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mercredi 23 mai 2012

Déshonorée de Mukhtar Mai, une soeur de Syngue Sabour



J'ai vu un jour au journal télévisé le procès de ce jeune homme d'origine pakistanaise qui a odieusement brûlé une jeune fille dans une banlieue française. Motif? Elle avait rompu avec lui.
Et lorsque l'on interviewe le père sur ce qu'il pense de la conduite de son fils, il répond : "il a fait une bêtise!" Une bêtise! Quel euphémisme par rapport à un tel acte de barbarie ! Mais peut-être - ai-je pensé- cet homme ne possède-t-il pas assez la langue française pour en connaître les nuances?

Or voilà qu'à la bibliothèque, sans l'avoir cherché, je tombe sur le livre de Muktar Mai exposé sur un présentoir, bien en évidence comme pour répondre à mes questions. Le livre s'intitule : Déshonorée.

Il s'agit du témoignage d'une jeune femme pakistanaise, du clan des Gujjar, Muktar Mai, condamnée par le tribunal tribal de son village à un viol collectif devant tout son village. En effet, le jeune frère de Muktar Mai a osé parler à un fille du clan des Mastoï, fermiers guerriers belliqueux, de caste supérieure, qui imposent leur loi aux Gujjar. Et qu'importe que le garçon n'ait que 12 ans et la fille 20 ans! Violée, humiliée et désespérée, la jeune fille souhaite d'abord se suicider comme la plupart des femmes de ce pays soumises à de semblables brutalités, considérées comme déshonorées, et qui ne trouvent aucune autre issue. Mais elle finit par décider de se battre et porte plainte. Dès lors sa vie est menacée. La présence d'un journaliste qui publie un article dans un journal attire l'attention de tout le pays et bientôt du monde entier sur son cas. Un mouvement de solidarité se fait jour autour d'elle. Elle est mise sous la protection de la police, c'est pourquoi elle est toujours en vie aujourd'hui.

Pour une femme qui refuse la violence et survit, combien meurent, combien sont enterrées sous le sable, sans tombe, sans respect.

Si quatre des agresseurs de Muktar Mai ont été condamnés lors du premier procès sous la pression internationale, ils ont été ensuite innocentés quelques années après, en appel. Pendant le second procès, en effet, la coupable toute désignée a été, en effet, la jeune femme!

On m'a traduit des commentaires dans la presse nationale, voulant démontrer que la femme pakistanaise n'avait qu'un devoir, celui d'être au service de son mari, que la seule éducation pour une fille devait venir de sa mère, et que, en dehors des textes religieux, elle n'avait rien à apprendre. Que le silence de la soumission.
Il apparaît sournoisement dans ce tribunal que je suis coupable de ne pas respecter ce silence.


Mais Muktar Mai (Soeur aînée ainsi que la nomme ses élèves) n'a pas abandonné son combat. Elle fait appel une fois de plus*. A l'heure actuelle, elle vit dans son village et a ouvert une école pour apprendre aux filles à lire et écrire, car seule l'instruction leur permettra de s'en sortir, espère-t-elle.

Ma petite école semblait bien menue dans ce flot de malheurs. Minuscule pierre plantée quelque part dans le monde, pour tenter de changer l'esprit des hommes.Donner à une poignée de fillettes l'alphabet qui de génération en génération ferait lentement son travail. Enseigner à quelques gamins le respect dû à leur compagne, leur soeur, leur voisine.. C'était si peu encore.

Notons que le gouvernement pakistanais accepte de payer le salaire d'un instituteur pour les garçons mais pas pour les filles!! Muktar Mai a pu construire son école et assurer le salaire des enseignants pour les filles grâce à l'aide internationale et en particulier au Canada.

Lire son histoire, c'est donc découvrir le statut de la femme en général au Pakistan :

Qu'il s'agisse de divorce, d'infidélité supposée ou de règlements de compte entre hommes, la femme paie le prix fort. On la donne en compensation d'une offense, elle est violée par un ennemi de son mari, en guise de représailles. Il suffit parfois que deux hommes entament une dispute sur un problème quelconque, pour que l'un se venge sur la femme de l'autre. Dans les villages, il est courant que les hommes se rendent eux-mêmes justice, invoquant le dicton oeil pour oeil. Il est toujours question d'honneur, et tout leur est permis. Trancher le nez d'une épouse, brûler une soeur, violer la femme de son voisin.
Alors que la sexualité est un tabou, que l'honneur de l'homme dans notre société pakistanaise est justement la femme, il ne trouve de solution que dans le mariage forcé ou le viol. Ce comportement n'est pas celui que le Coran nous enseigne.

Ou encore

Zafran Bibi, une jeune femme de vingt six ans, a été violée par son beau-frère et s'est retrouvée enceinte. Elle n'a pas renié cet enfant et a été condamnée à mort par lapidation en 2002, car l'enfant représentait une preuve de zina, le péché d'adultère. Le violeur n'a pas été inquiété.(...)
Elle ne sera pas lapidée mais risque de passer plusieurs années en prison, alors que son violeur, lui, est protégé par la loi.


Une autre femme m'attend, le visage à demi couvert par un voile usé; sans âge, épuisée par les travaux domestiques. Elle a du mal à parler. Elle montre simplement son visage, discrètement, honteuse. Et je comprends; l'acide en a dévoré la moitié. Et elle ne peut même plus pleurer. Qui a fait ça? Son mari. Pourquoi? Il la battait, elle n'était pas assez rapide pour le servir à son aise.
La moitié des femmes dans notre pays subissent des violences. Soit on les marie de force, soit on les viole, soit les hommes s'en servent comme monnaie d'échange. Peu importe ce qu'elles pensent car, pour eux, il ne faut surtout pas qu'elles réfléchissent. Ils refusent qu'elles apprennent à lire et à écrire, qu'elles sachent comment va le monde autour d'elles. C'est pour cela que les femmes illettrées ne peuvent pas se défendre : elles ignorent tout de leurs droits, et on leur dicte leur propos pour tenter de briser leur révolte..

Ce témoignage  nous rappelle donc la fragilité de la condition féminine partout  dans le monde  et la nécessité de rester toujours vigilant face à tout ce qui va à l'encontre des droits des femmes y compris dans notre pays.



*voir  l'article suivant  du 8/03/2006 qui fait le bilan de la condition des femmes  : Atlas vista : Asie du Sud: malgré Mukhtar Mai, les crimes d'honneur restent quotidiens

Un article

voir article le Figaro  15/10/2007

voir The NYTimes Novembre 2008 blog Kristof


lundi 21 mai 2012

Ian McEwan : L'enfant volé




Dans L'enfant volé, le titre explique le sujet du livre, Ian McEwan raconte le vol d'un petite fille, Kate, dans un supermarché, alors qu'elle accompagne son père. Un moment d'inattention pendant qu'il charge les courses sur le comptoir, il se retourne, l'enfant n'est plus là! C'est ce qui peut arriver de plus horrible à des parents, un cauchemar qui devient réalité! La souffrance du couple Stephen et Julie est terrible et entraîne la séparation, chacun réagissant à sa manière, et désormais incapables l'un et l'autre de communiquer, murés dans le silence et la douleur....
Le roman est assez déroutant car le lecteur s'attend à en savoir plus; c'est une frustration, en effet,  de ne pas apprendre qui a enlevé la fillette, de voir l'enquête ainsi abandonnée! Mais le sujet est ailleurs! Ce qui intéresse l'écrivain est l'analyse des conséquences sur l'individu et sur le couple d'un évènement aussi traumatisant et irrémédiable que l'enlèvement d'une enfant! Comment arrive-t-on à vivre après? Peut-on se reconstruire? C'est qu'il faut bien vivre malgré la disparition ou tout au moins paraître vivre normalement. Stephen, auteur de romans pour enfants travaille dans une commisssion nommée par le gouvernement pour traiter des problèmes de l'enfance. Ian Ecwan place donc cette étude psychologique dans un cadre social et politique bien précis. Le personnage n'est pas désincarné. La satire du gouvernement anglais et la parodie de démocratie qui consiste, par exemple, à éditer le bilan et les conclusions de la commission avant que celle-ci ne soit terminée, sont assez féroces.
A côté de Stephen et Julie gravitent d'autres personnages, ses parents d'abord, mais aussi, Charles, son ancien éditeur reconverti dans la politique. Toutes ces intrigues secondaires se greffent sur la première et donnent parfois lieu à des scènes très fortes presque hallucinantes comme lorsque Stephen accompagne Charles retombé en enfance, dans l'ascension d'un arbre vertigineux... ou fantastiques, Stephen rencontre sa mère, jeune fille, enceinte de lui... Certains épisodes paraissent constituer des entités, construites, dirait-on, comme des nouvelles ayant chacune une unité en elle-même.
Cela m'a empêchée, au début, d'entrer complètement dans le roman car l'intrigue de départ semble disparaître, se perdre dans les autres. L'écrivain paraît se disperser dans plusieurs directions même s'il n'en est rien! Le thème général est toujours celui de l'enfance volée et du temps qui passe en la détruisant. Comme Charles, nous devons tous faire le deuil de notre enfance et les parents, celui de leur enfant quand celui-ci entre dans l'âge adulte. Ainsi Stephen se souvient d'un moment où sur une plage de sable, Julie et lui avaient retrouvé leur âme d'enfants pour jouer au château de sable avec Kate,s'absorbant entièrement dans le jeu pour ensuite revenir à la vie réelle et détruire "l'enchantement" par leurs considérations d'adultes :
Stephen se disait que s'il pouvait encore agir avec cette même intensité, ce même abandon avec lequel il avait autrefois aidé Kate à bâtir son château, il serait heureux et doté de pouvoirs extraordinaires.
Un beau roman malgré les restrictions que j'ai eues sur un sujet douloureux.
Dans le cadre des noms d'auteurs en Mc

dimanche 20 mai 2012

Un livre/Un film : Flaubert/Minelli Madame Bovary




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 Réponse à l'énigme 34,
Félicitations à  :  Aifelle, Dasola, Eeguab, Keisha, Lireaujardin, Maggie,  Miss Léo, Pierrot Bâton, Shelbylee 

Le roman Flaubert : Madame Bovary

Le film :  Vincente Minelli : Madame Bovary

Merci à tous et toutes pour votre participation ....



Texte à deux mains de Wens et Claudialucia


Madame Bovary de Gustave Flaubert (1857) :  Résumé.
Dans son petit village de Normandie, Emma, fille de paysan aisé, élevée comme un jeune fille de bonne famille, au couvent des Ursulines à Rouen, rêve d'une autre vie. Elle épouse un modeste médecin de campagne, Charles Bovary. Le couple s'installe à Yonville, une petite bourgade, et de cette union naît une petite fille, Berthe, à laquelle Emma ne parvient pas à s'intéresser vraiment. La jeune femme s'ennuie et sa vie lui paraît médiocre. Un bal chez le marquis d'Anvilliers lui permet d'entrevoir le raffinement et le luxe qui correspondent à ses aspirations. Le jour des Comices agricoles, elle se laisse séduire par un jeune noble, Rodolphe. C'est pour elle le début d'une grand amour romantique rapidement déçu. Après le départ de Rodolphe, Emma tente de se satisfaire de sa vie et de se rapprocher de son mari. Elle souhaite sa réussite et le pousse à opérer le pied bot d'un jeune villageois. L'opération est un terrible échec et loin de pouvoir admirer son mari Emma est amenée à le mépriser un peu plus. Lors d'un voyage à Rouen, le couple rencontre Léon, un jeune clerc de notaire originaire de Yonville. Emma va devenir la maîtresse de Léon. Mais la jeune femme, coquette et dépensière, a accumulé des dettes l'insu de son mari et lorsque la ruine se précise, elle met fin à ses jours.

 Madame Bovary  de Minnelli.. 1949.

 Déclarons d'entrée de jeu : le film de Minelli est une totale trahison du roman, la portée réaliste et la critique sociale de l'oeuvre de Flaubert sont totalement absentes,  Minnelli dresse un portrait naïf de la société française du XIXème siècle, les personnages du film n'ont pas la richesse, la profondeur du roman …. Et grâce à ce long préambule en forme d'amende honorable, nous pourrons, espérons-le, sans trop de crainte, sans risque de lynchage, affirmer que nous aimons Madame Bovary de Minnelli. Car le cinéaste est un très  grand réalisateur.

Il faut rappeler que, en 1949, le film risquait de choquer le public et de se heurter à la censure toujours présente dans le cinéma américain comme du temps de Flaubert!Minnelli mettait en scène une femme adultère, frivole, abandonnant son enfant, en faisait le personnage principal de son film et ne condamnait pas sa conduite. De plus la belle Jennifer Jones donnait au personnage d'Emma Bovary une connotation extrêmement sensuelle. Pour contourner la censure, Minnelli et son scénariste ont donc créé un prologue et un épilogue faisant référence au procès de Flaubert. L'écrivain, en effet, fut accusé d'atteinte aux bonnes moeurs mais finalement acquitté.
James Mason qui incarne Flaubert à l'écran prend la parole pour défendre Emma et le film est présenté comme le plaidoyer de l'écrivain. Il faut donc montrer Emma sous un jour favorable, expliquer qu'elle a des torts mais qu'elle n'est pas entièrement coupable et surtout attirer la compassion du public. Le film va donc s'intéresser seulement au personnage d'Emma et non à la société décrite par Flaubert et à la peinture de la bourgeoisie qu'il exécrait!  Première trahison de Flaubert!
Emma est présentée comme une ravissante femme qui vit la tête dans les étoiles et refuse la médiocrité de sa condition. Mariée à Charles Bovary, un brave homme, sympathique, mari attentionné, bon père de famille, elle attend le vertige de l'amour et de la passion. Elle bute contre les murs de sa maison alors qu'elle rêve de vastes demeures et de palais. Mais alors que Flaubert voulait montrer à travers Emma un personnage qui bâtit sa vie sur des mensonges romantiques, des sentiments faux, convenus, et parfois peu intelligents, l'Emma de Minnelli est totalement romantique, d'un romantisme hollywoodien qui réclame apitoiement et larme à l'oeil. Alors que Flaubert  décrivait un personnage romantique pour mieux condamner les excès du romantisme, Minelli utilise ce trait de caractère pour attirer la sympathie du public. Deuxième trahison de Flaubert!
Mais le talent du réalisateur est tel qu'on se laisse emporter par la virtuosité de la mise en scène…  Ainsi, chez le marquis d'Anvilliers, la séquence du bal est filmée d'une manière éblouissante et permet de comprendre l'exaltation d'Emma, ses affinités avec le luxe, la richesse et la beauté.. Minnelli nous entraîne progressivement dans un tourbillon, reflet des sentiments d'Emma. Lors de la valse, elle est étourdie par la danse et par son bonheur, il faut briser les vitres pour qu'elle puisse continuer à vivre. Mais son rêve prend fin quand Charles légèrement ivre la rejoint. Minelli sait aussi nous montrer par l'image la distorsion entre les rêves d'Emma et ce qu'elle vit. Par exemple, elle regarde souvent le monde à travers un miroir qui reflète une réalité ne correspondant pas à son univers intérieur. Terrible est le moment où lors de son rendez-vous galant avec Léon, elle aperçoit le couple qu'ils forment tous deux dans le miroir fêlé d'une misérable chambre d'hôtel. Tous rêves romantiques s'effondrent alors.. Pour souligner l'opposition entre les rêves d'Emma et la réalité  de sa vie,  Minnelli joue aussi avec le décor et les costumes avec  l'aide de ses fidèles complices Willis pour les décors et Plunkett, dessinateur des splendides robes d'Emma.
Minnelli, l'auteur de Un Américain à Paris, réalise ainsi un flamboyant mélodrame romantique.

 
 

Chabrol. Madame Bovary. 1991.

En France,la plus célèbre adaptation est celle de Claude Chabrol. A la sortie du film, celui-ci  affirmait : "J'ai voulu être le plus fidèle possible au texte de l'auteur" et  encore : "j'essaie de faire le film qu'il aurait  fait s'il avait eu une caméra au lieu d'une plume". Pour rester au plus près du texte, le réalisateur a utilisé tous les rares dialogues du roman et a eu recours très fréquemment à la voix off.
Mais cette adaptation linéaire, très (trop?) respectueuse du texte de Flaubert est bien sage et plate. Isabelle Huppert, glaciale, à son habitude, maîtrise ses sentiments à un tel point qu'elle ne rend pas assez le côté passionnel, insatisfait et romantique du personnage.

Manoel de Oliveira. Le Val Abraham.1993.
Voilà sans aucun doute la plus belle adaptation du roman de Flaubert à l'écran. Oliveira transpose l'histoire d'Emma dans le Portugal des années soixante. En se libérant des contraintes du lieu, du temps, en abandonnant la linéarité, Oliveira réussit le pari de rendre l'esprit du roman.  Ema du Val d'Abraham est une femme qui résiste aux contraintes du milieu social, à la domination des hommes.