Pages

mercredi 2 novembre 2016

Virginia Woolf La promenade au phare : lecture commune



Dans Le voyage au phare  ou La promenade au phare, Virginia Woolf est au plus proche du roman autobiographique. Elle y raconte, en les transposant, ses souvenirs de la maison Talland House qu'avait louée ses parents à St Yves  en Cornouailles où elle a passé ses vacances pendant dix ans.
Dans ce roman Mr et Mrs Ramsay ont une maison sur l'île de Skye, en Ecosse. Le titre du livre est dû à une promesse faite et non tenue, du moins dans cette première partie, par Mrs Ramsay à son fils James qui rêve d'aller voir le phare.  Car il y a a trois parties dans ce roman. Dans la seconde partie, les vacances à l'île de Skye sont interrompues par la guerre et les deuils, introduisant rupture et déséquilibre dans la vie des personnages mais aussi chez le lecteur un peu dérouté par cette interruption brutale du récit et tiré sans ménagement de l'atmosphère quiète dans lequel il était plongé. Vient ensuite la troisième partie avec le retour à Skye qui rétablit l'équilibre, le voyage au phare enfin devenu possible.

Ile de Skye : Ecosse

Dans l'île de Skye, les parents sont entourés de leurs enfants mais aussi de nombreux invités qui partagent leur quotidien dans lequel le paysage, l'eau, le jardin qui descend vers la mer, apparaissent comme un cadre idyllique esquissé par un pinceau impressionniste.
Idylliques, apparemment, cette nature enjouée et cette femme si belle, Mrs Ramsay, personnage principal du roman. Elle règne dans toute sa splendeur et sa sagesse sur ses enfants et son mari en charmant tous les hommes et les femmes qui composent son entourage. L'écrivain peint avec subtilité et poésie, des personnages sortis d'un tableau de Monet, tout en petite touches délicates et nuancées. Mais lorsque l'on s'approche de près, lorsque l'on pénètre dans la pensée des personnages (car le roman ne raconte pas une histoire mais présente de nombreux points de vue), l'idylle se teinte de mélancolie et d'amertume. Tout n'est pas aussi lisse, aussi lumineux, aussi simple que cela apparaît.
Mrs Ramsay tient à son image de femme belle, sereine, dispensant sa tendresse et ses conseils autour d'elle. Mais elle est intérieurement tourmentée, voire angoissée et dans tous les cas pleine de nostalgie. Elle a toujours conscience de la fragilité du bonheur et de la rapidité du temps qui passe. Il lui faut, de plus, supporter un mari faible et irascible, qui se considère comme un génie mais qui ne serait rien sans sa femme. Celle-ci doit toujours soutenir, réconforter cet homme égocentrique, uniquement préoccupé de lui-même et de sa grandeur intellectuelle, qui s'effondre quand il sent qu'il  atteint ses limites. Il fait régner une atmosphère pesante en infligeant à tous ses conseils et sa prétendue supériorité intellectuelle.
L'autre personnage principal du roman est Lily Briscoe qui est peintre. Ses doutes sur son oeuvre, ses angoisses au moment où il faut choisir un point de vue, un cadrage, une couleur, sont ceux d'une véritable artiste dont la création est douloureuse; elle est certainement le double de Virginia Woolf. Face à Mrs Ramsay qui assume son rôle de mère, d'épouse et de maîtresse de maison, elle incarne l'artiste qui défend son indépendance; elle reste célibataire pour se consacrer à son oeuvre. Ainsi Woolf  ne voulait pas d'enfants qui l'aurait détournée de la création. Car l'art seul, pour elle, donne un sens à la vie. Lily Briscoe crée une oeuvre picturale nouvelle qui contraste avec la mode actuelle de même que  Virginia Woolf  a conscience d'inventer un nouveau genre poétique : "un nouveau .. de Virginia Woolf. mais quoi? Un nouvelle élégie?".

Ce que j'ai éprouvé en lisant ce roman? Comme d'habitude de l'admiration pour le style de l'auteure, pour la nostalgie, la poésie voilée de tristesse de cette première partie, pour la manière dont elle nous fait pénétrer dans les méandres de la pensée, dévoilant les motivations psychologiques les plus complexes. J'aime aussi la signification métaphorique de certains passages : Le mauvais temps prédit par Mr Ramsay qui empêche cette promenade en mer est une préfiguration de la guerre de 1914 et des malheurs qui vont s'abattre sur la famille. La lente dégradation de la maison dans la seconde partie correspond à la désagrégation de la famille et à la guerre qui endeuille le monde. Enfin, la métaphore qui englobe toutes les autres, celle du phare - qui est la lumière - permet à la famille de combler le vide et de reprendre le cours de la vie.

Et puis, il y a ce que j'aime moins dans Virginia Woolf, le milieu qu'elle peint et qui me paraît toujours vide, creux, uniquement préoccupé de sa propre existence, nombriliste même dans les discussions politiques. Le sentiment de supériorité que procurent à ces gens-là la subtilité de leurs pensées et la délicatesse de leur conscience morale m'irrite parce qu'ils le doivent, non comme ils le croient, à leur intelligence supérieure mais à leur aisance financière qui leur enlève le souci de ce qui est matériel.
Je sens d'ailleurs toujours cette affirmation de supériorité intellectuelle et morale chez Virginia Woolf et ses personnages ! Pas vous ?

Mais tout de suite elle se reprocha d'avoir dit cela. Qui l'avait dit? Pas elle; on lui avait tendu un piège pour l'amener à dire quelque chose qu'elle ne pensait pas. Elle leva les yeux de son tricot, rencontra le troisième rayon (le faisceau du phare) et elle eut l'impression que ses yeux étaient à la rencontre d'eux-mêmes, sondaient comme elle seule pouvait le faire, son esprit et son coeur, purifiait en l'annihilant le mensonge. Elle se louait elle-même en louant la lumière, sans vanité, étant sévère, étant pénétrante et belle comme cette lumière.

je suis donc ainsi et toujours partagée quand je lis une oeuvre de Virginia Woolf.

Lecture commune avec 

Tania Ici

Miriam Ici

Nathalie Ici

Et voilà j'ai à nouveau un ordinateur et je vais pouvoir vous lire !

30 commentaires:

  1. Bon courage pour l'ordinateur. J'aime beaucoup ton billet qui me donne envie de relire ce roman (je me souviens que j'avais eu du mal à le lire mais que le passage final avec la peintre m'avait énormément plu).
    Voici le lien vers mon billet au sujet d'Orlando : http://chezmarketmarcel.blogspot.fr/2016/10/rien-netait-visible-ou-lisible-en.html

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci ; Et voilà j'ai à nouveau un ordinateur et je reprends mon blog. Je vais venir te lire aujourd'hui.

      Supprimer
  2. J'en garde un souvenir très fort, je l'ai lu quand j'avais 20 ans, il faudrait que je le relise !

    RépondreSupprimer
  3. Beau qui rend bien justice au roman. Tu as raison pour Briscoe et Woolf. J'ai adoré cette deuxième partie, la maison abandonnée aux éléments (de mémoire). Quant au milieu 'privilégié' hé oui...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Privilégié, oui! Mais ce n'est pas cela qui me gêne, c'est le sentiment de supériorité.

      Supprimer
  4. Je suis partie en we en oubliant et le livre, et mon ordinateur (j'ai de la chance, on ne me l'a pas volé ...). En décalé et en retard pour cette lecture commune, mais je publie courant novembre sans faute !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Le retard n'a aucune importance. Nous viendrons te lire !

      Supprimer
  5. désolée, je suis encore en retard, je viens tout juste de le commencer. J je ne lis pas ton billet tout de suite. j'y reviendrai

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Pas de panique, il faut du temps pour lire ce livre. A bientôt.

      Supprimer
  6. Heureuse de lire ton billet, Claudialucia, le mien paraîtra jeudi. Nous nous rejoignons sur l'importance du personnage de Lily, la peintre, en qui je vois aussi un double de Virginia Woolf, toujours à la recherche de nouveaux moyens de rendre ce qu'elle perçoit.
    Quant à ta dernière remarque sur ce qui te gêne en la lisant, il y aurait beaucoup à dire. L'aisance matérielle ? Les Woolf la gagnent grâce à leur travail (journalisme, conférences, fondation de la Hogarth Press, publications...) et sont loin de mener grand train comme l'aristocratie qu'ils côtoient. Cette conscience de leur classe sociale est celle d'un autre siècle. Se sentent-ils supérieurs ? Oui, intellectuellement parlant. Virginia n'a pas pu faire d'études, mais son père, grande figure de son temps, professeur à Cambridge, a pris soin de sa formation intellectuelle. Ils fréquentent le milieu universitaire, écrivent des articles pour un public cultivé. Tout en oeuvrant politiquement pour le parti travailliste. Je suis frappée aussi par sa volonté d'égaler les hommes sur le plan littéraire, ce qui requiert une forte confiance en soi, au moins affichée.
    A la lecture de son oeuvre, je ne ressens pas ce nombrilisme dont tu parles, mais dans le Journal, je sursaute parfois à certaines observations qui révèlent, comme tu l'écris, un sentiment de supériorité. Rien de "politiquement correct" sous sa plume, mais elle n'épargne pas les nobles non plus (même s'ils la fascinent aussi).

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est bien d'avoir la réponse d'un spécialiste. Tu connais si bien Virginia Woolf!Ce n'est pas la richesse (ou l'aisance)de cette classe sociale qui me gêne. C'est, d'une part, ce sentiment de supériorité qui exclut et d'autre part ce nombrilisme et cette vacuité qui en est la marque.Et ce sont des gens qui ne me touchent pas, qui me laissent indifférente. Je le ressens dans ses romans même si, je le reconnais, Virginia Woolf peut-être critique envers eux. Mais comme tu le dis, elle est aussi fascinée.

      Je ne crois pas que cette conscience de classe sociale soit celle d'un autre siècle. Elle est de tous les temps, y compris de nos jours.

      Supprimer
    2. Contente de lire ta réponse, Claudialucia, merci. Entre temps, je me suis demandé si notre différence de ressenti ne tenait pas aussi à la manière dont nous réagissons à la veine introspective en littérature. Nombrilisme ? Egotisme ? Je serai certainement plus attentive aux aspects que tu critiques en lisant la suite du Journal. (Et je suis loin d'être une spécialiste de V. W., d'autant plus que je ne la lis qu'en traduction.)
      J'espère que tu retrouves peu à peu ton matériel de blogueuse, bonne après-midi Claudialucia.

      Supprimer
    3. Voilà une question à laquelle il faut que je réfléchisse; est-ce que l'introspection en littérature me cause toujours le même malaise? Tu dois avoir raison. C'est vrai que je reproche souvent à notre littérature féminine française actuelle de l'être trop (introspective, sauf exception) et de se regarder le nombril. La forme (le style) passe avant le fond (ce que l'on a à dire). Difficile, en effet, quand on sort d'un milieu privilégié de connaître autre chose que sa propre sphère et de s'ouvrir sur les autres. Cela donne souvent une littérature brillante mais superficielle. C'est pourquoi je préfère la littérature américaine, forte, violente comme la vie elle-même.. enfin quand elle était écrite par des écrivains qui s'étaient colletés avec la vie, avaient exercé différents métiers, n'étaient pas tout droit sortis de l'université (ou de l' ENA en France)... Mais je suis sûre qu'il y a des écrivains qui ont cette veine introspective et que j'apprécie? Je continue à y réfléchir. Et puis j'aime beaucoup la poésie qui n'est pas autre chose finalement. Et d'ailleurs même pour Virginia Woolf, je suis très consciente de son art et de la complexité de son écriture. Mais justement j'analyse trop quand je la lis, je n'éprouve pas !

      Supprimer
  7. De mon côté, je viens de finir Une chambre à soi, première lecture de cette auteure que tu as l'air de bien connaître. Ton étude est très intéressante.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci, je vais venir lire ce que tu as écrit sur Une chambre à soi.

      Supprimer
  8. j'en suis au tiers seulement du Voyage, je le prends, je le quitte, je rame un peu. j'ai été sans doute présomptueuse de le lire en VO, non qu'il soit plus difficile qu'un autre mais il n'y a pas d'histoire pour se raccrocher, comme ma lecture est ralentie j'oublie le contexte, je confonds un peu les personnages et dois revenir en arrière.
    mais je ne désespère pas d'en venir à bout


    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. En VO, je comprends tes difficultés! Déjà qu'en français, il faut s'accrocher!

      Supprimer
  9. J'ai lu ce roman il y a longtemps mais je drevrai le relire car j'avais eu des difficultés pour le lire et j'en avais perdu le plaisir...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. cela me console d'être moins seule.

      Supprimer
    2. Maggie,je te comprends.. On ne peut pas le lire vite mais il ne faut pas le lâcher pour y revenir car on risque de perdre le fil, de ne pas être sous influence.

      Supprimer
  10. Hélas, je n'ai pu me joindre à vous pour cette lecture ! J'espère bien avoir le temps de découvrir ce roman, ce que tu en dis ne fait que conforter mon envie de le lire !
    Bon we :-)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est dommage mais je suis sûre que tu le liras un jour!

      Supprimer
  11. avec 9 jours de retard! enfin mon billet est terminé

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bravo! et en anglais en plus! je vais venir te lire.

      Supprimer
    2. @ Miriam : N'arrivant pas à poster un commentaire sur ton blog, je me permets de te le mettre ici.
      J'admire ta lecture de V. Woolf dans le texte original, malgré les difficultés, et les illustrations choisies.
      Lily nous intéresse apparemment davantage que Mrs. Ramsay, toute à son rôle d'épouse et de mère. Mais Vanessa, la sœur de V., avait été bouleversée de reconnaître leur mère dans ce roman.
      Si l'art de la traduction t'intéresse, voici un lien vers une traductrice des "Vagues" qui explique son cheminement, je l'ai suivie pendant un certain temps :
      http://christinejeanney.net/spip.php?rubrique29

      Supprimer
    3. Bizarre que tu n'accède pas aux commentaires sur mon blog. merci pour le lien. Je ne crois pas que je vais lire vagues de si tôt: ma mère est en train de le lire et elle éprouve les mêmes difficultés à s'accrocher que dans la Promenade au Phare, on en a parlé et on avait l'impression de lire le même ouvrage.

      Supprimer
  12. J'ai gardé le souvenir d'une grande mélancolie à propos de ce livre lu en 2014. En revanche, je n'ai pas éprouvé ce ressenti de supériorité intellectuelle dans cette oeuvre.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est vrai. Elle parle de son enfance, elle fait allusion à sa mère, c'est très nostalgique.

      Supprimer
  13. J'ai toujours eu du mal à lire V. Woolf mais si il y avait un livre pour la définir et à recommander ce serait sans doute celui-ci à cause des situations décrites vécues par elle et qui nous laissent percevoir son vrai moi, et écrire ainsi dans le contexte de l'époque ne dut pas être aisé,difficulté d'exprimer ses pensées intimes et inutilités de beaucoups de faits qui se passent. Personnellement je te rejoins dans les différences entre la littérature américaine et anglaise et j'ai du mal avec ce genre d'écriture. Je n'ai jamais lu un de ses livres en une fois je dois avouer.

    RépondreSupprimer

Merci pour votre visite. Votre message apparaîtra après validation.