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jeudi 2 juillet 2015

Lily Brett : Lola Bensky



Le roman de Lily Brett, paru aux éditions de la grande Ourse et qui a obtenu le prix Médicis en 2014, est en grande partie autobiographique. C’est à travers un personnage fictionnel, Lola Bensky, journaliste assez atypique, que l'auteure nous raconte sa vie. Lola, tout en interviewant les stars du rock à Londres et à New York pour son magazine australien, Rock-Out -nous sommes en 1967- fait part (aux rockers comme à nous, lecteurs) de ses réflexions sur son régime alimentaire, son drame étant d’être trop grosse, et de souvenirs de la Shoah vécus par ses parents! Fille de parents polonais rescapés d’Auschwitch, elle est née dans un camp pour personnes déplacées en Allemagne et a grandi à Melbourne. Mais si ses parents l’aiment, elle a vite réalisé qu’ils n’étaient pas véritablement présents car ils ne sont jamais sortis des camps de concentration, sa mère surtout qui ne peut s’empêcher de revivre sans cesse le passé .

Lily Brett et John Weider, guitariste du groupe Eric Burdon (source)

Si j’ai choisi de lire ce livre, ce n’est pas pour faire un pèlerinage sur les traces de Mick Jagger, Jimi Hendrix, Manfred Mann, Paul Jones, Cher, Jim Morrison et bien d’autres puisque je n’ai jamais aimé le rock (oui, je sais, je suis un anachronisme vivant dans la génération 68)! Mais contre tout attente, pendant la lecture, je me suis intéressée à ces stars que Lili Brett alias Lola Bensky fait revivre d’une manière surprenante dans des interviews pas très orthodoxes et tellement drôles parfois. Elle interroge Jimy Hendrix sur ses bigoudis, aide Barry Gibb a acheté 4 costumes semblables, se lamente sur son poids avec Mama Cass, interroge Cat Stevens sur ses tics de genoux, et se fait voler ses faux cils par Cher! Le ton est nouveau, plein d’humour, inattendue même. Il est aussi plein d’émotion quand elle évoque la courte vie de certains de ces rockers qui se droguaient et priaient pour ne pas mourir vieux.

The Black coat : portrait de Lily Brett par son mari David Rankin
Lily Brett peinte par son mari le peintre australien David Rankin (source)

Si j’ai choisi de lire ce livre, c’est pour rester dans la continuité de mes lectures. Avec Le liseur de Bernhard Schlinck et Automne allemand  de Stag Daggerman je venais de découvrir le sentiment de culpabilité et le mal être des enfants de parents nazis après la guerre. Il m’a paru intéressant de savoir comment les enfants des victimes rescapées avaient vécu eux aussi.
J’avoue que là encore le ton du roman surprend. Les atrocités des camps d’extermination, telle que sa mère a pu la vivre, Lola Binsky les distille entre deux interviews, petites anecdotes que l’on reçoit comme une gifle, au cours d’un bavardage à bâtons rompus ou de la découverte d’un nouveau régime amaigrissant. Cette apparente désinvolture donne encore plus de force à l’horreur. Peu à peu l’on s’aperçoit que toute la vie de Lola est hantée par ces souvenirs qui reviennent obsessionnellement. Elle n’a pas connu les camps mais comme sa mère, elle n’en est jamais sortie.

A quatre ans seulement, Lola savait déjà que les sélections envoyaient les juifs à la chambre à gaz. Elle ignorait ce qu’était le gaz, mais elle comprenait que ce n’était pas bon. Quand elle était rentrée à l’école et qu’elle avait découvert qu’on procédait chaque matin à l’appel, sa première réaction avait été de s’enfuir pour se cacher.
  Les enfants des rescapés des camps de la mort sont tous, nous dit Lily Brett, d’une manière ou d’une autre, perdus dans un brouillard, en proie à des crises de panique, assaillis de maux physiques et de maladies psychosomatiques.

L’absence pouvait occuper la place avec une surprenant intensité. Lola se demandait souvent comment quelque chose qui n’était pas là pouvait se faire aussi présent. L’absence des êtres, notamment. Des oncles, des tantes, des cousins et cousines avec lesquels elle aurait théoriquement dû grandir. Des grands-parents dont elle avait la nostalgie même si elle ne les avait jamais connus. Des questions qui restaient en suspens ou qui n’étaient jamais formulées. Et l’absence de sa mère.
A travers l’autodérision et l’humour, le ton se fait plus grave pendant que l’écrivaine analyse les traumatismes du passé qui l’ont marquée d’une trace indélébile.

Lola ne savait pas qu’elle était liée aux morts par une double couture. Cousue à eux par un fil invisible. Et commençant à éprouver leur poids.
Un roman curieux et décalé, passant du rire à la gravité, parlant du pire avec légèreté, pour mieux nous communiquer la souffrance et la détresse qui ont nourri ces jeunes générations et leurs malheureux parents. Un livre à découvrir!

10 commentaires:

  1. Je n'avais jamais entendu parler... mais ça peut être tentant, surtout si le ton est un peu décalé!

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    1. Oui tout à fait décalé mais sous l'humour, la gravité, la sensibilité!

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  2. Ton parcours de lecture (les conséquences sur les enfants des actions de leurs parents pendant la guerre) est très intéressant. ça me fait penser à un roman de Sylvie Germain, "Magnus", qui développe cette thématique. Je note ces titres (sauf Le Liseur que je connais déjà par le film que j'avais beaucoup aimé).

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    1. Le livre Le liseur est passionnant aussi et avoir vu le film ne le déflore pas! je n'ai pas lu Magnus mais j'ai aimé certains livres de Sylvie Germain.

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  3. Excellente piqûre de rappel, je l'ai noté depuis un bon moment. Je le prends à la bibli dès demain.

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  4. Je sais qu'il est à la bibli, mais j'ai toujours peur avec ce genre de livres, incapable de démêler la fiction du réel, vu que ces vedettes là je connaissais peu (je suis Beatles et ça s'est en gros arrêté là. avec actuellement une régression temporelle vers Bach )

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    1. Moi aussi je les connaissais peu mais ils m'ont intéressée car on découvre - comme le dit Paulina Nourissier , voir ci-dessous- leur humanité, leurs faiblesses, leur angoisse face à la vie. Toujours sous l'humour, l'émotion!

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  5. Bonjour Keisha,
    Je suis l'éditrice de Lily Brett et je connais bien l'auteur. Tout ce qu'elle dit de ces stars du rock qu'elle a connues, les entretiens qu'elle relate - même s'ils sont un peu modifiés pour les besoins d'une fiction - sont fidèles à la personnalité de ces stars. Vous les découvrirez tels qu'ils étaient vraiment, pas seulement des bêtes de scène. Ce sont des portraits d'une humanité et d'une sensibilité rare.
    Bonne découverte.

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    1. Merci pour votre visite.
      Oui et puis il y a aussi l'autre aspect du livre, le personnage de Lola qui est très attachant et le thème des survivants de la Shoah en filigrane et toujours de plus en plus envahissant avec les années qui passent. Pas d'apaisement, pas de rémission!

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