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mercredi 6 avril 2016

Kazuaki Takano : Treize marches






Kazuaki Takano est né en 1964 à Tôkyô. Il a étudié le cinéma aux États-Unis et, à son retour au Japon, est devenu scénariste. Les Treize Marches se sont vendues à plus de 400 000 exemplaires au Japon. (source  Presse de la cité)







Treize marches de Kazuaki Takano  est qualifié de thriller mais il  présente beaucoup d’autres centres d’intérêt. Il décrit le système judiciaire japonais, ses failles et ses erreurs, et peint aussi la mentalité japonaise vis à vis de la culpabilité et du pardon.

Le récit

Ryô Kihara est condamné à mort pour un crime qu’il n’a pas commis. Il est amnésique et ne se souvient donc de rien. Mais dix ans après le drame, alors qu’il attend l’exécution de la peine, un souvenir lui revient en mémoire : il se revoit monter treize marches d’escalier. Il cherche alors à faire réviser son procès.
Jun’ichi Mikami a été condamné à deux ans de réclusion pour avoir tué accidentellement un homme qui lui avait cherché querelle dans un bar. A sa remise en liberté, il est contacté par Shôji Nangô, gardien de prison chargé de la réinsertion des prisonniers, qui lui demande de l’aider à prouver l’innocence de Kihari.

Le roman à suspense

Le roman fonctionne effectivement en jouant sur les nerfs du spectateur. Pour sauver Ryô Kihara condamné à mort, une course contre la montre est engagée. Il faut que Jun’ichi Mikami et Shôji Nangô aient trouvé les preuves de son innocence avant que l’ordre d’exécution ne soit signé car, alors, plus rien ne pourra arrêter la marche de la justice. Parallèlement à leur recherche, on suit le document qui décidera du sort de Kihara, de bureau en bureau, jusqu’à la signature suprême, celle du garde des Sceaux. Chaque minute qui passe, chaque retard, chaque échec sont donc une avancée vers la peine capitale. Le roman se lit donc bien comme un thriller et l’intrigue, d’ailleurs assez complexe, avec de nombreux rebondissements, tient le lecteur en haleine.

La justice japonaise et la peine de mort 

Voir Ici source Mediapart
Mais le roman est aussi et surtout un réquisitoire contre la peine de mort. Kazuaki Takano dépeint l’horreur d’une justice qui, telle une machine implacable, peut condamner un innocent. Une justice qui bien souvent se révèle aléatoire, condamnant l’un, absolvant l’autre, parfois inconséquente. Mais il va plus loin. Il montre tout l’inhumanité de cette attente de la mort qui peut survenir des années après la condamnation. C’est avec beaucoup de conviction que l’écrivain communique au lecteur, l’angoisse intolérable de ces prisonniers qui guettent le bruit des pas dans le couloir de la mort.. Devant quelle cellule vont-ils s’arrêter? L’arrivée de la Mort se fait dans un silence halluciné rompu par les cris de révolte du condamné qui comprend que son heure est arrivée. Mais l’horreur culmine lors de la description de l’exécution par pendaison, vue cette fois par les gardiens.  Il s’agit d’un acte que chacun d’entre eux portera inscrit dans sa chair et dans son esprit. A travers les angoisses et le sentiment de culpabilité du gardien Shôji Nanko qui se considère comme un meurtrier, nous comprenons toute la barbarie de la peine capitale. Kazuaki Takano détaille par le menu les étapes d’une mise à mort en pénétrant dans la tête et le coeur des hommes chargés de la pendaison. Ce qui n’est souvent qu’une idée abstraite se concrétise en quelque chose de terrifiant.

Culpabilité, repentir, rédemption

Enfin, autre intérêt du roman, la mentalité japonaise par rapport au sentiment de culpabilité et de pardon.  La notion de repentir est primordiale. Un assassin qui éprouve des regrets et les exprime peut éviter la peine capitale même si, bien sûr, se pose le problème de la sincérité. Cela aboutit à des aberrations :  Ryö Kihara, amnésique, ne se souvient pas qu’il a tué. Il ne peut donc éprouver de repentir si bien qu’il est condamné à mort! La réparation financière compte aussi beaucoup pour prouver la bonne foi du condamné et atténuer sa culpabilité. Un homme riche s’en sortira donc mieux qu’un pauvre. Jun’ichi Mikami est forcé lors de sa mise en liberté conditionnelle d’aller présenter ses excuses au père de la victime, une démarche terrible, pour l'un comme pour l’autre. La question de la rédemption et du pardon par le repentir est donc essentielle dans la société japonaise. Nango, gardien de prison, qui a tué légalement deux hommes, ne peut pas être jugé ni châtié. Il doit chercher ailleurs la rédemption.

Treize marches peut donc avoir des entrées différentes et je dois dire que j’ai été passionnée par les divers aspects du roman.

Treize marches paraîtra le 21 Avril aux éditions Presse de la cité.

Merci à Dialogues croisés et aux éditions Presse de al cité




lundi 4 avril 2016

Nikolaj Frobenius : Branches obscures





Né en 1965 à Oslo, Nikolaj Frobenius a écrit des romans, des pièces de théâtre et des scénarios. Actes Sud a déjà publié Le Valet de Sade (1998 et Babel n° 419), Le Pornographe timide (2000 et Babel n° 687), Je est ailleurs (2004) et Je vous apprendrai la peur (2011). Actes sud




Branches obscures est le genre de récit qui vous entraîne dans une aventure inquiétante au suspense haletant, où il est aussi question du pouvoir de l'écriture.

 Jo Uddermann, écrivain norvégien connu, marié à Agnete et père d’une petite Emma, vient de terminer son dernier roman dont tout le monde dit qu'il est son meilleur. Il  s'agit d'une retour vers son adolescence, d'une histoire qui ravive en lui des souvenirs douloureux.  Le genre de livre où l'écrivain doit puiser  très profond en lui-même et "réveiller d'anciennes plaies". Il y parle d'un  élève de sa classe, Georg Nymann, un garçon mystérieux et bizarre. Celui-ci l’a manipulé, lui faisant croire à son amitié, puis s’est révélé pervers et dangereux.  Lorsque, des années plus tard, la mère de Nymann lui apprend la mort de son fils, à l’étranger, Jo n’a aucune raison d’en douter.
Pourtant, à la sortie de son livre, Jo Uddermann se sent surveillé.  Sa petite fille de six ans a vu un homme rôder près de la maison. Toutes sortes d'évènements inquiétants se produisent autour de lui. Manifestement, on cherche à lui faire peur.  Bientôt le meurtre de Katinka, ancienne camarade d’école dont Georg Nymann était amoureux, va rendre l’écrivain suspect aux yeux de la police. Il est, en effet, l’amant de la jeune femme. Le héros s’enfonce peu à peu dans sa solitude. Sa femme le quitte en amenant sa fille. La police ne semble pas croire à ce qu’il dit. Son agent littéraire qui a reçu une autobiographie de lui a du mal à accepter l’idée qu’il n’en est pas l’auteur. La situation se tend de plus en plus jusqu’au dénouement qui nous révèlera la vérité!

Au cours du récit, le lecteur est amené à se demander si Georg Nymann est en vie. Mais il en arrive aussi à se poser des questions au sujet du narrateur lui-même  : a-t-il dit la vérité au sujet de son camarade de lycée? Est-il en train de nous mystifier ou sombre-t-il dans la folie? La structure du roman qui est une mise en abyme est très habile car elle renforce ces doutes. Un roman dans le roman. Le livre de Jo Udderman sur Georg Nymann se situe dans le passé et constitue une partie de Branches obscures qui conte le présent. Quant à la prétendue autobiographie dont nous ne connaîtrons que des bribes, troublantes, elle est une sorte d’anti-roman, une réponse inversée au récit de Jo Udderman, elle réfléchit une image déformée du personnage. Par le pouvoir de l'écriture, l'écrivain semble avoir réveillé les ombres troubles du passé.

Un petit bémol pour moi : Il y a quelques invraisemblances (ou des lacunes voulues)(?) dans l’enquête que mène la police, me semble-t-il. Cela n’enlève rien à l'intérêt mais je me suis demandée si j’étais la seule à le remarquer. En résumé, un bon suspense que j'ai lu avec beaucoup de plaisir,  un récit très bien mené et écrit.

dimanche 3 avril 2016

Honoré de Balzac : La duchesse de Langeais


La duchesse de Langeais a été publié en feuilleton en 1834 sous le titre Ne touchez pas à la hache, titre que Rivette a choisi pour son adaptation cinématographique. En 1843, La duchesse de Langeais (titre retenu par Baroncelli, réalisateur dont vous aviez à trouver le nom) fut intégré dans La comédie humaine, dans la section Histoire des Treize.

Le récit

La duchesse de Langeais de Baroncelli

Nous sommes en 1823. Le général Armand de Montriveau s’introduit dans un couvent de carmélites, sur une île espagnole pour retrouver sous le nom de soeur Thérèse, la femme qu’il aime, Antoinette de Langeais. Le récit se déroule ensuite en flash back à Paris, dans le Faubourg Saint Germain, au temps de la première Restauration.
La duchesse de Langeais, riche aristocrate au coeur froid, orgueilleuse imbue des privilèges de sa classe, poursuit une vie factice, faite de bals, d’amusements, de conversations mondaines et de flirts. Elle collectionne les admirateurs, s’amusant à les provoquer mais leur opposant une vertu irréprochable. C’est le jeu qu’elle joue avec Armand de Montriveau, ancien général d’Empire. Celui-ci cherche à la conquérir mais en vain, la coquette le séduit, l’affole puis se dérobe. Mais le général n’est pas homme dont on peut se moquer. Il enlève la duchesse décidé à se venger. Puis il l’épargne mais la duchesse a compris qu’elle l’aimait. Désormais elle supplie son amoureux de lui revenir. Pour lui, elle est prête à sacrifier sa réputation mais Armand la dédaigne à son tour. La duchesse s’enfuit alors et prend le voile. Il faudra cinq ans à Montriveau pour la retrouver et chercher à nouveau à l’enlever mais cette fois-ci d’un couvent!

Le romantisme

La duchesse de Langeais Illustration de Andre E. Marty
Si le roman La duchesse de Langeais part d’un fait réel, souvenir cuisant de Balzac repoussé par la duchesse de Castries à qui il avait avoué son amour, il est marqué par le romantisme de son époque. Il présente même un aspect gothique dès le premier enlèvement de la jeune femme, transportée dans un lieu inconnu par des hommes masquées, menacée d’être marquée au fer rouge comme dans un roman de Dumas. Les années de recherche à travers plusieurs pays d’Europe de l’amant inconsolable et le deuxième enlèvement sont autant d’éléments de cette atmosphère romantique. Montriveau et ses amis, prennent d’assaut les falaises de cette île qui protègent le monastère. Dans un décor et sous un éclairage éminemment gothiques, tout est en place pour conter une histoire terrible : les ombres de la nuit, le déguisement de Montriveau en religieuse, ses compagnons ayant chacun sur eux un poignard ( et détail incongru qui m’a fait sourire (?) : « une provision de chocolats »!), l’office des morts qui résonnent tandis qu’ils s’introduisent dans la cellule de Soeur Thérèse, la découverte de la morte à la lumière des cierges et le transport du corps jusqu’au navire…
Les personnages aussi rappellent d’autres héros romantiques, en particulier ceux de Stendhal.  Montriveau quand il est repoussé par la duchesse alors qu’elle s’est presque donnée à lui réagit comme un Julien Sorel  décrochant une arme pour tuer Mathilde de la Mole qui paraît le mépriser! L’orgueil et le sentiment de l’honneur sont très vifs chez les deux personnages. Le revirement de la duchesse de Langeais qui découvre soudain son amour quand elle va être marquée par son amant est semblable à la réaction de Mathilde exaltée d’avoir failli être tuée par son amant. Le ressemblance des deux femmes et des deux hommes s’arrêtent là : Mathilde à les défauts de sa classe sociale mais n’est pas prude, étroite d’esprit, confite en dévotion. Elle est intelligente, elle lit les philosophes, elle a des idées avancées. Julien Sorel n’appartient pas à la noblesse, il est ambitieux mais naïf et capable d’amour vrai, ce dont on peut douter pour Armand de Montriveau. Les personnages de Balzac ne sont pas sympathiques.
Et d’ailleurs le dénouement si terre à terre du roman me paraît être de la part de Balzac le refus de l’émotion, une réaction anti romantique voire cynique! Ultime petit coup de griffe décoché à la duchesse de Castries?
Ah! ça dit Ronquerolles à Montriveau quand celui-ci reparut sur le tillac, c’était une femme, maintenant ce n’est rien. Attachons un boulet à chacun de ses pieds, jetons-la à la mer, et n’y pense plus que comme nous pensons à un livre lu pendant notre enfance.
- Oui, dit Montriveau, car ce n’est plus qu’un poème.
-Te voilà sage. Désormais aie des passions; mais de l’amour, il faut savoir le bien placer, et il n’y a que le dernier amour d’une femme qui satisfasse le premier amour d’un homme. »

Le réalisme

Antoinette et Armand Dessin de Louis Edouard Fournier
Mais La duchesse de Langeais est aussi un peinture réaliste  de la noblesse au moment de la restauration et de l’avènement de Louis XVIII. Le but de l’auteur est de décrire la déchéance d’une classe sociale qui pour survivre devrait être grande. Son manque de hauteur, sa frivolité la condamnent. Les hommes de valeur jugés dangereux sont écartés du pouvoir et ne gouvernent que les hommes médiocres. Le Faubourg Saint Germain dont la duchesse de Langeais et ses chevaliers servants sont les représentants est animé d’une vie vaine, sans idées, sans aspirations. L’église règne en maître sur cette société, les femmes ont leur confesseur, tous suivent la messe, la plupart du temps non par conviction réelle mais parce qu’il faut suivre les  « usages du monde » et que la religion est un moyen de soumettre le peuple: La duchesse est très lucide à ce sujet et déclare:
Si nous voulons que la France aille à la messe, ne devons-nous pas commencer par y aller nous-mêmes? La religion, Armand, est, vous le voyez, le lien des principes conservateurs qui permettent aux riches de vivre tranquilles. La religion est intimement liée à la propriété.
Toutes les moeurs reposent sur l’hypocrisie.  Les femmes peuvent y tromper leur mari à condition que personne ne soit au courant : 
Une imprudence, c’est un pension, une vie errante, être à la merci de son amant; c’est l’ennui causé par les impertinences des femmes qui vaudront moins que toi, précisément parce qu’elles auront été très ignoblement adroites. Il valait cent fois mieux aller chez Montriveau, le soir, en fiacre, déguisée, que d’y envoyer ta voiture en plein jour. Tu es une petite sotte, chère enfant.
Les maris, eux, peuvent s’afficher avec leurs maîtresses avec plus de liberté et ils ont tout pouvoir sur la fortune de  leur femme. Balzac résume cela dans des formules lapidaires d’une méchanceté et d’une lucidité glaçantes! Voilà les conseils donnés à la duchesse par son oncle :
Renoncez à votre salut en deux minutes, s’il vous plaît de vous damner; d’accord! Mais réfléchissez bien quand il s’agit de renoncer à vos rentes. Je ne connais pas de confesseur qui nous absolve de la misère.
La situation de la femme certes n’est pas enviable. Elle est mariée contre son gré par son père et est désormais à la merci d’un époux qui peut tout se permettre et qui dans le cas de la duchesse n’est jamais entré dans son lit..
Si vous tentez à faire un éclat, je connais le sire, je ne l’aime guère. Le duc est assez avare, personnel en diable; il se séparera de vous, gardera votre fortune, vous laissera pauvre, et conséquemment sans considération. Les cent mille livres de rente que vous avez héritées dernièrement de votre grand tante maternelle payeront les plaisirs de ses maîtresses, et vous serez liée, garrottée par les lois, obligée de dire amen à ces arrangements-là.

Armand de Montriveau représente une autre sorte de noblesse; celle d’Empire; Après avoir d’abord été écarté avec le retour des Bourbons, il est ensuite réintégré dans l’armée et retrouve son grade. Mais il ne fait pas de compromis et a son franc parler, il peut être direct et même brutal. A la différence des autres, ce n’est pas un courtisan. Il annonce une nouvelle révolution si la noblesse ne sait pas évoluer.

 Une lutte amoureuse pour la domination

Ne touchez pas à la hache de Jacques Rivette
L’amour d’Antoinette et d’Armand apparaît le plus souvent comme un rapport de force. Chacun lutte pour la domination de l’autre. La duchesse n’aime pas Montriveau, elle veut qu’il soit à ses pieds, qui lui rende hommage, qu’il manifeste de la dévotion pour elle. C’est une coquette et une hypocrite. Elle aime jouer avec le feu, être prête à céder puis reculer au dernier moment en invoquant dieu, sa vertu, son devoir d’épouse. Mais elle n’a jamais eu l’intention de se donner à lui. Elle veut le dominer. Ensuite elle a l’intention de le repousser comme elle l’a fait pour les autres et  se moquer de lui. Le général, au début, en bon soldat, aime conquérir, prendre d’assaut. Le jeu l’amuse mais lorsque la forteresse se révèle imprenable, il dépite; quand enfin, il apprend par son ami Ronquerolles que la duchesse s’amuse de lui comme elle l’a fait tour les autres, il devient furieux et il l’enlève. Mais il ne s’abaissera pas au viol, il veut  faire pire, la marquer au fer rouge car il prouvera qu’elle lui appartient. Là encore le rapport entre eux est celui de la domination. Si dans la première partie de la lutte, la duchesse de Langeais était victorieuse, dans la seconde partie, le renversement de la situation la rend soumise et implorante et Montriveau intraitable. C’est elle qui perd. Lorsqu’il la retrouve au couvent, Montriveau ne lui demande pas son avis, il décide de l'enlever. Il se comporte toujours en officier qui veut remporter la victoire et forcer la citadelle. Seule la mort peut mettre fin à ces rapports passionnés, certes, mais finalement assez monstrueux.

C’est ce qui amène Balzac à distinguer la passion de l’amour :

L’amour et la passion sont deux différents états de l'âme que poètes et gens du monde, philosophes et niais confondent continuellement. L'amour comporte une mutualité de sentiments, une certitude de jouissances que rien n'altère, et un trop constant échange de plaisirs, une trop complète adhérence entre les coeurs pour ne pas exclure la jalousie. La possession est alors un moyen et non un but ; une infidélité fait souffrir, mais ne détache pas ; l'âme n'est ni plus ni moins ardente ou troublée, elle est incessamment heureuse ; enfin le désir étendu par un souffle divin d'un bout à l'autre sur l'immensité du temps nous le teint d'une même couleur : la vie est bleue comme l'est un ciel pur. La passion est le pressentiment de l'amour et de son infini auquel aspirent toutes les âmes souffrantes. La passion est un espoir qui peut-être sera trompé. Passion signifie à la fois souffrance et transition ; la passion cesse quand l'espérance est morte.

 voir le billet de Maggie






Le livre : La duchesse de Langeais de Honoré de Balzac
Le film : La duchesse de langeais de Jacques de  Baroncelli






Le prix Balzac est attribué aujourd'hui à : Aifelle, Dasola, Eeguab, Miriam


samedi 2 avril 2016

Un livre/Un film : énigme du samedi

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Pour ceux qui ne connaissent pas Un Livre/un film, l'énigme du samedi, je rappelle la règle du jeu.

Wens de En effeuillant le chrysanthème et moi-même, nous vous proposons, le 1er et le 3ème samedi du mois, un jeu sous forme d'énigme qui unit nos deux passions : La littérature et le cinéma! Il s'intitule : Un livre, Un film. Chez Wens vous devez trouver le film et le réalisateur, chez moi le livre et l'auteur.

Consignes  

Vous pouvez donner vos réponses par mail, adresse que vous trouverez dans mon profil : Qui suis-je? et  me laisser un mot dans les commentaires sans révéler la réponse pour m'avertir de votre participation. Le résultat de l'énigme sera donné le Dimanche.

La prochaine énigme aura lieu le troisième samedi du mois, le 16 Avril

Enigme 125

Le roman dont vous devez découvrir le titre a été publié en pleine époque romantique. Rédigé par un grand auteur français qui s’est par la suite démarqué du romantisme, il peint la vie artificielle et vaine de la noblesse parisienne au temps de la première restauration sous Louis XVIII. Il raconte l’histoire d’une femme qui va finir ses jours au couvent, victime à la fois de son amour, des lois antiféministes qui régissent la société,  et  d’elle-même, car elle possède « un esprit éminemment orgueilleux, un coeur froid, une grande soumission aux usages du monde ».


Si vous tentez à faire un éclat, je connais le sire, je ne l’aime guère. (Votre mari) est assez avare, personnel en diable; il se séparera de vous, gardera votre fortune, vous laissera pauvre, et conséquemment sans considération. Les cent mille livres de rente que vous avez héritées dernièrement de votre grand tante maternelle payeront les plaisirs de ses maîtresses, et vous serez liée, garrottée par les lois, obligée de dire amen à ces arrangements-là.

Renoncez à votre salut en deux minutes, s’il vous plaît de vous damner; d’accord! Mais réfléchissez bien quand il s’agit de renoncer à vos rentes. Je ne connais pas de confesseur qui nous absolve de la misère.

Une imprudence, c’est un pension, une vie errante, être à la merci de son amant; c’est l’ennui causé par les impertinences des femmes qui vaudront moins que toi, précisément parce qu’elles auront été très ignoblement adroites. Il valait cent fois mieux aller chez (ton amant), le soir, en fiacre, déguisée, que d’y envoyer ta voiture en plein jour. Tu es une petite sotte, chère enfant.



vendredi 1 avril 2016

Ron Carlson : Retour à Oakpine





Ron Carlson est né en 1947 en Utah et a grandi à Salt Lake City. Après des études de lettres, il devient professeur dans le Connecticut puis à l'université d'Arizona où il commence à enseigner le creative writing avant de devenir directeur de ce département. Il enseigne aujourd'hui la littérature à l'université de Californie, à Irvine, et vit à Huntington Beach. Ses nouvelles ont été publiées dans de nombreux magazines, du New Yorker à GQ. Il collabore également aux cahiers livres du New York Times et du Los Angeles Times. Il est l'auteur de plusieurs recueils de nouvelles et de cinq romans qui ont reçu de nombreuses distinctions aux États-Unis. (Gallsmeiter)

Retour à Oakpine de Ron Carlson paru aux éditions Gallmeister m’a valu une nuit d’insomnie car je n’ai plus pu le lâcher avant de l’avoir fini! Pourtant j’y suis entrée avec lenteur, car il faut du temps pour se familiariser avec tous les personnages vivant dans cette petite ville du Wyoming, Oakpine,  ou la vie s’écoule, lente, monotone, immobile. Une ville qui va jouer un grand rôle dans le roman, à la fois attractive parce qu'elle représente le creuset de l'enfance, mais aussi répulsive parce que rien ne semble vouloir y évoluer. Et puis, une fois que vous avez fait connaissance, vous voulez absolument savoir ce qu’il advient d’eux, vous avez envie de partager leur vie et ce n’est qu’à regret que vous les quittez.

Le thème central est celui du retour de Jimmy Brand dans sa ville natale. Ecrivain, homosexuel, vivant à New York, il a perdu son compagnon et revient au pays après trente ans d’absence pour y mourir. Son père ne veut par le recevoir, on comprendra peu à peu pourquoi. Aussi sa mère fait venir un copain d’enfance de Jimmy, Graig Raslston, pour aménager le garage afin d’y loger son fils. Son retour coïncide avec celui de Mason Kirby, avocat, divorcé, qui revient pour vendre la maison de ses parents. Or ce garage est celui où dans leur jeunesse Jimmy, Graig, Mason et un autre de leur camarade de classe Frank, se réunissaient pour jouer leur musique rock. Les quatre amis se retrouvent, l’un va mourir mais les autres sont aussi à un âge critique, la cinquantaine, "la deuxième moitié de leur vie". C’est l’heure du bilan pour tous, englués comme ils le sont dans cette petite ville où rien ne bouge,  pour eux aussi bien que pour leurs épouses, ces jeunes filles qui sont allées à l’école avec eux, qu’ils ont aimées, épousées, voire abandonnées. Qu’ont-ils fait de leur vie? Qu’ont-ils sacrifié de leurs rêves de jeunesse? Reste-t-il encore un peu de bonheur à glaner pour Jimmy?  Et pour les autres, que feront-ils ce qui leur reste à vivre?

Le ton du roman est plein de nostalgie et les souvenirs des années lycée affluent, se mêlant au présent, portant en eux leurs joies, le fantôme de leurs espoirs, la mélancolie du regret pour ce qui ne reviendra plus jamais. Mais le passé est aussi synonyme de tristesse, de peur, de mal-être car la jeunesse porte aussi son lot de drames. Pourtant le roman n’est jamais désespérant, au contraire. Malgré les amertumes liées au présent comme au passé, ce livre nous apporte du courage et de la force et ceci pour deux raisons : La présence des jeunes  gens adorables, positifs, qui permettent de croire à l’avenir. Ainsi Larry le fils de Graig et de Marci Reslston, un jeune sportif, sain, dévoué, plein de délicatesse et d’attention et Wendy, une jeune fille sincère, un peu paumée au début, qui refuse la fatalité faite aux femmes, se marier, être mère, et qui veut devenir écrivaine. Tous deux apportent à Jimmy la fraîcheur et la gentillesse de leur jeunesse.
Et puis il y a l’amitié qui reprend ses droits avec les retrouvailles des copains à nouveau réunis et se manifeste par le biais de la musique, un lien très fort qui les rassemble tous. Si bien que Jimmy malgré sa faiblesse et sa mort annoncée devient le ferment d’une renaissance et d'un nouveau départ dans la vie pour ses amis.
Un très beau livre, plein d’humanité et de tendresse.  

Merci Aifelle ICI de l’avoir fait voyager jusqu’à moi.
Du même auteur, je voudrais aussi découvrir chez Gallmeister  : Cinq ciels, Le signal. Je vais voir si la bibliothèque de ma ville les a (par miracle!).

lundi 28 mars 2016

Jon Fosse : Insomnie






 Jon Fosse est un écrivain norvégien, né à Haugesund en 1959. Il a écrit des romans et aussi des livres pour la jeunesse.
Dramaturge, il est internationalement reconnu. Certaines de ses pièces ont été présentées au festival d'Avignon : 
En 2002 avec  Visites  mise en scène Marie-Louise Bischofberger
En 2011 avec  Je suis le vent mise en scène par Patrice Chéreau.
en 2015 avec  Matin et soir
 En 2010 sa pièce Quelqu'un va venir reçoit le prix international Henrik Ibsen


Je viens de lire Insomnie de Jon Fosse paru aux éditions Circé et je suis sous le charme et l’émotion. Le récit? Deux amoureux Asle et Alida marchent dans la grande ville Bjorvin (Bergen) et ne trouvent pas à se loger. Ils n’ont plus de famille, pas de ressources, pas de toit. Toutes les portes se ferment devant eux. Alida a 17 ans; elle est sur le point d’accoucher. C’est l’automne, la nuit est froide. Il pleut. Comment survivre?
 Cette errance désespérée est poignante. Peu à peu l’angoisse vous gagne, le froid aussi. Vous avez le coeur serré pour ce garçon et cette fille, presque des enfants, si seuls au monde et qui s’aiment tant. Mais la grossesse illicite d’Alida ne rencontre aucune indulgence, le puritanisme de la société la condamne, elle et son péché. A ce récit, viennent se mêler les souvenirs du passé :  leur rencontre et cette évidence de leur amour, la haine de Herdis pour sa fille Alida, la mort de Siljas, la mère d’Asle, le violon de son père Sigvad,  ménétrier qui jouait  dans les mariages et aux enterrements et qui a transmis son art à son fils.. Des personnages, tous marqués par l’humilité de leur condition, la pauvreté, la maladie, la solitude. Seule joie, la musique qui permet un moment de bonheur et de liberté.

  
Chagall


Elle voit Asle coincer le violon sous son menton et il se met à jouer et à l'instant même elle sent quelque chose l'envahir, et quelque chose la soulève, elle s'envole, et sur la musique elle entend le père Aslak qui chante et elle sait tout ce qu'elle sait et elle est présente dans son propre avenir et tout est ouvert et tout est difficile mais la chanson est là et cette chanson, ça doit être ce qu'on appelle l'amour et Alida est là dans la musique et elle ne veut être nulle part ailleurs...

Je suis entrée dans cette écriture étrange, d’abord déroutante. Les phrases sont simples mais sans ponctuation, elles se déroulent librement, s’appuyant sur des répétitions, trouées de réminiscences qui s’entremêlent au présent, le ton est celui du conte. Peu à peu vous vous laissez entraîner par cette petite musique triste, lancinante et qui ne vous quitte plus. La beauté et la sincérité du jeune couple est touchante. Une grande poésie se dégage de l’ensemble. Mais l’art de l’écrivain est subtil, fait de non-dit. Au passage, vous notez un détail mais sans y prendre garde car votre attention est focalisée vers ailleurs, vers l’avenir des amoureux. Ce n’est qu’ensuite, à l'approche du dénouement, que vous devez vous rendre compte de l’évidence, retourner en arrière, pour bien comprendre le sens de ce que vous avez lu. Et l’horreur surgit.
Une belle et triste histoire d’amour dans un univers d’une grande noirceur.





dimanche 27 mars 2016

Henrik Ibsen : La dame de la mer

Chagall : La Baie des Anges  NIce sirène
Chagall : La Baie des Anges

La dame de la mer est une des pièces d’Ibsen paru en 1888 qui est de loin l'une des plus optimistes  des pièces de Henrik Ibsen.

L'intrigue 

Jean-Francis Auburtin : Sirènes peintre breton 1920
Jean-Francis Auburtin : Sirènes
Le docteur Wangel, un homme bon et sincère, a deux filles, Bolette et Hilde, de sa première épouse. Veuf, il se remarie avec Ellida, une jeune femme étrange qui vit mal son implantation au bord d'un Fjord, trop loin de la mer dont elle n’a jamais été éloignée jusqu’alors. Elle a besoin de cet  élément  pour vivre d’où son surnom La dame de la mer. La pièce commence avec l’arrivée d’Arnholm, ancien professeur de Bolette qui revient la voir, elle et sa famille, après des années d’absence. Il y a aussi la présence d’un jeune artiste malade, Lyngstrand, dont les bavardages parfois importuns vont apporter des éléments nouveaux à l’action.
  Ellida se confie d’abord à Arnholm qui est son ami, puis à son mari. Peu à peu l’on apprend que la dame de la mer est marquée par le souvenir du passé et d’un homme à qui elle a été promise. Il l’a quittée, après avoir commis un crime, en s’embarquant sur un navire non sans lui avoir fait  jurer de l’attendre. Il a scellé ce serment en jetant leurs bagues à la mer. Cet homme a appris son mariage et Ellida sait qu’il reviendra la chercher pour l’amener. L’aime-t-elle? Non, semble-t-il, car elle  se sent très attachée à son mari Wangel malgré la différence d’âge. Pourquoi cet aventurier de la mer exerce-t-il alors sur elle une telle fascination? S’agit-il d’une fatalité à laquelle elle ne pourrait échapper? Est-elle vraiment libre?

Une femme venue de la mer : le Folklore scandinave

Mairmaid : Waterhouse
 Cette femme venue de la mer et ce mariage symbolique qui placent la nature au centre la pièce nous plongent au coeur des vieilles légendes nordiques. Telle une banshee des légendes celtiques ou une sirène  à queue de poisson du folklore scandinave, Ellida semble sortie de la mer pour épouser un homme de la Terre. La mer possède une telle une attraction qu’il semble inutile de vouloir lui résister. Ellida se sent marquée par la fatalité et quand elle se confie à son mari c’est pour recevoir son aide. Mais elle reste persuadée qu’elle ne saura pas résister à l’homme qui va venir l’enlever à son mari.  C’est ce qui a permis d’interpréter la pièce d’Ibsen comme une exploration de la folie; de quelle maladie mentale souffre cette femme affligée, quelle névrose la ronge? Les critiques de l’époque, rejetant l'interprétation issue de la légende, ont pensé qu’elle était sous influence hypnotique (l’hypnose est très à la mode à cette époque), comme envoûtée par cet homme qui possède une pouvoir anormal sur elle.

Une femme privée de liberté

La dame de la mer entre son mari Wangel et le marin mise en scène Claude Baqué (Paris Les bouffes du Nord 2012)

Mais une autre explication psychologique me paraît très intéressante. Ellida n’a jamais été libre de penser et d’agir par elle-même, il y a d’abord eu son père, gardien de phare, puis ce marin auréolé de mystère qu’elle a cru aimer, puis son mari. Quand elle a épousé le docteur Wangel à la mort de son père, elle était seule, sans ressources, elle n’avait pas d’autre choix. L’attachement est venu après, grâce à la bonté et l’amour de son mari. Pour moi, Ellida est une soeur de la Nora de La maison de poupées. C’est le sort des femmes, en général, au XIX siècle. La loi les maintient sous tutelle, elles restent d’éternelles mineures, doivent obéissance à leur mari. La fatalité qui pèse sur Ellida n’en est pas une, c’est surtout l’incapacité de choisir, l’impossibilité de dire non, l’ignorance de son moi profond. Il n’est pas étonnant donc que les mots d’amour de Wangel la libèrent quand il lui donne le choix, lui dit qu’elle est libre, qu’elle seule peut décider. Une interprétation réaliste, donc, d'un thème cher à Ibsen, une revendication en faveur des femmes que l’on retrouve aussi avec le personnage de Bolette.

Un relatif optimisme 

Bolette et le professeur Arnholm :  Source
C’est la première fois que je rencontre chez Ibsen autant de personnages positifs, sincères et désintéressés. Ellida est une victime et une femme attachante, intéressante. Le docteur Wangel sait s’oublier soi-même pour aider son épouse. Il n’est pas sans faiblesse. Il néglige ses filles en faveur de sa toute jeune femme même s’il les aime profondément. Mais il est prêt à sacrifier son bonheur pour sauver Ellida.
Bolette et Hilde Wangel sont des jeunes filles charmantes, intelligentes et elles ont du caractère. Quant à Arnholm, l’amour qu’il éprouve pour Bolette, est si sincère qu’il se montre grand et généreux envers elle. Lui aussi donne la liberté du choix à la jeune fille.
Une belle pièce et qui pour une fois se termine bien! On comprend que la diversité des interprétations entre romantisme, symbolisme, réalisme, soit un vrai bonheur pour les metteurs en scène!


Ellida. — Écoute, Wangel, il est inutile, à l’heure qu’il est, de nous mentir.

Wangel. — Nous nous sommes donc menti, jusqu’à présent ?

E. — Oui. Ou, du moins, nous nous sommes dissimulé la vérité. La vérité, la vérité pure et sans fard, c’est que tu es venu là-bas m’acheter…

W. — T’acheter ! Tu dis que je t’ai… achetée !

E. — Oh ! je ne me fais pas meilleure que toi. J’ai consenti. Je me suis vendue.

W, la regardant douloureusement. — Ellida, as-tu vraiment le coeur de parler ainsi ?

E. — De quel nom veux-tu donc que j’appelle ce qui s’est passé ? La solitude te pesait, tu as cherché une autre femme.

W. — J’ai cherché une seconde mère pour les enfants, Ellida.

E. — Oui, par surcroît. Peut-être. Et, encore, tu ne pouvais pas savoir si je convenais à ce rôle. Tu m’avais vue. Tu m’avais parlé deux ou trois fois. C’est tout. Je te plaisais, et alors…

W. — Bien, appelle cela comme tu voudras.

E. — De mon côté j’étais seule, sans ressources, sans soutien. Rien d’étonnant à ce que j’aie accepté l’offre que tu m’as faite d’assurer mon avenir.

W. — Ce n’est vraiment pas ainsi que j’ai envisagé la question, chère Ellida. Il ne s’agissait pas d’assurer ton avenir, il s’agissait, je te l’ai loyalement déclaré, de partager avec les enfants et moi le peu que je possède.

E. — Oui, tu me l’as déclaré. Et moi, j’aurais dû dire non ! Jamais, à aucun prix, je n’aurais dû me vendre! Plutôt le travail le plus humble, les conditions les plus misérables, librement acceptées, librement choisies !




vendredi 25 mars 2016

Shakespeare : Cymbeline

Cymbeline et Posthumus de Thomas Faed

La pièce de Shakespeare, Cymbeline, parue en 1611 a d’abord été considérée comme une tragédie, puis une comédie avant d’être classée parmi les romances tardives du dramaturge avec notamment Le conte d’Hiver, la Tempête, Les deux nobles cousins.
Il faut dire que l’intrigue est si complexe, les lieux si divers, l’ancienne Bretagne mais aussi la Bretagne élizabethaine, la Rome antique et l’Italie de la Renaissance, les personnages si nombreux … que la pièce semble correspondre à un genre nouveau, la romance, apprécié par le public en ce début du XVII siècle. En France, aussi, c’est l’époque du roman baroque comme l’Astrée d’Honoré d’Urfé .

Dame Ellen Terry dans le rôle d'Imogen

L’intrigue est enchevêtrée  et je ne vous en révèle que les grandes lignes :

Cymbeline, roi de (Grande)- Bretagne, a perdu ses deux fils qui lui ont été enlevés à l’enfance. Il veut faire de sa fille Imogène, son héritière et la marier à Cloten, fils de sa seconde épouse, la Reine. Mais Imogène se marie contre la volonté de son père à Posthumus, un gentilhomme pauvre. Ce dernier est exilé en Italie et Imogène reste sous la surveillance de sa marâtre la Reine, sommée d’épouser Cloten. Le royaume qui refuse de payer un tribut à Rome va de nouveau être envahi. La guerre éclate.

A Rome, Posthumus qui vante les qualités et la vertu de son épouse est attaqué par Jachimo qui prétend pouvoir obtenir les faveurs de la Belle. L’anneau d’or donné à Posthumus par Imogène sert de gage. Jachimo, ne parvient pas à séduire Imogène mais lui dérobe son bracelet comme preuve de sa victoire. Posthumus, fou de jalousie, commande à son valet, le fidèle Pisanio, de tuer son épouse. Imogene qui s’est enfuie de la cour, déguisée en garçon, pour chercher à rejoindre son mari, se réfugie dans une forêt et est recueillie par un vieux noble banni de la cour, Belarius, qui vit là avec ses deux fils. On apprendra vite qu’ils sont, en réalité, les enfants de Cymbeline. 
Ces deux fils conducteurs vont se rejoindre pour former un dénouement dont on ne sait jusqu’à la fin s’il va être tragique ou non.

Imogène dans la grotte de Belarius :  George Dawe

Ce qui est étonnant dans la pièce c’est sa ressemblance avec un conte traditionnel et en particulier avec Blanche Neige. La marâtre qui feint d’aimer sa belle fille en public, est odieuse. Elle demande à son vieux médecin une potion pour tuer la jeune fille. Le vieillard qui a percé les intentions de la reine fabrique une médecine qui donne l’apparence de la mort. Le serviteur Pisanio qui accompagne la fuite d’Imogène en forêt refuse de la tuer. Il lui donne la potion qui la plonge dans un profond sommeil. La jeune femme est retrouvée par Belarius et ses fils qui la croient morte et qui l’allongent sur un lit de fleurs. Vous avouerez que les similitudes sont évidentes.

Il y a aussi dans la pièce de nombreuses rappels des oeuvres précédentes : La potion qui provoque une mort apparente, c’est, bien sûr, Roméo et Juliette, le mari jaloux, aux pulsions meurtrières, c’est Othello, ou  Leonte d’un Conte d’Hiver ou encore Claudio accusant Hero dans Beaucoup de bruit pour rien. La bague comme gage d’amour que l’amoureux doit conserver envers et contre tout et qu’il finit par céder est une allusion à Portia et Bassano du Marchand de Venise. Quant au déguisement en garçon, on pense bien évidemment à Viola dans La nuit des rois mais aussi à Rosalinde dans Comme il vous plaira qui part se réfugier dans un forêt  où elle retrouve, comme Imogène, ceux qui ont été spoliés par le tyran. On voit donc la richesse de Cymbeline qui reprend les thèmes récurrents  chers au dramaturge.
Cymbeline présente toutes sortes d’invraisemblances, d’évènements irréels, d’effets artificiels si bien que la crédulité du spectateur est mise à rude épreuve. Il faut donc accepter de se plier aux conventions théâtrales et laisser de côté son sens critique pour pouvoir entrer dans la pièce. Il est certain que l’on a l’impression de partir un peu dans tous les sens et puis comme d’habitude l’ordre va surgir de tout ce désordre, l’univers retrouver un sens.
 Il va me falloir d’autres lectures de la pièce pour l’apprivoiser. Je m’y intéresse particulièrement car le 16 Octobre de cette année, je suis invitée à Londres par des amis et nous irons voir une adaptation de cette pièce au théâtre du Globe! Génial, Non? Oui, mais il va falloir que je comprenne la représentation en anglais!


Lecture commune avec Jeneen et Miriam ICI

QUI veut faire une autre lecture commune de Shakespeare avec moi? Je propose pour le 25 Avril : 
 PEINES D AMOUR PERDUES ou si vous l'avez déjà lue une autre comédie de Shakespeare au choix




Logo du challenge Shakespeare de claudialucia blog Ma librairie



Festival d'Avignon : l'avant-programme


On peut déjà lire l'avant-programme du festival d'Avignon dans Le Monde.
Le festival s'ouvrira dans la cour d'honneur par les Damnés interprété par la Comédie française, d'après le film de Visconti, avec le metteur en scène flamand Ivo Van Hove. 2666, le roman monstre de Roberto Bolaño, adapté en un marathon de douze heures par Julien Gosselin .

"C’est sous un sceau bien particulier qu’Olivier Py, le directeur du Festival d'Avignon a choisi de placer la 70e édition, qui aura lieu du 6 au 24 juillet, et dont il a annoncé le programme jeudi 24 mars dans la Cité des papes, avant de le faire à Paris à l’Institut du monde arabe, vendredi 25. "
En savoir plus sur  Le Monde

Déjà des titres qui me tentent :
 Qué haré yo con esta espada?, la nouvelle création d’Angélica Liddell ; Karamazov, d’après Dostoïevski, monté par Jean Bellorini dans la carrière de Boulbon, rouverte pour l’occasion ; Place des héros, de Thomas Bernhard, mis en scène en lituanien par le Polonais Krystian Lupa ; enfin, Sidi Larbi Cherkaoui dans la Cour d’honneur, avec Babel 7.16.
 
Un festival très féminin et très jeune nous dit-on.



mercredi 23 mars 2016

Guy de Maupassant : Coco, nouvelle du recueil Contes du jour et de la nuit


J’ai retrouvé des notes que j’avais prises à propos d’une nouvelle de Maupassant : Coco extraite des Contes du jour et de la nuit parue en 1884. Cela m’a donné envie de relire ce texte que j’ai toujours trouvé cruel et qui révèle le pessimisme profond de Maupassant vis à vis de l’humanité.

Henri de Toulouse-Lautrec (1881) cheval blanc Gazelle
Toulouse-Lautrec (1881)

Coco est un cheval blanc que sa maîtresse garde malgré sa vieillesse parce qu’il lui rappelle des souvenirs. Elle confie le soin de l’animal à un goujat (valet) de quinze ans, Isidore Duval dit Zidore. Celui-ci conçoit une forte aversion pour Coco à qui il reproche sa laideur, son âge et son inutilité. Il ne supporte pas qu’il lui attire les moqueries des garnements du village. Il décide de se venger du vieux cheval et le laisse mourir de faim en l’empêchant d’atteindre l’herbe verte presque à sa portée. La pauvre bête va dépérir peu à peu.
Maupassant décrit ici l’angoisse de la vieillesse liée à la décrépitude, à la solitude et à l’abandon. Pendant toute la nouvelle la mort plane autour du cheval, la mort qui hante l’écrivain en proie depuis 1884 à des hallucinations, lui qui mène un combat contre la folie. Parallèlement, il s’intéresse à l’exploration de l’âme primitive du valet révélant au lecteur ce qui, dans l’être humain, est au niveau de la bête.

Le cheval blanc de Rosa Bonheur 1879 collection privée
Le cheval blanc de Rosa Bonheur

La confrontation entre le goujat et le cheval est hallucinante d’autant plus que l’on connaît l’issue fatale, la victime ne pouvant lutter contre son tourmenteur. Il s’agit presque d’un huis-clos car le Isidore a pris soin d’amener le cheval « là-bas », dans « la ravine », « derrière le bois » toujours plus loin, dans un endroit où personne ne passe jamais. Ce face à face met en présence deux êtres qui se ressemblent physiquement et qui sont pourtant chacun le contraire de ce qu’ils paraissent car l’animal est humain et l’homme est bestial.
 Le vieux cheval, en effet, perclus, aux genoux gonflés, a une apparence humaine avec ses poils emmêlés qui ressemblent à des cheveux et ses yeux tristes. Cette description humanise l’animal, procédé déjà employé  par Maupassant dans La Peur à des fins fantastiques alors qu’il a, ici, une valeur symbolique : Il permet de mieux saisir le drame de la vieillesse impuissante, exclue de la société mais affreusement consciente et lucide.

Adriaen  Brouwer  paysan endormi
Adriaen  Brouwer  peintre flamand

Le goujat aux « cheveux épais et durs et hérissés » , peu doué pour la parole, avec « son âme épaisse et brute » est plus proche, lui, de  l’état de bête que de l’humain. Maupassant emploie ce terme de goujat intentionnellement. S’il n’a pas encore  la nuance qu’il possède de nos jours : « Homme manquant de savoir-vivre et d’humanité », il a évolué de son sens ancien « valet d’armée », au sens de « valet, subalterne » et a pris déjà au XIX siècle une coloration nettement péjorative.
Le garçon, en effet, est un être frustre et brutal qui ne conçoit les relations avec les autres qu’en terme d’utilité : « pourquoi nourrir ce cheval qui ne faisait plus rien ». Il est aussi le reflet du pessimisme de Maupassant qui nous montre une humanité semblable , en cela, aux civilisations « du cocotier » où le vieillard inutile, relégué et méprisé n’a plus qu’à attendre la mort.
Pis encore Zidore fait durer le plaisir : « il savoure sa vengeance », éloignant d’abord l’animal de la ferme, puis l’attachant solidement hors de portée de l’herbe, prenant goût au raffinement de la vengeance, à la torture par l'espérance : « même il fit mine de le changer de place », substituant à la souffrance physique (les coups), la souffrance morale plus exaltante pour le bourreau. La mise à mort se fait par étapes, rythmée par ces trois mots introduisant une gradation  : « la vieille rosse/ La misérable rosse/ la carcasse. Quant à l'action, elle se déroule en trois jours, comme une division en actes dans une tragédie dont le rythme s'accélère crescendo de la première à la dernière partie beaucoup plus brève. Le goujat jouit de la souffrance de sa victime avec sadisme, car ce n’est pas seulement la mort du cheval qu’il souhaite. Il cherche aussi à affirmer son pouvoir, lui qui n’est rien dans cette ferme, qui est peu considéré et subit des humiliations quotidiennes. 

Maupassant a saisi avec une lucidité amère les ressorts intérieurs qui peuvent transformer les hommes en bourreaux. La déshumanisation du valet apparaît complète : à la fin du récit, il s’assoit sur sa victime comme prenant possession du vaincu et l'humiliant au-delà de la mort  puis il «  resta là les yeux fixés dans l’herbe sans penser à rien ». Ces mots de conclusion donnent la mesure du pessimisme de Maupassant car le plus terrible, en effet, n’est-ce pas ce manque d'empathie, cette insensibilité à la souffrance d’autrui, cette sottise apathique qui font un monstre d’un être humain? Je pense aux écrivains comme Semprun, Merle, Lévi, qui ont tous souligné ces traits caractéristiques dans la description des bourreaux des camps de concentration. Car bien évidemment le conte de Maupassant dépasse l'anecdote d'un valet torturant un animal, il décrit les rapports de domination entre les hommes et la négation de toute morale.

mardi 22 mars 2016

Je suis Bruxelles!




Ce beau dessin de Plantu pour exprimer la peine que je ressens devant cet horrible attentat!

 Six mille ans de guerre Victor Hugo

On pourrait boire aux fontaines,

Prier dans l’ombre à genoux,

Aimer, songer sous les chênes ;

Tuer son frère est plus doux...

 
La guerre : Douanier Rousseau

Bêtise de la guerre de Victor Hugo


Ouvrière sans yeux, Pénélope imbécile,
Berceuse du chaos où le néant oscille,
Guerre, ô guerre occupée au choc des escadrons,
Toute pleine du bruit furieux des clairons,
Ô buveuse de sang, qui, farouche, flétrie,
Hideuse, entraîne l’homme en cette ivrognerie...

                           (extrait) 

Marchez, frappez, tuez et mourez bêtes brutes de Victor Hugo

Hommes, entendez-vous. Vivez. Plus de combats.
Non, la terre d’horreur ne sera pas noyée.
Vous êtes l’innocence imbécile employée
Aux forfaits, et les bras utiles devenus
Scélérats, et je suis celui qui vient pieds nus
Vous supplier, lions, tigres, d’être des hommes.
Il est temps de laisser cette terre où nous sommes
Tranquille, et de permettre aux fleurs, aux blés épais,
Aux vignes, aux vergers bénis, de croître en paix ;
Il est temps que l’azur brille sur autre chose
Que de la haine, et l’aube est souriante et rose
Pour que nous soyons doux comme elle. Obéissons
A la vie, à l’aurore, aux berceaux, aux moissons.
 (extrait)

Vassili Verechtchaguine : L'apothéose de la guerre

 Manhattan-Kaboul de Renaud

Les dieux, les religions
Les guerres de civilisation
Les armes, les drapeaux, les patries, les nations
F’ront toujours de nous de la chair à canon

lundi 21 mars 2016

Yôko Ogawa : La Jeune fille à l'ouvrage



J’avais été fascinée par l’écriture de Yoko Ogawa découverte avec Le musée du silence, Amours en marge, Parfum de glace, La piscine… Mais j’ai été tellement déçue par L’hôtel Iris que j’ai cessé de la lire. Ce recueil de nouvelles, paru chez Actes Sud en 2016, mais écrit il y a une vingtaine d'années,  me permet de renouer avec cette grande écrivaine japonaise.

La dentelière de Vermeer

J’ai retrouvé dans ces nouvelles ce qui fait la spécificité de Yoko Ogawa, cette observation fine, minutieuse qui accorde tant d’importance aux détails : dans La jeune fille à l'ouvrage, le narrateur note : sur le tissu, les doigts de la  petite fille jouent comme ceux d’un petit animal; Ils font réellement toutes sortes de choses; Démêlent le fil, caressent, et piquent le tissu, tirent sur l’aiguille.
On dirait un portrait à la Vermeer, un tableau qui fixe et retient tous les détails d’une scène prise sur le vif et figée dans l’instant.
C’est à partir de ce souvenir de la brodeuse et de sa boîte à ouvrage rouge que le thème de la mémoire si cher à Yoko Ogawa ressurgit :  le narrateur voyage entre présent et passé, et, tandis que sa mère agonise dans le service des soins palliatifs de l’hôpital, le jeune homme revoit son enfance. Même retour entre passé et présent dans Aria où le narrateur retrouve sa vieille tante pour son anniversaire et se souvient d’elle quand il était enfant. Travail aussi sur la mémoire dans Transit mais la mémoire historique, celle des camps de concentration où les grands parents de la narratrice ont trouvé la mort. Le retour sur les lieux permet de lever les flous de la transmission du  souvenir et de prendre conscience de la fragilité et des erreurs la mémoire. Et dans l’univers du nettoyage de la maison, c’est par le récurage de sa maison, par l’effacement des salissures accumulées pendant une trentaine d’années que la maîtresse de maison fait table rase de son passé. Comme si la propreté immaculée pouvait venir à bout des souvenirs et donner un nouveau départ dans la vie.
La cruauté de la vie est toujours présente mais ce qui domine toujours dans les nouvelles précitées, c’est la nostalgie et la poésie liées au thème de la mémoire et ce qui me frappe, ce sont ces dénouements qui n’en sont pas. Ici pas de chutes qui surprennent et provoquent un choc. Plutôt un lent délitement, une non-fin, les gens se séparent en se disant au revoir, banalement comme dans Transit, Aria ou Jeune fille à l’ouvrage. Il n’y a rien de plus. Tout se dissout dans la banalité quotidienne.  On ne peut réparer le passé, on ne peut pas agir sur lui.

Très différents sont les autres nouvelles, étranges et bizarres parfois horribles. Ce qui brûle au fond de la forêt nous plonge dans un univers fantastique. Elles présentent toutes un mélange de cruauté et de perversité : dans La crise du troisième mardi une toute jeune fille entraînée dans une chambre d’hôtel par un homme âgé est terrassée par une crise d’asthme. Parfois la chute de la nouvelle est violente, dérangeante, tordue, en particulier dans L’encyclopédie ou Morceaux de cake. J’éprouve une certaine répulsion à la lecture de ces dernières nouvelles, sachant, bien entendu, que c’est ce que veut nous faire éprouver l’auteure et qu’elle excelle aussi dans ce genre morbide, aux détails crûment réalistes.
 L’autopsie de la girafe en est un exemple : Certainement que son cerveau avait été déjà prélevé, et que ses intestins  désinfectés avaient été retirés. Les mains de mon amoureux humides de sang, de fluides corporels et de produits pharmaceutiques devaient les caresser avec précaution. 
 Mais le style même dans les passages les plus réalistes, les plus durs, réservent des moments poétiques comme l'analogie établie entre la girafe et les grues, toutes si belles :
 Autour de chaque grue se dressaient un échafaudage de tubes métalliques et des machines aux  formes complexes posées de ici ou là  qui n’entravaient pas leur fierté ni leur dignité. La peinture jaune étincelait, les bras s’étiraient avec grâce, et les câbles qui s’enroulaient autour paraissaient vigoureux. Les trois crochets immobiles dans l’espace ressemblaient à des offrandes spécialement choisies. 
Tous ces récits témoignent d’un mal-être, de la banalité ou du non-sens de la vie même dans les rapports amoureux. Et lorsque la passion  existe, elle se révèle cruelle et  dévoyée, elle parasite l'autre (L'encyclopédie) ou le sacrifie (Ce qui brûle au fond de la forêt).
Une écrivaine de talent! Une vision pessimiste de la vie!

Lire Le billet de Lewerentz


Merci à Dialogues croisés et à la librairie Dialogues