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vendredi 1 juillet 2011

Joyce Carol Oates : Zombi




Décidément, Joyce Carol Oates n'épargne rien à son lecteur. Lire Zombi, c'est plonger dans l'exploration d'un cas clinique absolument terrifiant, celui d'un tueur psychopathe à la folie meurtrière hallucinante. Mais attention! Il ne s'agit pas d'un thriller où le lecteur bien à l'abri dans sa confortable maison peut se payer le luxe de trembler tout en sachant que lui et en général le héros principal vont s'en sortir indemnes. Dans Oates, justement, vous savez, au contraire, que vous n'en réchapperez pas et que vous allez être impliqué réellement! Comment? Tout simplement parce qu'elle vous fait entrer dans l'esprit non de la victime mais du malade lui-même! Et comme le psychopathe a sa logique et que celle-ci est irréfutable car il a raison - Forcément, c'est son point de vue- vous vous rendez compte que vous en venez à penser comme lui. Non, Oates n'écrit pas pour vous faire peur mais elle vous fait peur!
Je suis allée jusqu'au bout fascinée par la force et la virtuosité de l'écrivain. Comment arrive-t-elle à pénétrer ainsi dans l'âme humaine? Déjà, c'est un exploit lorsqu'elle fait tomber les barrières, enlève le masque derrière lequel se cachent des personnages "normaux". Mais lorsqu'il s'agit d'un malade comme celui-là, on ne sait où elle trouve les ressources pour vous entraîner dans un tel vertige, aux confins de la folie. Cela tient du tour de force, ce qui lui est d'ailleurs habituel. Quand dans Reflets dans une eau trouble son héroïne se noie dans une voiture tombée dans une rivière, c'est vous qui  êtes prisonnier à sa place dans l'obscurité. Mais devenir psychopathe, c'est trop éprouvant!  Non, je n'ai pas aimé ce livre! Bien sûr, il ne s'agit plus d'un jugement littéraire mais que celui qui ne s'est jamais identifié à un personnage me jette la première pierre!

oates-challenge.1290436982.jpgChallenge de George .

Joyce Carol Oates : je vous emmène





Dans Je vous emmène Joyce Carol Oates nous entraîne dans un campus américain pendant les années soixante. La jeune héroïne dont nous ne connaîtrons pas le prénom  a dix neuf ans; elle vient d'un milieu modeste  - son père est ouvrier-  et a obtenu une bourse pour continuer ses études dans une grand université de l'Etat de New York.
Le livre est divisé en trois parties :
I) La pénitente qui nous fait pénétrer dans le cercle étrange, pour nous français, des sororités (fraternités pour les hommes) auxquels  les étudiantes américaines se doivent d'appartenir si elles ne veulent pas se sentir exclues. Entrer dans une communauté de ce genre, c'est, en effet,  un passage obligé, c'est se soumettre à une initiation, à des rituels secrets, c'est porter un insigne qui permet d'arborer son appartenance avec fierté, de partager des valeurs communes, d'être intégrée, considérée comme  une soeur par les autres membres de la sororité. Notre héroïne choisit la maison Kappa Gamma Pi dont le luxe tapageur  qui cache  une certaine  décrépitude  l'éblouit.  Mais avec ses revenus modestes, elle va vite s'apercevoir qu'elle ne peut  faire face aux dépenses d'un tel établissement. Peu à peu, elle va apprendre à ses dépens que le mot "soeur" est un vain mot, elle va faire l'expérience la cruauté dont elle mais aussi la "Mère" de la maison Kappa Gamma, Mme Thayer, veuve désargentée, seront l'objet, elle va découvrir une réalité peu reluisante sous la façade d'apparat.
Dans cette première partie du roman le ton de Joyce Carol Oates est  d'une puissance étonnante.  Elle peint d'un trait acéré une Amérique où les inégalités sociales sont criantes, où celui qui n'est pas fortuné subit le mépris, la discrimination, les humiliations au quotidien.  Ce n'est pas sans raison que la jeune fille n'a pas d'identité car dans la sororité personne ne retient son prénom, madame Thayer le déforme ; elle n'existe pas. L'écrivain décrit l'inhumanité de ces milieux aisés ou fortunés qui utilisent les autres quand ils peuvent les servir mais les rejettent sans scrupules ensuite. Elle dénonce la fausseté des apparences :  ces jeunes filles de bonne famille prétendument bien éduquées, vertueuses (dans les années soixante, la liberté sexuelle n'est pas envisageable ), studieuses, se livrent à la débauche toutes les nuits, sexe, alcool, drogue et ne sont là que pour aller à la pêche au mari, fortuné, bien entendu. Les allers-retours du récit, de la famille désunie de la jeune fille à sa vie dans la sororité,  véritable noeud de serpents, apportent chaque fois des précisions sur le caractère du personnage principal d'un intelligence supérieure, complexe, mal dans sa peau, malade jusqu'à l'anorexie, inadapté et marginal, d'abord soumis puis révolté.
Il s'agit ici d'un roman d'initiation d'une violence psychologique et verbale incisive, une découverte des réalités de la société  qui enlève toute  illusion  à celle qui la subit. Le talent immense de Joyce Carol Oates, la complexité de l'analyse psychologique et des rapports sociaux, la richesse du contenu  forcent l'admiration.
II) Négrophile est la deuxième partie. La jeune fille s'est libérée de la sororité et son initiation, cette fois-ci sexuelle, continue. Elle tombe amoureuse  pour la première fois de Vernor, un noir, brillant étudiant en philosophie dont l'intelligence, l'érudition, les théories la captivent. Une occasion pour Oates de parler du racisme et de la ségrégation qui régnaient à cette époque. Mais les personnages perdus dans leurs considérations philosophiques passent à côté des revendications de l'époque.  La jeune fille va se doter d'un prénom -  Anellia - qui n'est pas le sien, elle va se donner une personnalité  aux antipodes de la sienne. Comme si pour acquérir une identité et pour être vue par les autres, il fallait qu'elle renonce à elle-même. Son admiration pour Vernor l'amène à perdre, comme elle l'avait fait pour la sororité, sa lucidité et le le contrôle de sa vie. Là encore, elle découvrira à ses dépens qu'elle a été flouée. Il sera temps pour elle de s'accepter. Cette seconde partie reste intéressante et  riche mais m'a cependant moins touchée, peut-être parce que la première était d'une force telle que je suis restée sur cette impression. Peut-être aussi parce qu'elle présente une structure trop semblable à la précédente.
III) L'issue :  Le personnage découvre que son père qu'elle croyait mort est  vivant mais gravement malade. Elle traverse tous les Etats-unis pour aller le voir et l'assister dans son agonie. Là, elle comprend que, contrairement aux apparences, celui-ci qu'elle croyait hostile, qui lui reprochait d'avoir causé la mort de sa mère par sa naissance, l'aimait.  Avec la disparition du père finit l'initiation de la jeune fille qui entre dans l'âge adulte. La  troisième partie ne m'a pas accrochée;  je l'ai trouvée peu crédible. Je n'ai pas adhéré à ce dernier récit qui m'a paru ennuyeux. Ce parti pris de terminer sur une note optimiste ne m'a pas convaincue.

Joyce Carol Oates : Reflets en eau trouble





Reflets en eau trouble est un court roman de Joyce Carol Oates, très dense, très ramassé, comme une vie qui défile à toute allure, comme les dernières visions  avant la mort.

Pour écrire ce roman Joyce Carol Oates s'est inspiré d'un fait divers qui a fait scandale en 1969 aux Etats-Unis. A l'issue de la fête du 4 Juillet, bien arrosée,  un sénateur très en vue, vaisemblablement futur candidat à la présidence,  raccompagne une jeune fille dont il veut faire sa maîtresse. Mais il est ivre, se trompe de chemin et, dans la nuit,  sa voiture dérape et est précipitée dans l'eau profonde et obscure d'une rivière. Le Sénateur parvient à se sauver mais la jeune fille reste bloquée à l'intérieur du véhicule et meurt noyée.
Aucune surprise dans ce récit dont on connaît l'issue dès le début mais curieusement le rythme est haletant comme s'il s'agissait d'un suspense  car nous partageons toutes les pensées de la jeune fille, trouées d'espoir dans l'horreur noire de cette noyade, anticipation de la mort, retours dans un passé où  tous les temps se confondent : l'enfance et  cette fête si proche, ce début d'idylle avec le Sénateur dans cette journée où Elizabeth Anne Kelleher  ( Kelly) fait sa connaissance.  Les visages des êtres chers, ses chagrins,  ses meurtrissures, ses joies aussi, ses études...  tout nous amène inexorablement vers la fin dans une accélération angoissante,  la tête hors de l'eau, la bouche aspirant la vie dans une bulle d'air, jusqu'au moment où l'eau noire se referme sur nous. Le style de Oates  est, comme d'habitude, efficace, pressant, alternant des descriptions splendides des paysages de l'ïle de Grayling  qui, par contraste, rendent encore plus étouffant l'emprisonnement dans ce véhicule devenu tombeau.
Au-delà du fait divers,  Joyce Carol Oates,  dresse une tableau  pessimiste de la politique et des hommes politiques  américains. Reflets dans un eau trouble est  prétexte  à une condamnation sans appel du gouvernement conservateur, des loi d'un autre âge comme comme la peine de mort, du refus de l'avortement.  Kelly croit  naïvement  à la politique des  démocrates même si elle s'efforce d'être cynique et de citer Charles de Gaule :  " Un homme politique ne croit jamais à ce qu'il raconte, et il est surpris quand les autres le prennent au mot". Mais elle admire le  vieux Sénateur qui joue du pouvoir que lui confère sa position pour  la  séduire alors qu'elle a l'âge de ses enfants. Joyce Oates n'est pas  plus tendre avec lui qu'envers les conservateurs.  Ainsi  le Sénateur  fait toujours de belles promesses mais n'en a jamais tenu aucune ou si peu; le Sénateur  s'extirpe du véhicule en prenant appui sur la tête de Kelly et n'a pas le courage de retourner la chercher; le Sénateur pense surtout à éviter le scandale en prévenant en secret son ami sans appeler les secours, le  Sénateur enfin se désole parce que sa carrière risque d'être brisée pendant que la jeune fille agonise.  Jamais Joyce carol Oates n'a été aussi amère.

Joyce Carol Oates : la fille du Fossoyeur




Avec La fille du fossoyeur, Joyce Carol Oates s'inspire de l'histoire de sa grand-mère, Blanche Morgensten, à qui le livre est dédié. La fille du fossoyeur a donc réellement existé avant de devenir un personnage romanesque.
Dans le roman, Rebecca Schwarz dont le père a fui le régime hitlérien pour immigrer aux USA naît sur le bateau au moment de l'arrivée dans le port de New York. C'est ce qui la distingue du reste de sa famille, ses parents et ses frères qui ne sont pas américains et subiront leur vie durant les quolibets et les injures réservés aux étrangers qui parlent mal la langue et qui, de plus, sont allemands donc assimilables aux yeux de la population aux ennemis et aux nazis. Le père, professeur de mathématiques en Allemagne obtient un emploi bien au-dessous de sa qualification; il devient fossoyeur, profession peu considérée et qui lui vaut la condescendance voire le mépris des notables. Obligé de s'humilier devant eux, il cultive la haine qu'il éprouve envers "ces autres", ceux qui l'accueillent si mal, il s'aigrit, boit et se venge sur sa famille, ses enfants surtout. C'est ainsi que vit Rebecca jusqu'au drame qui va transformer sa vie et la pousser vers d'autres lieux. Après un mariage malheureux, elle va fuir avec son petit garçon, Zachs, à travers les Etats-Unis, toujours en mouvement, jusqu'au jour où elle rencontre Gallagher...
Je résume brièvement La fille du fossoyeur pour laisser le plaisir de la découverte mais l'intrigue est étoffée et  complexe et de nombreux personnages rentrent en jeu. En fait, le roman comporte trois parties distinctes :
La première intitulée : La vallée de Chautauqua raconte l'enfance de Rebecca à Milburn, état de New York et sa vie de femme mariée à Chautauqua Falls.
La seconde : Dans le Monde est l'errance de la jeune femme et de son fils, poussés tous les deux par la peur de cet homme violent, leur mari et leur père...
La troisième : Au-delà est un échange de lettres entre Rebecca, âgée, malade, et sa cousine Freida, réchappée des camps de la Mort.
Le roman de Joyce Carol Oates est passionnant car l'on suit les péripéties de la vie de Rebecca hantée par la tragédie familiale, poursuivie par le malheur mais forte, courageuse, digne. C'est une femme hors du commun qui parvient à rester maîtresse de sa vie. Les personnages qui gravitent autour d'elle avec leurs faiblesses, leurs souffrances, leur désespoir, sont toujours décrits en évitant le manichéisme, avec les subtilités d'une analyse qui s'efforce de comprendre l'homme sous la brute : comme le  père de Rebecca qui devient bourreau alors qu'il est victime. La densité des évènements et les nombreuses rencontres qui jalonnent la route de Rebecca renouvellent sans cesse l'intérêt.
Au départ, pourtant, le sujet me paraît plus classique que les autres romans de Oates; il me rappelle Sang Impur de Hamilton qui traite du même thème, une famille allemande qui fuit le nazisme mais cette fois-ci en Irlande. il y a un peu, aussi, de La nuit du chasseur dans la longue fuite de la mère et l'enfant. Mais c'est aussi un roman sur l'identité, Rebecca rejetant son passé, reniant son origine et  les blessures de son enfance, se forgeant une autre personnalité. C'est un thriller mais traité d'une manière originale avec l'histoire d'un serial killer qui court en filigrane tout au long du récit, que l'on finit par oublier et qui revient à la fin, récit dans le récit, totalement imbriqué, qui peint la femme comme une proie.
De nombreux thèmes viennent encore s'entremêler au récit principal : le travail et l'exploitation des ouvrières à la chaîne à l'usine de Niagara Tubing, la musique qui est si importante dans la vie de Zachs et devient une raison de vivre, le racisme, l'antisémistisme, le rejet de l'autre qui est à l'origine du drame. Enfin, plus fort que tout est la dénonciation de l'attitude des Etats-Unis pendant le seconde guerre mondiale, son refus de prendre parti, le renvoi criminel d'un bateau contenant des centaines d'immigrés qui ont péri dans les camps. Un beau livre!

jeudi 30 juin 2011

Le festival d'Avignon 2011 : Jean Vilar

 Maison Jean Vilar  (festival 2010)

 Le festival d'Avignon 2011 va bientôt ouvrir ses portes.  Le In commence le 6 Juillet.  Le 8, c'est le festival OFF qui donne son coup d'envoi. Partout on sent une animation fébrile dans la ville. Les théâtres qui sont restés fermés toute l'année font leur ménage, des camions  déversent leur chargement, des techniciens s'affairent, à l'intérieur on aperçoit du matériel déballé, des projecteurs,  des sièges.. . en désordre. Les autres, ceux qui sont ouverts toute l'année, le Chêne Noir,  Le Balcon,  Les  Carmes,  Les Halles ... ont déjà fourbi leurs armes, autrement dit leurs affiches, leurs programmes. 

Il est donc normal aujourd'hui que la citation du jeudi soit consacrée  à Jean Vilar, (1912-1971) homme de théâtre, comédien,  directeur du TNP,  créateur du festival d'Avignon en 1947.




Le théâtre est une nourriture aussi indispensable à la vie que le pain et le vin... Le théâtre est donc, au premier chef, un service public. Tout comme le gaz, l'eau, l'électricité.

L'art du théâtre ne prend toute sa signification que lorsqu'il parvient à assembler et à unir.



mardi 28 juin 2011

Nicola Vanier : Le chant du Grand Nord : tomes 1 et 2


                                                            


 Le chasseur de rêve ( 1)

Voici ce billet sur le livre de Nicolas Vanier Le chant du Grand Nord, que j'avais lu le mois dernier et j'y ajoute quelques mots sur le tome 2 que je viens de terminer.

En lisant ce roman j'ai voulu retrouver les émotions de mon enfance à la lecture des romans de James Oliver Curwood ou de Jack London.
Dans Le chasseur de rêve, le premier tome de la série : Le chant du Grand Nord, nous sommes au XIXème siècle, transportés aux pieds des Rocheuses dans un paysage somptueux et nous suivons les aventures du jeune Ohio de la tribu indienne des Nahannis,  clan des caribous. Ohio est différent des autres. Il est né d'une mère indienne, la belle et charismatique Sacajawa, et d'un père anglais. Il est chassé pour avoir désobéi aux lois de son clan. Il entreprend alors un voyage vers le Grand Nord pour essayer de retrouver son père et peut-être aussi à la recherche de lui-même, dans une itinérance initiatique. Ce voyage va, en effet, transformer le jeune homme et l'amener à l'âge adulte. Il rencontre l'amour de la jeune indienne Mayoké protégée par Le Grand Esprit des bisons de sa tribu. Il se heurte  aussi aux hommes blancs qui tiennent les comptoirs de fourrures et dont la domination apporte à la population indienne un cortège de maux : division des tribus qui se dressent les unes contre les autres, dépossédées de leur terre et appâtées par le gain, abandon des rituels de chasse qui permettent une communion entre l'Homme et l'Animal sacralisé, destruction massive et inutile des troupeaux de bisons qui va provoquer leur disparition. A la fin de ce premier tome, la civilisation indienne est menacée par les Blancs et l'on se demande si Ohio parviendra à protéger sa tribu de tous ces méfaits. Ce premier tome est suivi d'un second, La Tempête blanche.


                                                          
La tempête blanche (2)

Le tome 2 de Le chant du Grand Nord, sous-titre : La tempête blanche est la suite des aventures de  Ohio, le jeune indien Nahanni et de sa femme Mayoké dont nous avions fait connaissance dans  Le chasseur de neige.
 Ohio, qui a maintenant un fils, continue son voyage à la recherche de son père,  un anglais nommé Cooper, qui a abandonné sa mère, la belle et charismatique Sacajawa. Le jeune couple  est confronté à de nombreux dangers, sort victorieux de l'attaque d'animaux sauvages, essuie des tempêtes redoutables, tombent dans les traquenards de la nature indomptée. Ohio et Mayoké connaîtront aussi de grands malheurs qui affecteront leur couple. Mais Ohio, avec l'aide de ses chiens Huskies et surtout de Torok, le magnifique chef de meute, parviendra  après une course de plusieurs milliers de kilomètres à Québec où  il retrouvera son père. Devenue une légende grâce à son exploit, Ohio accomplira avec Cooper un voyage de retour tout aussi périlleux  qui le ramènera à ses origines. On y retrouve aussi le thème de la civilisation indienne menacée dans sa survie et qui devra peu à peu se plier aux coutumes du peuple blanc. Même si tout n'est pas mauvais dans ce qu'apporte cette civilisation étrangère, Sacajawa parviendra à maintenir les coutumes de son peuple et la chasse qui assure la survie.

Il faut lire le roman de Nicolas Vanier comme un livre d'aventures agréable et divertissant. L'auteur décrit un pays qu'il connaît bien avec ses beautés, ses joies et ses dangers; il évoque la pêche au saumon dans les torrents aux eaux vives, la chasse aux caribous, impressionnante et solennelle, quand passe la Grande Horde dans sa migration annuelle, les bains régénérateurs dans les sources d'eau chaude par des températures glaciales, la descente vertigineuse des rapides en canoé kayak, les combats sans merci avec l'ours ou le carcajou, le passage des cols dans les Rocheuses en hiver. La description des attelages de chiens et de la conduite en traîneau est très réussi comme est plaisante l'histoire d'amour de Ohio avec ses chiens, en particulier avec l'intelligent et fidèle Torok. L'amour de la nature sauvage qui dispense ses bienfaits aux hommes en échange de leur respect est rempli de nostalgie tant on la sent fragile et prête à disparaître. Les coutumes des indiens, leur spiritualité, leurs croyances et leurs moeurs sont présentées d'une manière vivante qui sert l'action du roman.
Certes, Nicolas Vanier n'est pas un Jack London et son style n'a ni lyrisme ni puissance quand il célèbre la nature mais ce roman d'évasion procure d'agréables moments de lecture.

dimanche 26 juin 2011

Clément Marot : Epigramme de moi-même



Clément Marot par Corneille de Lyon

Après Charles d'Orléans (1394-1465), je continue à remonter le temps avec Clément Marot, (1496-1544), poète officiel de François Ier.

Je ne suis plus ce que j’ai été

Et je ne le saurais jamais être,

Mon beau printemps et mon été

Ont fait le saut par la fenêtre.
 
Amour, tu as été mon maître,

Je t’ai servi sur tous les dieux.

Ah, si je pouvais deux fois naître,

Comme je te servirais mieux !
Clément Marot


Les compagnons troubadours de Bookworm

dimanche 19 juin 2011

Eugenia Fakinou : La septième dépouille ou la femme grecque



J'ai lu La Septième dépouille de Eugénia Fakinou pendant mon séjour à Athènes. J'aime découvrir  les écrivains quand je suis dans le pays pour m'imprégner de sa culture. Et je n'ai pas été déçue! Voilà un livre qui force l'admiration. L'écrivain par le jeu de la construction du roman et les voix de femmes qui se répondent nous livre, en un va et vient incessant, l'Histoire de la Grèce. Il n'y a pourtant que trois femmes qui parlent mais  elles font défiler devant nous une galerie de portraits, d'hommes et de femmes d'aujourd'hui ou d'hier qui reviennent des Enfers comme des spectres convoqués par leurs appels.  Le titre La septième dépouille fait allusion à une tradition grecque qui veut que chaque aîné d'une famille soit représenté par une bannière composée d'un vêtement qu'il a porté (une dépouille) pour assister  aux funérailles de l'aîné de la génération suivante. Si l'un d'eux manque à l'appel, il est impossible à l'âme du nouveau défunt de passer dans l'au-delà. Or la septième dépouille a disparu!

ll y a d'abord La Mère.  C'est elle qui détient la clef du passé lointain  et qui connaît l'histoire de tous les ancêtres; c'est grâce à elle que nous traversons les siècles et prenons part aux déchirements de la Grèce, elle est le trait d'union entre le passé et le présent mais aussi entre la Grèce moderne et la Grèce antique. Car les Dieux anciens se mêlent intimement aux humains  et se fondent avec les saints et les pratiques du christianisme. Démeter, c'est son nom, est la mère nourricière, la terre à qui les arbres parlent comme ils s'entretiendront aussi avec Hélène, sa fille;  elle aussi erre à la recherche de sa fille Perséphone. Immigrée dans son propre pays, la Grèce, elle appartient à cette minorité grecque installée en Asie Mineure, chassée par les Turcs qui décapitent son mari. Elle fuit d'un point à un autre,  ce qui l'amènera dans ce coin reculé de  Grèce où elle se fixera. Hélène, sa fille, incarne la génération intermédiaire, celle qui ne s'est pas encore délivrée des coutumes et du poids de la tradition, enfin Roula sa petite fille représente  la jeunesse contemporaine, qui plus est, citadine. Sa vie à Athènes ressemble beaucoup à celle de tout habitant d'une capitale, travail, bus, dodo, une vie difficile  où elle a appris, après la mort de sa mère, à se débrouiller tant bien que mal et à se défendre des avances des hommes.
Parfois le roman, avec ses voix qui se répondent et leurs accents de tragédie antique, résonnent comme une pièce de théâtre. Je le verrai bien facilement transposable à la scène tant le style parlé est évocateur d'images, la parole tour à tour élégiaque et épique devient récit. Un récit jamais linéaire, fragmenté, disloqué mais qui peu à peu, comme un puzzle, acquiert une cohérence.

Mais au-delà de la virtuosité de la forme, ce roman nous touche par les personnages auxquels nous nous attachons : la Mère et son passé tragique et son bel amour pour Andronic, son mari, les sévices qu'elle subit de la part d'une brute sans qu'elle ait aucun recours pour lui échapper, son incarnation du mythe de Démeter qui la fait gardienne des traditions et des rites funèbres; Hélène, qui sacrifie sa vie de femme, en véritable prêtresse de l'arbre dans l'attente de l'oracle, Roula dont les réactions face  aux croyances de sa grand mère et de sa tante  sont  amusantes car elle a le franc parler populaire et  l'esprit rationnel des jeunes générations .. même si on la sent pourtant  vaciller  dans ses convictions quand s'introduit le surnaturel. Toutes incarnent la Femme grecque, trop souvent victime des hommes. Pourtant sous leur apparente fragilité, l'arbre, autre personnage du roman discerne leur force :

 Les femmes ont les grandes passions. Elles écrivent l'Histoire et portent sur leurs épaules le poids des instants décisifs 

Les femmes. Nous nous sommes toujours aimés. Même quand les grandes fêtes ont cessé et que les blanches prêtresses ont revêtu le noir. Il y a toujours quelque femme pour arriver jusqu'ici haletante, une question aux lèvres. Et moi je répondrai....
Parce que j'aime les femmes et les fleurs sauvages. Les grandes passions des femmes et les couleurs des fleurs. Le blanc, le jaune et le mauve.

Alice Hoffman : La lune tortue


L'action de la Lune Tortue se passe dans une petite ville, Verity, en Floride sous une température de 45°, en mai, ce qui est un circonstance aggravante car ce mois-là tout peut arriver et surtout les pires catastrophes! Lucy vient de divorcer et arrive dans cette ville où se réfugient d'autres femmes, divorcées comme elle. Le désespoir y est assez dense!  Elle s'occupe de son fils Keith, 12 ans, qui ne supporte pas d'être avec sa mère dans cette ville de fous! Il veut retourner avec son père à New York. Lorsqu'une femme est assassinée, Keith, qui est témoin, s'enfuit avec le bébé de la victime qu'il veut sauver. C'est à cette occasion que Julien Cash, un policier maître-chien, spécialisé dans la recherche des disparus se lance sur la piste des deux enfants. Il va rencontrer Lucy.

L'histoire est plus ou moins policière, je veux dire que ce n'est pas à mon avis, ce qui est le plus important. Elle est bien contée, les personnages sont intéressants, ils sont blessés par la vie et deviennent ainsi très attachants, proches de nous car l'écrivain sait nous faire partager leurs angoisses. Mais l'aspect le plus original du roman réside dans la description peu banale de cette ville de Floride! A une nature assez inhospitalière s'ajoutent les détériorations causées par l'homme. Les habitants doivent affronter, comme chaque année les tortues de mer qui s'échouent sur l'autoroute, véritables fléaux, lors de leur migration saisonnière, la multitude de serpents à sonnettes, la chaleur torride, écrasante, mais aussi les fuites de l'usine chimique. Les femmes ont les cheveux verdis par le chlore, les filles font des fugues ... Toute la ville semble prise de folie. Cette description crée un climat spécial, bizarre, qui échappe au rationnel. Ainsi cet Ange qui a élu domicile sur un gommier rouge ... En pénétrant dans ce roman, le lecteur se déplace dans un univers étrange, entre réalisme et fantaisie. Certaines images abstraites se matérialisent, le style transcende la réalité, la rend fantastique.  Alice Hoffman fait preuve d'un talent original, très personnel et son livre est passionnant. Du coup j'ai eu envie de continuer à découvrir cet auteur et j'ai lu "Un secret bien gardé" dont je parlerai bientôt.

samedi 18 juin 2011

L'été grec de Jacques Lacarrière (citation)

Le masque d'Agamemnon

Retour de Grèce! Dans le musée national archéologique d'Athènes, j'ai découvert les trésors de la civilisation mycénienne. Les masques d'or, en particulier, qui recouvraient le visage des défunts sont absolument stupéfiants.  Constitués par une feuille d'or qui prend l'empreinte du visage et en épouse les creux et les reliefs, ils donnent l'impression d'une réelle présence. Derrière le masque, on devine l'homme. Ils exercent sur ceux qui les regardent une fascination qui ne tient pas de la morbidité mais d'un autre sentiment. Voilà ce qu'en dit  Jacques Lacarrière dans L'été grec.

A l'encontre des masques égyptiens d'or massif (qui ne sont jamais des portraits mais une représentation idéalisée du mort devenu Osiris), à l'inverse des portraits du Fayoum (si fidèles que l'on peut reconstituer à leur seule vue l'âge, l'appartenance sociale, les fonctions du défunt), ces masques mycéniens sont à la fois d'étincelants portraits et des allégories de la mort souveraine. Souveraineté rendue encore plus apparente encore par cet ultime effort pour préserver le visage des hommes des altérations du néant mais aussi souveraineté de la vie sur la mort car nul doute que ces rois, ces despotes brutaux gavés de guerre, de chasse et de razzia n'aient cru continuer de régner sur leur peuple depuis leur tombe. Ils continuent manifestement de régner, de chasser, d'ordonner quelque part, entre le monde des ombres et celui des vivants et cette pérennité fantomatique, cette survie posthume marquent encore la Grèce classique (l'oeuvre d'Eschyle notamment) plus de dix siècles après la fin du règne de Mycènes.
 (...)  Si l'on veut tuer un roi mycénien, il faut le tuer deux fois, comme vivant et comme mort,  en ligotant son ombre par des rites appropriés. Ainsi dans son Agamemnon, Eschyle fait-il de Clytemnestre, meurtrière de son mari, un être écartelé entre la joie de la vengeance et la terreur de savoir qu'à Mycènes les morts ne meurent jamais entièrement. Dans son effort, dans son espoir dément d'abolir le règne posthume de son époux, elle mutile son cadavre en lui tranchant le sexe. Mais même ainsi, elle ne pourra vraiment le tuer : l'ombre continuera de vivre dans la tombe mais de vivre impuissante, sans action sensible sur les vivants.

 Les enfants des tombes royales de Mycènes

Ces masques proviennent de tombes royales. Dans l'une d'elles, à côté des adultes, deux jeunes morts. Leurs  jambes et leurs bras ont été recouverts de feuilles d'or, ce qui nous donne un aperçu de leur taille respective. Deux petits enfants revenus de la mort, présences éphémères et fragiles, dont l'or dessine une silhouette imprécise mais émouvante.


 Merci à Chiffonnette

Edward Abbey : Le feu sur la Montagne

Billy, 12 ans, vient passer les vacances chez son grand père dans un ranch du Nouveau-Mexique. Il se fait une joie de retrouver le vieil homme, John Vogelin, et son ami, Lee, mais aussi la liberté  des grands espaces, les bêtes du ranch, les chevauchées dans la nature... une nature pourtant peu hospitalière avec ce climat semi-désertique, ces terres arides, cette chaleur implacable, toutes calamités qui permettent  à peine au grand père de subsister.  Oui, mais les paysages ont une beauté magique, les couchers de soleil sont sublimes, sans parler des rencontres palpitantes avec  les animaux sauvages, des veillées autour d'un feu de bois, des nuits à la belle étoile... Billy est enthousiaste; plus tard, il aimerait bien venir travailler ici. Pourtant, lorsqu'il arrive il ne tarde pas à deviner la menace qui plane sur leur tête. L'US Air Force veut racheter le ranch de grand père pour y installer un champ de missiles.  Mais John Vogelin va se battre jusqu'au bout pour garder sa propriété, épaulé dans ce combat par son petit-fils. On devine pourtant que cette lutte est bien inégale.

J'ai vraiment adoré ce livre. Son charme tient, bien sûr, à la description de cette nature à laquelle Edward Abbey voue un grand amour qu'il a l'art faire partager. Il me donne envie de galoper à côté de nos héros malgré la chaleur, la soif, les fesses tannées par le cuir de la selle, de vivre à la dure, enserrant les dents, pour paraître costaud, comme le fait le petit Billy! Quand je lis un roman convaincant, je suis souvent capable de telles prouesses, mourant de soif dans le désert ou les pieds gelés dans le blizzard du Grand Nord canadien. C'est tellement bon de vivre à l'extrême, confortablement installée dans un fauteuil! 
Et puis derrière cette beauté, apparaît la fragilité de cette nature, des animaux, d'abord, que l'homme déclare nuisibles et qu'il détruit sans discernement, de ces paysages splendides que l'on va sacrifier à la guerre, que l'on va livrer à la destruction. Il y a la dénonciation du pouvoir exorbitant de l'armée qui peut exproprier les gens, les envoyer en prison s'ils résistent. Edward Abbey, exprime ici un sentiment écologique et antimilitariste. Contestataire, il prône le refus d'obéissance, le recours à l'auto-défense qui n'a rien de pacifique d'ailleurs! C'est l'arme à la main que le vieux Vogelin entend défendre son domaine, dans le meilleur style des westerns.

J'ai aimé aussi les liens qui unissent le grand père et le petit fils, cette conformité d'humeur et de goûts, cette solidarité farouche de l'enfant envers le vieillard, cette tendresse pudique que l'un ou l'autre ne veut pas exprimer mais qui apparaît à tout moment dans un mot, dans un geste, dans leur complicité étroite. C'est à travers des dialogues pleins d'humour, assez pince-sans-rire, que se dessine le caractère de l'enfant, les principes d'éducation du vieil homme et ses contradictions, et aussi la belle amitié et le respect mutuel qui lient le vieil homme, l'enfant et Lee, autre personnage important du récit.

Les engoulevents montaient et plongeaient sur le rideau de l'aube naissante, conscients de l'imminence du jour. Des pies firent leur apparition, oiseaux affamés au plumage noir et blanc d'universitaires guindés, et se mirent à piailler et piailler comme des théologiens qui se  querellent. Un troglodyte s'éveilla et poussa son chant de chute d'eau cristalline.
-Le paradis peut-il être plus beau? demandai-je.
- Le climat  est un peu meilleur ici, répondit Grand-père
- Il y a moins d'humidité, dit Lee.



J'ai découvert ce livre et ai eu envie de le lire dans le blog de Mango

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et aussi Folfaerie

Andres Serrano : le Piss Christ ou le Christ recrucifié



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Le jour où je me suis enfin décidée à aller voir l'exposition de la Fondation Lambert  :Je crois aux miracles, j'apprends que le musée est fermé parce que l'oeuvre  Andres Serrano, le Piss Christ, a été vandalisée par un groupe de catholiques extrémistes.
piss-christ-endommage.1305887035.jpgC'est donc plus tard que j'ai pu visiter l'exposition. La vision de Piss Christ que le conservateur a choisi de montrer après sa partielle destruction m'a choquée. Le visage du Christ est martelé, défoncé, amalgamé aux débris de verre. L'image en acquiert une force décuplée. Elle est le témoignage de la violence, du fanatisme mais aussi de la sottise humaine, c'est le Christ recrucifié!
La première fois que j'ai vu cette photographie qui a déjà été exposée à la Fondation Lambert, j'ai été frappée par la spiritualité qui émane de cette image. Sur ce fond de sang, le crucifix trempé dans l'urine se détache, dorée, comme habitée par une lumière qui provient non d'une source extérieure mais du Christ lui-même. Et cette lumière est si intense que le corps crucifié semble se dissoudre, se dématérialiser devant nos yeux. L'effet est d'une grande beauté mais aussi d'une vraie religiosité. Les éléments organiques, sang et urine, qui  composent la photo créent un effet de matière, d'épaisseur, qui contraste avec cette impression de sacré et rappellent la dualité du  Christ, Dieu mais homme aussi.
Je ne connaissais pas du tout, à l'époque, les intentions de l'artiste et je me suis demandé ce que l'oeuvre signifiait.
Le sang et l'urine étaient-ils le symbole de la Passion du Christ  : le sang de la souffrance  sous la torture, la flagellation, la crucifixion; l'urine, symbole de l'humiliation, des insultes, du calvaire vécu par l'homme livré à l'animalité de la foule?
Ou bien, au contraire, Andres Serrano, signait là une oeuvre volontairement provocatrice, pour dénoncer les crimes de la religion chrétienne, ces siècles d'obscurantisme, de fanatisme, de haine qui ont fait fleurir en Europe les tribunaux et les bûchers de l'Inquisition, les autodafés, les lynchages, les croisades et autres ignominies?
Pour avoir la réponse, il faut lire l'interview de Andres Serrano paru dans La Provencelors du passage de l'artiste à Avignon après la destruction de son oeuvre : Je ne suis pas un blasphémateur dont voici un extrait :
- Quel est le message de "Piss Christ" ? 
A.S. : Vous savez, les artistes ne pensent pas vraiment au message, il faut préserver une part de mystère... Maintenant, si on parle de ce que dit cette oeuvre sur le Christ, je voulais rappeler ce qu'est vraiment une crucifixion. Parce qu'un crucifix, ce n'est qu'un objet en bois familier, dont on ne se rappelle pas vraiment le sens. Le Christ a été mis en croix, il a été battu, on lui a percé le flanc avec une lance, il a pissé, il a chié et il a saigné jusqu'à la mort... Je veux qu'en regardant "Piss Christ", les gens se rappellent de ça.

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Les autres oeuvres exposées dans la pièce avec le Piss Christ témoignent de cette même spiritualité. Parmi elles, la Pieta aux couleurs riches et somptueuses, semblable à une Vierge de la Renaissance, montre le visage vieillie, marqué par la souffrance de la Mère de Dieu qui tient dans ses bras son fils couronné d'épines. Que le Christ soit noir provoque un choc et donne une autre signification au tableau qui devient alors témoignage des souffrances du peuple noir. Une autre photographie intitulée Soeur Jeanne Myriam montre les mains humbles, ridées d'une religieuse se détachant sur l'aube blanche, symbole de foi et de pureté. Elle aussi a été stupidement endommagée par les intégristes qui non seulement ne comprennent rien à l'art mais dénient à l'artiste sa liberté de penser et de créer .
Ce sont les mêmes qui, il y quelques  siècles, brûlaient les oeuvres de Boticelli!

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Dimanche poétique : Charles d'Orléans, Las! Mort...


 Après avoir lu le beau roman de Hella H. Haasse, En la forêt de Longue attente qui retrace la vie de Charles d'Orléans, chef de la lignée d'Orléans, père de Louis XII et ... poète, voici une ballade dédiée à Bonne d'Armagnac, sa deuxième femme! Fait prisonnier à la bataille d'Azincourt par les anglais, Charles d'Orléans est resté vingt-cinq en exil et n'a jamais revu son épouse.  Il apprend sa mort lorsqu'il est en captivité, ce qui lui inspire ce poème.
 Las ! Mort, qui t'a fait si hardie

De prendre la noble Princesse

Qui était mon confort, ma vie,
 
Mon bien, mon plaisir, ma richesse !

Puisque tu as pris ma maîtresse,

Prends-moi aussi son serviteur,

Car j'aime mieux prochainement 
m
ourir que languir en tourment,

En peine, souci et douleur !



Las! de tous biens était garnie

Et en droite fleur de jeunesse!

Je prie à Dieu qu'il te maudie,
 
Fausse Mort, pleine de rudesse!

Si prise l'eusses en vieillesse,

Ce ne fût pas si grand rigueur;

mais prise l'as hâtivement,

Et m'as laissé piteusement

En peine, souci et douleur !



Las ! je suis seul, sans compagnie!

Adieu ma Dame, ma liesse !

Or est notre amour departie,

Non pourtant, je vous fais promesse

Que de prières, à largesse,
 
Morte vous servirai de coeur,
  
Sans oublier aucunement;

Et vous regretterai souvent

En peine, souci et douleur.



Dieu, sur tout souverain Seigneur,

Ordonnez, par grâce et douceur,

De l'âme d'elle, tellement

Qu'elle ne soit pas longuement

En peine, souci et douleur !


Les compagnons Troubadours du dimanche de Bookworm :
Alex : Mot-à-mots Alinea66 : Des Livres… Des Histoires…Anne : Des mots et des notes, Azilis : Azi lis, Cagire : Orion fleur de carotte, Chrys : Le journal de Chrys, Ckankonvaou : Ckankonvaou, Claudialucia : Ma librairie, Daniel : Fattorius, Edelwe : Lectures et farfafouilles, Emmyne : A lire au pays des merveilles, Ferocias : Les peuples du soleil, George : Les livres de George, Hambre : Hambreellie, Herisson08 : Délivrer des livres?, Hilde : Le Livroblog d’Hilde , Katell : Chatperlipopette, L’Ogresse de Paris : L’Ogresse de Paris, L’or des chambres : L’Or des Chambres, La plume et la page : La plume et la page, Lystig : L’Oiseau-Lyre (ou l’Oiseau-Lire), Mango : Liratouva, MyrtilleD : Les trucs de Myrtille, Naolou : Les lectures de Naolou,Oh ! Océane !, Pascale : Mot à mot, Sophie : Les livres de Sophie, Wens : En effeuillant le chrysanthème, Yueyin : Chroniques de lectures Océane :

Jorge Semprun, L'écriture ou la vie ( citation )


 L'écriture ou la vie


Je ne possède rien d'autre que ma mort, mon expérience de la mort, pour dire ma vie, l'exprimer, la porter en avant. Il faut que je fabrique de la vie avec toute cette mort. Et la meilleure façon d'y parvenir, c'est l'écriture. Or, celle-ci me ramène à la mort, m'y enferme, m'y asphyxie. Voilà où j'en suis : je ne puis vivre qu'en assumant cette mort par l'écriture, mais l'écriture m'interdit littéralement de vivre.
 

La vie était encore vivable. Il suffisait d'oublier, de le décider avec détermination, brutalement. Le choix était simple : l'écriture ou la vie. Aurais-je le courage- la cruauté envers moi-même- de payer ce prix?




La Mort qu'il faut

Une année à Buchenwald m'avait appris concrètement ce que Kant enseigne, que le Mal n'est pas l'inhumain, mais, bien au contraire, une expression radicale de l'humaine liberté.