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lundi 30 juin 2014

Molière : L'école des femmes et la critique de l'école des femmes


Isabelle Adjani interprète Agnès dans l'Ecole des femmes

Dans L'école des femmes, Arnolphe, un vieux célibataire obsédé par la peur du cocuage, prétend qu’une femme ne peut être vertueuse et fidèle que si elle est ignorante et sotte. Aussi, pour avoir une épouse qui ne le mette pas en danger, il fait élever sa jeune pupille, Agnès, hors du monde, en la maintenant dans la plus profonde ignorance, sous la garde d’un valet et d’une servante qui sont comme elle.  Elle a maintenant 16 ans et il est décidé à l'épouser.
La jeune Agnès, malgré l'isolement dans lequel elle est tenue, aperçoit un jour, par la fenêtre, un beau jeune homme, Horace, qui la salue. Elle lui répond avec innocence et se laisse émouvoir par la prestance du jeune homme et ses protestations d' amour. Mais Horace, qui est le fils d'un ami d'Arnolphe,  prend le barbon pour confident  et lui avoue son amour. Arnolphe ne va avoir de cesse d'empêcher les deux jeunes gens de s'aimer mais chaque fois ses tentatives se soldent par un échec. Et bien sûr l'amour triomphe tandis que la jeune fille se libère et accède à la connaissance en même temps qu'à l'amour.

L'école des femmes


L'école des femmes est une pièce des des plus passionnantes de Molière en ce qui concerne le thème de la femme, une belle réflexion sur la condition féminine au XVIIème siècle et sur la légitimité des aspirations des femmes à la connaissance et au choix de leur époux. Elle est très riche à tous les égards et Arnolphe en barbon amoureux (il a 45 ans!) est un personnage complexe, odieux et touchant, ridicule et tragique à la fois dans son amour pour la jeune fille. Mais c'est à Agnès que je vais m'intéresser dans ce billet : un magnifique personnage de femme qui s'éveille à la vie et à la pensée par le miracle de l'amour. Car dit Horace :

Il le faut avouer, l’amour est un grand maître :
Ce qu’on ne fut jamais il nous enseigne à l’être ;
 (III, 4, )

 Arnolphe prend en charge Agnès à l'âge de 4 ans dans le but avoué de la faire élever pour en faire son épouse; on voit déjà qu'aucune loi ne protège une fillette orpheline, issue d'un milieu pauvre, de la concupiscence de l'adulte.

Dans un petit couvent, loin de toute pratique,
Je la fis élever, selon ma politique,
C’est-à-dire ordonnant quels soins on emploierait,
Pour la rendre idiote autant qu’il se pourrait.
Dieu merci, le succès a suivi mon attente.. Acte I scène 1


Agnès est donc maintenue dans l'isolement et l'ignorance par un tuteur qui  se réserve le droit d'agir envers elle comme si elle n'avait pas d'existence propre, de volonté :

En un mot, qu’elle soit d’une  ignorance extrême ;
Et c’est assez pour elle, à vous en bien parler,
De savoir prier Dieu, m’aimer, coudre, et filer. (Acte I scène 1)


Il veut donc en faire sa "chose", une poupée docile et malléable. C'est ce qu'il exprime très clairement dans la scène 3 de l'acte III :

Je ne puis faire mieux que d’en faire ma femme.
Ainsi que je voudrai je tournerai cette âme ;
Comme un morceau de cire entre mes mains elle est,
Et je lui puis donner la forme qui me plaît. (III, 3, )


 Complexe de Pygmalion? Non, plutôt la  folie d'un homme en proie à son obsession,  - ici la peur d'être un mari trompé- , et qui comme tous les personnages de Molière se laisse gouverner par son idée fixe (Harpagon, Tartuffe, Alceste, Dom Juan...). 

Agnès Sourdillon (Agnès) et Pierre Arditti (Arnolphe)

 En 2001, au festival d'Avignon, le metteur en scène Didier Bezace soulignait le tragique de cette Agnès interprétée par Agnès Sourdillon, qui apparaissait comme une poupée de son secouée et manipulée par Arnolphe (Pierre Arditti), une marionnette dont il tirait les ficelles.

Dans l'acte I scène 2,  l'on voit en effet, qu'il a réussi. Agnès apparaît d’une incroyable innocence, une petite sotte qui demande "si les enfants qu'on fait se faisaient par l'oreille". Elle ne s'ennuie jamais, dit-elle, et semble passer sa vie à coudre des chemises et des cornettes, sans distraction, sans même pouvoir rencontrer une personne sensée, en dehors des deux nigauds qui lui servent de geôliers. Elle vit son emprisonnement comme une chose naturelle puisqu'elle n' a jamais connu autre chose. Elle ne souffre pas car elle n'est pas maltraitée;  elle est endormie dans un espace sans consistance, une belle au bois dormant en dehors de la vie.
 Mais les sentiments qu'elle commence à éprouver pour Horace, la font, on va le voir bien vite, évoluer.  Elle s'éveille à la sensualité et est troublée par la nouveauté d’une telle expérience :

Il jurait qu’il m’aimait d’une amour sans seconde,

Et me disait des mots les plus gentils du monde,

Des choses que jamais rien ne peut égaler,

Et dont, toutes les fois que je l’entends parler,

La douceur me chatouille et là-dedans remue

Certain je ne sais quoi dont je suis tout émue. (II, 5, v. 559-564)

Désormais c'est en vain qu'Arnolphe essaie d'employer la crainte pour la remettre dans le droit chemin et lui fait étudier la liste des devoirs du mariage.

Il est aux enfers des chaudières bouillantes
Où l’on plonge à jamais les femmes mal vivantes. (III, 2, v. 727-728)

Elle reçoit Horace dans sa chambre, elle répond à son amour malgré les menaces que son tuteur fait peser sur elle. Peu à peu, elle se révolte, et avec intelligence et vivacité, elle retourne les préceptes de son tuteur contre lui-même lorsqu' il lui reproche de suivre un galant pour se marier :

J’ai suivi vos leçons, et vous m’avez prêché
Qu’il se faut marier pour ôter le péché.

 La naïveté d'Agnès  et sa franchise sans détour sont des  ressorts comiques car elles  renvoient Arnolphe  à sa propre responsabilité. C'est lui qui a voulu que Agnès ne sache rien de l'amour.

Elle va même plus loin, en refusant d'être considérée comme un ingrate et  déclare qu'elle ne doit rien à un homme qui l'a traitée comme une esclave.  Elle semble même ignorer la cruauté dont elel fait preuve  en lui répondant comme elle le fait...  à moins qu'elle n'en soit parfaitement consciente et manifeste ainsi sa colère et sa révolte :

Chez vous le mariage est fâcheux et pénible
Et vos discours en font une image terrible :
Mais las! Il le fait lui si rempli de plaisirs
Que de se marier il en donne l'envie Acte IV scène 4

Elle prend  aussi conscience de l'étendue de son ignorance et du fait qu'elle est un sujet de raillerie pour les autres. Elle  souffre d'être tenue pour sotte et ose le dire en face à son tuteur accédant ainsi au tragique de l'existence.

Croit-on que je me flatte et qu'enfin dans ma tête,
Je ne juge pas bien que je suis une bête?
Moi-même j'en ai honte et dans l'âge où je suis
je ne veux plus passer pour sotte si je puis. (Acte V scène 4)

Dans la scène 8 de l'acte V,  elle  ne veut plus être celle qui accepte passivement les ordres d'un maître et cherche à prendre en main son destin quitte à mettre ses jours en danger. Ainsi la domestique, Georgette, vient avertir Arnolphe de la rebellion d'Agnès :

Monsieur si vous n'êtes auprès
Nous aurons de la peine à retenir Agnès,
Elle veut à tous coups s’échapper, et peut-être
Qu’elle se pourrait bien jeter par la fenêtre. Acte V scène 8


L'évolution d 'Agnès est achevée. Elle est devenue adulte. C'est une femme consciente, intelligente et courageuse qui lutte pour son amour et pour sa liberté.


La critique de l'école des femmes

 

L'école des femmes est parue en 1662 et a obtenu un vif succès populaire avec de très nombreuses représentations. Elle a suscité aussi de violentes controverses menées par les détracteurs de Molière, des mondains qui déclarent la pièce trop leste et peu respectueuse de la morale, et aussi par d'autres comédiens  (la troupe des grands comédiens de l'Hôtel de Bourgogne) jaloux de Molière. C'est la fameuse querelle de L'école des femmes. Celui-ci décide de répondre à ses ennemis par une oeuvre  d'un acte intitulée : La critique de l'école des femmes.
Dans son salon, Uranie et Elise, sa cousine, reçoivent des amis qui représentent les différents types de la société mondaine parisienne, Climène, précieuse et prude,  le petit marquis ridicule et fat, Lysisdas, l'auteur jaloux, Dorante, l'honnête homme. Toutes les conservations roulent sur le même sujet : la pièce de Molière que tout le monde critique mais que tout le monde va voir! Uranie et Dorante prennent la défense de la pièce et récuse l'accusation d'obscénité. La suite du débat portesur les règles que l'on reproche à Molière de n'avoir pas respectées, ce qui est vrai, par exemple pour la règle des trois unités.  La réponse que donne Molière est un véritable manifeste  qui donne un aperçu global de ses idées sur le théâtre.

Réponse sur le respect des règles : scène 6

Dorante.- Vous êtes de plaisantes gens avec vos règles dont vous embarrassez les ignorants, et nous étourdissez tous les jours. (...) Je voudrais bien savoir si la grande règle de toutes les règles n’est pas de plaire ; et si une pièce de théâtre qui a attrapé son but n’a pas suivi un bon chemin.


Uranie.- Pour moi, quand je vois une comédie je regarde seulement si les choses me touchent, et lorsque je m’y suis bien divertie, je ne vais point demander si j’ai eu tort, et si les règles d’Aristote me défendaient de rire.

Réponse sur la hiérarchie des genres . Le XVII siècle considérait la comédie comme inférieure à la tragédie scène 6

Uranie.- Ce n’est pas mon sentiment, pour moi. La tragédie, sans doute, est quelque chose de beau quand elle est bien touchée ; mais la comédie a ses charmes, et je tiens que l’une n’est pas moins difficile à faire que l’autre  .

Dorante.- Assurément, Madame, et quand, pour la difficulté, vous mettriez un plus du côté de la comédie peut-être que vous ne vous abuseriez pas. Car enfin, je trouve qu’il est bien plus aisé de se guinder sur de grands sentiments, de braver en vers la Fortune, accuser les Destins, et dire des injures aux dieux, que d’entrer comme il faut dans le ridicule des hommes, et de rendre agréablement sur le théâtre les défauts de tout le monde. Lorsque vous peignez des héros, vous faites ce que vous voulez ; ce sont des portraits à plaisir, où l’on ne cherche point de ressemblance ; et vous n’avez qu’à suivre les traits d’une imagination qui se donne l’essor, et qui souvent laisse le vrai pour attraper le merveilleux. Mais lorsque vous peignez les hommes, il faut peindre d’après nature; on veut que ces portraits ressemblent ; et vous n’avez rien fait si vous n’y faites reconnaître les gens de votre siècle. En un mot, dans les pièces sérieuses, il suffit, pour n’être point blâmé, de dire des choses qui soient de bon sens, et bien écrites : mais ce n’est pas assez dans les autres ; il y faut plaisanter ; et c’est une étrange entreprise que celle de faire rire les honnêtes gens.

Mais La critique de L'école des femmes n'est pas seulement un manifeste. C'est aussi une comédie avec des portrait qui ressemblent, où Molière entre comme il faut dans le ridicule des hommes et d'une manière agréable, pour nous faire rire.

LC avec Maggie 


Challenge En scène chez Eimelle

vendredi 27 juin 2014

Jean-Christophe Bailly : La légende dispersée, anthologie du romantisme allemand

Philippe Otto Runge peintre, théoricien de la peinture romantique :  




La légende dispersée est une anthologie du romantisme allemand de Jean-Christophe Bailly dans une réédition 2014 aux éditions Bourgois. Si le romantisme français m'est familier, je connais mal la littérature allemande romantique qui a eu une telle influence sur les écrivains de notre pays au début du XIX siècle. D'où le choix  de ce livre pour la découvrir.

L'homme n'est pas seul à parler - l'univers aussi parle -tout parle - des langues infinies. Novalis

Mais d'abord pourquoi ce titre? Il évoque la façon dont le romantisme allemand est né, s'est propagé non en ligne droite, mais par ondes, par retour sur soi-même, interférences entre différents genres, sans système, unique et en même temps multiple. Le romantisme allemand, en effet, n'est pas à proprement dit un "mouvement" car il n'éprouve pas le besoin d'établir des règles et des lois contrairement au romantisme français, au contraire il refuse les limites. Il est en fait un moment fugace mais brillant où sous l'influence de la Révolution française, les écrivains portèrent l'idée de liberté au plus haut degré; il ne s'agit pas d'une révolution au sens social ou politique mais spirituelle aux formes multiples, une prolifération des sens entre les différents genres de la littérature mais aussi entre les sciences, l'art, la philosophie, une construction d'un mythe qui se propage, qui se démultiplie, se brise en éclats d'où le titre du livre que Jean-Christophe Bailly explique  ainsi : "La légende dispersée est le nom romantique que j'avais donné à ce mouvement d'émancipation, à cette dissémination à la fois éperdue et rassemblée du sens".

Cette anthologie qui ne se veut pas exhaustive introduit d'abord les précurseurs du romantisme  : Moritz, Jean-Paul, Fichte, Hölderlin. Puis sont présentés trois lieux distincts, Iéna, Heidelberg, Berlin, qui correspondent chacun à une époque du romantisme, trois périodes fluctuantes qui montrent le cheminement et l'évolution du romantisme, qui se succèdent rapidement et ne se donnent aucune structure  : "et très vite le vent les souffle comme si les individus eux aussi étaient des grains de pollen, des fragments d'une entité qui doit rester invisible pour que les ondes puissent continuer à se propager des uns aux autres…"

Iéna en 1798  est l'explosion initiale : Novalis, Wackenroder, Tieck, August Schlegel, Friedricf Schegel, Schelling, Schleiermacher,

Heidelberg quelques années plus tard, / Et Berlin   Bonaventura,  Günderode, C Bretano, B. Brentano, Arnim, Kleist, CD Friedrich, PO Runge, Hoffmann, Chamisso, la Motte-Fouqué, J.Kerner

Enfin viennent les derniers noms d'un romantisme tardif :  Eichendorff, Waiblinger, Grabbe, Lenau.

Outre les caractéristiques principales du romantisme allemand, la multiplicité de ses voix originales,  cette anthologie m'a permis de retrouver des noms qui m'étaient connus, Novalis, Hoffmann, Kleist, Friedrich, Runge,  Lenau… et de rencontrer des auteurs qui me donnent envie d'aller plus loin dans leur découverte : par exemple Karl Philipp Moris (Anton Reiser), Tieck (Frantz Sternblad ou Eckbert le blond) ou Chamisso (la merveilleuse histoire de Peter Schlemihl).


Philipp Moritz (Anton Reiser)

"Le caractère limité de l'individu lui était sensible.
Il ressentait cette vérité : de tous les millions d'êtres qui sont  et qui ont été on n'est jamais qu'un seul.
Son désir était souvent de s'imaginer en totalité dans l'être et dans l'esprit d'un autre -quand d'aventure dans la rue, il passait tout près d'un autre homme qui lui était complètement étranger- la pensée de l'étrangeté de cet homme, de la totale ignorance que l'un avait du destin de l'autre, devenait si vive que, dans la mesure où la bienséance le permettait, il s'en approchait de plus près qu'il pouvait pour accéder un instant à son atmosphère et voir s'il ne pourrait pas traverser la paroi qui séparait des siens les souvenirs et les pensées de l'étranger."


Casper Friedrich : deux hommes contemplant la lune

Mais moi je me tourne vers la Nuit sacré, l'ineffable, la mystérieuse nuit. Là-bas gît le monde, au creux d'un profond sépulcre enseveli -vide et solitaire est sa place. Aux cordes du coeur bruit la profonde mélancolie. Que je tombe en gouttes de rosée, que je m'unisse à la cendre! Lointains du souvenir, voeux de la jeunesse, rêves de l'enfance, de toute une longue vie l'inutile espérance et les brèves joies se lèvent dans leurs vêtements gris, pareils à la brume du soir quand le soleil s'est couché. Ailleurs, dans d'autres espaces, la lumière a déployé ses tentes d'allégresse. Pourrait-elle jamais ne retourner vers ses fils qui l'attendant avec la foi de l'innocence?
 Novalis Hymnes à la nuit 






Merci à Dialogues Croisés et aux éditions Bourgois


mardi 24 juin 2014

Glaz 4 est paru!


Glaz le magazine numérique collectif de Gwenaelle vient de sortir. Il est consacré à la Bretagne! Ne manquez pas d'aller le lire. En voici le sommaire :

Sommaire

Flâneries Nantaises 6
Les Côtes d’Armor 10
La Gacilly, une cité d’art en pays de Redon 14
Contemplations 16
L’Ecole des Filles 22

Escales en littérature
 
Rencontre avec Fabienne Juhel 29
Le corps perdu de Suzanne Thover 34
Georges Perros, un homme discret 38
Xavier Grall 42
Anatole Le Braz 44
Ernest Renan 48
Promenade en Bretagne 50
avec Chateaubriand
Noir en Bretagne 56
Liscorno 60
 
Les Nouvelles 62
 
Les Voyageurs 63
Pourquoi le Mont-Saint-Michel est normand... 65
Le loup de la Dosenn 67
Le Renard 70

et beaucoup de belles photographies!

Gwenaelle attend vos avis et vos suggestions pour le numéro suivent : Glaz 5

dimanche 22 juin 2014

Ed McBain : Dix plus un



 
Ed Mac Bain  (1926-2005) de son vrai nom Salvatore Lombino est un auteur américain d'origine italienne qui a vécu son enfance à Harlem à New York puis dans le Bronx. Il est devenu l'un des grands maîtres du roman noir, créant des personnages récurrents, des flics travaillant dans le 87ème district d'Isola. Steve Carella est le personnage principal, inspecteur entouré de ses collègues à qui McBain a donné un passé, une personnalité, et qu'il suit non seulement dans leur vie professionnelle mais aussi dans leur vie privée et familiale.




 Chaque roman, loin de se polariser sur une seule enquête policière, montre le quotidien d'un commissariat dans la ville fictive d'Isola imaginée par l'auteur qui a pris New York pour modèle. C'est une ville avec ses quartiers riches ou miséreux; dans ces derniers se croisent, noirs, irlandais, portoricains, victimes et tueurs, prostituées et caïds, et les crimes les plus crapuleux alternent avec toutes sortes de délinquance. Ainsi il dresse le portrait d'une société où règne l'inégalité, la misère, le racisme, la violence et qui ressemble comme deux gouttes d'eau à la société new yorkaise! Et pour cause!
Steve Carella, d'origine napolitaine,  vit sa vie dans les 53 romans qui lui sont consacrés de 1956 à 2005. Il entre dans la police à 21 ans et s'il vieillit ce n'est pas au rythme de la parution des romans. Il épouse Teddy, une jeune femme, sourde et muette, qu'il aime d'un grand amour, refusant malgré les occasionsqui se présentent de lui être infidèle, l'encourageant à être complètement autonome malgré son handicap. Ils ont des jumeaux Mark et April. Il est entouré de ses partenaires que nous apprenons à connaître, Bert Kling, Meyer Meyer … et a pour patron Peter Byrnes, le chef des inspecteurs du 87ème district.
Steve Carella a été interprété à l’écran par plusieurs grands acteurs : Jean-Louis Trintignant, Burt Reynolds, Donal Sutherland, Robert Lansing…

Ed Mc Bain a utilisé plusieurs pseudonymes Evan Hunter, Richard Marsten, Hunt Collins, Curt Cannon et Ezra Hannon. Il est aussi scénariste, en particulier du film Les oiseaux d'Hitchcock d'après Daphné du Maurier.
Ten plus One (dix plus un) a été publié en 1963 et adapté à l'écran par Philippe Labro qui a transposé l'action dans la société français, à Nice, dans les années 1970.

Jeain-Louis Trintignant : Steve Carella


Le sujet :
Un "canardeur", tireur d'élite, tue l'une après l'autre des personnes qui n'ont apparemment aucun lien entre elles :  marchand de primeurs, riche avocat, homme politique en vue, prostituée, auteur … Un casse-tête pour Carrela et ses collègues jusqu'au moment où ils découvriront le fil conducteur et le drame qui est à l'origine de ces meurtres en série. Une belle exploration de toutes les couches de la société.

Dix plus un n'est pas un des meilleurs romans de Mc Bain qui s'y montre parfois un peu trop démonstratif, partant dans de grandes diatribes contre l'antisémitisme, l'injustice sociale etc.. Je préfère quand il explore les mêmes thèmes mais dans l'action, sans avoir l'air d'y toucher. D'autre part, on y apprend peu de choses sur Carella et ses collègues dont le profil reste assez flou. Pourtant,  le roman me paraît plus riche que le film de Labro quant à la critique sociale et la personnalité des victimes et du tueur.



 
La réponse est : 
Dix pour un de Mc Bain
Sans mobile apparent de Philippe Labro
Félicitations à Aifelle, Dasola, Keisha, Pierrot Bâton, Somaja, Syl .. et merci à tous ceux qui sont venus voir l'énigme.

 Samedi 28 Juin, la dernière énigme avant les vacances d'été est chez Eeguab

samedi 21 juin 2014

Un livre/un film : énigme 99




Wens En effeuillant le chrysanthème et moi-même, nous vous proposons, le 1er et le 3ème samedi du mois, et le 5ème pour les mois avec cinq samedis un jeu sous forme d'énigme qui unit nos deux passions : La littérature et le cinéma! Il s'intitule : Un livre, Un film. Chez Wens vous devez trouver le film et le réalisateur, chez moi le livre et l'auteur.

Chez Eeguab, le 2ème et 4ème samedi du mois vous trouverez l'énigme sur le film et le livre
Consignes :  Vous pouvez donner vos réponses par mail que vous trouverez dans mon profil : Qui êtes-vous? et  me laisser un mot dans les commentaires sans révéler la réponse pour m'avertir de votre participation. Le résultat de l'énigme et la proclamation des vainqueurs seront donnés le Dimanche.
La prochaine énigme aura lieu le samedi  28 Juin chez Eeeguab. ce sera la dernière avant les vacances d'été.

Enigme 99
L'auteur du roman dont vous devez retrouver le titre est un américain d'origine italienne. Il est un des maîtres du roman noir. Il écrit sous plusieurs pseudonymes mais celui qui nous intéresse est le plus connu. D'une oeuvre à l'autre, il nous raconte le quotidien d'une équipe de policiers dans un quartier de New York. L'un de ces personnages récurrents - bien en avant que ce ne soit une mode littéraire-, américain d'origine italienne comme son auteur, porte un nom devenu célèbre dans le monde de la littérature. 
Personne ne pense à la mort par une belle journée de printemps. 
Le moment de mourir, c'est l'automne, pas le printemps. L'automne encourage les pensées macabres et incite aux songeries morbides; il flatte le désir de mort en montrant comment tout se fâne et se flétrit. L'automne est poétique comme l'enfer, rapide, succinct; il pue la moisissure et la cendre. Les gens meurent beaucoup en automne. Tout meurt beaucoup en automne.
Rien n'a le droit de mourir au printemps. Il y a une loi qui le dit : article 5006 du code pénal, mort au printemps : "quiconque mourra ou provoquera ou complotera la mort d'un tiers, ou nourrira des pensées de mort durant l'équinoxe du printemps se rendra coupable de trahison et encourra une peine de..." Ca continue dans ce style. Cet article interdit formellement la mort entre le 21 mars et le 27 juin, mais il y en a toujours qui transgressent la loi, il n'y a rien à faire.
L'homme qui sortait des bureaux de Culver Avenue était sur le point de la transgresser.

mercredi 18 juin 2014

Shakespeare : Comme il vous plaira




Contrairement à ce que je croyais, je n'avais jamais lu (ni vu) Comme il vous plaira  et comme d'habitude à la première découverte d'une pièce de Shakespeare, ce qui domine, ce sont les interrogations  qu'elle éveille en moi.

Le sujet de la pièce

Mais d'abord le sujet de la pièce.Voici la présentation du livre de poche de Yves Bonnefoy à laquelle j'ajoute quelques précisions :

Chargé de l'éducation de son jeune frère Orlando depuis la mort de leur père, Olivier le déteste assez pour se réjouir qu'il puisse périr lors d'un corps à corps avec un lutteur. Mais Orlando triomphe sous les yeux de Rosalinde  et s'éprend d'elle. La jeune fille pourtant doit partir maintenant que son père, le vieux duc, a été chassé du pouvoir par son frère. Sous un déguisement de garçon - elle prend le nom de Ganymède- elle gagne la forêt d'Ardennes où s'est réfugié le vieux duc avec les compagnons qui lui sont restés fidèles. Sa cousine Clélia, fille du nouveau maître, décide de la suivre, travestie en bergère sous le nom d'Aliéna. Elles vont vivre dans la forêt une vie pastorale, entourées de bergers. Mais elles retrouvent bientôt le duc et sa cour, Orlando, puis son frère Olivier maintenant repenti.
C'est en 1599 que Shakespeare écrit cette comédie pastorale et gaiement romanesque : une pièce à prendre pour le plaisir, « comme il vous plaira ». Mais après la composition de ses sonnets, et avant l'écriture des grandes tragédies, ce n'est pas une pièce que l'on puisse isoler. Réflexion sur l'amour et la condition féminine, elle nous montre, écrit Yves Bonnefoy, "qu'un Shakespeare n'est jamais en repos » : « La facilité même, quand elle semble régner dans son écriture, c'est aussi et peut-être d'abord ce qu'il emploie à un projet plus sérieux, et qui vient de loin et qui va loin. »
 

Edition et traduction d'Yves Bonnefoy.

Un personnage principal féminin  sous le déguisement d'un homme

Yves Bonnefoy choisit pour résumer la pièce de partir du personnage d'Orlando, l'amoureux de Rosalinde! Ce qui est surprenant! Rosalinde est, en effet, le personnage principal, et même si elle prend le déguisement d'un garçon, c'est elle qui mène l'action, qui dicte leur conduite aux autres personnages et qui les domine  tous par son esprit et le verbe. Cela est incontestable! 
Pour gagner sa liberté, assurer sa protection et celle de sa cousine Célia,  la jeune fille, il est vrai, est travestie en homme. On peut se demander si Rosalinde obéit ainsi à des codes sociaux : pour être l'égale de l'homme, la femme doit-elle abandonner son identité féminine, se comporter en homme?   (On pense aussi à George Sand ). Pourtant, c'est bien en tant que femme qu'elle s'affirme comme indépendante mais il semble qu'il y ait un passage obligé par le travestissement (lié à la condition féminine de l'époque) pour qu'elle puisse accéder ainsi à la liberté d'action mais aussi de parole et de sentiment : Rosalynde n'est pas une prude jeune fille, elle fait allusion à la sexualité gaillardement, a la langue bien pendue, elle raille et domine son amoureux. De plus, elle décide elle-même de celui qui sera son époux même si elle prétend qu'elle le choisit parce que son père l'approuverait!

Le travestissement : homosexualité, androgynie ou simple tradition littéraire?

Walter Howard Deverell

D'autres personnages féminins de Shakespeare sont travestis en homme. Ainsi la Viola de La nuit des rois. il s'agit d'une tradition romanesque mais le travestissement et les débats amoureux qui s'en suivent soulèvent néanmoins la question de l'identité sexuelle. Orlando courtise Ganymède comme si elle était une femme (ce qu'elle est mais il ne le sait pas) alors qu'il pense que c'est un homme. La bergère Phébé est amoureuse de Ganymède qu'elle prend vraiment pour un homme. On voit se reproduire les mêmes méprises dans La nuit des rois. Peut-on parler d'une attirance homosexuelle comme certains critiques le pensent? Rosalinde prend le nom de Ganymède, ce jeune homme si beau que Zeus lui-même en tomba amoureux; il l'enleva en se métamorphosant en aigle et en fit son amant. Le choix de ce nom n'est donc pas anodin (de même que celui de Célia qui devient Aliena : l'étrangère).


J'ai lu une autre explication possible dans un article du Salon littéraire ICI  :

Encore une fois, ce n'est pas l'homosexualité qui prend le masque de l'hétérosexualité mais l'hétérosexualité qui prend le masque de l'homosexualité. Ce que nous dit Shakespeare est que dans un monde magique, c'est-à-dire un monde parfait, les sexes ne devraient jamais se tromper. On n'imagine pas Adam et Eve homosexuels ! Dès qu'il y a homme et femme, il y a différence, amour, vie - et c'est pourquoi couper la scène de l'hymen du cinquième acte comme le font la plupart des metteurs en scène revient à dénaturer la pièce, sinon à en censurer son sens profond.

Cette affirmation s'appuie peut-être (?) sur le mythe platonicien de l'androgynie. Au commencement les êtres humains sont doubles, mi-homme, mi-femme. Mais ils provoquent la colère des Dieux. Zeus les punit en les partageant en deux moitiés qui toujours auront le souvenir de leur origine et la nostalgie de la séparation.


                                         Une comédie pastorale qui critique la pastorale

 
roman pastoral d'Honoré d'Urfé France XVII°

Comme il vous plaira a une source romanesque Rosalynde de Lodge qui appartient au genre de la pastorale. Cette dernière idéalise la vie à la campagne présentée comme idyllique. Les moeurs des bergers dépourvus d'artifice, innocents et purs contrastent avec le manque de simplicité de la ville, la corruption et les vices qui y règnent. Cette opposition existe dans Comme il vous plaira qui semble donc obéir aux lois du genre mais chaque fois que le thème est présenté, un personnage prend aussitôt le contre pied :

Ainsi, le vieux duc dans la scène 1 de l'acte II magnifie cette vie dans les bois en des termes poétiques  mais il en souligne les duretés :

Le vieux duc.—Eh bien ! mes compagnons, mes frères d’exil, l’habitude n’a-t-elle pas rendu cette vie plus douce pour nous que celle que l’on passe dans la pompe des grandeurs ? Ces bois ne sont-ils pas plus exempts de dangers qu’une cour envieuse ? Ici, nous ne souffrons que la peine imposée à Adam, les différences des saisons, la dent glacée et les brutales insultes du vent d’hiver, et quand il me pince et souffle sur mon corps, jusqu’à ce que je sois tout transi de froid, je souris et je dis : « Ce n’est pas ici un flatteur : ce sont là des conseillers qui me convainquent de ce que je suis en me le faisant sentir. » On peut retirer de doux fruits de l’adversité ; telle que le crapaud horrible et venimeux, elle porte cependant dans sa tête un précieux joyau Notre vie actuelle, séparée de tout commerce avec le monde, trouve des voix dans les arbres, des livres dans les ruisseaux qui coulent, des sermons dans les pierres, et du bien en toute chose.

Cette opposition se retrouvera déclinée à deux voix par Amiens et Jacques, les deux gentilhommes de la suite du vieux duc dans la scène 5 de l'acte II

Amiens 
Chanson
Toi qui fuis l’éclat de la cour,
Des champs féconds préférant la parure,

Heureux des mets que t’offre la nature,

Viens habiter avec moi ce séjour.

Dans ce bocage,

Sous cet ombrage,

Point d’ennemi que l’hiver et l’orage.

Jacques.
(Il chante.)
S’il arrive par hasard
 
Qu’un homme soit changé en âne ;

Quittant son bien et son aisance

Pour suivre une volonté obstinée,

Duc dàme, duc dàme, duc dàme,

Il trouvera ici

D’aussi grands fous que lui

S’il veut venir ici.

Amiens.—Que signifie ce duc ad me ?

Jacques.—C’est une invocation grecque pour rassembler les sots dans un cercle.

Enfin sur le mode comique, le fou Touchstone reprend à lui tout seul cette opposition dans la scène 2 de l'acte III

Corin—Et comment trouvez-vous cette vie de berger, monsieur Touchstone ?

Touchstone.—Franchement, berger, par elle-même, c’est une bonne vie ; mais en ce que c’est une vie de berger, c’est une pauvre vie. En ce qu’elle est solitaire, je l’aime beaucoup ; mais en ce qu’elle est retirée, c’est une misérable vie : ensuite, par rapport à ce qu’on la passe dans les champs, elle me plaît assez ; mais en ce qu’on ne la passe pas à la cour, elle est ennuyeuse. Comme vie frugale, voyez-vous, elle convient beaucoup à mon humeur ; mais en ce qu’il n’y a pas plus d’abondance, elle contrarie beaucoup mon estomac ....
acte III scène2

Mais si cette pastorale contient une critique de la pastorale, il n'en reste pas moins que cette forêt des Ardennes (En France?) où se réfugient tous les personnages, lieu fantaisiste où poussent des palmiers et vivent des lions est tout de même un monde magique, une sorte d'Eden. Là, les êtres humains finissent par revenir à la bonté primitive de l'homme d'avant la Chute. Ainsi Frederic, l'usurpateur, se convertit soudainement; Olivier qui souhaitait la mort d'Orlando revient à de bons sentiments. Nous sommes donc bien au-delà de la vraisemblance, entre le rêve et le réel, comme dans Le songe d'une nuit d'été mais en moins cruel,  un univers où la bonté triomphe, où tout finit bien.

Une pièce sur l'amour courtois qui se moque de l'amour courtois

Plus que politique, Comme il vous plaira est avant tout une comédie où l'amour joue un rôle primordial. Elle se conclura d'ailleurs par quatre mariages célébrés par la déesse Hymen. Mais si les amoureux y tiennent un langage précieux et doivent subir des épreuves selon la plus grande tradition de l'amour courtois, Shakespeare se plaît à se moquer de ses conventions et il confie aux femmes le rôle de les critiquer.
Ainsi lorsque Orlando énamourée compose des vers qu'il accroche aux branches des arbres, Roslynde convient qu'il s'agit de bien mauvais vers.
Quant à la bergère Phébé poursuivi par les assiduités du berger Sylvius qu'elle n'aime pas, ce vocabulaire précieux la met carrément en colère et c'est avec une grande vivacité qu'elle condamne cet excès de langage qui n'a d'égal que la fausseté des sentiments :
 Phébé
 Tu me dis que le meurtre est dans mes yeux ; cela est joli à coup sûr et fort probable que les yeux, qui sont la chose la plus fragile et la plus douce, à qui le moindre atome fait fermer leurs portes timides, soient appelés des tyrans, des bouchers, des meurtriers. C’est maintenant que je fronce les sourcils de tout mon cœur en te regardant ; et si mes yeux peuvent blesser, eh bien, puissent-ils te tuer dans ce moment ! Maintenant fais semblant de t’évanouir ; allons, tombe.—Si tu ne peux pas, oh ! fi, fi, ne mens donc pas, en disant que mes yeux sont des meurtriers. Montre la blessure que mes yeux t’ont faite. Égratigne-toi seulement avec une épingle, et il en restera quelques cicatrices ; appuie-toi seulement sur un jonc, et tu verras que ta main en gardera un moment la marque et l’empreinte : mais mes yeux, que je viens de lancer sur toi, ne te blessent pas ; et, j’en suis bien sûre, il n’y a pas dans les yeux de force qui puisse faire du mal. Acte III scène 6

Et Rosalynde surenchérit :
Orlando.—Alors il faut que je meure en ma propre personne.

Rosalinde—Non, vraiment, mourez par procuration : le pauvre monde a presque six mille ans, et pendant tout ce temps, il n’y a jamais eu un homme qui soit mort en personne, pour cause d’amour, s’entend. (...) Mais tout cela n’est que des mensonges ; les hommes sont morts dans tous les temps, et les vers les ont mangés ; mais jamais ils ne sont morts d’amour. Acte IV scène 1

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On pourrait encore parler d'autres thèmes de Comme il vous plaira : celui des frères ennemis ( le vieux duc et Frédéric,  Olivier et Orlando), thème cher à Shakespeare que l'on retrouve aussi dans La Tempête ou Hamlet, le rôle du fou et de Jacques, l'importance du nombre :  les quatre vitesses du temps, les sept âges de la vie, les trois leçons de morale, les sept variétés de la mélancolie, les sept degrés du démenti et tant d'autres... mais il faut que je m'arrête en remerciant Shakespeare de me questionner autant et du plaisir qu'il me donne!

Acte IV scène 1 Les sept variétés de la mélancolie
Jacques.—Je n’ai pas la mélancolie d’un écolier, qui vient de l’émulation ; ni la mélancolie d’un musicien, qui est fantasque ; ni celle d’un courtisan, qui est vaniteux ; ni celle d’un soldat, qui est l’ambition ; ni celle d’un homme de robe, qui est politique ; ni celle d’une femme, qui est frivole ; ni celle d’un amoureux, qui est un composé de toutes les autres : mais j’ai une mélancolie à moi, une mélancolie formée de plusieurs ingrédients, extraite de plusieurs objets ; et je puis dire que la contemplation de tous mes voyages, dans laquelle m’enveloppe ma fréquente rêverie, est une tristesse vraiment originale. 

 Acte II scène 7 Les sept âges de l'homme

Jacques.—Le monde entier est un théâtre, et les hommes et les femmes ne sont que des acteurs ; ils ont leurs entrées et leurs sorties. Un homme, dans le cours de sa vie, joue différents rôles ; et les actes de la pièce sont les sept âges[13]. Dans le premier, c’est l’enfant, vagissant, bavant dans les bras de sa nourrice. Ensuite l’écolier, toujours en pleurs, avec son frais visage du matin et son petit sac, rampe, comme le limaçon, à contre-cœur jusqu’à l’école. Puis vient l’amoureux, qui soupire comme une fournaise et chante une ballade plaintive qu’il a adressée au sourcil de sa maîtresse. Puis le soldat, prodigue de jurements étranges et barbu comme le léopard[14], jaloux sur le point d’honneur, emporté, toujours prêt à se quereller, cherchant la renommée, cette bulle de savon, jusque dans la bouche du canon. Après lui, c’est le juge au ventre arrondi, garni d’un bon chapon, l’œil sévère, la barbe taillée d’une forme grave ; il abonde en vieilles sentences, en maximes vulgaires ; et c’est ainsi qu’il joue son rôle. Le sixième âge offre un maigre Pantalon[15] en pantoufles, avec des lunettes sur le nez et une poche de côté : les bas bien conservés de sa jeunesse se trouvent maintenant beaucoup trop vastes pour sa jambe ratatinée ; sa voix, jadis forte et mâle, revient au fausset de l’enfance, et ne fait plus que siffler d’un ton aigre et grêle. Enfin le septième et dernier âge vient unir cette histoire pleine d’étranges événements ; c’est la seconde enfance, état d’oubli profond où l’homme se trouve sans dents, sans yeux, sans goût, sans rien. 

LC avec Maggie et Miriam







vendredi 13 juin 2014

Pause Lozère


Pendant quelques jours, je serai là! A bientôt!

dimanche 8 juin 2014

Homère : L'odyssée

Ulysse contant ses aventures accompagné d'un aède

Je n'ai pas l'intention de présenter l'Odyssée, ce long poème d'Homère, l'un des livres les plus importants de notre patrimoine littéraire; il fait partie de ceux qui ont construit les mythes fondateurs de notre civilisation. Je souhaite plutôt en conseiller la lecture à ceux ou celles qui ne l'ont pas encore lu. On en retarde souvent la lecture! Pourquoi? Peut-être parce que l'on connaît trop bien les récits si souvent rencontrés, peut-être parce que l'on a peur de s'ennuyer?  
Et bien il faut savoir que le livre du divin Homère est passionnant et que son style ou plutôt sa traduction quand elle est réussie est d'une grande poésie, pleine d'images, et possède un rythme, une mélodie, un souffle épique qui portent le lecteur.


Cratère : L'Odyssée

Il y a eu un grand nombre des traductions du poème d'Homère. Pour ma part, je possède deux exemplaires de l'Odyssée que je vais vous présenter. Non, ce ne sont pas des livres précieux ni très anciens mais je les aime.

Le premier appartenait à mes parents et est paru en 1948 au club du livre, collection Les portiques, aux presses de l'Entreprise à Paris. La traduction est de Victor Bérard et la préface de Jean Bérard. C'est dans ce livre que j'ai lu pour la première fois l'Odyssée et éprouvé la beauté du texte et des images. Depuis j'ai su que cette traduction avait de nombreux détracteurs : elle s'éloigne un peu trop du texte si j'en crois les critiques et n'est donc pas fidèle. Certains la trouvent lourde..



 Le second exemplaire est paru en 1973 à Paris chez l'éditeur Jean de Bonnot dans un traduction de Leconte de Lisle (1861). Il paraît que le poète est très fidèle au texte mais beaucoup pense que la traduction de Philippe Jaccottet qui date de 1955  est la plus réussie et la plus élégante.

Pour ma part, comme je ne connais pas la traduction de Jaccotet, je continue donc à avoir une préférence pour celle de Bérard; ce que j'aime en elle c'est la musicalité des vers (hexamètres) et le goût pour l'archaïsme des mots et de la phrase. Mais n'ayant jamais étudié le grec, je ne saurais vous dire si j'ai raison. Je vous donne juste un petit aperçu.


 
Le buste de Homère


Le poème d'Homère commence par une invocation à la Muse : chant 1

Victor Bérard 
C'est l'homme aux mille tours, Muse, qu'il faut me dire, Celui qui tant erra quand de Troade*, il eut pillé la ville Sainte, Celui qui visita les cités de tant d'hommes et connut leur esprit, Celui qui, sur les mers, passa par tant d'angoisses, en luttant pour survivre et ramener ses gens.  Hélas! même à ce prix, tout son désir ne put sauver son équipage : ils ne durent la mort qu'à leur propre sottise, ces fous qui, du Soleil, avaient mangé mes boeufs; c'est lui, le Fils d'en haut, qui raya de leur vie, la journée du retour.
Viens , ô fille de Zeus, nous dire à nous aussi, quelqu'un de ces exploits. 
* Troie

Leconte de Lisle

Dis-moi, Muse, cet homme subtil qui erra si longtemps, après qu'il eut renversé la citadelle sacrée de Troie. Et il vit les cités de peuples nombreux, et il connut leur esprit ; et, dans son coeur, il endura beaucoup de maux, sur la mer, pour sa propre vie et le retour de ses compagnons. Mais il ne les sauva point, contre son désir; et ils périrent par leur impiété, les insensés ! ayant mangé les boeufs de Hèlios Hypérionade. Et ce dernier leur ravit l'heure du retour. Dis-moi une partie de ces choses, Déesse, fille de Zeus.


L’Odyssée, traduction Philippe Jaccottet


 Ô Muse, conte-moi l’aventure de l’Inventif, celui qui pilla Troie, qui pendant des années erra, voyant beaucoup de villes, découvrant beaucoup d’usages, souffrant beaucoup d’angoisses dans son âme sur la mer pour défendre sa vie et le retour de ses marins sans en pouvoir sauver un seul, quoi qu'il en eût ; par leur propre fureur ils furent perdus en effet,ces enfants qui touchèrent aux troupeaux du dieu d'En Haut, le Soleil qui leur prit le bonheur du retour...
À nous aussi, Fille de Zeus, conte un peu ces exploits !

Et vous quelle version préférez-vous?




La traduction de Jaccottet



 
La réponse est : 
L'Odyssée d'Homère le  porcher se nomme Eumée.
Le film ; Ulysse de Mario Camerini avec Kirk Douglas, Sylvana Mangano, Antony Quinn....
Félicitations à nos Pénéloppe qui sont aujourd'hui :  Aifelle, Asphodèle, Dasola, Miriam, Pierrot Bâton,Thérèse...

 Samedi14 Juin, l'énigme est chez Eeguab


samedi 7 juin 2014

Un livre/un jeu : énigme 97





Wens En effeuillant le chrysanthème et moi-même, nous vous proposons, le 1er et le 3ème samedi du mois, et le 5ème pour les mois avec cinq samedis un jeu sous forme d'énigme qui unit nos deux passions : La littérature et le cinéma! Il s'intitule : Un livre, Un film. Chez Wens vous devez trouver le film et le réalisateur, chez moi le livre et l'auteur.

Chez Eeguab, le 2ème et 4ème samedi du mois vous trouverez l'énigme sur le film et le livre
Consignes :  Vous pouvez donner vos réponses par mail que vous trouverez dans mon profil : Qui êtes-vous? et  me laisser un mot dans les commentaires sans révéler la réponse pour m'avertir de votre participation. Le résultat de l'énigme et la proclamation des vainqueurs seront donnés le Dimanche.
La prochaine énigme aura lieu le samedi 14 Juin chez Eeeguab.

Enigme n°97
 
Ce texte antique qui est un des mythes fondateurs de notre civilisation ne vous sera pas trop difficile à trouver, je pense. Vous devrez me dire le titre de cette oeuvre et le nom de l'aède qui  conte ces aventures et aussi une question supplémentaire : quel est le personnage qui prend la parole dans l'extrait ci-dessous?
 
 
Étranger, il ne m'est point permis de mépriser même un hôte plus misérable encore, car les étrangers et les pauvres viennent de Zeus et le présent modique que nous leur faisons lui plaît ; car cela seul est au pouvoir d'esclaves toujours tremblants que commandent de jeunes rois. Certes, les Dieux s'opposent au retour de celui qui m'aimait et qui m'eût donné un domaine aussi grand qu'un bon roi a coutume d'en donner à son serviteur qui a beaucoup travaillé pour lui et dont un Dieu a fait fructifier le labeur ; et, aussi, une demeure, une part de ses biens et une femme désirable. Ainsi mon travail a prospéré, et le Roi m'eût grandement récompensé, s'il était devenu vieux ici ; mais il a péri. Plût aux Dieux que la race des Hélénè eût péri entièrement, puisqu'elle a rompu les genoux de tant de guerriers !

mardi 3 juin 2014

Horace Walpole : Le château d'Otrante




Dans la préface du roman gothique Le château d'Otrante  d'Horace Walpole, Paul Eluard salue cette oeuvre ainsi :

 “Le château d’Otrante est un drame plastique, la forme la plus amère, la plus rugueuse, mais aussi la mieux taillée du malheur en amour. Seuls immortels, les désirs vont leur chemin, malgré d’extraordinaires obstacles, malgré les rideaux du sang et les miroirs vides, la nature exclue, l’existence approximative, la vue inutile, les ancêtres vomis par l’Enfer, malgré la peur, l’héroïsme, la férocité, malgré le marbre des tombeaux et les squelettes, les désirs sans cesse au fil de la mort, cherchent à briser avec l’imaginaire.
  Horace Walpole a été le précurseur du Roman noir : de Maturin (pour la mise en scène), de Lewis (pour la précipitation passionnée des événements), d'Ann Radcliffe (pour l’atmosphère et le droit à l’absurde) et même d’Achim d’Arnim (pour la froideur dans le bizarre). Et quelques-uns des grands pans d’ombre du Château d’Otrante alimentent le terrible feu qu’allumèrent Sade, Poe et Lautréamont pour échapper au néant. Comme il n’y a qu’une grandeur, cela assure à jamais la gloire d’Horace Walpole.”
   

Le sujet
L’action du roman Le Château d’Otrante se déroule à Otrante, dans le Salento, au sud de l’Italie.
 Il commence avec la mort de Conrad, le fils de Manfred, le jour même de son mariage, tué par la chute d'un casque géant tombé du ciel. En raison des implications politiques du mariage, Manfred décide de divorcer de sa femme Hippolita et d’épouser Isabella, la fiancée de Conrad. Une antique prophétie affirme cependant que le château et la seigneurie sur Otrante seront perdus pour ses détenteurs lorsque le vrai propriétaire sera devenu trop grand pour l’habiter. Le second mariage de Manfred sera perturbé par une série d’événements surnaturels comme l’apparition de membres surdimensionnés, des fantômes, du sang mystérieux et d'un vrai prince. (source)

Mon avis :
Je voulais lire ce roman fondateur du gothique parce que je savais l'importance qu'il a eu sur le mouvement romantique français mais aussi dans la littérature en général et encore au XX siècle sur le surréalisme français.
Je comprends pourquoi l'étrangeté du récit a frappé l'imagination et alimenté toute une littérature fantastique en permettant aux écrivains comme aux lecteurs de se  libérer du rationalisme pour goûter ces romans noirs où la mort rôde dans des paysages en ruines, où les fantômes,  les statues s'animent et procurent des émotions fortes : Walter Scott, Balzac, Victor Hugo, Nodier, Gautier, Sand pour ne citer qu'eux... mais aussi le roman policier de nos jours et tant d'autres s'en sont largement inspiré. 
 Mais de mon point de vue, non seulement ce roman "terrifiant" ne fonctionne pas mais je ne le trouve ni bien construit, ni bien écrit. Je suis cependant heureuse de le connaître d'un point de vue de l'histoire littéraire! Mais alors que j'avais pu apprécier le roman gothique de Ann Radcliffe avec le mystère d'Udolphe, je dois dire que Le château d'Otrante ne m'a pas convaincue du tout.

 LC avec Miriam ICI



dimanche 1 juin 2014

Maylis de Kerangal : Réparer les vivants



Réparer les vivants :  le titre fait référence à un extrait de Platonov de Tchekhov : Que faire Nicolas? Réparer les vivants et enterrer nos morts. Et le roman de Maylis de Kerangal est bien l'histoire d'une réparation, celle d'une transplantation cardiaque. Il  a obtenu plusieurs prix et des critiques élogieuses voire dithyrambiques de la presse. D'où vient que je ne suis pas arrivée à partager totalement cet enthousiasme collectif?

Certes le roman a des qualités : il nous raconte avec une précision rigoureuse toutes les étapes d'une transplantation cardiaque de la mort accidentelle du jeune surfeur, Simon, à la greffe de la malade qui va recevoir le coeur, Claire. Ce sujet est délicat et pourrait glisser dans le pathos;  les précisions médicales, la chronologie  qui se met en branle à partir du moment où le jeune homme est déclaré en mort cérébrale jusqu'à l'opération chirurgicale, pourrait paraître fastidieuse; il n'en est rien! Maylis de Kerangal sait éviter ces pièges et déroule devant nous 24 heures de cette odyssée médicale en parvenant à nous intéresser. L'auteur a aussi le mérite de poser toutes les questions affectives, religieuses et philosophiques que soulève le don d'organe. Les réactions des parents de Simon, leur réticence, leur hésitation, montrent combien le corps reste étroitement lié à l'âme dans les mentalités, le coeur, en particulier, tenu pour le siège de sentiments.

Là où j'ai un peu achoppé, c'est d'abord sur les personnages; ils n'existent pas vraiment, ils sont des représentants  de l'humanité: les parents, la petite amie, les copains, le médecin, l'infirmier … Ils ne m'ont jamais intéressée en tant qu'être humains. Admettons que ce soit le sujet qui impose cela. L'analyse clinique ne permet pas la vie, l'émotion. Et puis il y a surtout la volonté  de l'écrivain d'écrire non pas au ras du sol, au ras de l'humain, mais au niveau cosmique. Il y a une amplification rendu par le style qui transcende le don des organes et en particulier du coeur pour en faire une Grande Messe, un don religieux. La transplantation se fait épopée, pas étonnant que l'on en arrive au mythe avec la convocation des images du Christ, de la Grèce antique et d'Ulysse.. Un style très travaillé, très esthétique, manquant de simplicité, de silence, de recueillement. Bien sûr, c'est un art maîtrisé, l'écrivaine a du talent dans son domaine… J'admire, mais voilà, cela ne me touche pas parce que, dans le fond, le jeune homme, Simon, il peut mourir, le lecteur n'éprouve rien!

Voir Nadael


Un style qui s'éloigne de l'humain pour prendre une dimension cosmique
La catastrophe s'est propagée sur les éléments, les lieux, les choses, un fléau, comme si tout se conformait à ce qui avait eu lieu ce matin, en arrière des falaises, la camionnette peinturlurée écrasée à pleine vitesse contre le poteau et ce jeune type propulsé tête la première sur le pare-brise, comme si le dehors avait absorbé l'impact de l'accident, en avait englouti les répliques, étouffé les dernières vibrations, comme si l'onde de choc avait diminué d'amplitude, étirée, affaiblie jusqu'à devenir une ligne plate, cette simple ligne qui filait dans l'espace se mêler à toutes les autres, rejoignait les milliards de milliards d'autres lignes qui formaient la violence du monde, cette pelote de tristesse et de ruines, et aussi loin que porte le regard, rien, ni touche de lumière, ni éclat de couleur vive, jaune d'or, rouge carmin, ni chanson échappée d'une fenêtre ouverte, ni odeur de café, parfum de fleurs ou d'épices, rien, pas un enfant aux joues rouges courant après un ballon, pas un cri, pas un seul être vivant pris dans la continuité des jours, occupé aux actes simples, insignifiants, d'un matin d'hiver …. 


Un style épique, l'apparition du mythe
Et les cicatrices en travers de l'abdomen rappellent un coup mortel- la lance au flanc du Christ, le coup d'épée du guerrier, la lame du chevalier. Alors est-ce ce geste de coudre qui a reconduit le chant de l'aède, celui du rhapsode de la Grèce ancienne, est-ce la figure de Simon, sa beauté de jeune homme issu de la vague marine, ses cheveux pleins de sel encore et bouclés comme ceux des compagnons d'Ulysse qui le troublent, est-ce la cicatrice en croix, mais Thomas commence à chanter.


Sylire et Lisa

Glendon Swarthout : Homesman



Homesman de Glendon Swarthout aux éditions Gallsmeister, que l'on peut traduire par un néologisme -  le rapatrieur - , est celui qui va être chargé de rapatrier vers l'est, dans leur famille, quatre femmes qui ont perdu la raison pendant un hiver particulièrement rigoureux dans les Grandes Plaines de l'Ouest des Etats-Unis au Nebraska. Cet homme, Briggs, n'est ni altruiste, ni volontaire! Disons qu'il y est obligé parce que Mary Bee l'a sauvé de la pendaison auquel ses vols l'avaient condamné et qu'il a juré de lui obéir. Mary Bee, une femme courageuse, a accepté de convoyer les malades à la place de leur mari. Mais elle se sent bien seule et peu apte à mener à bien sa tâche, c'est pourquoi elle s'adjoint les services de ce voleur qui ne lui inspire pourtant aucune confiance. La longue marche à travers les grands espaces déserts  commence.

Un récit loin des images d'Epinal

Nous sommes au XIX siècle siècle, la conquête de l'Ouest continue mais cela ne va pas sans dommage surtout pour les femmes qui viennent de l'Est, habituées à une vie moins rude, et qui se retrouvent isolées dans des fermes sans voisinage, coupées de du monde pendant des hivers longs, d'une rigueur extrême. En plus de des conditions de vie difficiles, de la neige, du froid, de l'inconfort des maisons, de la faim quand les provisions viennent à faire défaut et qu'une épidémie s'abat sur le troupeau, elles ont à subir des grossesses non désirées et à répétition, à accoucher toute seule et sans aide, à assister, impuissantes, à la mort de leurs enfants, et parfois à composer avec la violence physique ou morale que leur inflige leur mari. L'écrivain nous montre un monde dur pour tous mais en particulier pour les femmes, une société où la solidarité et le partage n'existent pas toujours.
C'est la première fois qu'un livre consacré au western décrit avec autant de réalisme le sort de ces femmes de pionniers qui souvent nous a été présenté à travers des images d'Epinal, héroïques et fortes face aux dangers ou bien faibles héroïnes mourant de mort violente. Mais la vie quotidienne, banale, sordide, faite de solitude, de petites souffrances répétées, et de désespoirs insondables, c'est cela que ce roman a le mérite de nous décrire. Et il y réussit très bien.

Des personnages loin des lieux communs

 Au départ, les personnages correspondent à des types : la femme de tête, seule, autoritaire, qui mène sa ferme d'une main ferme (Mary Bee), le voleur, hors la loi sans morale et sans éducation (Briggs), le pasteur, le forgeron... Mais bien vite ils échappent au lieux communs et cessent d'être des stéréotypes. Sans entrer dans les détails pour ne pas révéler la suite, on s'aperçoit que la femme et le brigand sont des êtres plus complexes que ce que l'on pensait, ce qui nous ménage des surprises au cours du récit. Le lecteur ne reste donc pas dans le cadre confortable du western classique. Les personnages évoluent selon leur caractère, leur éducation, les aléas du voyage, les difficultés rencontrées. Ils ne sont pas toujours là où on les attendait mais ils nous paraissent vrais, humains avec leurs forces et leurs faiblesses.

Une nature loin d'être idyllique

Homesman est donc un récit d'aventures qui sort des sentiers battus. Les grands espaces couverts de neige, à la végétation rare, au sol gelé, dur comme la roche, qui ne permet pas d'enterrer les corps des morts de l'hiver, sont synonymes de prison. L'immensité, les horizons sans limites, paradoxalement, ne procurent pas une impression de liberté mais d'oppression. Les individus se replient sur eux-mêmes, perdent leur vitalité et l'espoir.

J'ai beaucoup aimé la lecture de ce beau roman. Peut-être le film de Tommy Lee Jones paraît-il parfois un peu confus en ce qui concerne l'histoire des femmes devenues folles par excès de malheur? C'est plus détaillé dans le roman. Mais les acteurs qui interprètent les personnages sont excellents et la mise en images procure un sentiment d'angoisse en refusant tout idéalisme.


 
La réponse est : 
roman : Glendon Swarthout : Homesman
 film :     Tommy Lee Jones Homesman
Félicitations à Aifelle, Dasola, Eeguab, Kathel, Keisha, Pierrot Bâton, Somaja, Syl et merci à tous

Je mets le livre en voyageur pour ceux qui le souhaitent
 Samedi 7 Juin, l'énigme est toujours chez nous









Merci à la Librairie dialogues et aux éditions Gallmeister