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dimanche 1 septembre 2013

Nuala O'Faolain : On s'est déjà vu quelque part?



On s'est déjà vu quelque part? est le titre que l'écrivaine irlandaise Nuala O'Faolain a choisi pour ses Mémoires afin de devancer, dit-elle, les gens hostiles qui auraient pu dire de moi écrivant sur moi-même : pour qui se prend-elle?
Et de fait son livre a eu un succès international et elle a reçu, à sa grande surprise, de nombreux témoignages d'affection, de nombreuses lettres de personnes qui la remercient de parler d'eux-mêmes, de leurs souffrances, de ce qu'ils ont vécu, tant il est vrai que le poète a raison : quand je vous parle de moi, je vous parle de vous. O insensé qui crois que je ne suis pas toi!

Et pourtant, paradoxalement, j'ai eu du mal à entrer dans ce livre et ne me je ne me suis vraiment intéressée que tardivement à ce qu'elle écrit. Je n'ai ressenti de véritable émotion que dans les derniers chapitres.
Pourquoi? Une première réponse tient à mon ignorance de l'intelligentsia irlandaise, de la société intellectuelle dublinoise. A part quelques grands auteurs ou poètes, je ne connais pas la plupart des gens qu'elle présente. Le milieu des médias forment un monde bien à part et je dois à mon inculture mon peu d'intérêt pour les faits rapportés par Nuala O' Faolain et les  gens dont elle parle. Pourtant, quand je connais les personnes dont il est question, je  suis intéressée par les portraits qu'elle présente comme celui de Hudson, en wasp, gentleman glacial et grand père rigide, portrait qui me surprend surtout lorsqu'on connaît un peu la vie du réalisateur et ses frasques alcoolisées avec son ami Boggart..
La deuxième réponse est que j'ai commis l'erreur de lire le livre en fonction de l'éducation que j'ai reçue et du pays dans lequel j'ai vécu et le personnage m'a irritée. Voilà une catholique fervente et même plus,  entièrement coincée par son éducation religieuse, mais qui couche avec des hommes mariés et même avec les maris de ses amies sans aucun état d'âme apparent; cependant elle ne peut employer le terme "amants" sans se sentir humiliée et quand elle parle de ses liaisons, elle utilise l'euphémisme : "je fréquentais". Enfin, voilà une féministe, qui dénonce l'aliénation des femmes et l'oppression terrible qu'elles subissaient à la fois de la part des hommes mais aussi de l'Eglise catholique dans l'Irlande des années soixante mais qui agit et pense en contradiction totale avec ses idées. Hypocrisie? Non! Mais souffrance et poids de l'éducation! Car peu à peu, en découvrant ce qu'elle a vécu et avec elle bien des femmes de ce pays, j'ai  mieux compris ces contradictions et j'ai fini par avoir de l'empathie avec le personnage, par comprendre sa souffrance. La manière dont elle parle de sa solitude, de son impossibilité de mener une liaison durable, de ses regrets de ne pas avoir d'enfants, est bouleversante.
Nuala O' Faolain est née à Dublin en 1940, la deuxième d'une fratrie de neuf enfants dans une famille divisée. Le père, célèbre journaliste,  inconstant, léger et irresponsable, est indifférent envers ses enfants, les délaisse et oublie même le prénom des derniers. Sa mère, une femme intelligente, lectrice assidue, humiliée par son mari, incapable d'assumer toute seule des charges aussi lourdes, sombre dans l'alcoolisme. De cette enfance, on le comprend, naît un sentiment de dévalorisation, de solitude, un vide que rien ne peut combler. Nuala est alcoolique tout comme certains membres de sa fratrie. Les enfants O' Faolain pour la plupart ne s'aiment pas!  Elle ressent un grand besoin d'être aimée pour cette raison. Féministe, elle cherche l'amour, tout en étant persuadée qu'elle ne le mérite pas, auprès d'hommes qui la font souffrir et l'humilient à l'occasion, reproduisant ainsi le schéma vécu par sa mère. Toute sa vie, elle a dû lutter pour se libérer de ce sentiment.
De plus, alors que je lui reproche ses euphémismes, son livre fait scandale dans le pays et même auprès de sa propre famille et certains de ses amis lui tournent le dos. Elle est la première à oser une dénonciation aussi franche de l'église irlandaise, de l'oppression sexuelle, du déni du corps, de l'infériorisation de la femme.* Son livre provoque une catharsis et est vécu comme une véritable libération.


*(certes, la France a la même époque avait aussi bien des progrès à faire en ce qui concerne la condition de la femme, l'égalité, la liberté sexuelle mais il n'y avait pas une telle emprise de l'église et la violence était moindre. Enfin, tout est relatif!)

Sylire et Lisa

23 commentaires:

  1. Contrairement à toi, je suis entrée dans ce livre facilement et j'ai beaucoup aimé cette plongée dans la société irlandaise (dans laquelle je n'aurais pas aimé vivre ! même si nous n'étions pas très bien loties non plus comme tu le soulignes, le poids de l'église catholique était déjà moindre). Je me suis promis relire l'auteure, ce que je n'ai pas encore fait.

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    1. C'est vrai. j'ai eu du mal pour adhérer à ce livre et surtout à cette femme qui m'a souvent irritée.

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  2. C'est une auteure bcensee par la presse et que j'ai lu à deux reprises mais avec qui je suis restée en retrait , je ne suis pas parvenu à réellement m'intéresser à sa vie

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  3. j'avais aimé mais moins que son roman "Chimères".

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    1. C'était le premier livre que je lisais d'elle; même si je n'ai pas apprécié pleinement,je ne le regrette pas ne serait-ce que pour sa peinture de la condition féminine en Irlande et de l'horrible poids de l'église catholique.

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  4. elle a connu une existence riche et mouvementée dont le roman rend bien compte. Mais j'ai trouvé l'ensemble plutôt brouillon, quelquefois incohérent, et je ne me suis pas vraiment intéressée à ce personnage.

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  5. J'ai beaucoup aimé ce livre et tu peux retrouver ma chronique il y a quelques années ainsi que le très bon aussi "J'y suis presque". Une femme courageuse et une auteure passionnante.

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    1. Je lirai ta chronique. OUi, une femme courageuse mais ses contradictions m'ont irritée.

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  6. Je l'ai lâchement abandonné, je me suis ennuyée...

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    1. J'ai vu! par contre tu as trouvé un roman de "substitution" qui a l'air passionnant.

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  7. Je n'ai jamais été bouleversée par cette femme alors que son parcours avait tout pour me toucher.

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    1. Oui, sa vie est très éprouvante; je n'ai ressenti de l'émotion qu'à la fin quand elle parle des enfants qu'elle n'a pas eu.Sinon, j'ai été un peu comme toi pendant de nombreuses pages.

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  8. @Claudialucia : Ce livre n'a pas fait l'unanimité et c'est vrai que la première partie est un peu anecdotique mais c'est une histoire bouleversante et je salue le courage de cette femme d'avoir eu le courage de se livrer ainsi.

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    1. C'est bien qu'elle se soit livrée ainsi pour faire évoluer la situation de la condition féminine dans cette Irlande rigide où la femme n'avait aucun droit.

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  9. Comme je le disais sur blog de titine, j'avais bien aimé le début contrairement à toi. Et dès que je trouve du temps, je reprendrai bien cette lecture que j'ai interrompu pour une raison quelconque... PS : J'en suis à la moitié de l'affaire Jane Eyre...

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    1. Oui, j'ai eu assez de difficulté pour m'intéresser à ce livre même si je trouve intéressant ce qu'elle dit sur la condition féminine.

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  10. Je pense que Nuala O'Faolain est consciente de ses contradictions qui sont imputables à son éducation et à cette grande envie d'en faire fi. Elle a le mérite d'avoir "déchiré" quelques tabous et à travers ses confessions elle devient la voix de nombreuses irlandaises de sa génération.

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    1. Elle en est consciente et elle l'exprime d'ailleurs très clairement au moment où je commençais à fulminer devant son attitude incohérente : elle fait le contraire de ce qu'elle pense! Mais elle analyse bien pourquoi!

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  11. Quand on a subi une éducation catholico-irlandaise-alcoolique (pléonasmes ?), on la comprend mieux certes mais moi qui ai subi une éducation catholique tradi française, je vois très bien ce qu'elle veut dire ! J'avais adoré son roman Best Love Rosie, largement inspiré de sa vie et du rapport à la mère. Et qui n'a pas de contradictions ??? ;)

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    1. certes, mais tout le monde n'exprime pas ses contradictions à longueur de romans! Mais j'ai bien compris ce qu'elle voulait dire!

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  12. J'avais été très touchée par cette autobio et je crois justement parce qu'elle s'y montre dans ses contradiction et sans pudibonderie, en femme libre mais avec les erreurs, l'excès qu'un besoin de liberté peut entraîner.

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