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lundi 13 juin 2011

Claude Chevreuil : Les Mémoires de Giorgione (1)

Giorgione : portrait de Ludovisi
Dans les Mémoires de Giorgione, Claude Chevreuil raconte, à partir des quelques données biographiques glanées dans la Vie des meilleurs peintres, sculpteurs, architectes  de Vasari, la vie  du grand peintre vénitien, Giorgio de Castelfranco, plus connu sous le pseudonyme de Giorgione : Le Grand George, l'unique, le seul.
On sait peu de choses sur ce  peintre qui reste, à la fois par sa vie et par ses oeuvres, l'un des plus mystérieux de la Renaissance. D'origine modeste -ses parents sont paysans- il est né près de Venise à Castelfranco, vraisemblablement en 1477. Il est mort de la peste en 1510 au moment où il atteignait la pleine maîtrise de son art à l'âge de 33 ans.
Il vint à Venise très jeune pour devenir apprenti du plus grand maître vénitien de l'époque, Giovanni Bellini. Très doué, il crée son propre atelier où il enseigne à de nombreux élèves et, en particulier, au Titien qui devient vite un rival. 
Laura, une courtisane, a joué un grand rôle dans sa vie et a servi de modèle à la majorité de ses figures féminines. En dehors de Bellini, il a subi l'influence de Léonard de Vinci, de Dürer, peintres qu'il a pu rencontrer à Venise. 
Lui-même a ouvert la porte à une nouvelle manière de peindre. Amoureux du mystère et de l'ésotérisme, il crée un oeuvre  difficile qui présente de multiples possibilités d'interprétations et qui sera appréciée non du grand public, comme celle de son élève Le Titien, mais d'un petit nombre d'amateurs éclairés et érudits.
A partir de ces données, Claude Chevreuil écrit un roman qui redonne vie au Giorgione en comblant par l'imagination les lacunes de sa biographie. Le tout donne un livre intéressant, documenté, où l'invention est toujours vraisemblable et étayée par des connaissances solides. C'est une manière bien agréable  de découvrir la Venise du XVIème siècle, ses personnages célèbres, ses artistes, et d'accéder aux clefs qui nous ouvrent l'oeuvre du Giorgione. Le peintre qui se sait atteint de la peste écrit ses mémoires l'intention de son élève le plus cher Sebastiano del Piombo.


La vierge du dôme de Castelfranco

Une des oeuvres qui assura la célébrité du peintre  est le rétable de la Vierge à l'enfant commandé par Constanzo Tuzio pour le tombeau de son fils, le condottiere Matteo. La Vierge y est entourée de Saint François d'Assise et de  Saint Nicaise. Tous les personnages du tableau doivent regarder en direction de Matteo. C'est la seule contrainte donnée au peintre par le père en deuil.
J'ai érigé ma Vierge sur un trône comme sur un nuage, explique Le peintre dans le roman de Claude Chevreuil. Là était une nouveauté : jamais Bellini n'avait autant surélevé la Madone jusqu'à donner l'impression d'un recul infini, d'un isolement dans l'espace (...) mon intention : les saints ont été impuissants à empêcher la mort terrestre de mateo, Marie l'accueille avec douceur dans sa haute paix céleste.


Quelques tableaux du Giorgione
         
Giorgione

Ce portrait saisissant de réalisme est peut-être celui de la mère de Giorgione.

 Les deux oeuvres les plus mystérieuses du Giorgione sont les Trois philosophes  et La Tempête
Trois philosophes


Le tableau des Trois philosophes qui a été peint pour son ami Taddeo Contarini présente les Rois Mages au moment où ils guettent l'apparition de l'Etoile au sommet du mont Victorialis. La scène se déroule près d'une grotte où Adam et Eve ont commencé leur vie terrestre après avoir été chassés du Paradis. 
Fidèle à son goût du secret et à la demande du commanditaire Taddeo Contarini,  Giorgione va peindre ce sujet en cherchant à brouiller les cartes, pour que celui-ci ne soit pas lisible par tous. La grotte est couronnée par les feuilles de lierre qui évoque le Salut et par les feuilles de  figuier qui est l'Arbre du Bien et du Mal, le péché. Les trois troncs de l'arbre mort (importance du nombre trois) représentent l'Arbre du Paradis qui s'est desséché après le péché originel, le massif d'un vert profond, à côté, est l'Arbre de Vie qui annonce le Salut. Giorgione représente ses mages comme des astronomes scrutant et analysant le ciel. Le plus jeune, assis, regarde la caverne à l'intérieur de laquelle se reflète l'Etoile. Le peintre lui a prêté ses traits. Il  tient un compas, une équerre et des feuillets. Le plus grand avec un turban devait représenter dans la première esquisse du tableau, le mage noir. Mais, en quête d'hermétisme, Giorgione lui rend sa pâleur; il devient soit un astronome arabe, soit un philosophe oriental. Le plus âgé qui devait porter une coiffe riche et exotique à l'origine est coiffé d'une simple capuche dans la peinture définitive. Les mages sont  ainsi dépouillés de leur condition royale. Ils symbolisent les trois âges de l'Homme en quête de la connaissance :  Ils représentent le genre humain atteignant la connaissance du divin grâce à la science et à la philosophie, note Claude Chevreuil. Le sujet traditionnel, n'est pas aboli, mais dépassé et porté à son niveau le plus élevé. 

 
La Tempête
 

Son goût du secret culmine dans La Tempête qu'il a peint pour  Gabriele Vendramin et qui a donné lieu à des dizaines d'interprétations.
Giorgione a voulu y peindre Le baptême du Christ. Une interprétation très originale. c'est la première fois que l'on représente La Vierge nue. Marie a les traits de Laura et donne le sein au Christ.
Le personnage sur la gauche avec son bâton est Saint Sébastien. Il est vêtu d'une manière élégante et non de peau de bête comme le veut la tradition.
La ville est Jérusalem. L'éclair représente la fin de l'idôlatrie, le début de la vraie religion. Les deux colonnes brisées sont les emblèmes de deux vies brisées elles aussi, celle de Jésus crucifié à lâge de 33 ans, celle de Saint-Jean Baptiste décapité à l'âge de 28 ans.
Sur la terre, nul destin de poète n’est comparable au sien. De lui tout reste ignoré ; quelques-uns  sont allés jusqu’à nier son existence. Son nom n’est inscrit sur aucune œuvre certaine. Cependant, tout l’art vénitien est enflammé par sa révélation ; c’est de lui que Titien a reçu le secret d’infuser un sang lumineux dans les veines de ses créatures. Ce que Giorgione représente dans l’art, c’est l’épiphanie du feu. Il mérite qu’on l’appelle le « porteur de feu » à l’égal de Prométhée.
Gabriele d’Annunzio

Philippe Delerm : La bulle de Tiepolo

 

Fresque de Giandomenico Tiepolo à la Ca'Rezzonico

Dans La bulle de Tiepolo Philippe Delerm met en scène deux personnages, une Vénitienne, Ornella Malese, écrivain en visite à Paris pour la promotion de son livre et  Antoine Stalin, parisien, historien de l'art. Tous deux vont être réunis par le tableau d'un artiste peu connu, découvert dans une brocante. Antoine hésite à l'acquérir séduit par la qualité de l'oeuvre et Ornella l'achète pour des raisons que nous découvrirons plus tard. Tous deux sont à un moment difficile de leur vie : Antoine a perdu sa fille et sa femme dans un accident de voiture et il ne s'en remet pas. Ornella complètement déboussolée, devenue subitement célèbre, s'interroge sur les raisons de son succès et sur sa vocation d'écrivain!
Antoine n'aime pas Venise mais lorsque la directrice de sa revue d'art lui donne l'occasion de partir pour travailler sur Il Mondo Nuovo, une fresque de Giandomenico Tiepolo, il n'hésite pas! Cette oeuvre lui plaît et ce séjour lui permettra de revoir Ornella. Cependant ne vous y trompez pas, le roman n'est pas une histoire d'amour. Leur liaison permet à chacun, en enquêtant sur leur tableau personnel avec l'aide de l'autre - Ornella sur celui qu'elle a acquis à Paris, Antoine sur celui de Tiepolo- de répondre à leurs propres interrogations et d'en sortir apaisés. Quant à Antoine, il va apprendre à aimer Venise, à en découvrir la face cachée loin des lieux trop brillants et trop factices à son goût!

magharita.1292850344.jpgEvidemment, lire ce livre quand on est à Venise, comme je l'ai fait, ne peut que décupler le plaisir. D'abord, parce que l'on marche sur les traces d'Antoine qui s'installe dans l'hôtel de la mère d'Ornella derrière la Ca' Rezzonico où se trouve l'oeuvre étrange de Giandomenico. En se promenant dans ce quartier pittoresque du Dorsoduro, loin de la Piazza San Marco et des touristes, Antoine découvre la place Magherita. Moi aussi, comme lui, j'ai reconnu ce lieu à ces bancs rouges décrits par Ornella dans son désormais célèbre Granite café, un court roman qui chante les plaisirs simples de la vie (clin d'oeil au Buveur de bière peut-être? j'ai l'impression que Ornella M. est un peu Philippe D.). Antoine erre dans le labyrinthe vénitien constitué par toutes ces ruelles-impasses qui s'enchevêtrent pour mieux vous perdre :

Parfois la calle s'étranglait, atteignait un bout de canal pois cassé. Il fallait rebrousser chemin sous les oriflammes de linge étalé de fenêtre en fenêtre.
Enfin, bien sûr,  on pénètre avec lui  dans la Ca'Rezzonico dont la description correspond assez à ce que j'ai éprouvé :



Ca' Rezzonico

Tout ce déferlement baroque d'un palais orgueilleusement dressé au bord du Grand Canal et dont les escaliers, les dorures, les célèbres meubles sculptés d'Andrea Brustolon, l'immensité de la salle de bal, trahissaient lourdement le nouveau riche.


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Fresque de Giandomenico Tiepolo à la Ca'Rezzonico

Mais ce qui m'a le plus passionnée dans ce roman, c'est l'enquête menée sur Il Mondo Nuovo, cette grande fresque  de deux mètres de hauteur sur cinq de large que Giandomenico Tiepolo a peint sur les murs de sa maison de campagne. Celui-ci, fils du grand peintre vénitien Giambatista Tiepolo, n'a jamais atteint la notoriété de son père.
La fresque montre un spectacle de rue ou tous les personnages nous tournent le dos pour contempler un spectacle que nous ne pouvons voir. Que regardent-ils? Première interrogation.
Mais le vrai secret c'est le personnage grimpé sur un tabouret et qui tient à la main une longue badine, ou une espèce de perche, dont l'extrémité atteint le centre de la scène. Quel sens donner à son geste?
Pour  découvrir ce secret, Antoine conduit par Ornella, ira voir à Vicence la fresque de la villa Valmarana qui représente la même scène peinte elle aussi par Giandomenico et nous apprenons qu'il en  existe une autre à Paris au musée des arts décoratifs. Dans la peinture de Valmarana contrairement aux deux autres représentations,  Antoine a la surprise d'apercevoir au bout de la perche, une bulle.
Ainsi résidait là le mystère de geste. La badine était en fait un immense paille, et le personnage un saltimbanque essayant en vain de profiter de la foule réunie par un spectacle invisible pour faire admirer... Quoi? Rien, la simple irisation d'une pellicule infime, un petit pan de monde encerclé, suspendu. (..) Chacun avait sa bulle, sa propre manière d'encercler le présent.
Pourtant, au moment où nous pensons le mystère résolu, voilà que Philippe Delerm introduit à nouveau le doute.  Cette bulle, ne serait-elle pas une tache, une éraflure?

Fresque de Giandomenico Tiepolo à la villa Valmarana


On aperçoit la bulle (?)

Cette recherche sur le tableau fonctionne comme une enquête destinée à résoudre une énigme. C'est un défi intellectuel passionnant d'autant plus que nous n'avons pas de certitude. Je n'ai d'ailleurs pas eu à aller bien loin pour trouver une autre réponse! La Ca'Rezzonico présente un salle entière consacrée aux oeuvres de Longhi, contemporain de Tiepolo fils.


Longhi


Le peintre a représenté des scènes précises, alertes et vives de la vie vénitienne au XVIII ème siècle. Or dans un de ces tableaux nous apercevons le personne mystérieux vu dans l'image de Giandomenico : il est lui aussi coiffé d'un tricorne, il tient la baguette mais il est de face! A côté de lui, de belles dames vénitiennes, de face également, sont en train d'admirer, protégées par une palissade, un rhinocéros, au premier plan de l'image. La badine semble être un fouet, celui du dresseur chargé de surveiller l'animal, de le repousser loin du public. Il est bien évident que Philippe Delerm connaît ce tableau mais s'il n'en parle pas, c'est que l'explication paraît bien terne à côté de cette bulle irisée, métaphore de l'illusion et de notre penchant à repousser la réalité moins séduisante que le rêve. Mais cette réalité n'enlève rien à l'originalité  et la beauté de la fresque et au sens que Tiepolo a voulu lui donner.
En poursuivant l'enquête, j'ai découvert que ce rhinocéros femelle s'appelait Clara. Son propriétaire, le capitaine Douwe Mout van der Meer, un Hollandais, l'acheta pour l'amener dans son pays. Clara débarqua à Rotterdam le 22 juillet 1741 et obtint un grand succès. Le capitaine décida alors d'entreprendre avec elle une tournée européenne. Il arriva à Venise en Janvier 1751. Clara fut l'une des attractions principales du carnaval le mois suivant, posant pour le peintre Pietro Longhi. Il est très probable que l'homme à la baguette soit Douwe Mout Van der Meer ou un accompagnateur rémunéré par lui pour s'occuper de la bête.


Le Nouveau Monde de Giandomenico Tiepolo Musée des arts décoratifs de Pais
 Le musée des Art décoratifs de Paris présente ainsi la fresque qu'il possède sur le même sujet : Les badauds regardent des images ges du Nouveau Monde projetées avec une sorte de lanterne magique. L'homme de bout sur une chaise commente ses images en les désignant à l'aide d'un bâton.






Paul Morand , Venise

 


Jour du départ, sous la brume....

A mon retour de Venise, voici une citation  et une photo qui s'imposent. Merci à toutes et à tous de vos souhaits de bon voyage..

Les canaux de Venise sont noirs comme de l'encre; c'est l'encre de Jean-Jacques, de Chateaubriand, de Barrès et de Proust...


Piazza San Marco : En observant Venise de Mary Mac Carthy


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Le Florian sur la place Saint Marc

Parmi tous les charmes de Venise, il en est un particulièrement efficace :  ce pouvoir qu'elle a d'éveiller le philistin qui sommeille en tout sceptique. Les individus de ce genre- les êtres secs, prosateurs à l'intelligence supérieure- refusent de ressentir ce qu'ils seraient censés ressentir face à ces merveilles écrit Mary Mac Carthy dans En Observant Venise.

Il y a pourtant des lieux que l'on peut qualifier de magique. C'est un poncif d'affirmer que la Piazza San Marco à Venise en fait partie même si, pourtant, certaines épithètes péjoratives fusent : trop riche, trop brillante, trop galvaudée trop peuplée, trop, trop... bref trop vulgaire ! Alors soyons vulgaire au sens étymologique du terme de vulgaris, vulgus :  la foule! Admirons ce qu'admire le plus grand nombre, ne passons pas à côté de la beauté sous prétexte qu'elle est trop évidente et que tout le monde peut en avoir conscience!

Et il est inutile de prétendre que la Venise touristique n'est pas la véritable Venise, ce qui demeure possible pour d'autres villes -Rome, Florence ou Naples. La Venise des touristes est Venise : les gondoliers, les couchers de soleil, la lumièrea changeante, le Florian, le Quadri, Torcello, le Harry's Bar, Murano, Burano, les pigeons, les ouvrages de perles, le vaporetto. Venise est un accordéon de cartes postales d'elle-même ajoute Mary Mc Carthy.
Cartes postales? Soit!  je suis retournée bien des fois à Venise sans jamais me lasser découvrant chaque fois d'autres facettes de sa beauté et ses secrets. Et j'ai, quant à moi,  des souvenirs inoubliables liés à la Piazza San Marco, ce lieu unique par sa richesse et la magnificence de son passé.

Venise : Marcelin Pleynet, Vivaldi, Riva della Schiavone

Antonio Vivaldi

Cité par Philippe Sollers dans son dictionnaire amoureux de Venise, ce poème de Marcelin Pleynet qui parle du quai des Schiavone où j'étais logée pendant ce dernier voyage à Venise et de la Scuola della Pieta devant laquelle je passais chaque jour. C'est là que Antonio Vivaldi a enseigné.


Riva degli Schiavone
Pour Vivaldi
Derrière les grilles
Toutes ces voix cachées
Dans la rumeur grondante du solfège
Et l’impétueuse charité des couleurs
L’amour
Dans l’agitation de l’amour
Les musiciennes vives et nues
L’orchestre des Saisons
Le jaillissement sonore
L’ospedale della Pietà

L’amour vénitien (1984)




Chiesa della Pieta






Les compagnons Troubadours du dimanche de Bookworm :

Venise, une brassée d'images: l’acqua alta avec T. Scarpa et P. Sollers


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Le lendemain de notre arrivée à Venise, c'est l'acqua alta "très alta" qui est annoncée; elle envahit même le hall de notre hôtel.

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Les Vénitiens appellent bragha acqua alta les pantalons trop courts, inélégants, avec les chevilles lissées à découvert, comme s'ils avaient été coupés exprès pour ne pas mouiller les ourlets.
Les sirènes qui sonnaient l'alarme durant les raids aériens de la la Seconde Guerre mondiale sont restées au sommet des clochers. Maintenant, elle signalent les incursions marines quand la marée monte et te réveillent à cinq ou six heures du matin. Les habitants  ensommeillés fixent des cloisons d'acier devant leurs portes et dressent des petite digues dans les encadrements en métal caoutchouteux des huisseries des maisons.(..;) Le plus souvent, il n'y a rien à faire, l'eau jaillit des bouches  d'égout, des fissures du sol, attaque les meubles, pourrit les murs, effrite le travail des peintres en bâtiment....
Des équipes spéciales d'éboueurs sortent à l'aube pour monter des passerelles en bois dans les callis inondés.
Venise est un poisson de Tiziano Scarpa

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La ville est à fleur d'eau, elle se laisse envahir par elle. On marche dans l'eau, on marche sur l'eau, c'est la fête. Les touristes sont débordés et poussifs, les habitants habitués et passifs, les enfants ravis, les cloches sonnent, la lagune fait sentir sa loi, la ville est un navire à venir.

Philippe Sollers dictionnaire amoureux de Venise

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Retour de Venise : Brassée d'images, texte de Henry James


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Le Palais des Doges, le campanile de Saint Marc

Chaque jour et à chaque moment Venise se pare d'un manteau nouveau. Parfois, la lagune est sombre et opaque, à d'autres moments, lavée par la marée, elle prend des teintes d'émeraude, de vert cresson. Sous le soleil couchant, elle est traversée de rayons, d'opalescence. Dans le petit matin, elle m'apparaît noyée dans le brouillard, bleutée, laiteuse et toujours mystérieuse.
Mais pour parler de la lumière à Venise, mieux vaut laisser la parole à Henry James.
La lumière ici est en vérité une puissante magicienne et, avec tout le respect dû à Titien, Véronèse et Tintoret, plus grande artiste qu'eux tous. Il faut voir sur place le matériau qu'elle traite : brique boueuse, marbre rosé et souillé, loques, crasse, délabrement. La mer et le ciel semblent se croiser à mi-chemin, mélanger les nuances avec une douce irisation, un composé scintillant de flots et de nuages, un centaine de reflets ponctuels et indéfinissables et puis projeter cette texture sur tout objet visible.


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Le quai des Schiavone

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L'église de la Salute

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En descendant le Grand Canal

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Le Pont du Rialto


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Vue du Pont de l'Académie  fin d'après midi


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Pont de L'Académie fin d'après midi : 1 heure après la précédente


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Nuit sur Venise

Tiziano Scarpa : Venise est un poisson

 

Venise est un poisson de Tiziano Scarpa! Voilà déjà un moment que je regardais avec envie du côté de ce diable de petit livre mais je savais que si je le lisais, je serais tellement imprégnée par la ville que la nostalgie naîtrait! Et bien voilà! C'est fait! Quand je vous le disais qu'il était diabolique, ce Tiziano Scarpa!
Venise est un poisson se présente comme un guide de la ville mais un guide qui vous dit "Tu", qui vous prend par la main pour vous éloigner des sentiers battus, pour partir à la découverte d'une Venise qui n'est pas celle des touristes. Et pour cause! Tiziano Scarpa ( s'appeler Tiziano quand on est vénitien, avouez que c'est savoureux!)  raconte sa ville, celle de son enfance et de ses jeux, de son adolescence et de ses premiers émois amoureux, celle aussi des adultes qui n'est pas toujours facile à vivre. Il  donne ainsi les clefs pour mieux la comprendre, pour la voir avec des yeux neufs. Certes, il ne vous dit pas tout car il trouve bon de garder pour lui les petits coins discrets et authentiques de sa chère cité mais si vous faites un effort...  car Venise, la vraie, l'intime, se mérite!
Mais Venise est un poisson est bien autre chose qu'un guide! C'est aussi une invitation au voyage qui fait appel à tous vos sens. On y apprend que si l'on voit avec les yeux (méfiez-vous de la beauté radio-active de Venise qui risque de vous terrasser, du sublime qui ruisselle à flots des églises), on peut y "voir" aussi avec les pieds, les mains, les oreilles, la bouche, le nez...
On y entend le silence et le fracas de Venise, cette ville totémique habitée par des milliers d'allégories en chair et en os,du poil, des plumes, des palmes, des bestiaires symboliques, des animaux vivants plus chimériques que les lions de pierre. On y sent "la puanteur chronique" des canaux dont chacun a une odeur caractéristique. Et puis, on ne peut s'empêcher de la toucher, Venise : Tu l'effleures, la caresses, lui donnes des chiquenaudes, la pinces, la palpes. Tu mets les mains sur Venise.
Enfin, Venise est un poisson, c'est une langue belle, concrète, sensuelle, une langue évocatrice et riche, pleine d'humour aussi, qui sait faire voir, faire sentir, qui sait décrire la rugosité des pavés sous votre pied, le roulis du bateau sous vos jambes, la saveur des mots vénitiens qui roulent sous votre langue ou celle des rouleaux d'anchois, des pattes de crabe, des olives d'Ascoli qui fondent dans votre bouche. Un style qui rend sensible la profusion, le foisonnement, la luxuriance de cette ville hors du temps, un style qui rappelle l'étourdissement, le vertige qui s'emparent de vous, visiteur subjugué par la Serenissime : Tu es prise  à coups de façades, giflée, malmenée par la beauté. N'aggrave pas ton cas et cesse de courir derrière des statues et des peintures.. Et enfin la poésie est là qui surgit par exemple au détour d'une description visionnaire, celle de Venise bâtie sur pilotis : Les Vénitiens ont enfoncé dans la lagune des centaines de milliers et des millions de pieux... Tu es en train de marcher sur une immense forêt renversée, tu es en train de te promener sur un incroyable bois à l'envers.

Merci à Dialogues Croisés et aux éditions Christian Bourgois



Le syndrome de Stendhal à Florence


La Vénus de Botticelli
Qu'est-ce que le syndrome de Stendhal?  Dans son journal de voyage en italie, Stendhal consigne les sensations qu’il a éprouvées lors d’un séjour à Florence en 1854. En sortant de la basilique de Santa Crocce, il ressent  une émotion extrême liée, dit-il, à la contemplation de la beauté sublime. Un sentiment de panique s’empare de lui, accompagné de palpitations, de vertiges.
Stendhal

J'étais arrivé à ce point d'émotion où se rencontrent les sensations célestes données par les Beaux Arts et les sentiments passionnés. En sortant de Santa Croce, j'avais un battement de cœur, [...] la vie était épuisée chez moi, je marchais avec la crainte de tomber.
La psychiatre Graziella Magherina a observé les mêmes symptômes sur des touristes visitant Florence, hospitalisés dans ses services; elle a donné à cette maladie le nom de "syndrome de Stendhal" dans un essai où elle décrit les symptômes de la maladie. Il s'agit d'un syndrome psychosomatique déclenché par l’exposition à des œuvres d’art, évanouissements, tachycardie, crampes d’estomac, troubles neurologiques, angoisse, confusion. Un film d'après le livre de Graziella Magherini  a même été réalisé par Dario Argento.

Les années 60 :

Quand, adolescente,  je suis allée à Florence, je n'ai pas éprouvé le syndrome de Stendhal, non! Mais quelque chose qui s'y apparentait, un coup de foudre absolu, un enchantement de tous les instants, un étonnement devant cette ville où le visiteur n'a pas à aller chercher les oeuvres d'art, où c'est L'Art qui vient à lui dans la rue, sur une place, partout...  C'était mon premier voyage hors de France et quel voyage!

Retour à Florence en 2005 :

Nous avons loué un appartement non loin de la basilique Santa Crocce, celle-là même où Stendhal eut son malaise ! C’est un quartier populaire, un peu éloigné des grands lieux touristisques même s’il est proche de la plus grande des églises de Florence. Le matin, nous y voyons les gens partir travailler en bicyclette, ou en  bus. Le marché San Ambrogio s’anime et nous allons y faire nos courses avec les ménagères du coin. De toutes petites boutiques à la devanture étroite et sombre, épiceries, boulangeries, drogueries, cafés s’ouvrent sur la rue, avec devant leur porte des groupes d’hommes discutant volubilement, le verbe haut, le geste éloquent. Près de la Basilique où se trouve l’école du cuir, les boutiques de sacs et vêtements en peau sont nombreuses.
 Nous reprenons contact avec Florence. Qui sait si nous la reconnaîtrons?
Elle a vécu l’uniformisation européenne. Quel que soit le pays d’Europe où je suis allée toute jeune, je sens, quand j’y retourne, que chacun de ces pays a perdu un peu de ce qui se faisait sa spécificité. Il ressemble  toujours un peu plus à l’autre, aux pays de l’Union. Pas complètement mais... on ne peut plus éprouver ce sentiment un peu magique de dépaysement, cette sensation d’être transporté ailleurs dans un monde différent du nôtre ! C’est cela l’Europe, et même si l’on peut en  éprouver du regret, au moins on ne se fera plus la guerre entre voisins. Les ouvriers de Pologne, de France, d’Italie ou d’ailleurs y seront encore plus durement exploités par un capitalisme triomphant qui a cessé d’être à l’échelle d’un pays.. mais comme l’a chanté Brassens "nos filles et nos garçons" y font "l’amour ensemble et l’Europe de demain".
De plus Florence subit une telle pollution que la circulation des véhicules à moteur y est sévèrement réglementée. Et puis, comme partout le tourisme de masse s’est encore élargi, les queues sont interminables, le temps de visite sévèrement minuté dans certains lieux ( chapelle Brancacci, Gozzoli..). Adieu le recueillement, la méditation devant l’oeuvre de votre choix. Stendhal n’aurait plus le temps d’éprouver son syndrôme!! Les italiens n’ont plus la chaleureuse attention  qu’ils portaient à leurs touristes même désargentés. Ils n’en ont ni le temps, ni l’envie ! Trop, nous sommes trop nombreux, nous déferlons sur la ville comme une nuée de sauterelles. Nous apportons des devises, certes, mais les rapports humains ne sont plus ce qu’ils étaient.
Désenchantement alors ? Nostalgie passéiste ?... Mais  Non ! Car le centre historique de la ville est là, immuable dans sa grave beauté, avec ses palais fortifiés, ses places où l’Histoire vit, ses oeuvres d’art qui vous happent au détour d’une rue. Les statues silencieuses  vous interpellent du haut de leur piedestal, vous contemplent sur les murs de l’église Orsan Michele, se mêlent à la foule dans la Loggia dell’Orcagna, dans la cour du Palazzo Vecchio, sur la  place de la Signoria. Partout, Verrochio, Donatello, Cellini, Ghiberti, Della Robia... viennent au-devant de vous, s’offrent à vos regards.

Domenico Ghirlandaio : La naissance de Saint jean Baptiste



Simone de Martine musée des Offices


Eglise San Miniato Florence

Alors, je suis allée à mes rendez-vous. j’ai revu la fine silhouette dansante de la dame en bleu peinte par Domenico  Ghirlandaio sur le mur de Santa Maria Novella; elle s’avance d’un pas léger, toutes voiles dehors dans la chambre où vient de naître la Vierge; elle porte d’un air altier un panier sur la tête; elle est belle comme le sont ses compagnes autour d’elle; elle est ma préférée. J’ai revu l’Homme aux yeux gris du Titien  dans le désordre indescriptible du palais Pitti. Les tableaux montent toujours à l’assaut du mur jusqu’en haut, tout en haut là où il vous faudrait une échelle pour les contempler. Et lui, le beau jeune homme d’un autre temps, il est là, à la  même place depuis plus de quarante ans. C’est fou ce que les conservateurs des musées sont ...conservateurs! J’ai revu les ailes des anges de Fra Angelico et l’air triste de ses vierges auréolées sur les murs du couvent de San Marco, le visage d’enfant boudeur de la Vierge siennoise de Simone di Martini aux Offices, les rois Mages chamarrés de Gozzoli, le tourment d'Adam et Eve chassé du paradis de Masaccio, et  l’éveil de l’Aurore dans les chapelles médicéennes ... J’ai revu la silhouette du Vieux Pont, les jambes plongées dans l’Arno où  s’ébattent des loutres, et l’adorable petite église San Miniato  perchée sur sa colline au-dessus de la Piazzale Michel Ange. De là, j’ai contemplé Florence.



L'homme aux yeux gris : Le Titien



Adam et Eve chassés du paradis de Masaccio

 
 

 Challenge de Nathalie  blog : Chez Mark et Marcel invitation au Voyage en italie ICI

Texte écrit et publié en 2005 pour Voix Nomades, site de voyage aujourd'hui disparu