La nouvelle Les secrets de la princesse de Cadignan est parue en 1839 dans Etudes de moeurs, scènes de la vie parisienne. Cette princesse que sa vie fastueuse et dissolue a ruinée, n’est autre que la duchesse Diane de Maufrigneuse, belle et brillante dame de la haute société parisienne, collectionneuse d’amants, croqueuse de fortunes, personnage récurrent de la Comédie humaine.
« La belle Diane est une de ces dissipatrices qui ne coûtent pas un centime mais pour laquelle on dépense des millions."
Pendant que son mari est en exil auprès du roi Charles X, après la révolution de Juillet, la duchesse de Maufrigneuse essaie de faire oublier ses revers de fortune et sa vie scandaleuse en mettant en avant son autre titre, celui de princesse de Cadignan. Elle se retire dans une demeure plus modeste, en réduisant son train de vie, évitant de se produire dans le monde, afin de bien marier son fils… richement s’entend ! Avec l'aide de son amie, la marquise d’Espard, autre grande dame de La Comédie humaine, elle garde un pied à l’opéra et un dans le Faubourg Saint Honoré pour ne pas se faire totalement oublier. C’est grâce à la marquise que la princesse de Cadignan fait connaissance de Daniel d’Arthez, écrivain, qu’elle a décidé de séduire.
Diane de Maufrigneuse |
A travers cette nouvelle, Balzac livre une étude de femmes du monde qui n’ont pour but que d’être admirées et de briller en société. Proches de la quarantaine - Diane a trente-sept ans- toutes deux sont bientôt à l’âge où les femmes cessent de plaire et comme le dit Balzac assez méchamment :
« En voyant venir la terrible faillite de l’amour, cet âge de la quarantaine au-delà duquel il y a si peu de choses pour la femme, la princesse s’était jetée dans le royaume de la philosophie. » ou encore « Elle aima d’autant mieux son fils, qu’elle n’avait plus autre chose à aimer ».
Musset dans Les Caprices de Marianne ne disait pas autre chose à propos de Marianne qui a dix-huit ans : Vous avez donc encore cinq ou six ans pour être aimée, huit ou dix pour aimer vous-même, et le reste pour prier Dieu.. C'est une constante au XIX siècle, donc ce doit être vrai à cette époque ! Mais la princesse confie à son amie qu’elle n’a jamais aimé. Malgré tous les amants qu’elle a eus, elle n’a jamais trouvé un homme qui ne lui inspire pas du mépris. En quête de l’amour et comme elle se juge encore assez belle pour séduire, elle demande à la marquise de lui présenter Daniel d’Arthez.
Michel Chrestien, ami de d'Arthez, membre du cénacle |
C'est la mort de Michel Chrestien, ami de d'Arthez, qui sert de prétexte à la princesse pour se rapprocher de l'écrivain. Personnage récurrent de La comédie humaine, Michel Chrestien est l'un des amoureux transi et respectueux de la princesse de Cadignan à qui il n'a jamais avoué son amour.
Daniel d'Arthez et les membres du cénacle |
Or, il se trouve que l’écrivain Daniel d’Arthez, homme de génie, rendu célèbre par ses écrits, fortuné après avoir hérité de son oncle, est une proie facile. Consacrant sa vie à l’étude et l’écriture, n’ayant pour maîtresse qu’une femme « banale », « vulgaire » (il faut voir le dédain de Balzac pour les femmes du peuple !), Daniel d’Arthez est prêt à tout gober même les mensonges les plus criants. Et comme ses amis l’ont mis au courant des aventures et des frasques de la princesse de Cadignan, cette dernière va habilement se refaire une virginité, si j’ose dire, en se posant en victime des racontars et des rumeurs, injustement salie par la méchanceté du monde. Elle va trouver en Daniel son plus fervent défenseur et ils fileront le parfait amour ! Oui, enfin c’est ce que laisse entendre Balzac mais…
La princesse et Daniel d'Arthez de Alcide Robaudi |
Dans cette nouvelle, apparaît l’admiration éperdue que Balzac éprouve pour la femme du monde, un monde de raffinement auquel il aspire. On sait qu’il est criblé de dettes tant il aime le luxe. Il dépense sans compter pour son habillement ou pour meubler et décorer de tentures somptueuses et coûteuses son appartement. Bien au-delà de la beauté, il est en admiration devant la richesse des étoffes des robes et des dentelles, devant la coquetterie, le geste étudié, la voix suave, l’esprit, la distinction et même la morgue de ces grandes dames. Tout lui plaît dans la femme du monde, ravit son goût du luxe et des choses élégantes, aristocratiques. On sait que la duchesse de Castrie a servi de modèle à ces portraits de femmes du Monde (la duchesse de Langeais) et qu’elle a eu avec Balzac, sans fortune et roturier, des relations très tendues.
Alors qui peut avoir servi de modèle à Daniel d’Arthez, cet homme de génie « qui est resté l’enfant le plus candide, en se montrant l’observateur le plus instruit » et qui va être le jouet de la princesse de Cadignan? Qui ? Certes, Daniel d'Arthez est trop idéaliste, trop désintéressé, pour être vraiment le double de Balzac mais qu'en est-il de ses rapports aux femmes ? Et n’est-ce pas pour se venger que l’écrivain brosse un portrait féroce de Diane, un portrait où la plus grande admiration, toujours, se mêle à l’acidité. Il étudie l’art de la princesse de se mettre en valeur, son habileté pour détourner les soupçons et se faire voir comme vertueuse. Il peint une femme froide, fausse, rusée mais intelligente, immensément belle et sûre d’elle et effectivement Balzac nous apparaît bien ici comme "l'observateur le plus instruit" .
« La princesse est une de ces femmes impénétrables, elle peut se faire ce qu’elle veut être : folâtre, enfant, innocente à désespérer; ou fine, sérieuse, profonde. »
Puis, à la fin de la nouvelle, il abandonne les amants en nous laissant croire que la princesse est vraiment amoureuse et que tous deux vivent le parfait amour ? Je n’y crois pas un seul instant, contrairement à ce qui est généralement admis !
En effet, elle se dit amoureuse, mais, jusqu'à la fin, elle ne cesse de le manipuler et confie à la marquise : « Mais c’est un adorable enfant, il sort du maillot ». Une femme qui est décrite comme une excellente comédienne, un femme si calculatrice, si attachée à plaire par tous les moyens, si narcissique, peut-elle être sincère ?
« Ce manège froidement convenu mais divinement joué, gravait son image plus avant dans l’âme de ce spirituel écrivain, qu’elle se plaisait à rendre enfant, confiant, simple et presque niais auprès d‘elle. »
Disons - c'est du moins ce que je pense - que Balzac imagine pour son personnage la fin qu’il aurait souhaité pour lui. Il peint avec brio et férocité une scène de la comédie humaine et combat ainsi, peut-être, l’humiliation qui a été la sienne, lui qui n'a jamais été véritablement admis dans ce milieu qu’il admire tant mais qui ne le considère pas comme un pair ! D’ailleurs je trouve que Balzac se débarrasse du dénouement par une pirouette, légère, certes, mais désinvolte !
« Est-ce une dénouement ? Oui, pour les gens d’esprit; non, pour ceux qui veulent tout savoir. »
Autrement dit, n'allez pas voir plus loin ! Ne fouillez pas trop dans les sentiments !
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Je suis en train de lire un Balzac, Mémoires de deux jeunes mariées, où ces personnages apparaissent (en toile de fond!) , Balzac, quoi!
RépondreSupprimerEt oui, le génie de Balzac, ces personnages que l'on retrouve !
SupprimerJe garde un bon souvenir du texte. En relisant mon billet, je vais que j’avais trouvé que Balzac insiste trop sur les ruses de la princesse (autant pour louer son habileté que pour en dresser un portrait acide), ce qui évidemment crée une confusion dans l’esprit du lecteur. Mais j’avais été touchée par la sincérité du héros et aimé que cette vieille de 36 ans (!) obtienne enfin l’amour.
RépondreSupprimerMoi, je n'y ai pas cru du tout à son amour ! Quelle garce cette femme ! Non pas parce qu'elle a eu des amants mais parce que c'est une menteuse et surtout une manipulatrice. Tous ses gestes sont étudiés, il n'y a rien de sincère en elle.
Supprimerje redécouvre Balzac avec toi, merci!
RépondreSupprimerSi tu veux nous suivre, C'est Maggie qui propose les LC !
SupprimerTu crois que Balzac aimait tant que ça les femmes du monde ? je suis plus partagée que toi
RépondreSupprimerceci dit j'ai beaucoup aimé cette nouvelle comme presque toutes celles que j'ai lu de Balzac
Il ne les aimait peut-être pas mais il les admirait ! Il faut voir le mépris qu'il a pour la femme du peuple ! Sa conception de l'érotisme passe par le luxe.
Supprimerinépuisable Balzac! et terrible avec les femmes. je me joins à la lecture commune
RépondreSupprimerOui, terrible avec les femmes mais pas toutes ! Le pire, pour lui, c'est la vieille fille, celle qui ne sert à rien, ni mère, ni épouse ! La femme du peuple est méprisée ! Mais il est indulgent pour celles, grandes dames, même adultères, qui se perdent de réputation parce qu'elles aiment sincèrement.
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