Le cabinet d'amateur de Cornélis van der Geest |
Dans cette étude, Georges Perec qui fut le créateur de l'Oulipo (l'Ouvroir de littérature potentielle) avec ses célèbres confrères (Queneau, Calvino, Roubaud...) s'intéresse à un collectionneur américain, d'origine allemande, très réputé en son temps, Herman Raffke. Perec est fasciné, en particulier, par un tableau intitulé : un cabinet d'amateur de Heinrich Kürz. Cette oeuvre fut exposée triomphalement lors des festivités qui eurent lieu en 1913, à Pittsbugh, Pensylvannie, où vit une importante colonie allemande, pour les 25 ans du règne de l'empereur Guillaume II.
Mais pourquoi Perec s'intéresse-t-il autant à ce tableau? Je l'ai compris lorsqu'il en fait la description et que je me suis sentie aussi passionnée que lui par cette oeuvre hors du commun. La toile représente une vaste pièce rectangulaire, sans portes ni fenêtres apparentes, dont les trois murs visibles sont entièrement couverts de tableaux. Plus de cent, en fait, et pas des moindres! Je vous laisse les découvrir quand vous lirez l'étude de George Perec. Mais le plus extraordinaire est ce qui suit :
Car le peintre a mis son tableau dans le tableau et le collectionneur assis dans son cabinet voit sur le mur du fond, dans l'axe de son regard, le tableau qui le représente en train de regarder sa collection de tableaux, et tous ces tableaux à nouveau reproduits, et ainsi de suite, sans rien perdre de leur précision dans la première, dans la seconde, dans la troisième réflexion, jusqu'à n'être plus sur la toile que d'infimes traces de pinceaux....
On comprend alors ce qui peut passionner un oulipien, ces reflets successifs qui font basculer l'oeuvre dans une dimension onirique (...) ou la précision exacerbée de la matière picturale loin d'être sa propre fin débouche tout à coup sur la spiritualité vertigineuse de l'Eternel retour.
Perec rappelle aussi ce qu'est un cabinet d'amateur, type de peintures dont la tradition est née à Anvers à la fin du XVIème et qui a perduré à travers toute l'Europe jusqu'au milieu du XIXème siècle. L'artiste y présente un collectionneur souvent avec sa famille au milieu des tableaux les plus représentatifs de sa collection. Le principe du cabinet d'amateur, souligne Pérec a pour principe une "dynamique réflexive" qui trouve sa force dans la peinture d'autres artistes.
Parmi les plus connus, Le cabinet d'amateur de Cornélis van der Geest lors de la visite des archiducs Albert et Isabelle de Guillaume Van Haecht où l'on voit le mécène au milieu d'un quarantaine d'oeuvres. C'est d'ailleurs la reproduction de ce tableau qui orne la couverture de mon livre dans la collection Points aux éditions du Seuil. A ce stade de ma lecture, je me suis demandée pourquoi les éditions du Seuil n'avaient pas eu l'obligeance de choisir le tableau d'Heinrich Kürz et ceci d'autant plus que, étant loin de toutes sources modernes de recherche, en Lozère, je ne pouvais pianoter sur internet pour aller voir le tableau! De là à penser que...
Bref! j'ai continué à lire; l'auteur s'intéresse ensuite plus précisément au collectionneur lui-même, Hermann Raffke, aux oeuvres qu'il a acquises, à la manière dont il les a découvertes. J'ai eu un frisson d'excitation en apprenant que, parmi les tableaux acquis par Raffke, se trouverait le fameux Chevalier au bain de Giorgione, oeuvre disparue depuis longtemps mais célébrissime. L'artiste vénitien avait parié que la peinture n'était en rien inférieure à la sculpture. Il a représenté son personnage de face, avec un écu qui le reflète sur le côté et un miroir qui le montre de dos. Mais je me suis dit que la paternité de Giorgione ne devait pas avoir été confirmée sinon tout le monde en parlerait et j'aurais certainement vu des reproductions de ce tableau. J'ai été beaucoup moins intéressée par les détails un peu fastidieux des ventes aux enchères et les prix qu'ont atteint certains tableaux. Mais l'on ne peut nier que Georges Perec mène là une enquête rigoureuse et très documentée.
Il m'a fallu attendre la fin de cette étude pour comprendre vraiment (une hypothèse avait été avancée en début d'étude) pourquoi le cabinet d'amateur de Heinrich Kürz n'était plus visible de nos jours.
Cette étude plaira à tous ceux qui s'intéressent à l'art pictural, à la photographie, à l'image en général, car elle propose une réflexion intéressante sur la mise en perspective spatiale et temporelle, le jeu de miroir comme dans les Ménines de Vélasquez et sur la situation du regardant regardé.. Elle plaira aussi à tous ceux qui aiment les jeux oulipiens et l'esprit de Georges Perec.
Voilà ce que j'ai lu dans un article consacré au cabinet d'amateur
Georges Perec était fasciné par ces cabinets d’amateur. Tout de suite après avoir écrit la vie, mode d’emploi, il rédigea un cabinet d’amateur. Ce petit livre - qui prend pour point de référence le cabinet d’amateur de Cornelis van der Geest de Van Haecht et certaines images issues de la vie, mode d’emploi - nous raconte l’histoire étrange d’un de ces tableaux composites.
lire la suite dans le blog La boîte à images
Texte republié de mon ancien blog.
Quel billet passionnant! je ne connaissais pas ce livre de Pérec, et j'ai aimé ta façon d'écrire ton billet en suivant la progression de ta lecture. Je note donc ce livre !
RépondreSupprimeret bien, tout comme George !
RépondreSupprimerje note sur ma liste "urgence"
bises
Je ne connaissais pas ce livre de Pérec mais ayant étudié en cours les cabinets d'amateurs de long en large j'aimerais beaucoup lire ce livre :)
RépondreSupprimerjene connaissais pas non plus ! Ni ce mouvement "oulipien" ! Passionnant ton billet, et comme dit George, extra l'idée d'en parler comme au fur et à mesure de la lecture ! je note aussi "urgence", comme Mazel.merci pour la découverte !
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