Georges Darien source |
Georges Hyppolite Adrien prend le pseudo de Darien peut-être, comme l’indique Patrick Besnier dans la préface du roman Le voleur aux éditions Gallimard Folio, comme « l’aveu d’une dépossession »?
Toute sa vie, Darien s’est dérobé à la curiosité du lecteur, pensant que la vie privée d’un littérateur n’a rien à voir avec ses oeuvres. Ce qui lui a valu une légende : n’aurait-il pas comme son personnage vécu de vol pendant toutes ces années où l’on ne sait presque rien de lui? Bref! ne serait-il pas le voleur dont il parle dans son roman? Notons, en effet, que son héros George Randall porte le même prénom que lui.
Le récit
Comment! des gens à leur aise, dans un situation commerciale superbe, avec une santé florissante, vivre seuls?
Et dès son enfance Georges va souffrir, étouffé par l’éducation conjuguée que lui donnent sa famille, l’école et l’armée.
Libéré ! Ce mot me fait réfléchir longuement, pendant cette nuit où je me suis allongé, pour la dernière fois, dans un lit militaire. Je compte. Collège, caserne. Voilà quatorze ans que je suis enfermé. Quatorze ans ! Oui, la caserne continue le collège… Et les deux, où l’initiative de l’être est brisée sous la barre de fer des règlements, où la vengeance brutale s’exerce et devient juste dès qu’on l’appelle punition — les deux sont la prison. — Quatorze années d’internement, d’affliction, de servitude — pour rien…
Son sentiment de révolte ne fait que s’amplifier quand, devenu orphelin, il est confié à son oncle qui le spolie de sa fortune. Plus tard, le refus de son oncle de lui donner la main de sa fille Charlotte sous prétexte qu’il ne peut la donner à un pauvre, crée la rupture! Rupture avec sa famille mais aussi avec la société. C’est là que va débuter pour Randal sa carrière de voleur ou plus exactement de gentleman cambrioleur.
Un cri de révolte
Georges Randal (Jean Paul Belmondo) et Charlotte (Geneviève Bujold) |
On pourrait penser, à priori, que nous sommes dans le genre du roman feuilleton cher au XIX siècle ou dans un roman d'aventures avec des rebondissements trépidants à la façon d'Arsène Lupin.. Il n’en est rien.
Si Georges Darien n’est pas un voleur, on peut dire que son personnage Georges Randal lui ressemble car il porte toutes ses idées. Le voleur est un cri libertaire, une dénonciation de toutes les hypocrisies de la société en commençant par la famille, l’école, la bourgeoisie, un âpre et terrible réquisitoire contre des lois iniques qui maintiennent le peuple dans la pauvreté et la soumission. Darien se livre, à travers les tribulations de son personnage, à une remise en cause des institutions, gouvernement, église, armée, qui briment la liberté et n’ont qu’un seul dieu, l’argent, celui va de pair avec le pouvoir et les honneurs.
Il n’est pas inintéressant d’ailleurs de noter que l’autre personnage principal du récit, qui exerce le même « métier » que Randal, est un prêtre, l’abbé Lamargelle :
Mon Dieu, dis-je (Randal à Lamargelle), je ne vois point pourquoi je vous croirai pas, après tout. L’Eglise n’a jamais beaucoup pratiqué le mépris qu’elle affecte pour les richesses.
Et c’est d’ailleurs dans la bouche de l’abbé que Darien place ces mots :
Le génie du christianisme ? Une camisole de force. « Jésus, dit saint Augustin, a perfectionné l’esclave. » Oh ! cette religion dont les dogmes pompent la force et l’intelligence de l’homme comme des suçoirs de vampire ! qui ne veut de lui que son cadavre ! qui chante la béatitude des serfs, la joie des torturés, la grandeur des vaincus, la gloire des assommés ! Cette sanctification de l’imbécillité, de l’ignorance et de la peur !
On peut donc parler de l’anarchisme de Darien mais dans ce roman il s’attaque pourtant non seulement au socialisme, au marxisme mais aussi aux anarchistes.
Ces socialistes, ces anarchistes !… Aucun qui agisse en socialiste ; pas un qui vive en anarchiste… Tout ça finira dans le purin bourgeois. Que Prudhomme montre les dents, et ces sans-patrie feront des saluts au drapeau ; ces sans-respect prendront leur conscience à pleines mains pour jurer leur innocence ; ces sans-Dieu décrocheront et raccrocheront, avec des gestes de revendeurs louches, tous les jésus-christs de Bonnat.
Allons, la Bourgeoisie peut dormir tranquille ; elle aura encore de beaux jours…Un style pamphlétaire
Georges Randal Belmondo |
Ce n’est pas pour rien que l’on peut parler à propos de roman de réquisitoire. Le style est le reflet d’un homme écorché, qui découvre dès l’enfance l’injustice de cette société de nantis, la dureté et le mensonge de la classe bourgeoise dominante, industriels, banquiers, clergé, qui pratiquent impunément le vol à haute échelle mais condamnent un pauvre à la peine de mort pour le vol d’une pièce de quarante sous. Darien y manie une ironie amère, un humour décapant. Le ton est virulent mais l’est encore plus, paraît-il (je ne les connais pas) dans ses autres livres, en particulier dans Biribi où il dénonce les atteintes aux droits de l’homme dans les bataillons disciplinaires d’Afrique du Nord. Ou encore dans Les Pharisiens où il s’attaque à Edouard Drumont, surnommé l’Ogre, auteur des pamphlets haineux antisémites. Et il ne faut pas oublier que Georges Darien a été lui-même un pamphlétaire redoutable. Le style peut aussi basculer vers une prose oratoire, lyrique, qui cherche à soulever l’émotion, à renverser l’indifférence. Ainsi dans ce passage où notre voleur assiste bien contre son gré à une exécution capitale :
Je suis mêlé à la foule, à présent, — la foule anxieuse qui halète, là, devant la guillotine. — Les gendarmes à cheval mettent sabre au clair et tous les regards se dirigent vers la porte de la prison, là-bas, qui vient de s’ouvrir à deux battants. Un homme paraît sur le seuil, les mains liées derrière le dos, les pieds entravés, les yeux dilatés par l’horreur, la bouche ouverte pour un cri — plus pâle que la chemise au col échancré que le vent plaque sur son thorax. — Il avance, porté, plutôt que soutenu, par les deux aides de l’exécuteur ; les regards invinciblement tendus vers la machine affreuse, par-dessus le crucifix que tient un prêtre. Et, à côté, à petits pas, très blême, marche un homme vêtu de noir, au chapeau haut de forme — le bourreau — le Monsieur triste de la nuit dernière.
Les aides ont couché le patient sur la planche qui bascule ; le bourreau presse un bouton ; le couteau tombe ; un jet de sang… Ha ! l’horrible et dégoûtante abomination…
Et c’est pour exécuter cette sentence qu’on avait envoyé de Paris, hier soir, les bois de justice honteusement cachés sous la grande bâche noire aux étiquettes menteuses — menteuses comme le réquisitoire de l’avocat général. — C’est pour exécuter cette sentence qu’on avait fait prendre le train express au bourreau, à ce misérable monsieur triste qui désire que tous les hommes aient du pain, que les enfants puissent jouer dans des jardins, et qui trouve beaux les arbres et jolies les fleurs… c’est pour exécuter la sentence qui condamne à mort cet affamé à qui l’on avait arraché son gagne-pain, à qui l’on refusait du travail, et qui a volé quarante sous.
Les aides ont couché le patient sur la planche qui bascule ; le bourreau presse un bouton ; le couteau tombe ; un jet de sang… Ha ! l’horrible et dégoûtante abomination…
Et c’est pour exécuter cette sentence qu’on avait envoyé de Paris, hier soir, les bois de justice honteusement cachés sous la grande bâche noire aux étiquettes menteuses — menteuses comme le réquisitoire de l’avocat général. — C’est pour exécuter cette sentence qu’on avait fait prendre le train express au bourreau, à ce misérable monsieur triste qui désire que tous les hommes aient du pain, que les enfants puissent jouer dans des jardins, et qui trouve beaux les arbres et jolies les fleurs… c’est pour exécuter la sentence qui condamne à mort cet affamé à qui l’on avait arraché son gagne-pain, à qui l’on refusait du travail, et qui a volé quarante sous.
Quel avenir ?
Le Voleur : Randal et Lamargelle |
L’écrivain fait preuve ici d’une lucidité amère; il n’y a pas beaucoup d’espoir pour l’avenir chez Darien qui refuse l’utopie et l’idéalisme. Il est d’une honnêteté implacable envers lui-même et son lecteur. Il sait que nous marchons vers l'avènement d'une société qui est amplement la nôtre aujourd’hui :
Car il (l'oncle de Randal) prédit, pour l’avenir, un nouveau système social basé sur l’esclavage volontaire des grandes masses de l’humanité, lesquelles mettront en œuvre le sol et ses produits et se libéreront de tout souci en plaçant la régie de l’Argent, considéré comme unique Providence, entre les mains d’une petite minorité d’hommes d’affaires ennemis des chimères, dont la mission se bornera à appliquer, sans aucun soupçon d’idéologie, les décrets rendus mathématiquement par cette Providence tangible ; par le fait, le culte de l’Or célébré avec franchise par un travail scientifiquement réglé, au lieu des prosternations inutiles et honteuses devant des symboles décrépits qui masquent mal la seule Puissance. — Mais mon oncle est venu trop tard dans un monde encore trop jeune.
Les paroles d’espoir sont portées par l’abbé qui défend « la seule idée, l’idée de la liberté »
Oui, le jour où l’Individu reparaîtra, reniant les pactes et déchirant les contrats qui lient les masses sur la dalle où sont gravés leurs Droits ; le jour où l’Individu, laissant les rois dire : « Nous voulons », osera dire : « Je veux » ; où, méconnaissant l’honneur d’être potentat en participation, il voudra simplement être lui-même, et entièrement ; le jour où il ne réclamera pas de droits, mais proclamera sa Force …
Le mot de la fin est pourtant laissé à Randal et aboutit à un nihilisme désenchanté :
L’existence est aussi bête, aussi vide et aussi illogique pour ceux qui la volent que pour ceux qui la gagnent.
Dire qu'on est toujours volé par quelqu'un ... Ah! chienne de vie!...
A mes yeux Georges Darien appartient à une famille d’écrivains dans laquelle je placerai, pour le ton et le regard désabusé porté sur la société, Jehan Rictus et Céline.
Un livre qui secoue, arrache, plein d'annonces sur notre société actuelle et qui ne peut donc laisser indifférent; un livre qui a choqué et qui choque encore! Je suis sûre que même de nos jours, les intégristes de tout bord le mettrait à la première place sur les bûchers littéraires!
L'adaptation de Louis Malle est remarquable et magnifiquement interprétée par une pléïade d'artistes : voir Wens
Enigme n° 110
Le livre : Georges Darien : Le voleur
le film :Louis Malle : Le voleur
L'adaptation de Louis Malle est remarquable et magnifiquement interprétée par une pléïade d'artistes : voir Wens
Enigme n° 110
Le livre : Georges Darien : Le voleur
le film :Louis Malle : Le voleur
Bravo aux triomphateurs de ce jeu : Aifelle, Asphodèle, Dasola, Dominique, Eeguab, Keisha, Mireille, Somaja, Syl...
Et merci à tous les participants qu'ils aient trouvé ou non!
Et merci à tous les participants qu'ils aient trouvé ou non!
Pas de regret, je ne connaissais pas, même si tes indices m'avaient bien amenée vers Belmondo.
RépondreSupprimerBon dimanche sous le soleil !
Merci! J'espère que le soleil a été beau aussi chez toi!
SupprimerUne belle énigme ! Sur celui qui fut, peut-être, un voleur lui-même... ;-)
RépondreSupprimerOui, c'était bien de parler de Darien... ET Louis Malle ne lui est pas inférieur! Merci!
Supprimerje rentre de la campagne, pas d'Internet. pas de regret je ne connais ni le livre ni le film. mais l'auteur m'intéresse.
RépondreSupprimerPas de regrets donc! Avec le beau temps tu as dû te régaler à la campagne et te reposer!
Supprimer