Quand j'ai commencé à lire La petite communiste qui ne souriait jamais je savais que j'allais trouver dans ce livre de Lola Lafon une critique en règle du régime communiste et de Caescescu. Il faut dire que le titre semble très orienté, et je m'énervais à l'avance à l'idée que, bien sûr, l'auteur allait donner une grande leçon à ces dictatures de l'Est quant à la pratique du sport et au manque de liberté individuelle au nom de nos démocraties parfaites, bien entendu! Comme si nous étions sans reproche!
Je m'énervais donc mais.. j'avais envie d'en savoir un peu plus sur cette gymnase roumaine éblouissante, Nadia Comaneci, cette petite fille exceptionnellement douée qui était une des grandes sportives de ma jeunesse, une comète fulgurante qui a révolutionné toute la pratique de la gymnastique dans le monde. Je savais aussi que, après avoir été adulée, Nadia avait été traînée dans la boue, moquée et méprisée parce qu'elle était devenue femme et n'avait plus un corps de jeune fille impubère. Et c'est pourquoi j'ai profité du livre voyageur de Franzoaz que je remercie ici pour découvrir cette histoire. J'ai apprécié la richesse des réflexions de Lola Lafon et son esprit critique aiguisé. Un titre complaisant, donc, mais pour un contenu qui ne l'est pas.
Nadia Comaneci aux jeux olympique de Montréal 1976 |
C'est à l'âge de 14 ans que Nadia Comaneci entre dans la légende aux jeux olympiques de Montréal en 1976 en pulvérisant le record de notes données jusque-là, ce qui détraque les ordinateurs. Depuis l'âge de 7 ans, elle est entraînée avec quelques autres petites filles par Bela et Marta Karolyi dont les méthodes drastiques sont à la limite du supportable. Il n'y a aucun jour de congé pour les jeunes athlètes qui ont des journées d'entraînement très chargées. L'obsession du poids est telle que les fillettes sont mises au régime et sont toujours affamées. Elles doivent prendre des laxatifs avant la pesée, subissent des traitements médicamenteux, doivent concourir malgré leurs blessures. La domination de l'entraîneur sur ces enfants est totale, son emprise psychologue aussi et il peut se montrer brutal. Certaines d'entre elles dont Nadia essaieront de se suicider. Et, bien sûr, celles qui ont des accidents et deviennent handicapées à vie au cours de ces exercices périlleux tombent dans l'oubli. Tout ce travail, cet excès de fatigue, ces privations, ces souffrances pour aboutir … à la perfection, à un sport (un art?) aérien, qui paraît aisé, qui défie les lois de la pesanteur. Toute cette beauté servant la propagande communiste et affermissant la dictature de Ceauscescu.
Le livre de Lola Lafon n'est pas vraiment une biographie puisque l'auteur s'autorise la fiction pour combler les lacunes mais elle s'appuie sur des recherches fouillées et, ce qui n'est pas banal, elle reste en contact avec Nadia pendant toute la rédaction du livre. Elle fait part dans son livre des remarques de Nadia et de son désaccord éventuel. C'est facile, en effet, de traiter Nadia de "robot communiste" quand on sait que, dès l'enfance, celle-ci a été coulée dans un moule, soumise à la volonté des adultes et que, pendant la même période, la France accueillait le dictateur Ceauscecu les bras ouverts (comme elle l'a fait pour Kadhafi!)! L'histoire s'écrit ainsi devant les yeux de la principale intéressée qui réagit avec beaucoup d'intelligence mais aussi parfois et forcément avec subjectivité.
Au début, Lola Lafon a une idée très précise de ce qu'elle veut dénoncer à travers la vie de Nadia Comaneci dans les pays communistes : la privation de liberté, la pratique sans morale du sport, la maltraitance de l'enfance, l'exploitation des sportifs de haut niveau à des fins de propagande. Après les recherches qu'elle mène sur la vie de Nadia Comaneci et sur Bela Karolyi, son entraîneur, après la consultation des archives, les rencontres qu'elle fait en Roumanie, et ses conversations avec Nadia, elle s'aperçoit de la complexité du problème et de l'attitude ambiguë des pays occidentaux qui n'ont pas fait mieux dans ce domaine…
Voilà l'incroyable éditorial du Los Angles Times en 1979 :
Nous pouvons envoyer un homme sur la lune mais nous sommes incapables de faire évoluer une petite fille sur une poutre! Il est temps que ce pays sache produire des gymnastes qui montrent la force inhérente à notre fibre nationale. Etant donné que nous ne bénéficions pas de centres de formations nationaux de haut niveau de subvention par l'Etat, il faut trouver ce que nous pouvons emprunter à la méthode roumaine.
Voilà l'incroyable éditorial du Los Angles Times en 1979 :
Nous pouvons envoyer un homme sur la lune mais nous sommes incapables de faire évoluer une petite fille sur une poutre! Il est temps que ce pays sache produire des gymnastes qui montrent la force inhérente à notre fibre nationale. Etant donné que nous ne bénéficions pas de centres de formations nationaux de haut niveau de subvention par l'Etat, il faut trouver ce que nous pouvons emprunter à la méthode roumaine.
Et c'est pourquoi les Etats-Unis utilisent les services de Béla Karolyi lorsque celui fuit son pays. Il entraînera les sportives américaines avec les mêmes méthodes qu'en Roumanie!
Notons aussi l'attitude scandaleuse de la fédération française de gymnastique en 1979 :
Notons aussi l'attitude scandaleuse de la fédération française de gymnastique en 1979 :
"les responsables s'inquiètent, après la retransmission télévisée des championnats d'Europe à Strasbourg, des nombreuses chutes graves des gymnastes car "celles-ci donnent une mauvais image de notre sport". En accord avec la chaîne, il est convenu "de moins se focaliser sur les incidents" lors de la diffusion des prochaines compétitions."
Voilà enfin la réponse de Nadia quand Lola Lafon accuse la gymnaste d'avoir servi la propagande communiste :
A travers vous, le pouvoir faisait la promotion d'un système. La réussite totale du régime communiste, l'apothéose de la sélection : l'enfant douée, belle, sage et performante.
Nadia (rire agacé)
Ah! Oui! Bien entendu! Les roumains vendaient le communisme. En revanche, les athlètes français ou américains ne représentaient aucun système, aucune marque!!"
Nadia (rire agacé)
Ah! Oui! Bien entendu! Les roumains vendaient le communisme. En revanche, les athlètes français ou américains ne représentaient aucun système, aucune marque!!"
La morphologie de Nadia Comaneci a changé; la presse se déchaîne contre elle |
Quant aux méthodes employés par Karolyi, que dire si ce n'est qu'il y avait un consensus pour qu'il en soit ainsi : A partir de Nadia Comencini, le monde entier, des pays communistes aux pays occidentaux, ne voulait plus que des petites filles pour gymnastes. Ce sont donc des enfants que l'on formait pour la gymnastique, des fillettes "trop vieilles pour être jeunes" selon la formule de Lola Lafon. Les réactions de la presse internationale sont d'ailleurs tout à fait écoeurantes et montrent quels fantasmes malsains suscitait le corps enfantin de Comaneci et quel mépris de la féminité cela impliquait comme en témoigne l'article de l'éditorialiste du Guardian :
" Chère Nadia; Tu étais mmmmm quand tu faisais ce geste de la main à la fin de ton exercice au sol. Mon chaton mécanique. Aujourd'hui Nadia, elle a dix-huit ans, elle porte un soutien-gorge et doit se raser les aisselles."
Ce geste de la main |
Lola Lafon évolue ainsi vers une réflexion sur les pratiques sportives de l'époque qui ne concerne pas seulement la Roumanie, pays communiste, mais implique nos pseudo-démocraties!
Elle nous invite à réfléchir sur la notion de liberté. Est-ce qu'on a forcé Nadia à faire cela? Elle le nie. Elle réfute le terme que Béla emploie à son sujet : "dressée". Elle revendique sa liberté, sa volonté inflexible d'aller jusqu'au bout, d'atteindre la perfection, la satisfaction du travail bien fait, le bonheur d'être reconnue entre toutes les autres : "c'est un contrat qu'on passe avec soi-même, non une soumission à un entraîneur."
Et puis d'ailleurs qu'est-ce que la liberté? Les gymnases américaines étaient-elles plus libres que les roumaines lorsqu'il leur fallait s'endetter auprès de sponsors pour payer leur entraînement et ainsi travailler jusqu'à l'épuisement, prendre tous les risques pour pouvoir rembourser leurs dettes alors qu'en Roumanie l'entraînement était pris en charge complètement par l'état ?
Qu'est-ce que la liberté, enfin? Les femmes des années 70 l'étaient-elles vraiment? Nadia n'a-t-elle pas ouvert une autre chemin pour les fillettes du monde entier?
"Vous avez décrassé le futur et ravagé le joli chemin rétréci qu'on réserve aux petites filles, je voudrais dire à Nadia C., grâce à vous les petites filles de l'été 1976 rêvent de s'élancer dans le vide, les abdos serrés et la peau nue."
Il y a pourtant cette prise de conscience de Nadia quand elle lit ce qu'a écrit Lola Lafon sur le destin tragique de la gymnase Véra Caslavsak : On peut être prisonnière en étant apparemment libre?
Et encore ce cri en 1989 : Je rêvais de liberté; j'arrive aux Etats-Unis et je me dis : c'est ça la liberté? Je suis dans un pays libre et je ne suis pas libre? Mais où, alors, pourrais-je être libre?"
Nadai Comaneci émigre aux Etats-Unis en 1989 |
Ce livre propose donc une réflexion riche et complexe qui sait éviter le manichéisme. Si Lola Lafon montre ce qu'était la Roumanie de Ceauscescu et les horreurs du régime, elle met aussi en relief les hypocrisies et la culpabilité du monde occidental.
"... c'est elle qui me revient, la rage de Nadia, parfois, sa peine, lorsqu'elle avait l'impression que je n'écoutais pas ce qu'elle me disait, ce qu'elle appelait mon "arrogance occidentale", ma façon de dépeindre le bloc de l'Est d'une façon caricaturalement grise. Ma stupéfaction embarrassée quand, à Bucarest, j'ai été confrontée aux souvenirs contrastés des uns et des autres alors que je venais prendre note de leurs cauchemars. Les soupirs lassés de Nadia devant ma réticence à accepter que ce système tellement décrié de dressage de gymnastes communistes, l'Ouest l'avait formidablement reproduit dès qu'il avait pu mettre la main sur ses secrets de fabrication.
Merci à Franzoaz pour ce livre voyageur
Tu sais que j'ai aimé ce livre, pour les mêmes raisons que toi. Le spectacle musical de Lola Lafon (c'est-à-dire lecture d'extraits entrecoupés de chansons par elle-même) a été un de mes meilleurs moments cette année.
RépondreSupprimerJe n'ai pas vu le spectacle musical mais j'ai été convaincue par son livre.
Supprimerj'avais négligé ce titre, mais après ton billet je regarderai s'ils ne l'ont pas à la bibliothèque où j'ai été peu assidue depuis que j'ai la liseuse
RépondreSupprimerSinon c'est un livre voyageur de Fransoaz.
SupprimerMais les remarques et commentaires de Nadia Comaneci sont-elles fictives ou sont-elles issues d'un véritable dialogue avec Lola Lafon ? Je crains un peu le genre hybride entre fiction et documentaire...
RépondreSupprimerNon, ce ne sont pas des remarques fictives. Lala Lafon était en contact avec Nadia régulièrement, lui faisait lire ce qu'elle écrivait tout en se réservant le droit d'être libre et d'interpréter selon son point de vue; mais elle nous fait part des remarques de Nadia Comaneci, de ses idées et éventuellement de son désaccord.
SupprimerQuelle bonne critique tu viens de nous écrire. J’ai toujours été fascinée par cette jeune athlète dont plusieurs photos figurent encore à ce jour au Stade Olympique de Montréal. Les québécois ont gardé un respect face à cette jeune athlète qui, on se le rappelle et tu le rappelles aussi, a dû subir un nombre important de séquelles psychologiques, jusqu’à l’anorexie, le suicide... Ces méthodes drastiques d’entraînement des athlètes de haut niveau sont comme un poison mortel qui s’instillent doucement leur psyché jusqu’à les rendre « fous »! c’est d’une tristesse… Je trouve aussi le titre complaisant, mais si je comprends bien il n’enlève rien au contenu. Tu me donnes tellement envie de lire ce livre. ..
RépondreSupprimerMerci! J'ai été agréablement surprise par ce livre car j'avais peur d'un manque d'objectivité. Mais la bonne foi de Lola Lafon est entière, on la voit évoluer et prendre conscience de l'hypocrisie des pays occidentaux et ce qui est fort rare reconnaître qu'elle partait avec des à priori. C'est ce qui est passionnant dans le livre ainsi que les retours de Nadia qui lit des extraits du livre au fur et à mesure.
SupprimerUne jeune athlete qui est restee dans toutes nos tetes. Les methodes actuelles n'en sont pas loin pour certains a travers le monde, c'est malheureux.
RépondreSupprimerOui, je suppose qu'il ya toujours des abus!
SupprimerTrop d'exemples vus, lus ou entendus pour lire le livre qui doit etre tres interessant.
RépondreSupprimerDommage car effectivement le livre est intéressant.
SupprimerJ'avais lu le livre dans le cadre du prix du livre France Inter, j'avoue que c'était mon favori, juste après En Finir Avec Eddy Bellegueule, probablement parce qu'ils avaient en commun de raconter des gens dépossédés d leur identités et de leurs choix, mais qui on su se libérer.
RépondreSupprimerDécidément il va falloir que je le lise cet Eddy Bellegueule dont tout le monde parle tant!
Supprimerun livre intéressant, connaissant de près le milieu de la gymnastique je confirme que TOUS les pays étaient concernés par cette négation de la liberté et du corps féminin, j'ai entendu des entraineurs injurier des gymnastes de 10 ans parce qu'elles avaient pris du poids (en pleine croissance !) j'ai vu des enfants maltraitées, étonnes toi que j'ai toujours refusé qu'une de mes filles intègre le haut niveau !
RépondreSupprimerla gym est un sport parfait pour connaitre son corps pas pour le nier
un bon livre sur le sujet
Ton témoignage est très intéressant et tu as raison de dire que la gym doit être un sport pour connaître son corps pas pour le nier.!
SupprimerParoles et musique de "Sur les quais de Paris" ont ete ajoutes... :-)
RépondreSupprimerD'accord, je viens voir!
RépondreSupprimerIntéressant ce billet! J'ai bien aimé la réflexion que ça amorce.
RépondreSupprimerOui, billet très intéressant et plus qu'il n'en faut pour me convaincre de lire ce roman.
RépondreSupprimerJ'ai lu moi aussi que les dialogues étaient fictionnels . Lola Lafon n'a pas été en contact avec Nadia Comaneci pour écrire ce livre, si j'ai bien compris. Ce qui ne lui enleve pas son intérêt . L'auteur ayant passé son enfance en Roumanie a certainement une analyse intéressante
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