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lundi 23 mars 2020

Jack London : Une fille des neiges


Dans Une fille des neiges de Jack London, Frona Welse, après avoir terminé ses études, vient rejoindre son père Jacob Welse, un riche et puissant négociant, dans le Konklide. Frona se souvient de son enfance libre avec ses jeunes amis indiens et c'est avec bonheur qu'elle revoit ce pays qu'elle aime tant. Nous sommes à l’époque de la ruée vers l’or et ce sont des milliers d'aventuriers qui partent avec le désir de faire fortune dans ces régions sauvages où la nature est souvent aussi violente que belle. Frona, au cours de nombreuses aventures, va rencontrer l’amour. Qui choisira-t-elle entre Vance Corliss, un homme courageux, honnête et intelligent mais conventionnel, marqué par une éducation puritaine et étroite et Gregory Saint-Vincent, séduisant aventurier qui raconte ses exploits avec tant de verve et a tant de succès auprès des dames ?


Paysage du Yukon canada
Ce premier roman de Jack London, paru en 1902, Une fille des neiges a des qualités certaines même s’il n’arrive pas, à mon avis, à la hauteur de ses oeuvres majeures.

Ainsi, il présente certaines lourdeurs qui me paraissent être celles d’un écrivain qui n’est pas encore au faîte de son talent malgré les nouvelles qu’il a déjà écrites. Par exemple, est gênante cette insistance à s’en référer à la sélection naturelle et à la survie du plus fort, théorie qu’il doit à Darwin et qu’il assène de manière répétitive, pour glorifier la suprématie de la « race », c’est le terme qu’il emploie, anglo-saxonne. Cette admiration de l'homme fort est déplaisante et à la limite de l'acceptable..
Et puis, ce qui me paraît pas encore assez abouti, c’est la psychologie des personnages dont le portrait physique et moral nous est présenté tout à tour dans les grandes lignes mais demanderait tout au cours du roman plus d’approfondissement et de nuances. Heureusement, le personnage principal, Frona, est bien campé même si le portrait qu’en fait London est parfois un peu démonstratif, l’écrivain s’efforçant de décrire le type de la jeune fille parfaite. C'est d'ailleurs ce que l'on peut souvent reprocher à Jack London, ce manque de doigté lorsqu'il veut faire passer ses idées, alors qu'il suffirait de nous les montrer par les actes de ses personnages.

Mais il faut reconnaître que ce que j’aime dans Jack London, ce sont justement ces héroïnes qui ne sont pas de mièvres et faibles femmes, destinées à faire des enfants et à servir de serpillère à leur mari. Ce qui me fait plaisir, c’est la pensée que, lorsque je le lisais quand j’étais enfant, j’échappais, sans le savoir, grâce à lui, à la construction du genre, à l’image traditionnelle que, dans les années 50/60, on voulait encore inculquer aux filles. La femme idéale pour London, c’est Frona Welse, instruite, intelligente, courageuse, aimant l’aventure, l’effort, la nature sauvage, la lutte contre les éléments. Frona n’a pas froid aux yeux et est toujours prête à affronter les dangers. Ce qui ne l’empêche pas d’être belle et féminine et pas besoin pour cela de robe de bal. Elle fait de la boxe, de la nage, de l’escrime et de la gymnastique. Elle est, paradoxalement peut-être, aux antipodes de la jeune fille aimée et admirée de Martin Eden, alias London, avant qu’il ne s’aperçoive de sa superficialité. Ce qui me plaît aussi, c’est la manière dont Frona fait fi des conventions et scandalise la société puritaine pour devenir l’amie d’une de ces femmes qui, dans cet univers masculin, fréquente les bars et cherche fortune comme les hommes, pas prostituée, mais aventurière, libre de moeurs et sans scrupules. Elle a du coeur et de la sensibilité. J’aime cette ouverture d’esprit manifestée par Jack London, très en avance sur son temps en ce qui concerne le statut de la femme..
Konklide à l'époque de la ruée vers l'or

La description de la ruée vers l’or est aussi d’un grand intérêt dans ce roman qui fait revivre l’arrivée des chercheurs d’or dans un camp, la foule active et animée, les départs pour les pistes  envahies pas des dizaines de milliers d’hommes, tout cela donnant lieu à des scènes vivantes, croquées sur le vif et qui bénéficient du vécu de l’écrivain, qui a lui aussi vécu la fièvre de l'or. Description magistrale des paysages du Klonklide, montagnes  enneigées, fleuves en crue ou pris dans les glaces, jusqu’à cette scène grandiose de la débâcle au printemps, spectacle  à couper le souffle où la force de la nature est magnifiée. L’épisode du crime et du procès expéditif est aussi une scène de genre et permet à Jack London de développer ses idées sur la justice et la peine de mort.    


A présent, la glace bondissait dans une course folle. Un énorme glaçon buta contre la rive et ébranla le sol sous leurs pieds. Un deuxième suivit et les fit reculer; il se souleva d'un bond formidable et entraîna après lui une tonne de terre dans le fleuve. Un troisième roula jusqu'au rivage et déracina trois arbres qu'il emporta dans son élan.
Le jour s'était levé et, d'une rive à l'autre, le Yukon resplendissait. Sous la pression du courant, la glace descendait à une vitesse vertigineuse, démolissant les rives et ébranlant l'île dans ses fondations.

 
J’ai aimé ce récit mouvementé et ces descriptions d’une époque fiévreuse, dans ce cadre grandiose. Mais je suis un peu restée sur ma faim, donc, en ce qui concerne les personnages et l'aspect trop démonstratif des idées philosophiques et sociales de l’écrivain dont certaines sont tout à l'honneur de London, sur la femme et la peine de mort par exemple, mais d'autres plutôt gênantes ! Dans l’ensemble, j’aurais voulu un plus ample développement de ce livre agréable et intéressant, qui manque cependant d'envergure pour devenir un grand roman d’aventures.

"Cela vient sans doute de ce que nos vies suivent des voies différentes, observa l'inconnue. Le paysage importe peu; chacun de nous le considère sous un angle différent. Si nous n'existions pas, le paysage demeurerait toujours là, mais dépourvu de toute interprétation humaine. "


 

8 commentaires:

  1. On retrouve les paysages du Klondike dans Construire un feu... il excellait à créer des paysages et des atmosphères !

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  2. Tu l'as lu dans la collection bibliothèque verte ? Je l'ai vu en librio avec 300 pages !!!! Bref, tu m'as donné envie de découvrir ce roman même si tu as trouvé des défauts...

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    1. Non, je l'ai lu sur ma kindle mais j'ai choisi la bibliothèque verte qui me rappelle mes lectures d'enfance. Pas un de ses meilleurs romans mais se lit avec plaisir.

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  3. Comme d'habitude, je suis admirative de ton billet! Un point de vue féministe, bien sûr dans l'univers si masculin du Klondike!

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  4. Comme je ne rien lu de lui, je ne commencerai pas par celui-là ; tes explications sont éclairantes.

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  5. Il me semble l'avoir emprunté à la bibliothèque "junior" il y a bien des années, ton billet me rafraîchit la mémoire.
    J'espère que vous supportez bien le confinement chez vous, bonne journée, Claudialucia.

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