qui elle est. Son passeport américain porte le nom de Margaret Taub. Comme une automate, elle regagne Berlin et son appartement et reprend ses activités de guide dans la ville où elle fait visiter les hauts lieux du nazisme. Etudiante, elle retourne suivre des cours à l'université. Mais une partie de sa mémoire est occultée en ce qui concerne son passé personnel. Peu à peu des manifestations étranges apparaissent autour d'elle : Les immeubles de Berlin prennent vie, deviennent chair, une femme-faucon, qui n'est autre que Magda Goebbels, la poursuit, les fantômes du passé viennent lui tenir compagnie. Sa souffrance est intense. Elle rencontre parfois des individus qui l'ont connue et qui lui restituent quelques bribes de sa mémoire. Le médecin qu'elle consulte, une vieille femme à la tête démesurée, semble faire partie du cauchemar. Qui est-elle? Que sait-elle sur le passé de Margaret? Pourquoi lui montre-t-elle ce vieux film où l'on voit un enfant surgir d'un lac en flammes?
Le talent de cette écrivain dont c'est le premier roman est grand mais sans concession. Il n'épargne pas le lecteur. D'abord, le fait de ne pas comprendre ce qui se passe pendant la plus grande partie de l'histoire est déstabilisante. Notre esprit cartésien est mis à mal. Ici pas de narrateur omniscient qui vient nous expliquer complaisamment de quoi il s'agit et nous mettre en position de force par rapport au personnage : nous savons, lui pas! Non, Ida Hattemer-Higgins nous place dans la même situation que Margaret. Elle ne sait pas, nous non plus.
La perte de mémoire n'est pas vécue comme une aventure romanesque qui flatte notre sens du mystère mais comme une maladie oppressante, une pathologie terrifiante, génératrice de maux insoutenables. Si bien que nous ressentons par l'intérieur l'étrangeté angoissante de ce qui se passe autour de Margaret. Une vision distordue de la réalité s'impose à nous. L'univers fantastique et effrayant qui l'entoure, nous le vivons nous aussi comme s'il était réel; d'ailleurs, il l'est peut-être? Car la distinction n'est peut-être pas aussi évidente! La frontière entre les deux mondes n'est plus très définie de même que celle entre coupables et victimes. Nous nous raccrochons pourtant à cette certitude confortable mais simpliste, celle de la limite nette et franche entre le Bien et le Mal. Ida Hattemer-Higgins balaie cette idée rassurante d'un revers de main en nous montrant des juifs bénéficiant de "points" dans les camps de concentration pour utiliser les services sexuels de prisonnières réduites à la prostitution.. Nous participons à la recherche de Margaret sur le personnage de Magda, l'épouse de Goebbels, qui a tué ses enfants à la fin de la guerre. Nous rencontrons nous aussi le fantôme de cette mère juive amenée à se suicider avec ses enfants. Mais qui de ces deux femmes est véritablement coupable ou victime? Pourquoi Margaret subit-elle leur attrait morbide? Peu à peu le puzzle se met en place jusqu'au moment où nous avons tous les morceaux en main, ce qui nous permet de comprendre. L'histoire et l'Histoire se sont rejoints et c'est une libération.
"Elle déclarerait que son égarement était allé très loin et avait occupé une longue période de sa vie. L'important serait de dire - de rentrer dans le rang, dans le doux refuge de ceux qui racontent, sans les déformer, les histoires de leur honte".
Maintenant si vous me demandez si j'ai aimé ce roman, je vous répondrai que je l'ai admiré mais que ce n'est pas une lecture aisée. La métaphore n'y est pas toujours évidente. Parfois, l'on éprouve comme l'héroïne le besoin de s'échapper et j'ai eu souvent envie de fermer le livre avant la fin de cette quête douloureuse. Le fait de ne pas l'avoir fait prouve que le talent de l'écrivain est réel et je suis heureuse d'avoir pu conduire ma lecture jusqu'au bout mais... non sans mal!
Quelques extraits :
Une jeune femme se retrouve dans la forêt, près de Berlin, vêtue de vêtements masculins souillés de terre. Elle ne sait plus qui elle est. Son passeport américain porte le nom de Margaret Taub. Comme une automate, elle regagne Berlin et son appartement et reprend ses activités de guide dans la ville où elle fait visiter les hauts lieux du nazisme. Etudiante, elle retourne suivre des cours à l'université. Mais une partie de sa mémoire est occultée en ce qui concerne son passé personnel. Peu à peu des manifestations étranges apparaissent autour d'elle : Les immeubles de Berlin prennent vie, deviennent chair, une femme-faucon, qui n'est autre que Magda Goebbels, la poursuit, les fantômes du passé viennent lui tenir compagnie. Sa souffrance est intense. Elle rencontre parfois des individus qui l'ont connue et qui lui restituent quelques bribes de sa mémoire. Le médecin qu'elle consulte, une vieille femme à la tête démesurée, semble faire partie du cauchemar. Qui est-elle? Que sait-elle sur le passé de Margaret? Pourquoi lui montre-t-elle ce vieux film où l'on voit un enfant surgir d'un lac en flammes?
Le talent de cette écrivain dont c'est le premier roman est grand mais sans concession. Il n'épargne pas le lecteur. D'abord, le fait de ne pas comprendre ce qui se passe pendant la plus grande partie de l'histoire est déstabilisante. Notre esprit cartésien est mis à mal. Ici pas de narrateur omniscient qui vient nous expliquer complaisamment de quoi il s'agit et nous mettre en position de force par rapport au personnage : nous savons, lui pas! Non, Ida Hattemer-Higgins nous place dans la même situation que Margaret. Elle ne sait pas, nous non plus.
La perte de mémoire n'est pas vécue comme une aventure romanesque qui flatte notre sens du mystère mais comme une maladie oppressante, une pathologie terrifiante, génératrice de maux insoutenables. Si bien que nous ressentons par l'intérieur l'étrangeté angoissante de ce qui se passe autour de Margaret. Une vision distordue de la réalité s'impose à nous. L'univers fantastique et effrayant qui l'entoure, nous le vivons nous aussi comme s'il était réel; d'ailleurs, il l'est peut-être? Car la distinction n'est peut-être pas aussi évidente! La frontière entre les deux mondes n'est plus très définie de même que celle entre coupables et victimes. Nous nous raccrochons pourtant à cette certitude confortable mais simpliste, celle de la limite nette et franche entre le Bien et le Mal. Ida Hattemer-Higgins balaie cette idée rassurante d'un revers de main en nous montrant des juifs bénéficiant de "points" dans les camps de concentration pour utiliser les services sexuels de prisonnières réduites à la prostitution.. Nous participons à la recherche de Margaret sur le personnage de Magda, l'épouse de Goebbels, qui a tué ses enfants à la fin de la guerre. Nous rencontrons nous aussi le fantôme de cette mère juive amenée à se suicider avec ses enfants. Mais qui de ces deux femmes est véritablement coupable ou victime? Pourquoi Margaret subit-elle leur attrait morbide? Peu à peu le puzzle se met en place jusqu'au moment où nous avons tous les morceaux en main, ce qui nous permet de comprendre. L'histoire et l'Histoire se sont rejoints et c'est une libération.
"Elle déclarerait que son égarement était allé très loin et avait occupé une longue période de sa vie. L'important serait de dire - de rentrer dans le rang, dans le doux refuge de ceux qui racontent, sans les déformer, les histoires de leur honte".
Maintenant si vous me demandez si j'ai aimé ce roman, je vous répondrai que je l'ai admiré mais que ce n'est pas une lecture aisée. La métaphore n'y est pas toujours évidente. Parfois, l'on éprouve comme l'héroïne le besoin de s'échapper et j'ai eu souvent envie de fermer le livre avant la fin de cette quête douloureuse. Le fait de ne pas l'avoir fait prouve que le talent de l'écrivain est réel et je suis heureuse d'avoir pu conduire ma lecture jusqu'au bout mais... non sans mal!
Quelques extraits :
"La ville s'était faite chair. Quand Margaret se réveilla, le stuc et le bois avaient laissé place à une peu humaine(;;)En sortant de son immeuble, Margaret leva les yeux vers le ciel et découvrit les façades de chair....
Les murs palpitaient et l'épiderme dont ils étaient revêtus était si tendu qu'il semblait recouvrir un foetus géant où d'immenses organes plongés dans un silence regorgeant de vie, à moins qu'il ne s'agit plutôt de millions de muscles frémissants."
"-je crois que je suis attirée par eux;
- Excusez-moi lança le médecin d'une voix claironnante, mais de qui parlons-nous? Par quoi êtes-vous attirée?
Les joues brûlantes, la tête baissée, Margaret parla sans regarder la vieille femme. Son vertige s'aggravait, mais son seul espoir était de se dévoiler. Elle devait révéler le fonctionnement de son esprit, même si cela devait la conduire en enfer.
-Par la... par eux. (Les nazis). Quand je lis leurs mémoires ou leurs biographies, il arrive qu'ils me paraissent normaux, et souvent ingénieux. Je m'imagine qu'ils sont mus par un sentiment qui n'est pas sans noblesse.
Le médecin se mit à rire. Margaret était interloquée.
- Camarade, nous voudrions tous que le mal soit simple et stupide, mais il est flexible et intelligent."
"Margaret comprit alors ce qu'est vraiment un fantôme; : la résonance d'une vie. Un fantôme est la vibration intense et profonde d'une pensée bienveillante pour les morts. Chacun peut et doit croire aux fantômes."
Merci à Librairie dialogues et aux éditions Flammarion
Ce livre-là est inscrit sur ma liste de rentrée, les premiers romans américains me font toujours de l'oeil et celui-là me semble particulièrement réussi.
RépondreSupprimerUne belle découverte ! ça me semble un exercice incroyable, qui mérite d'être lu.
RépondreSupprimerça m'a l'air très spécial quand même... J'ai lu avec beaucoup d'attention ton billet mais je ne sais pas trop si je suis tentée...
RépondreSupprimer@ ys; C'est peut-être un a priori mais je pense que c'est un livre qui pourrait te plaire.
RépondreSupprimer@ océane : oui, comme je l'ai dit j'ai eu du mal à poursuivre cette lecture mais cela ne tient pas à la valeur du livre mais à mon ressenti personnel.
RépondreSupprimer@ l'or des chambres; le livre n'étant pas facile, il faut en avoir envie au départ pour le lire.Sinon à quoi bon?
RépondreSupprimerj'ai lu une critique sur ce livre et il m'attirait, le livre n'a pas l'air facile mais le thème lui m'attire beaucoup, c'est une traduction de l'allemand ? je demande ça car je recherche régulièrement de bons romans en langue allemande pour une de mes filles ?
RépondreSupprimerNon, c'est une américaine installée en Allemagne. Le livre est traduit de l'anglais. Si tu le lis, je lirai avec intérêt ton billet.
RépondreSupprimerJe suis partagée à la lecture de ton billet. Tentée, mais seulement jusqu'à un certain point. Il faut bien choisir le moment où l'on accepte d'être bousculée ..
RépondreSupprimerje viens de pulier mon avis !
RépondreSupprimermon avis qui rejoint le tien !