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lundi 21 juillet 2014

Faire danser les alligators sur la flûte de pan de Louis-Ferdinand Céline au Chêne Noir




Faire danser les alligators sur la flûte de pan c'est ce que Louis-Ferdinand Destouches  dit  Céline se sent capable de faire par son écriture, un labeur harassant qui lui donne l'impression de chercher à se frayer un chemin dans la jungle à grands coups de machette : faire passer le langage oral et populaire à l'écrit,  en travaillant le rythme, en tordant les phrases, les mots pour donner l'impression de la facilité, du vécu, du réel, alors qu'il s'agit d'une exigence absolue du style, d'un don de soi épuisant et douloureux! Encore que de la littérature, Céline, le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il s'en méfie, qu'il la vomit, la littérature; pour lui ce qui compte c'est l'émotion, la sincérité, le texte direct qui vous prend au corps, qui vous terrasse.
Composé à partir de la correspondance de Céline ce spectacle propose un habile et intelligent montage de textes  réalisé par Emile Brami qui nous fait découvrir  l'écrivain mais pas seulement... Le mérite de la pièce, c'est de présenter l'homme en entier avec ce qu'il a de haïssable, son racisme, son antisémitisme, sa misanthropie, ses haines… mais aussi ses souffrances, ses arrachements, ce désespoir.  Céline passe tout par le collimateur de sa détestation : son antimilitarisme liée à son horreur de la guerre, son rejet de la sottise des hommes, de leur lâcheté, de leur corruption, de leurs ambitions, son horreur du communisme après un voyage en Russie… On comprend cette mise au ban totale de la société qui fait que son génie littéraire n'est pas reconnu, qu'on lui préfère pour le prix Goncourt un écrivain oublié de nos jours, que sa mort n'est annoncée que plusieurs jours après et encore avec embarras à la radio…
La vie de Céline est donc tragique et Denis Lavant, interprète extraordinaire qui se coule dans la peau du personnage au point de faire oublier l'original, sait rester en équilibre entre émotion et comique, par exemple quand Céline passe en revue les écrivains qu'il n'aime pas! Une galerie hilarante de portraits assaisonnés à la verve célinienne qui n'est pas sans rappeler la prolixité et la saveur des mots rabelaisiens mais au XXème siècle!
La mise en scène qui nous tient en haleine et l'interprétation éblouissante de Denis Lavant font de ce spectacle un grand moment du Off.


Faire danser les alligators sur la flûte de pan
Le chêne Noir  20H15 jusqu'u 27 Juillet relâche le 2& juillet
Avec l’autorisation des Éditions Gallimard
Adaptation Émile Brami
Mise en scène Ivan Morane
Avec Denis Lavant
Lumières Nicolas Simonin
Décor et costumes Émilie Jouve
Le pôle diffusion en accord avec Réalités/Compagnie Ivan Morane
Production déléguée Réalités/Cie Ivan Morane - Jean-Charles Mouveaux
Spectacle SNES
Coréalisation Théâtre du Chêne Noir


 chez Eimelle

Kazuo Ishiguro : Quand nous étions orphelins...



Kazuo Ishiguro Quand nous étions orphelins : Christopher Bank a passé son enfance dans la concession internationale de Shangaï au début du XX siècle. Son père est employé d'une compagnie britannique et sa mère est en lutte contre le trafic d'opium que l'entreprise du père encourage pour plonger la Chine dans la déchéance afin de mieux dominer le pays. L'enfant joue dans la concession avec son ami japonais Akira mais l'insouciance de la jeunesse n'a qu'un temps. Ses parents disparaissent mystérieusement et Christopher est envoyé en Angleterre chez sa tante puis en pension. Lorsqu'il finit ses études il réalise son ambition de devenir un détective célèbre et fréquente la haute société londonienne. C'est là qu'il rencontre Mademoiselle Hemmings, une jeune femme mondaine, snob et méprisante qui lui est d'abord antipathique avant de mieux la connaître. Comme lui, elle a été marquée par une enfance sans parents. C'est en 1937, tandis que l'Europe s'achemine vers la guerre que Christopher Bank retourne en Shangaï pour réaliser le projet qui lui tient à coeur : se lancer sur les traces de ses parents. Il y retrouve une ville déchirée par la guerre sino-japonaise, un pays en pleine mutation, et c'est dans ce contexte de fin du monde qu'il finira par apprendre ce qui leur est arrivé.

Le roman ne suit pas un déroulement linéaire. Il commence en 1927 à la sortie de Cambridge quand le jeune diplômé se lance à l'assaut de la capitale pour réaliser ses ambitions. Le récit procède par des retours en arrière dans deux époques différentes : avant la disparition des parents et après, entre la concession et la pension, entre la Chine et l'Angleterre…
C'est grâce à la rencontre avec des amis de collège que sont évoquées les années d'étude et Christopher Bank puise dans ses souvenirs pour se remémorer la vie dans la concession. Dix ans s'écoulent donc avant que le détective ne parte à Shanghaï en 1937 où il confrontera ses souvenirs d'enfance à la réalité du pays en guerre qui détruit non seulement la population et la ville mais aussi de grands pans de sa mémoire.
 Kazuo Ishiguro parle avec beaucoup de finesse et d'habileté du phénomène de la mémoire, des transformations que celles-ci fait subir au réel, des différences entre ce que l'on perçoit ou retient du passé et la perception qu'en ont les autres, témoins pourtant des mêmes faits. A plusieurs reprises Christopher Bank s'aperçoit que ce qu'il croit être la vérité absolue sur lui-même n'a jamais été perçue  de cette façon par ses condisciples. Cette réflexion est un des aspects passionnants du roman.
Le thème de l'enfance et de l'amitié est abordé aussi avec bonheur. C'est à travers le regard d'un enfant que nous découvrons la politique des grandes entreprises britanniques, les différends qui opposent la mère et le père de l'enfant qui ne comprend pas tout et ne nous en livre que des bribes. Ce qui n'empêche pas l'amitié et le jeu avec Akira, les sottises d'enfants, les peurs liées à l'imagination.
Comme dans Les Vestiges du jour qui reste pourtant mon préféré, le roman de Kazuo Ishiguro Quand nous étions des orphelins explore avec nostalgie, un monde qui se délite peu à peu, en voie de disparition… Ici, c'est la fin de la colonisation anglaise. L'enfance de Christopher Bank et de son ami Akira apparaît alors comme les derniers moments d'un univers qui va s'écrouler sur ses bases. J'ai aimé à découvrir la vie dans cette concession internationale et les enjeux terribles de la politique qui vont bientôt conduire au cataclysme de la seconde guerre mondiale. Les chinois considèrent d'ailleurs que celle-ci a commencé en 1937.

Un beau roman à découvrir.


dimanche 20 juillet 2014

Henrik Sienkiewicz : Par le fer et par le feu




Par le fer et par le feu de Henrik Sienkiewicz qui paraît en 1884 est le premier roman d'une trilogie qui, avec Le déluge et Messire Wolodowsky, raconte l'histoire de la Pologne au XVII siècle dans une des périodes les plus troublées de son histoire. Quand il publie son roman, Henrik Sienkiewicz veut en faire le symbole de la lutte polonaise à une époque où la Pologne n'existe plus, la majorité de son territoire étant annexée par la Russie, l'autre partagée entre la Prusse et l'Autriche.
Le récit commence en 1647, lorsque la République polonaise dites des "deux Nations" comprenant la couronne polonaise et le grand-duché de Lituanie est un immense état qui englobe aussi l'Ukraine. Celle-ci voudrait se faire reconnaître comme troisième nation mais vainement. Les cosaques, peuple guerrier de semi-nomades vivant en Ukraine, menés par Bogdan Khmelnitsky,  vont alors se soulever contre la République en s'alliant aux Tatars de Crimée. Commence une guerre civile effroyable qui décimera les populations et au cours de laquelle s'affronteront les nobles chevaliers polonais et les rebelles.


Les Etats de la couronne de Pologne sous lesquels sont compris la grande et la petite Pologne, le grand duché de Lithuanie,
Henrik Sienkiewicz avec ce roman porté par un style flamboyant écrit l'épopée de la Pologne.  Il nous lance en chevauchées fantastiques dans les grandes espaces des steppes ukrainiennes, à la découverte de villes ou de bourgades dévastées, nous confronte au fleuve majestueux le Dniepr, nous fait vivre dans des villes assiégées, affronter des combats terrifiants, démesurés dont la grandeur n'a d'égale que la cruauté. Le sang coule à flots et teinte l'eau des rivières, les cadavres comblent les douves des châteaux, la torture, le pal, les trahisons se succèdent et quand ils ne sont pas au combat, les nobles chevaliers trouvent encore le moyen de se battre en duel pour leur honneur et pour leur Belle!  Le symbole du pouvoir polonais est incarné non par le roi nommé par la noblesse mais par le puissant seigneur que tous redoutent, le duc Yarema Wisniowiecki, dont le nom seul fait trembler des armées entières..
Un souffle épique anime les prouesses des chevaliers ou des cosaques, car les ennemis sont de force égale, semblables à des demi-dieux, accomplissant des actes hors du commun, géants que rien ne semble pouvoir abattre et dont l'auteur nous montre pourtant la fragilité.  Car au milieu de ce roman qui a choisi pour héros tout un peuple, Henryk Sienkiewicz s'intéresse aussi aux individus, à leur mentalité mais aussi à leur vie personnelle. Nous suivons avec empathie les aventures du vaillant  chevalier Jean Kretuski et  de son amour, la jeune et belle Hélène, enlevée par le cosaque Bohun; nous faisons connaissance de  ses amis  le vieux et rusé Zagloda, le frêle et redoutable Michel Wolodowski, et le lituanien Podbipieta, géant candide et naïf capable d'exploits hors du commun. Le roman raconte ainsi une histoire d'amour et d'amitié qui peut aller jusqu'au sacrifice. Cruauté et idéalisme vont de pair et l'Histoire et la fiction s'allient pour notre plus grand plaisir.

Un roman historique passionnant qui vous entraîne bien loin en imagination, dans des contrées  sauvages et des époques éloignées. Et pas d'inquiétude devant ce pavé, on ne fait qu'une bouchée des 700 pages du livre!





Merci à Babelio et  aux Editions Libretto

mercredi 16 juillet 2014

Poucette par la compagnie P'tites Griottes : théâtre enfants festival d'Avignon




Par la compagnie les P'tites Griottes et en compagnie de la comédienne Véronique Balme  Poucette reprend l'histoire du conte d'Andersen, celle d'une petite fille grande comme le pouce qui naît dans une fleur. Sa maman la couche dans une coquille de noix sur le rebord de la fenêtre mais elle est enlevée par un vieux crapaud qui veut lui faire épouser son fils. Après de nombreuses épreuves, elle finira par s'enfuir au pays des Fleurs où elle devient Maïa la reine des fleurs et sera libre d'aimer le Prince de son choix.

Là encore la comédienne nous entraîne dans le récit d'Andersen qui réserve bien des émotions, récit initiatique qui apprend aux enfants à grandir.. Elle interprète différents personnages, Poucette, la souris, la taupe et anime les marionnettes aux formes très diverses qui jouent sur les différences de taille, hirondelle, hanneton, crapaud, poissons.  Elle contrefait avec succès toutes les voix. Les  décors en tissu, d'immenses étoffes soyeuses qui figurent la rivière, et les costumes aux couleurs vives et fraîches participent à la féerie du spectacle. Tous les détails sont soignés. Ma petite fille a remarqué dans le décor en feutrine du pays des fleurs de minuscules coccinelles qu'elle a adorées.. 
Un spectacle très agréable.

Cette première chanson a beaucoup plu à ma petite fille :

Il faut toujours écouter
Ce que nous murmure le vent
Le souffle des éléments
Même le plus discret des chants
Amène à l'oreille de celui qui entend
Des histoires à aimer.

Nos préférences :
Des deux pièces de la compagnie P'tites griottes  jouées au festival d'Avignon 2014 : Fourmi de pain et  Poucette, quelle notre préférée?

Nini (4 ans) :  a beaucoup aimé les deux spectacles et a préféré Poucette qu'elle est allée voir deux fois.
Sa grand mère : J'ai aimé les deux mais ma préférence va à fourmi de pain car j'apprécie moins la partie chantée de Poucette.



Poucette à partir de 3 ans  à 17H30 Petite caserne des pompiers  du 5 au 27 Juillet 2014


mardi 15 juillet 2014

Fourmi de pain par la Compagnie les P'tites griottes à Essaïon-Avignon : théâtre pour enfants au festival d'Avignon



La compagnie les P'tites Griottes et la comédienne Véronique Balme donnent deux très jolis spectacles pour enfants pendant ce festival :

Fourmi de pain raconte le voyage d'une fourmi à la recherche du secret du pain qui lui permettra de survivre. En chemin, elle rencontre différents petits personnages qui vont la conduire d'un lieu à l'autre jusqu'au moulin. Mais les ailes du moulin tournent trop vite et le meunier ne se réveille pas!  Que va faire la petite souris?

Les marionnettes sont craquantes à souhait et très joliment animées par la comédienne. La fourmi est fabriquée devant nous à partir de pain mouillé et se met à vivre avec ses yeux en bille de loto, le mulot dodu est tout à fait amusant, la reine des papillons déplient ses ailes magnifiques et l'araignée tisse des fils extraordinaires qui résistent à tout. La parole n'est jamais trop abondante et intervient quand il le faut, sans excès. Et la fourmi de 18 mètres de Desnos, très bien intégrée dans le récit, est bienvenue. Poésie, inventivité et rire… Les enfants s'amusent, s'émerveillent et, à la sortie, grignotent le pain dont ils connaissent maintenant tous les secrets de fabrication.
 A partir de 3 ans.

Fourmi de pain  11h compagnie les P'tites Griottes Essaïon-Avignon







Goldoni : La locandiera


La locandiera, une de pièces les plus connues de Goldoni,  garde son titre italien qui vient de locanda : la pension, l'hôtel garni. Le titre n'a pas de traduction en langue française comme le fait remarquer l'auteur lui-même qui propose comme titre français "la femme adroite".
Cette "femme adroite", c'est Mirandolina qui tient toute seule la pension de famille depuis que son père est mort. Elle a un valet, Fabrice, à qui elle a promis le mariage. Elle héberge trois gentilhommes dont deux sont amoureux d'elle : le comte d'Albafiorita et le marquis de Forlipopoli. Mais le troisième, le chevalier de Ripaffratta fait profession de mépriser les femmes et ne succombe pas aux charmes de la charmante aubergiste. Mirandolina décide alors de le rendre amoureux puis, lorsqu'elle parvient à ses fins, épouse son valet.

Que penser de Mirandolina? Son personnage a donné lieu à de nombreuses interprétations : coquette rusée voire rouée qui accepte les cadeaux de ses messieurs sans rien leur accorder, elle joue avec le feu; femme de tête qui mène bien ses affaires mais doit dans une société où la femme est considérée comme inférieure user de séduction pour pouvoir être indépendante et patronne. De là à à faire de Goldoni un féministe et voir dans Mirandolina l'expression de la révolte féminine, supérieure aux hommes qu'elle mène par le bout du nez, et maîtresse de son destin puisque c'est elle qui choisit son mari, il n'y a qu'un pas! Il n'en reste pas moins que pour pouvoir continuer à gérer son hôtel, Mirandolina doit se marier, c'est à dire rentrer dans les normes, obéir aux règles. Une femme seule, surtout si elle est jeune, ne peut que se compromettre et se mettre au ban de la société en tenant une auberge et en hébergeant des hommes. Mirandolina se marie non pas amour mais pas nécessité et pour cela elle doit renoncer à son indépendance et à son statut de "patronne", se mettant ainsi sous la coupe d'un mari. L'ordre social est rétabli. Malgré son intelligence et sa ruse, Mirandolina est  de toutes façons la perdante dans un monde fait pour et par les hommes!

Comme d'habitude la pièce donne un aperçu de la société vénitienne même si Goldoni, par prudence et pour éviter la censure, situe son action à Florence. La pièce est une comédie et nous rions beaucoup de ces personnages qui sont tournés en dérision, il n'en reste pas moins que la pièce est une satire assez virulente. Le comte et le marquis sont les représentants de deux sortes de noblesse : le marquis représente la noblesse ancienne, imbue de son nom et de son rang mais ruinée! Le comte vient d'acheter son titre mais sait faire sonner bien haut ses écus. Tous les deux sont tournés en ridicule puisque chacun d'entre eux se targue de ses avantage, le nom ou l'argent, pour gagner les bonnes grâces de Mirandolina et n'obtiendra rien! Mais le plus ridicule est peut-être le chevalier, celui qui n'aime pas les femmes et refuse d'aimer, mais qui  se fait prendre au piège par des flatteries et artifices tellement voyants qu'il faut être bien sot pour s'y laisser prendre.
Mais si les travers de la noblesse sont bien épinglés, les commerçants représentants de la bourgeoisie ne le sont pas moins en la personne de Mirandolina et Fabrice qui ne voient que leur intérêt, sont habiles à s'enrichir mais sans  beaucoup de scrupules, et font de l'argent leur maître à penser.

J'ai vu la pièce à Paris dans une mise en scène de Marc Paquien avec Dominique Blanc et André Marcon. De bons acteurs, mais quelle déception!  Des décors de carton pâte, pas de point de vue  sur les personnages; les oppositions entre les classes sociales, c'est à dire ce qui fait le sens de la pièce, ne sont pas mises en valeur ! Quelle platitude!

LC avec Maggie

Chez Eimelle ; challenge théâtre

samedi 12 juillet 2014

Après la pluie... Compagnie En chemins



Depuis Lundi avec ma petite fille Léonie (4 ans) et nous écumons les spectacles pour enfants.  Voici une de nos pièces préférées!

Après la pluie de la Compagnie En chemins est vraiment une belle réussite  pleine de poésie et de surprises.
Madeleine, une grand-mère marionnette, vieille dame fragile et délicieuse, vit dans sa maison avec un grand jardin. Là, elle voit  les saisons défiler..  Les trois comédiens qui sont aussi musiciens et chanteurs dotés de fort belles voix initient les enfants à la musique classique et aux airs d'opéra, Mozart, Tchaïkovsky, Vivaldi, Bach… tandis que de jolies inventions scénographiques font appel à tous les sens et à l'imagination des enfants  :  les feuilles virevoltent, la pluie nous mouille, la neige recouvre la campagne, le soleil hâle nos visages …  Un beau spectacle plein de finesse. A voir!

Le spectacle commence à 9H20 à La Condition des Soies.  Du 5 au 27 Juillet Relâche le 15




mercredi 9 juillet 2014

Heinrich Von Kleist : Le prince de Hombourg au festival d'Avignon



source     Le prince de Hombourg à la cour d'Honneur du Palais des Papes

Le Prince de Hombourg de Kleist mis en scène par Giorgio Barberio Corsetti m'a déçue car  les acteurs, à l'exception du comédien qui interprète l'électeur Palatin, ne m'ont pas paru dominer les difficultés de cette immense scène de la Cour d'Honneur, on les entend à peine et ils paraissent pour la plupart écrasés par la majesté des lieux. Quant au metteur en scène, il  m'a semblé sacrifier le sens à l'esthétique.
Ce spectacle, en effet, utilise la vidéo et la musique pour créer des effets d'une  grande beauté :  superbe instant, celui où le prince monté sur un cheval de lumière se lance fougueusement dans la bataille, la façade du palais des Papes éclaboussée de taches de sang et de traînées de feu qui suggèrent la violence de la guerre. Visions de cauchemar, les masques grotesques dont l'image projetée sur le mur s'anime, menaçante, quand le prince de Hombourg est jugé en cour martiale.. Moment de grâce, arrêt sur l'image, une voix pure s'élève, suspendue, chantant le poème de Verlaine, le ciel est par dessus le toit au-dessus de la prison du prince.

Mais une fois que s'efface cette beauté ponctuelle, j'ai parfois eu l'impression que la recherche esthétique était ce qui importait le plus à Giorgio Barberio Corsetti et qu'il ne répondait pas toujours aux questions que posent la pièce et, en particulier, le personnage du prince de Hombourg.  Il faut dire que celui-ci est complexe. Voilà un héros romantique, prince et fils adoptif de l'électeur Palatin, officier, amoureux de sa cousine, qui est prisonnier des codes d'honneur de sa classe sociale mais ne paraît pas capable de les assumer. Il est en train de dormir, en pleine crise de somnambulisme, quand ses soldats, eux, sont prêts à partir pour la bataille, il rêve lorsqu'on lui donne des instructions militaires. Plus tard, il n'est pas assez discipliné pour dompter son impatience et il se lance à l'assaut de l'armée ennemie sans en avoir reçu l'ordre. Il est à la fois courageux, fougueux, passionné lorsqu'il s'agit de combattre mais se révèle lâche lorsqu'il est condamné à mort pour désobéissance; il est pris d'une peur panique au point qu'il s'humilie, pleure, supplie, renie son amour, ses engagements, pour avoir la vie sauve; l'honneur n'a plus aucun sens pour lui. Mais il est aussi capable de noblesse et après s'être ressaisi, il finit par obéir au code d'honneur de son rang; enfin quand il est gracié… il s'évanouit!  Que de paradoxes, quelle étrange comportement aux antipodes du héros romantique de Victor Hugo, de Hernani par exemple, qui, lui, est "une force qui va"!  On comprend pourquoi les contemporains de Kleist ont crié au scandale : ce héros romantique est plutôt un anti-héros et nous-mêmes, spectateurs, nous nous interrogeons sur l'étrangeté de ce personnage, sur sa ressemblance avec Kleist qui a démissionné de l'armée et s'est donné la mort peu de temps après parution de sa pièce.

Face à ce personnage, on a l'impression que le metteur en scène est hésitant et oscille entre satire et sérieux. Ainsi, pour souligner le caractère rêveur du prince, G. B. Corsetti le fait jouer presque parodiquement, ce qui provoque le rire, comme s'il voulait tourner le personnage en dérision.  Dans la grande scène ou le prince est pris d'une terreur sans nom devant la fosse ouverte qui va être la sienne et refuse la mort, il y a un tel refus de l'émotion que le si beau texte de Kleist est sacrifié, presque murmuré, en partie inaudible, comme si les acteurs se parlaient à eux-mêmes sans se soucier du spectateur.  Le prince finit pas ne plus nous intéresser et l'ennui surgit là où l'on devrait être touché.
 
Je lis dans France -Info  la phrase suivante : "Très clairement, Giorigio Barberio Corsetti s'est affranchi du texte de Kleist écrit en 1810.".  Très franchement, si c'est un compliment, je me demande bien pourquoi car enfin pourquoi choisir de mettre en scène un texte si on n'a pas envie de le mettre en valeur?


Challenge théâtre chez Eimelle


lundi 7 juillet 2014

Nicolas Gogol : le Revizor festival Avignon 2014



Le Révizor de Gogol Le petit Louvre Chapelle des Templiers. Mise en scène Ronan Rivière et Aymeline Alix. 20H05

Je n'avais jamais eu l'occasion de voir jouer Le Revizor sur scène bien que je l'ai lue et appréciée depuis longtemps. Cette pièce de Gogol est une comédie mordante qui dénonce la corruption du pouvoir et s'appesantit sur les malversations et les incompétences du bourgmestre et de ses subordonnés d'une ville d'une province éloignée de Saint Peterbourg. Ceux-ci ne songent qu'à s'en mettre plein les poches sans aucun scrupule et sans se soucier aucunement du bien-être de leurs concitoyens; on voit que si l'action se situe en Russie au XIX siècle, elle est toujours d'une actualité brûlante!
L'auteur imagine, en effet, qu'un jeune noble ruiné, qui ne peut payer ses dettes, est pris, par les notables de la ville, pour un Révizor, c'est à dire un inspecteur envoyé par le tsar et cette fois-ci incognito. Ils reçoivent le jeune homme en le comblant d'attentions et achètent autant qu'ils le peuvent son indulgence. Celui-ci, un fieffé coquin, comprend bien vite le quiproquo, joue le jeu et empoche l'argent. Il séduit même la fille du bourgmestre puis s'en va tandis que les notables comprennent leur erreur; c'est alors que le vrai Revizor arrive sur les lieux.
La satire de Gogol est féroce. Aucun de ces personnages ne s'en tire avec honneur, ce sont tous des êtres corrompus et bas, méprisables et ridicules. La noblesse pas plus que la bourgeoisie ne sont épargnées. Cependant il s'agit d'une comédie et Gogol tient à nous faire rire même si ce rire n'est pas dépourvu d'amertume.
Dans la mise en scène de Ronan Rivière, l'humour n'est peut-être pas assez présent, les acteurs disent  leur texte trop rapidement,  et il  n'y a pas assez de nuances dans le jeu ni de temps de respiration qui permettrait de savourer les dialogues, d'en faire ressortir le comique. Et c'est dommage car la représentation présente des qualités.  La scénographie qui recrée un univers assez noir, entre ombre et lumière, et les personnages rigides, sanglés dans des uniformes sombres, rendent bien l'aspect pessimiste de la pièce. La troupe est homogène et il n'y a pas de faiblesse au niveau du jeu.

challenge Théâtre Eimelle

dimanche 6 juillet 2014

Tchekhov : Une demande en mariage suivi de L'ours festival Avignon 2014




Une demande en mariage et l'ours de Tchekhov à Essaïon-Avignon. Mise en scène de Sophie Parel avec Philippe Collin, Roger Contebardo, Sophie Parel 17H25

Une demande en mariage est une petite comédie en un acte de Tchekhov, très réussie et très amusante. Tchekhov y épingle la société rurale, celle des riches propriétaires terriens viscéralement attachés à leur terre, et met en scène le choc de deux caractères explosifs, Lomov et Natalia Stepanovna, personnages dont la tête près du bonnet promet une vie conjugale mouvementée… s'ils finissent par se marier!

En attendant Lomov vient demander Natalia Stepanovna en mariage; il est très bien reçu par le père Stepan Stepanovitch  et Natalia semble toute prête à agréer sa demande. Oui, mais voilà, à condition que Lomov ne prétende pas que le pré aux vaches est à lui, alors que tout le monde sait, Natalia en est persuadée, qu'il est à son père et à elle!

A la fois comédie de caractère et comédie sociale, ce petit bijou de Tchekhov est servi par une mise en scène enlevée, efficace, et absolument hilarante, et par trois comédiens dynamiques qui mettent en valeur à la fois le côté comique, les travers ridicules, la mesquinerie des personnages et leur caractère emporté. Chacun est parfait dans le rôle qui lui est imparti. Le rythme endiablé va crescendo pour le plus grand plaisir du spectateur. Une vraie réussite!
Un bémol pourtant pour L'ours,  qui se passe dans le même milieu de propriétaires terriens et avec les mêmes interprètes. A l'origine il s'agit de deux pièces indépendantes mais la mise en scène prend le parti d'en faire la suite de Une demande en mariage… et pourquoi pas? Cela fonctionne très bien. Mais j'ai trouvé les acteurs qui interprètent Smirnov, l'ours, et Louka, le serviteur, beaucoup moins convaincants dans ces rôles qu'ils ne le sont dans ceux du père et du prétendant dans Une demande en mariage. Seule Sophie Parel  est égale à elle-même, c'est à dire volcanique, que ce soit dans le rôle de Natalia ou d'Elena.



Challenge théâtre chez Eimelle

samedi 5 juillet 2014

Festival OFF d'Avignon : L'aide-Mémoire de JC Carrière à Essaïon-Avignon


L'aide-Mémoire de Jean-Claude Carrière à Essaïon-Avignon : mise en scène de Pierre Courtois avec Guylaine Laliberté et Michel Laliberté  14H15


Il s'agit d'une pièce de jeunesse de Jean-Claude Carrière créé en 1968.

Un célibataire endurci, homme d'affaires, vit seul dans sa garçonnière en multipliant les conquêtes féminines dont il note le nom sur un aide-mémoire pour mieux s'en souvenir. Un jour, une jeune femme s'introduit chez lui, à la recherche d'un certain monsieur Ferrand. Et la mystérieuse inconnue s'installe dans son petit studio et elle s'incruste! Qui est-elle? Peut-on croire à tout ce qu'elle raconte?  

En 1968, la pièce pouvait  passer pour subversive car la jeune femme met à mal les institutions du mariage et du travail, les valeurs "sacrés" de la société de l'époque. Cet aspect s'est un peu émoussé ; reste donc l'intérêt que l'on porte aux personnages, à Jean-Jacques, collectionneur de femmes, qui prend conscience peu à peu du vide de sa vie, entre un travail sans âme et l'absence de relations sincères, le manque d'amour. Le personnage a une vie carrée, ordonnée, travail dans la journée, bringue la nuit. Peu de zones d'ombres si ce n'est cet aide-mémoire qui fait de lui un Dom Juan bien triste, un macho qui pourrait être tout à fait inintéressant si... Si le comédien Michel Laliberté ne faisait sentir sa fragilité et l'émotion qui s'empare de lui au moment où il se sent touché par un sentiment qu'il ne connaît pas et qui lui redonne une humanité et un sens. Quant à elle, Suzanne, Guylaine Laliberté, elle reste mystérieuse jusqu'au bout et nous restons sur nos interrogations. Tout à tour, ingénue, enfantine, séductrice, manipulatrice. Son interprétation subtile ne nous permet pas de savoir qui elle est vraiment.

Le sujet est un peu mince et paraît léger mais les deux comédiens excellents, cisèlent ce dialogue brillant et en font ressortir les moindres nuances, l'humour, l'émotion, la naissance de l'amour vécu comme une folie douce. Ils nous font goûter la saveur de ce duo verbal et c'est un moment théâtral fort agréable!

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Les deux spectacles du In qui devaient ouvrir le festival In d'Avignon vendredi 4 Juillet ont donc été annulés, ce qui fait que je ne verrai pas Coup Fatal de Alain Platel.   Ce soir samedi 5 Juillet, par contre, je serai dans la cour d'honneur du palais des Papes pour Le prince de Hombourg de Kleist  et J'ai encore trois autres pièces vues dans le OFF à vous présenter : Une demande en mariage et Le Revizor  et j'ai vu  aussi Le roi se meurt  au théâtre des Halles mis en scène par Alain Timar..





Challenge théâtre chez Eimelle

jeudi 3 juillet 2014

le festival d'Avignon IN et OFF 2014 : coup d'envoi Vendredi 4 juillet et les avant-premières gratuites du OFF


image du festival 2013

Demain vendredi 4 juillet 2014 commence, en principe, le festival IN d'Avignon et les avant-premières du festival OFF. Les intermittents se sont prononcés avec une écrasante majorité contre la grève tout en ne renonçant pas à des actions ponctuelles pour faire connaître leurs revendications.. Pourtant,  hier, mercredi 3  juillet, les grévistes ont empêché la répétition du Prince de Hombourg qui doit ouvrir le festival dans la Cour d'Honneur.  Donc tout reste aléatoire.
Pour ma part, voilà le programme de ma journée du 4 juillet.

Trois pièces du festival OFF

 

Le Roi se meurt de Ionesco par l'Académie de théâtre de Shangaï
 Parmi les avant-premières gratuites du OFF,  j'ai choisi celles-ci :

Au théâtre des Halles

11H : Le Roi se meurt de Ionesco par l'Académie de théâtre de Shangaï

Essaïon-Avignon

14H 15 L'aide-mémoire de Jean-Claude Carrière par Essaïon Theatre

17h25 la demande en mariage et l'ours de Tchékhov

Mon premier spectacle du IN 

 

Coup fatal d'Alain Platel
 22h Coup fatal Platel cour du lycée saint Joseph.

 Avant-premières gratuites

 

cour du théâtre des Halles

J'ai fait des recherches et j'ai trouvé une liste de théâtres qui proposent des avant-premières gratuites

La Fabrik Théâtre avec “Les oreilles du loup” d’Antonio Ungar, à 10 h 45 ; à 12 h 15 la pièce de Molière “Monsieur de Pourceaugnac” ; à 16 h “La Mégère apprivoisée” de Shakespeare ; à 18 h 30 “Journal d’un fou” de Gogol et enfin à 20 h 30 “Les Misérables” de Victor Hugo avec les marionnettes du Kronope, ceù dernier spectacle à 5 €, les autres sont gratuits. (Résas. 04 90 86 47 81).
Le Théâtre des Halles propose “Le Roi se meurt” à 11 h de Ionesco et à la même heure “Le Temps suspendu de Thuram” et “O vous Frères humains” à 16 h d’Albert Cohen, tous les spectacles sont gratuits (Résas. 04 32 76 24 51).
Golovine à 10 h 45 présente “Bonjour ma chérie” solo de danse, à 18 h 40 “Noir debout et d’obus” danse afro antillaise et à 22 h 20 “Les Irrévérencieux” mix de Commedia dell’arte, Human beatbox et danse, (Résas. 04 90 86 01 27).
Le Théâtre des Remparts ouvre ses portes toute la journée pour tous ses spectacles, et la générale est publique et gratuite : à 10 h 30 “Espérances”, à 11 h 30 “Le Maître et le Chanteur”, à 13 h 20 “Zao”, à 14 h 55 “Moi qui marche”, à 16 h 30 “Mystère” spectacle de marionnettes, A 17 h 40 “Les demeurés”, à 19 h 10 “Sourd toujours”. Le soir place aux créations 2014 avec à 20 h 45 “Voyage en Troika” et à 22 h 10 “A la vie à la mort”. (Résas. 09 81 00 37 48 ou 04 90 85 37 48.)
Le Théâtre du Bourg-Neuf présente également quelques spectacles le 4 juillet en générale publique : “Amour et piano” à 12 h 30, une comédie avec des textes de Victor Hugo, gratuit. “L’homme poubelle” à 16 h, spectacle à l’humour grinçant, gratuit à partir de 12 ans. “Maghrébien que mal” conte à 17 h 30 et “Aime- moi” à 21 h au sujet des femmes battues (16, 11 € réduit). Résas. 04 90 85 17 90.

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lundi 30 juin 2014

Molière : L'école des femmes et la critique de l'école des femmes


Isabelle Adjani interprète Agnès dans l'Ecole des femmes

Dans L'école des femmes, Arnolphe, un vieux célibataire obsédé par la peur du cocuage, prétend qu’une femme ne peut être vertueuse et fidèle que si elle est ignorante et sotte. Aussi, pour avoir une épouse qui ne le mette pas en danger, il fait élever sa jeune pupille, Agnès, hors du monde, en la maintenant dans la plus profonde ignorance, sous la garde d’un valet et d’une servante qui sont comme elle.  Elle a maintenant 16 ans et il est décidé à l'épouser.
La jeune Agnès, malgré l'isolement dans lequel elle est tenue, aperçoit un jour, par la fenêtre, un beau jeune homme, Horace, qui la salue. Elle lui répond avec innocence et se laisse émouvoir par la prestance du jeune homme et ses protestations d' amour. Mais Horace, qui est le fils d'un ami d'Arnolphe,  prend le barbon pour confident  et lui avoue son amour. Arnolphe ne va avoir de cesse d'empêcher les deux jeunes gens de s'aimer mais chaque fois ses tentatives se soldent par un échec. Et bien sûr l'amour triomphe tandis que la jeune fille se libère et accède à la connaissance en même temps qu'à l'amour.

L'école des femmes


L'école des femmes est une pièce des des plus passionnantes de Molière en ce qui concerne le thème de la femme, une belle réflexion sur la condition féminine au XVIIème siècle et sur la légitimité des aspirations des femmes à la connaissance et au choix de leur époux. Elle est très riche à tous les égards et Arnolphe en barbon amoureux (il a 45 ans!) est un personnage complexe, odieux et touchant, ridicule et tragique à la fois dans son amour pour la jeune fille. Mais c'est à Agnès que je vais m'intéresser dans ce billet : un magnifique personnage de femme qui s'éveille à la vie et à la pensée par le miracle de l'amour. Car dit Horace :

Il le faut avouer, l’amour est un grand maître :
Ce qu’on ne fut jamais il nous enseigne à l’être ;
 (III, 4, )

 Arnolphe prend en charge Agnès à l'âge de 4 ans dans le but avoué de la faire élever pour en faire son épouse; on voit déjà qu'aucune loi ne protège une fillette orpheline, issue d'un milieu pauvre, de la concupiscence de l'adulte.

Dans un petit couvent, loin de toute pratique,
Je la fis élever, selon ma politique,
C’est-à-dire ordonnant quels soins on emploierait,
Pour la rendre idiote autant qu’il se pourrait.
Dieu merci, le succès a suivi mon attente.. Acte I scène 1


Agnès est donc maintenue dans l'isolement et l'ignorance par un tuteur qui  se réserve le droit d'agir envers elle comme si elle n'avait pas d'existence propre, de volonté :

En un mot, qu’elle soit d’une  ignorance extrême ;
Et c’est assez pour elle, à vous en bien parler,
De savoir prier Dieu, m’aimer, coudre, et filer. (Acte I scène 1)


Il veut donc en faire sa "chose", une poupée docile et malléable. C'est ce qu'il exprime très clairement dans la scène 3 de l'acte III :

Je ne puis faire mieux que d’en faire ma femme.
Ainsi que je voudrai je tournerai cette âme ;
Comme un morceau de cire entre mes mains elle est,
Et je lui puis donner la forme qui me plaît. (III, 3, )


 Complexe de Pygmalion? Non, plutôt la  folie d'un homme en proie à son obsession,  - ici la peur d'être un mari trompé- , et qui comme tous les personnages de Molière se laisse gouverner par son idée fixe (Harpagon, Tartuffe, Alceste, Dom Juan...). 

Agnès Sourdillon (Agnès) et Pierre Arditti (Arnolphe)

 En 2001, au festival d'Avignon, le metteur en scène Didier Bezace soulignait le tragique de cette Agnès interprétée par Agnès Sourdillon, qui apparaissait comme une poupée de son secouée et manipulée par Arnolphe (Pierre Arditti), une marionnette dont il tirait les ficelles.

Dans l'acte I scène 2,  l'on voit en effet, qu'il a réussi. Agnès apparaît d’une incroyable innocence, une petite sotte qui demande "si les enfants qu'on fait se faisaient par l'oreille". Elle ne s'ennuie jamais, dit-elle, et semble passer sa vie à coudre des chemises et des cornettes, sans distraction, sans même pouvoir rencontrer une personne sensée, en dehors des deux nigauds qui lui servent de geôliers. Elle vit son emprisonnement comme une chose naturelle puisqu'elle n' a jamais connu autre chose. Elle ne souffre pas car elle n'est pas maltraitée;  elle est endormie dans un espace sans consistance, une belle au bois dormant en dehors de la vie.
 Mais les sentiments qu'elle commence à éprouver pour Horace, la font, on va le voir bien vite, évoluer.  Elle s'éveille à la sensualité et est troublée par la nouveauté d’une telle expérience :

Il jurait qu’il m’aimait d’une amour sans seconde,

Et me disait des mots les plus gentils du monde,

Des choses que jamais rien ne peut égaler,

Et dont, toutes les fois que je l’entends parler,

La douceur me chatouille et là-dedans remue

Certain je ne sais quoi dont je suis tout émue. (II, 5, v. 559-564)

Désormais c'est en vain qu'Arnolphe essaie d'employer la crainte pour la remettre dans le droit chemin et lui fait étudier la liste des devoirs du mariage.

Il est aux enfers des chaudières bouillantes
Où l’on plonge à jamais les femmes mal vivantes. (III, 2, v. 727-728)

Elle reçoit Horace dans sa chambre, elle répond à son amour malgré les menaces que son tuteur fait peser sur elle. Peu à peu, elle se révolte, et avec intelligence et vivacité, elle retourne les préceptes de son tuteur contre lui-même lorsqu' il lui reproche de suivre un galant pour se marier :

J’ai suivi vos leçons, et vous m’avez prêché
Qu’il se faut marier pour ôter le péché.

 La naïveté d'Agnès  et sa franchise sans détour sont des  ressorts comiques car elles  renvoient Arnolphe  à sa propre responsabilité. C'est lui qui a voulu que Agnès ne sache rien de l'amour.

Elle va même plus loin, en refusant d'être considérée comme un ingrate et  déclare qu'elle ne doit rien à un homme qui l'a traitée comme une esclave.  Elle semble même ignorer la cruauté dont elel fait preuve  en lui répondant comme elle le fait...  à moins qu'elle n'en soit parfaitement consciente et manifeste ainsi sa colère et sa révolte :

Chez vous le mariage est fâcheux et pénible
Et vos discours en font une image terrible :
Mais las! Il le fait lui si rempli de plaisirs
Que de se marier il en donne l'envie Acte IV scène 4

Elle prend  aussi conscience de l'étendue de son ignorance et du fait qu'elle est un sujet de raillerie pour les autres. Elle  souffre d'être tenue pour sotte et ose le dire en face à son tuteur accédant ainsi au tragique de l'existence.

Croit-on que je me flatte et qu'enfin dans ma tête,
Je ne juge pas bien que je suis une bête?
Moi-même j'en ai honte et dans l'âge où je suis
je ne veux plus passer pour sotte si je puis. (Acte V scène 4)

Dans la scène 8 de l'acte V,  elle  ne veut plus être celle qui accepte passivement les ordres d'un maître et cherche à prendre en main son destin quitte à mettre ses jours en danger. Ainsi la domestique, Georgette, vient avertir Arnolphe de la rebellion d'Agnès :

Monsieur si vous n'êtes auprès
Nous aurons de la peine à retenir Agnès,
Elle veut à tous coups s’échapper, et peut-être
Qu’elle se pourrait bien jeter par la fenêtre. Acte V scène 8


L'évolution d 'Agnès est achevée. Elle est devenue adulte. C'est une femme consciente, intelligente et courageuse qui lutte pour son amour et pour sa liberté.


La critique de l'école des femmes

 

L'école des femmes est parue en 1662 et a obtenu un vif succès populaire avec de très nombreuses représentations. Elle a suscité aussi de violentes controverses menées par les détracteurs de Molière, des mondains qui déclarent la pièce trop leste et peu respectueuse de la morale, et aussi par d'autres comédiens  (la troupe des grands comédiens de l'Hôtel de Bourgogne) jaloux de Molière. C'est la fameuse querelle de L'école des femmes. Celui-ci décide de répondre à ses ennemis par une oeuvre  d'un acte intitulée : La critique de l'école des femmes.
Dans son salon, Uranie et Elise, sa cousine, reçoivent des amis qui représentent les différents types de la société mondaine parisienne, Climène, précieuse et prude,  le petit marquis ridicule et fat, Lysisdas, l'auteur jaloux, Dorante, l'honnête homme. Toutes les conservations roulent sur le même sujet : la pièce de Molière que tout le monde critique mais que tout le monde va voir! Uranie et Dorante prennent la défense de la pièce et récuse l'accusation d'obscénité. La suite du débat portesur les règles que l'on reproche à Molière de n'avoir pas respectées, ce qui est vrai, par exemple pour la règle des trois unités.  La réponse que donne Molière est un véritable manifeste  qui donne un aperçu global de ses idées sur le théâtre.

Réponse sur le respect des règles : scène 6

Dorante.- Vous êtes de plaisantes gens avec vos règles dont vous embarrassez les ignorants, et nous étourdissez tous les jours. (...) Je voudrais bien savoir si la grande règle de toutes les règles n’est pas de plaire ; et si une pièce de théâtre qui a attrapé son but n’a pas suivi un bon chemin.


Uranie.- Pour moi, quand je vois une comédie je regarde seulement si les choses me touchent, et lorsque je m’y suis bien divertie, je ne vais point demander si j’ai eu tort, et si les règles d’Aristote me défendaient de rire.

Réponse sur la hiérarchie des genres . Le XVII siècle considérait la comédie comme inférieure à la tragédie scène 6

Uranie.- Ce n’est pas mon sentiment, pour moi. La tragédie, sans doute, est quelque chose de beau quand elle est bien touchée ; mais la comédie a ses charmes, et je tiens que l’une n’est pas moins difficile à faire que l’autre  .

Dorante.- Assurément, Madame, et quand, pour la difficulté, vous mettriez un plus du côté de la comédie peut-être que vous ne vous abuseriez pas. Car enfin, je trouve qu’il est bien plus aisé de se guinder sur de grands sentiments, de braver en vers la Fortune, accuser les Destins, et dire des injures aux dieux, que d’entrer comme il faut dans le ridicule des hommes, et de rendre agréablement sur le théâtre les défauts de tout le monde. Lorsque vous peignez des héros, vous faites ce que vous voulez ; ce sont des portraits à plaisir, où l’on ne cherche point de ressemblance ; et vous n’avez qu’à suivre les traits d’une imagination qui se donne l’essor, et qui souvent laisse le vrai pour attraper le merveilleux. Mais lorsque vous peignez les hommes, il faut peindre d’après nature; on veut que ces portraits ressemblent ; et vous n’avez rien fait si vous n’y faites reconnaître les gens de votre siècle. En un mot, dans les pièces sérieuses, il suffit, pour n’être point blâmé, de dire des choses qui soient de bon sens, et bien écrites : mais ce n’est pas assez dans les autres ; il y faut plaisanter ; et c’est une étrange entreprise que celle de faire rire les honnêtes gens.

Mais La critique de L'école des femmes n'est pas seulement un manifeste. C'est aussi une comédie avec des portrait qui ressemblent, où Molière entre comme il faut dans le ridicule des hommes et d'une manière agréable, pour nous faire rire.

LC avec Maggie 


Challenge En scène chez Eimelle

vendredi 27 juin 2014

Jean-Christophe Bailly : La légende dispersée, anthologie du romantisme allemand

Philippe Otto Runge peintre, théoricien de la peinture romantique :  




La légende dispersée est une anthologie du romantisme allemand de Jean-Christophe Bailly dans une réédition 2014 aux éditions Bourgois. Si le romantisme français m'est familier, je connais mal la littérature allemande romantique qui a eu une telle influence sur les écrivains de notre pays au début du XIX siècle. D'où le choix  de ce livre pour la découvrir.

L'homme n'est pas seul à parler - l'univers aussi parle -tout parle - des langues infinies. Novalis

Mais d'abord pourquoi ce titre? Il évoque la façon dont le romantisme allemand est né, s'est propagé non en ligne droite, mais par ondes, par retour sur soi-même, interférences entre différents genres, sans système, unique et en même temps multiple. Le romantisme allemand, en effet, n'est pas à proprement dit un "mouvement" car il n'éprouve pas le besoin d'établir des règles et des lois contrairement au romantisme français, au contraire il refuse les limites. Il est en fait un moment fugace mais brillant où sous l'influence de la Révolution française, les écrivains portèrent l'idée de liberté au plus haut degré; il ne s'agit pas d'une révolution au sens social ou politique mais spirituelle aux formes multiples, une prolifération des sens entre les différents genres de la littérature mais aussi entre les sciences, l'art, la philosophie, une construction d'un mythe qui se propage, qui se démultiplie, se brise en éclats d'où le titre du livre que Jean-Christophe Bailly explique  ainsi : "La légende dispersée est le nom romantique que j'avais donné à ce mouvement d'émancipation, à cette dissémination à la fois éperdue et rassemblée du sens".

Cette anthologie qui ne se veut pas exhaustive introduit d'abord les précurseurs du romantisme  : Moritz, Jean-Paul, Fichte, Hölderlin. Puis sont présentés trois lieux distincts, Iéna, Heidelberg, Berlin, qui correspondent chacun à une époque du romantisme, trois périodes fluctuantes qui montrent le cheminement et l'évolution du romantisme, qui se succèdent rapidement et ne se donnent aucune structure  : "et très vite le vent les souffle comme si les individus eux aussi étaient des grains de pollen, des fragments d'une entité qui doit rester invisible pour que les ondes puissent continuer à se propager des uns aux autres…"

Iéna en 1798  est l'explosion initiale : Novalis, Wackenroder, Tieck, August Schlegel, Friedricf Schegel, Schelling, Schleiermacher,

Heidelberg quelques années plus tard, / Et Berlin   Bonaventura,  Günderode, C Bretano, B. Brentano, Arnim, Kleist, CD Friedrich, PO Runge, Hoffmann, Chamisso, la Motte-Fouqué, J.Kerner

Enfin viennent les derniers noms d'un romantisme tardif :  Eichendorff, Waiblinger, Grabbe, Lenau.

Outre les caractéristiques principales du romantisme allemand, la multiplicité de ses voix originales,  cette anthologie m'a permis de retrouver des noms qui m'étaient connus, Novalis, Hoffmann, Kleist, Friedrich, Runge,  Lenau… et de rencontrer des auteurs qui me donnent envie d'aller plus loin dans leur découverte : par exemple Karl Philipp Moris (Anton Reiser), Tieck (Frantz Sternblad ou Eckbert le blond) ou Chamisso (la merveilleuse histoire de Peter Schlemihl).


Philipp Moritz (Anton Reiser)

"Le caractère limité de l'individu lui était sensible.
Il ressentait cette vérité : de tous les millions d'êtres qui sont  et qui ont été on n'est jamais qu'un seul.
Son désir était souvent de s'imaginer en totalité dans l'être et dans l'esprit d'un autre -quand d'aventure dans la rue, il passait tout près d'un autre homme qui lui était complètement étranger- la pensée de l'étrangeté de cet homme, de la totale ignorance que l'un avait du destin de l'autre, devenait si vive que, dans la mesure où la bienséance le permettait, il s'en approchait de plus près qu'il pouvait pour accéder un instant à son atmosphère et voir s'il ne pourrait pas traverser la paroi qui séparait des siens les souvenirs et les pensées de l'étranger."


Casper Friedrich : deux hommes contemplant la lune

Mais moi je me tourne vers la Nuit sacré, l'ineffable, la mystérieuse nuit. Là-bas gît le monde, au creux d'un profond sépulcre enseveli -vide et solitaire est sa place. Aux cordes du coeur bruit la profonde mélancolie. Que je tombe en gouttes de rosée, que je m'unisse à la cendre! Lointains du souvenir, voeux de la jeunesse, rêves de l'enfance, de toute une longue vie l'inutile espérance et les brèves joies se lèvent dans leurs vêtements gris, pareils à la brume du soir quand le soleil s'est couché. Ailleurs, dans d'autres espaces, la lumière a déployé ses tentes d'allégresse. Pourrait-elle jamais ne retourner vers ses fils qui l'attendant avec la foi de l'innocence?
 Novalis Hymnes à la nuit 






Merci à Dialogues Croisés et aux éditions Bourgois