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dimanche 7 décembre 2014

Agota Kristof : Le Grand Cahier




Agota Kristof (en hongrois Kristóf Ágota), née le 30 Octobre 1935 à  Csikvand en Hongrie et est morte le 27 juillet 2011  (à 75 ans) à Neuchatel est une écrivaine, poète, romancière et dramaturge suisse. Elle écrit la plus grande partie de son œuvre en français (sa langue d'adoption, cette langue qu'elle appelle « ennemie ») Wikipédia




Le Grand Cahier est l'histoire de deux jumeaux Klaus et Lucas que leur mère laisse à la campagne, chez leur grand mère, pour leur éviter les bombardements de la grande ville. La grand mère que l'on appelle la Sorcière parce qu'elle est soupçonnnée d'avoir empoisonné son mari est une femme, dure, cruelle, avare. Les enfants vont subir de mauvais traitements d'elle mais aussi de leur entourage. Peu à peu, ils vont apprendre à survivre en faisant des exercices d'endurance pour apprendre à résister aux coups, aux injures, aux abus sexuels dont ils sont les victimes, à la pauvreté et à la faim, à l'omniprésence de la Mort. Ils consignent tout dans le grand cahier qu'ils ont acheté dans la papeterie du village.

La dénonciation de la guerre et les Mozarts qu'on assassine 

 

Le Grand Cahier est une sorte de recueil de toutes les dépravations et les noirceurs des hommes : pédophilie, sado-masochisme, zoophilie, nécrophilie... je crois volontiers Agota Kirstof quand elle dit d'elle-même qu'elle est très pessimiste et voit toujours le côté noir de l'existence. Je n'ai lu qu'un livre qui la concurrence dans la cruauté et les souffrances que l'on fait subir à des enfants, c'est L'oiseau bariolé de Jerzy Kosinski et tous les deux s'inscrivent dans le contexte de la guerre pour la dénoncer et en montrer l'horreur. Il est vrai que lorsqu'on lit Les Bienveillantes de Jonathan Littell on comprend qu'il n'y pas de limites aux actes de barbarie que peut accomplir l'être humain. Il n'y a pas de limites! Alors même si Le Grand Cahier fait frémir et provoque de la répulsion, il m'a fallu le lire. J'ai pensé à ce que nous faisons subir aux enfants à notre époque dans les mines africaines ou dans les usines chinoises pour  avoir des téléphones portables avec la bénédiction des multinationales américaines ou françaises et à notre responsabilité à tous. Nous n'avons pas progressé!

Un style enfantin?

 

Le roman, écrit en français, est étonnant aussi d'un point de vue littéraire. Ecrit dans un style simple, presque naïf, et aussi avec une froideur objective, il fait froid dans le dos car ce n'est pas la naïveté de l'enfance qui apparaît mais le fait que les enfants veulent rester des témoins, comme s'ils n'étaient pas concernés. Une déshumanisation inquiétante commence jusqu'à ce que les jumeaux ne paraissent plus éprouver de sentiments. En même temps, ils développent un sentiment de justice bien à eux, qui n'a plus rien à voir avec la morale des hommes et les lois. La servante qui les abuse et qui considère les juifs comme des bêtes nuisibles l'apprendra à ses dépens.

L'universalité des faits 

 

Un autre aspect du roman est très intéressant. Le récit paraît n'être ancré ni dans l'espace ni dans le temps. Il n'y a, en effet, aucun nom de lieu : Les enfants viennent de la Grande Ville, dans une ferme située à cinq minutes de la Petite Ville. Les majuscules de ces mots pris comme des noms propres montrent bien la volonté de l'écrivaine de situer les faits dans une sorte de no man'sland intemporel. Ainsi est souligné l'universalité des faits, l'horreur de toutes les guerres et pas seulement d'une en particulier, les souffrances que l'on inflige aux enfants à toute époque et partout. Pourtant peu à peu nous ne pouvons douter qu'il s'agit de la seconde guerre mondiale, que les soldats sont des nazis, les prisonniers, des déportés juifs. De plus nous sommes en Hongrie qui accueille les Russes d'abord comme des Libérateurs avant d'être occupée et mise sous coupe. Mais ces précisions ne sont jamais données, c'est nous qui les reconstituons.
Cet aspect du roman est très difficilement adaptable : le réalisateur du en film qui est forcément obligé de choisir puisqu'il doit nous montrer : Voir Wens pour le film.

Le narrateur : Que désigne le "nous"?

 

Se pose aussi le problème du narrateur : la première personne du pluriel est toujours employée. Le pronom "nous" désigne bien sûr les jumeaux mais Qui écrit? Le style ne varie jamais, aucune personnalité  différente ne se révèle à travers le récit, si bien que le "nous" semble désigner une entité. Les deux sont si rigoureusement semblables qu'ils n'en forment qu'un.  Et s'il n'y avait qu'un enfant qui se projette dans un double imaginaire pour se réconforter, se consolider?  Une autre interprétation est possible : à la fin, lorsque les jumeaux se séparent, l'un part en exil, l'autre reste au pays. j'ai pensé qu'ils représentaient symboliquement les deux facettes de l'auteure qui a eu, elle aussi, la possibilité de rester en Hongrie mais à choisi l'exil, ce qu'elle a toujours regretté. Le thème du départ, de l'exil, du déchirement, de la perte d''identité est récurrente dans toute son oeuvre et elle a avoué avoir toujours regretté d'être partie.

Un roman riche, complexe mais aussi éprouvant. Le film n'arrive pas à rendre cette richesse.


 Enigme 104

Félicitations à : Aifelle,  Eeguab, Dasola, Keisha, Miriam,  Thérèse, Valentyne
La réponse est : 
Le roman : Agota Kristof
Le film Le grand cahier de Jonas Szazs

12 commentaires:

  1. Chic j'ai gagné! Toutefois les cruautés, l'horreur de la guerre, cela me fait peur

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  2. Je l'ai lu il y a une éternité ! j'en ai gardé un bon souvenir, malgré le sujet. J'aimerai bien voir le film !

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  3. Les deux tomes suivants sont aussi très intéressants (très éprouvants aussi)

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  4. Au début de ton billet, je pensais justement à "l'oiseau bariolé" lu à une vingtaine d'années, j'en frémis encore. Je n'ai jamais pu me résoudre à lire la trilogie d'Agota Kristof, peut-être parce qu'on ne peut pas le faire en se disant que c'est de l'histoire ancienne. Elle est plus actuelle que jamais comme tu le soulignes.

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    1. L'oiseau bariolé est un livre qui nous plonge dans l'horreur, Agota Kristof n'est pas en reste! Et quand je vois ce que l'on fait subir aux enfants de nos jours, je trouve cela d'autant plus affligeant, tu as raison!

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  5. Il est toujours diifficile de lire de pareils ecrits lorsqu'on y assimile des ressemblances et lorsqu'on se rend compte de la souffrance que des individus peuvent endosser.
    Il est de ces livres que l'on lit une fois mais rarement deux fois comme il y a des films que l'on voit une fois mais non deux comme "Voyage au bout de l'enfer" ou d'autres.
    Merci pour cette reflexion.

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  6. J'ai u la trilogie il y a très longtemps et j'ai des images encore très présentes à l'esprit. Tout au long de ma lecture (j'ai lu la trilogie d'une traite) j'étais à la fois dans un état de fascination et de répulsion. Tu as raison sur l'écriture, l'apparente simplicité apporte froideur et horreur. . J'aussi eu l'occasion de voir une adaptation théâtrale d Grand Cahier. Magnifique : un home seul en scène, ne bougeant pas d'un pouce dans un rond de lumière et qui nous a fait frémir par son incarnation des différents personnages. On était complètement dans le roman. Eprouvant, mais génial.

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  7. C'est curieux de dissocier Le grand cahier des deux tomes suivants, parce que ce sont La preuve et Le mensonge qui donne du sens au Grand cahier . En l'isolant, c'est une autre histoire.

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  8. Tu ne chroniques que le premier tome d'après ce que j'ai compris, honnêtement je ne m'attendais pas à ce que ce soit autant ciblé sur la souffrances et les sévices faits aux enfants! Ca me refroidit un peu je dois dire, je m'attendais à une trilogie qui avait une portée davantage universelle (sur la littérature, l'exil etc...). j'attends ta chronique des deux autres volumes pour me faire mon idée.
    Belles fêtes à toi

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