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mardi 30 juin 2015

Virginia Woolf : Lappin et lapinova





Lappin et lapinova est une nouvelle de jeunesse de Virginia Woolf. Elle la publia en 1939 après l’avoir revue mais elle avait été écrite une vingtaine d’années auparavant.

Tout commence par le mariage, à Londres de Ernest Thorburn et Rosalind et se poursuit pendant la lune de miel à l’hôtel. Remarquant que son mari fronce le nez comme un petit rabbit, Rosalind le surnomme Lappin et lui, très épris, surenchérit en l’appelant Lapinova. Les deux amoureux bêtifient à qui mieux mieux. Roi Lappin et Reine Lapinova sont très heureux. Les jeunes mariés se créent « un univers privé entièrement peuplé de lapins » que personne ne soupçonne mais qui leur permet une connivence particulière et précieuse. Cette merveilleuse complicité aide Rosalind à surmonter les réticences qu’elle éprouve envers sa belle famille.

 Une scène de comédie qui s'assombrit

Ainsi la nouvelle apparaît d’abord comme une scène de comédie, mais elle s’assombrit progressivement. Dans ce vaudeville léger, le couple roucoule tendrement, s’invente des histoires un peu sottes mais qui les enchantent. Tous les deux sont finalement très sympathiques bien que tendrement ridicules. Mais une phrase inquiétante se glisse au milieu de cette béatitude et pose un jalon pour le dénouement :
Ils étaient très heureux. Mais ce bonheur là, se demandaient-ils*, il y en a pour combien de temps? Et chacun répondait d’après son expérience personnelle. »
* (les clients de l’hôtel)

Un regard critique sur la société

Sous cette apparente gentillesse, et malgré l’indulgence de l’écrivaine pour ce couple d’amoureux, Virginia Woolf ne laisse pas d’être désenchantée. Elle porte un regard critique et lucide sur la société. Si Rosalind est orpheline, c’est pour mieux la confronter à la grande tribu des Thorburn, dix enfants et des ancêtres. D’ailleurs Rosalind n’a pas de nom de famille comme pour montrer son insignifiance et nous ne la connaissons que sous son nom de femme mariée - Mrs Ernest Throburn- . Elle perd même son prénom comme si elle n’avait plus d’individualité propre. Elle est décrite au lecteur comme "une goutte d'eau" au milieu de cette famille, ou "un glaçon" en train de se "liquéfier" : on la faisait fondre, se répandre, se dissoudre dans le néant". Avec ses"yeux à fleur de tête", elle ressemble bien à un petit lapin sans défense.
L’ironie de l’écrivaine se manifeste régulièrement face à cette famille imbue d’elle-même, snob, réactionnaire et collet monté. Elle est à son comble quand Rosalind dans sa naïveté croit que l’épithète « prolifique » jetée dans la conversation, s’applique à la famille Thorburn alors qu’elle désigne des lapins. Sous les yeux de Rosalind et grâce à son imagination fertile, chaque membre de la famille Thorburn se métamorphose, dévoilant sa vraie identité et la vérité n’est pas belle à voir sous les apparences :

"Et Célia , la fille célibataire qui fourrait toujours son nez dans les secrets d’autrui, dans les petites choses qu’ils désiraient cacher, c’était un furet blanc aux yeux roses et au museau tout crotté à cause de son horrible manie de fouiller dans la boue et d'en tripoter." 


La brièveté de l'amour

L'écrivaine nous montre la brièveté de l’amour et du bonheur qui ne peut être, affirme-t-elle, qu’éphémère. Elle peint aussi la condition de la femme pour qui l’amour est le seul horizon, enfermée comme elle est dans sa maison sans pouvoir comme l’homme se tourner vers l’extérieur. Lorsque Lappin et Lapinova cessent d’exister c’est pour Rosalind une sorte de mort mais ce que décrit Virginia Woolf, par un glissement de l’image, c’est la mort d’un lapin dans un bois obscur tué par un coup de fusil. C’est la fin d’une imagination romanesque qui tenait lieu de richesse à Rosalind, c’est aussi la fin de la complicité et de l’amour.

7 commentaires:

  1. Ravie d'avoir partagé cette nouvelle découverte avec toi :-)

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  2. je viens de refermer un roman de VW et j'en sors tout à fait ébloui par son talent, comme les grands auteurs on peut les lire à l'infini

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  3. Comme j'aime cette description aussi vivante qu'implacable! Il est temps pour moi de relire ce livre.

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  4. je n'avais jamais entendu parler de ce texte, merci pour la découverte!

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  5. Chez VW dans ses nouvelles, il y a à gratter sous l'apparence. Ce texte est bien sûr dans mon recueil (mais pas lu)

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  6. Ma première expérience de lecture avec Virginia Woolf était un demi échec mais je m'étais promise de re-tenter une lecture avec elle.. Je ne suis pas sûre que ce sera avec ce texte qui ne me tente pas plus que ça... De plus ce ne sont pas les formats nouvelles qui me conviennent le plus :0) Bisous Claudia Lucia, bonne journée ( je viens de recevoir Apnée, les photos sont sublimes !!

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  7. Les textes de jeunesse ne sont pas toujours aboutis mais j'ai l’impression que ceux de Woolf reste intéressant avec des thèmes qui lui tiennent à coeur..

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