J’ai lu, dans Télérama, que le livre 2066 de l’écrivain chilien Roberto Bolano était considéré comme l’un des plus importants de la littérature du XX ième siècle. Ni ma bibliothèque, ni ma librairie ne le possédant, j’ai acheté un peu au hasard un autre roman de lui intitulé : Le troisième Reich
Un jeune allemand Udo Berger est en vacances avec sa petite amie, Ingeborg, sur la Costa Brava. Il connaît bien l’hôtel où il descend, sur le Paseo Maritimo, puisqu’il y venait en vacances, pendant des nombreuses années, avec ses parents. Il y a dix ans de cela. Dès son arrivée, il reconnaît Frau Else, la propriétaire de l’établissement, une belle femme qui a provoqué ses premiers émois d’adolescent.
Udo Berger, avec son ami Conrad, est un passionné de jeux de guerre, champion d’Allemagne, et écrit dans les fanzines, gagnant ainsi un peu d’argent pour compléter le salaire qu’il gagne pour un travail qu’il n’aime pas. Dès qu’il arrive dans sa chambre, il se fait installer une grande table pour étendre son jeu et noter les règles et les variantes en vue d’un article.
Udo est très amoureux de la belle Ingeborg et espère que les premières vacances qu’il passe avec elle consolideront leur relation naissante. Mais dès le début, un malaise s’immisce entre eux. Ingeborg aime passer des heures sur la plage alors que lui reste dans sa chambre avec son jeu, se lie avec un couple allemand, Charly et Hanna, fait connaissance de deux espagnols d’une moralité douteuse que Udo surnomme non sans raison Le Loup et l’Agneau. Elle traîne Udo dans des boîtes de nuit, de bar en bar et tous finissent plus ou moins ivres. Charly, surtout, qui semble se débattre avec ses démons. De plus, elle a honte de l’addiction aux jeux de Udo peut-être parce que ce jeu n’est pas anodin. Le troisième Reich met en scène la deuxième guerre mondiale au cours de laquelle Udo (qui représente sans complexe l’Allemagne) cherche à infléchir le cours de l’Histoire en amenant Hitler à remporter la victoire. Il y a aussi Le Brûlé, loueur de pédalos, un personnage énigmatique rendu monstrueux par les cicatrices de ses brûlures sur le visage et le corps. Il parle espagnol mais semble étranger. Chilien, peut-être ? Mais c’est moi qui le suggère. L’on n’en saura rien ! Il restera mystérieux mais il va accepter de se battre contre Udo et contre le troisième Reich.
Udo Berger tient son journal et nous découvrons les faits de son point de vue. Peut-être est-ce pour cela que les personnages nous échappent, que nous ne les comprenons pas vraiment et que le récit est à la fois étrange et inquiétant. Nous ne sommes pas placés du point de vue du narrateur omniscient mais d’Udo à qui beaucoup de choses sont cachées quand il est enfermé dans sa chambre, lui-même prisonnier de ses fantasmes et de ses addictions. Les gens semblent se croiser sans se rencontrer. Le viol, la violence, la domination s’invitent dans les rapports amoureux. Udo est souvent la proie de cauchemars qui débordent dans la vie quotidienne, effaçant les frontières entre le jeu, le rêve et la réalité. Le malaise ne cesse de s’intensifier jusqu’au dénouement tragique pour l’un d’entre eux, et lorsque tout semble résolu, quand le jeu se termine, la vie n’est plus pour Udo qu’une illusion.
« J’ai dit à Conrad que, à bien y réfléchir et pour tout résumer, nous étions tous pareils à des fantômes qui appartenaient à un état-major fantôme s’exerçant sur des plateaux de jeu de guerre. Les manoeuvres à l’échelle. Tu te souviens de Von Seeckt ? Nous avons l’air d’être ses officiers, nous nous jouons de la légalité, nous sommes des ombres qui jouent avec des ombres; »
Faut-il prendre le jeu comme une allégorie de la vie ? Faut-il y voir le combat toujours renouvelé du Mal - symbolisé par les armées et idéaux nazis - , et du Bien, une bataille incessante où l’un ou l’autre gagne et perd tour à tour ? Udo est-il pro nazi ? Le Brûlé a-t-il un intérêt personnel à relever le défi lancé par Udo ?
Le troisième Reich est le second livre écrit par Bolano en 1989 et édité à titre posthume. Ce roman est l’oeuvre d’un grand écrivain. Il ne peut laisser indifférent et laisse libre cours à l’interprétation. On a l’impression de ne pas avoir tout compris, d’avoir été abandonné au milieu d’un non sens et ces personnages fantomatiques nous égarent encore plus ! Parfois on a l’impression qu’il ne se passe rien; de faire du sur place, en proie à un malaise persistant. J’ai rarement senti un tel désabusement, une telle angoisse, un tel désespoir dans une oeuvre !
J’ai lu dans Babelio la critique de Apoapo qui n’a pas aimé le livre. "Songez encore à un jeu de guerre sur plateau, éponyme du roman, qui commence à avoir du poids seulement à partir de la moitié de celui-ci, mais dont il serait vain de chercher des correspondances avec la fabula – c'eût été trop satisfaisant pour le lecteur… - même lorsqu'une liste de plus d'une page (328) de noms et surnoms de généraux nazis (réels ou imaginaires ? je n'ai pas eu le coeur de vérifier…) est jetée en pâture sans suite et sans raison. le déroulement du jeu ne reproduit ni des étapes textuelles (lesquelles ?!) ni celui de la véritable Seconde Guerre mondiale."
Je vous renvoie à son texte ICI
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Chez Je lis je blogue |
Oui, sans doute un grand écrivain, mais je n'ai pas réussi à entrer dans ses livres, 2666 abandonné, une autre aussi. Mais il a ses fans!
RépondreSupprimerJe l’ai lu récemment et j’ai beaucoup aimé. Quel talent pour rendre aussi pesant un livre où foncièrement il ne se passe rien. D’ailleurs contrairement à toi, je ne perçois ni addiction au jeu ni volonté de changer le cours de l’histoire, Ugo me semblant volontairement inconscient des enjeux de son jeu (même si son inconscient et son entourage sont plus circonspects).
RépondreSupprimerJe trouve que les listes de généraux et de batailles du jeu font flirter le roman avec l’uchronie puisque certaines victoires n’ont pas eu lieu.
Je n'ai pas encore lu Bolano mais j'ai un de ses livres dans ma PAL. Comme toi, j'ai lu beaucoup d'articles sur lui et il m'est apparu comme un auteur incontournable. Pour l'instant, j'ai repoussé ma lecture car j'ai cru comprendre que ce n'est pas un écrivain facilement abordable. Nathalie, du blog Mark et Marcel, a beaucoup apprécié Le Troisième Reich. Je crois que c'est un pavé donc je vais commencer plus petit. Merci pour ta participation au Printemps latino. J'ai ajouté le lien au récapitulatif.
RépondreSupprimerTu n'as pas commencé avec son plus facile, mais 2666 ne l'est pas non plus, ne serait-ce que par son nombre de pages !
RépondreSupprimerEntre le désespoir qui émane de ces pages et le fait de ne pas être sûre d'avoir tout compris, je ne me sens guère tentée... peut-être avec un autre titre ?
RépondreSupprimerje passe mon tour, le Troisième Reich comme jeu ou allégorie ne me tente pas du tout. La situation actuelle me désespère assez comme cela. Point n'est besoin d'en rajouter
RépondreSupprimerBolaño me fait assez peur, je ne pense pas me lancer mgrr son statut d'auteur incontournable.
RépondreSupprimerTout comme Kathel ! Je n'ai toujours pas lu cet auteur chilien incontournable, mais plus je lis des avis sur ses oeuvres et moins j'ai l'impression que je me lancerai un jour.^^
RépondreSupprimerJe ne me suis pas lancée dans 2666, en grande partie à cause du nombre de pages ; celui-ci ne me tente guère ; apparemment ce n'est pas un auteur d'un accès facile.
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