Pages

mardi 28 février 2023

Pedro Cesarino : L'Attrapeur d'oiseaux

 

 

Dans le roman L’attrapeur d’oiseaux de Pedro Cesarino, le personnage est comme l’auteur un ethnologue, professeur d’université, qui poursuit une idée fixe. Il s’enfonce une fois encore dans la jungle amazonienne pour parvenir à rapporter la véritable histoire de l’attrapeur d’oiseaux, mythe fondateur des peuples amérindiens, qu’il ne connaît qu’en partie mais que les chamans refusent jusqu’alors de lui livrer en totalité.

Les éléments obscurs qu’il me faut encore résoudre, le lien probable entre  l’attrapeur d’oiseaux et les spéculations sur le surgissement du monde, une articulation fragile et tortueuse indiquant une piste à creuser. Et puis j’ai beaucoup repensé à Antonio Apiboreu et aux anciens de là-haut, les gens qui me manquent vraiment.
Découvrir cette articulation est en quelque sorte une façon de rendre hommage à ces anciens, dont les connaissances m’ont toujours dépassé. C’est la raison pour laquelle mes recherches sur l’attrapeur d’oiseaux sont devenues plus une obsession qu’un devoir… A moins que cette obsession ne soit une méprise, un pas en avant particulièrement hasardeux dont je devrais m’abstenir.

Un pays hors du temps et de la loi

Dès le début, quand l’ethnologue prépare minutieusement son voyage, alors que nous sommes encore dans la ville, nous perdons nos repères dans un pays loin de tout ! Pendant qu’il achète vaccins anti-venimeux, médicaments contre le paludisme, moustiquaires, boîtes de balles, des indiens font griller des larves sur un barbecue, « un mets de choix », une boutique de sorcellerie proposent des perles rouges et noires qui appartiennent à un Exu, esprit du condomblé, religion africo-brésilienne.  On rencontre à nouveau ici des indiens du Putumayo, ceux dont parlait  Vargos Llosa dans le  Le rêve du Celte ICI

« Ils ont sûrement fui les persécutions que les milices infligeaient à leur peuple, les rivières saccagées par le feu et la lame des machettes, les familles déchirées par les viols collectifs et les violences généralisées. » explique l’auteur !

Ainsi, rien n’a changé depuis que Roger Casement a dénoncé le génocide perpétré contre les indiens de Putumayo* au Pérou. Mais c'est vrai aussi pour les Indiens brésiliens ! Ils sont tout aussi en danger comme en témoigne les postes de contrôle du gouvernement fondés pour surveiller les frontières et venir en aide aux indiens. Ils sont chargés de contrôler un zone qui s’étend sur des milliers d’hectares, où la loi n’a plus cours et où les indiens sont victimes de maltraitance, d’assassinats et de viols, de la part d’aventuriers sans scrupules, orpailleurs, narcotrafiquants, patrons d'exploitation minière.

Plus tard, nous faisons connaissance de Sebastiao Baitogogo, le « frère adoptif » du héros, et de sa famille indienne. C’est en pirogue que tous s’enfoncent dans la jungle, s’arrêtant pour chasser le pécari, découvrant, au passage, les modes de vie des peuples parfois hostiles ou amicaux, prisant ensemble le rapé, hébergés dans la maison commune la maloca des villages amis, un voyage long et éprouvant, la remontée d’un fleuve capricieux où les troncs d’arbres, les racines des fromagers, tendent des pièges et rendent la navigation dangereuse. Là, la végétation et la faune réservent des surprises loin de toute civilisation urbaine.

Les nids des caciques cul-jaune accrochés à la cime des grands matamatas dévoilent un autre état. Ces oiseaux tendent d’innombrables bourses dans les branches - des maisons en toile soigneusement tissées à l’aide de leurs longs becs noirs, admirable architecture dont les indiens s’inspirent pour leurs carbets. Les véritables villes sont désormais là, dans ces bourses où les oiseaux s‘entassent, et non dans les villages d’Indiens, qui sont à plusieurs jours de distance les uns des autres.

Mais nous ne sommes pas dans un roman d’aventures et l’ethnologue  n’oublie pas que le but poursuivi est scientifique. Une fois installé dans le village de ses amis et après avoir aménagé au mieux dans son carbet, il poursuit sa quête du récit de l’attrapeur d’oiseaux. C’est Tarotaro le pajé ou chaman qui lui racontera l’histoire :

Tarotaro comment c’est l’histoire de l’attrapeur d’oiseaux ? Vous pouvez me la raconter ? C’est pour le livre.  Vous savez, le livre ?
Non, je ne sais pas. C’est une histoire très malheureuse. C’est pas une histoire pour les humains.


En attendant la forêt est peuplée d’esprits, l’esprit Loutre, l’esprit Opossum, Les esprits des morts, et les mythes sont autant d’explications du Monde et de sa formation.

 Mais peu à peu le village devient hostile, ses amis semblent le fuir, la forêt paraît se refermer sur lui ? Est-ce l’effet de la fièvre liée au paludisme ou… ?


Dérision et auto-dérision


L’Attrapeur d’oiseaux est un roman et il faut se souvenir que le personnage est fictif mais qu’il a certainement beaucoup à voir avec son auteur !

Dans ce cas, Pedro Cesarino pratique l’auto-dérision et l’on ne peut que compatir aux déboires que connaît ce pauvre anthropologue ! Ou rire comme le font les autres membres de la tribu. Rien de glorieux et de reluisant dans ce qu’il lui arrive !

Vous qui rêvez d’aventures, sachez qu’il pourra vous arriver d’avoir des diarrhées et de devenir à ce propos le sujet des railleries de votre « famille indienne » qui vous a pourtant adoptée mais qui n’en rate pas une pour se moquer de vous. Sachez aussi que la fille de votre « frère adoptif », Ina, s’acharnera à percer vos points noirs et vos boutons sur le nez ou dans le dos. Elle n’est pas la seule, tous les enfants du village se donnent le mot ! A ce qu’il semble, c’est une occupation absolument passionnante d’autant plus qu’apparemment il n’y a qu’une peau de blanc pour offrir un tel divertissement !  

Comme on le voit, notre anthropologue est l'anti-héros par excellence, l'anti-Indiana Jones !  De plus, si la femme de votre « frère » vous fait des avances et vient vous rejoindre dans votre hamac (alors que vous ne rêvez que de « ça » ) et bien il vous faudra la repousser vertueusement pour ne pas vous attirer des ennuis, quitte à vous traiter vous-même d’imbécile d’avoir manqué une telle occasion ! Et peut-être même d’être considéré comme anormal par les autochtones ?
C’est ce que demande Baitogogo :  pourquoi ne se marie-t-il pas ? Il pourrait s’installer définitivement ici et faire venir ses soeurs. Impossible ? Les maris ne voudraient pas ? Qu’à cela ne tienne, on pourrait les enlever !
Mais puisqu’il veut repartir en ville, pourrait-il ramener une fusée Discovery comme celle figurant dans la revue National Geographic que l’anthropologue a apportée au village, ce serait mieux et plus rapide que de se déplacer en pirogue !

Ainsi il y a un humour savoureux tout au long du livre fondé sur les différences de mentalités, sur les incompréhensions mutuelles ! L’histoire des missionnaires, en particulier, qui confondent les rites funéraires avec une scène de cannibalisme est hilarante. Critique acerbe des églises chrétiennes, qui, même de nos jours, considèrent leur religion comme supérieure et n’ont que mépris pour les croyances des peuples autochtones. Juste vengeance d’un ethnologue épris de la cosmogonie indienne et du savoir ancestral.  Avec cette scène de comédie, Pedro Cesarino règle ses comptes à l’outrecuidance des blancs !

Bref, tout en décrivant très sérieusement les coutumes de ces peuples qu’il connaît bien, leur mode de vie, leur rapport avec la nature, leur habitat, leur nourriture, leurs croyances et les mythes fondateurs liés au chamanisme, Pedro Cesarino s’amuse et nous amuse en imaginant ce pauvre anthropologue fatigué, toujours au bord du ridicule, et de plus en plus désenchanté, mais n’abandonnant pas son obsession. Il nous amuse mais il nous inquiète aussi ! Car l'anthropologue va finir par la connaître, l'histoire de l’attrapeur d’oiseaux, et tant pis pour lui ! Le mythe pourrait bien devenir réalité ! Mais aussi quelle idée d’être têtu à ce point et de vouloir à tout prix savoir ce qu'il ne faut pas savoir !

Le roman s’achève par un clin d’oeil ironique et une fin ouverte en forme de cauchemar qui semble dire que la curiosité est un vilain défaut mais aussi, peut-être, que le chamanisme n’est pas un amusement et que convoquer les puissances des esprits ne va pas sans danger !

*Le ¨Putumayo : région frontière entre le Pérou, la Colombie et le Brésil.

 

 photo 
 
 
Pedro Cesarino est un anthropologue brésilien, professeur de philosophie, lettres et sciences humaines de Sao Paulo, spécialisés dans les relations entre anthropologie, art et littérature. Il a étudié un peuple de l’Ouest amazonien, les Marubos et a publié un recueil de chants et de récits de mythes de ce peuple en langue originale avec une traduction en portugais. Ses séjours dans les tribus lui ont permis de se familiariser avec le chamanisme. Il a publié une étude sur le chamanisme intitulée Oniska et un recueil de chants et de récits racontant les mythes que l’on retrouve dans son roman L’attrapeur d’oiseaux.


 

Lire l'interview de Pedro Cesarino dans Le Monde des Livres

LC avec Ingammic A_girl ; Doudoumatous; Keisha






samedi 25 février 2023

Anne-Marie Desplat-Duc : Sorcière blanche

 

Anne-Marie Desplat-Duc écrit Sorcière blanche pour un public adolescent à partir de 12 ans.

 Les ruelles de Rennes

1664 : Dans la première partie, Les ruelles de Rennes, l'héroïne Agathe de Préault-Aubeterre vit une enfance difficile avec sa mère et son frère Josselin pendant que son père croupit dans une prison de Rennes sur l'ordre de Louis XIV. Nous ne saurons que plus tard, en même que la fillette, les raisons de cet emprisonnement. Quoi qu'il en soit, c'est la misère pour la famille, Marie, la mère, qui a été demoiselle d'honneur de la reine Marie-Thérèse, aristocrate déclassée, a bien du mal à gagner sa vie. Heureusement, la demi-soeur de Marie, Françoise de Talhouet Séverac, propose de s'occuper des enfants et les accueille dans son château, dans la campagne bretonne. Là, la fillette reçoit de bons soins et se prend d'affection pour sa tante et son oncle avec qui elle vit en bonne entente. Là, elle fait connaissance d'une guérisseuse qui lui apprend qu'elle a un don de magie, et lui enseigne les plantes qui guérissent. D'abord inquiète de ce don qui pourrait être celui du Diable, Agathe finit par comprendre que c'est un don de Dieu et qu'elle l'a reçu pour faire le bien. Elle est une sorcière blanche !

Mais ses parents viennent mettre fin à cette vie paisible en réclamant leurs enfants pour les amener à Saint Domingue. Le père qui s'est enfui de prison cherche à se faire oublier de la cour et compte faire fortune dans la plantation de cannes à sucre avec son associé. Sur le bateau, l'adolescente et son frère font connaissance de deux enfants Marguerite et Samuel Guiraud qui fuient avec leur père pasteur, les persécutions contre les protestants. Mais lorsque le pasteur meurt en mer, les enfants, désormais orphelins, vont suivre la famille d'Agathe.

 Saint Domingue

Saint Domingue constitue la seconde partie du roman : Saint Domingue avec la chaleur accablante, lourde d'humidité, les centaines d'insectes qui piquent et rendent la vie insupportable, la découverte d'une végétation luxuriante et d'une faune étonnante :

Je découvris les palmiers échevelés, le feuillage vert tendre des bananiers, les petites balles de braise des orangers entourés d'un vol d'oiseaux -mouches et les nappes violettes de bougainvilliers.

La découverte aussi d'une habitation rudimentaire, une grande case carrée avec un toit couverte de feuilles de palme. Si la mère, frivole et mondaine, se désole de cette précarité, Agathe, elle, aura la chance d'être initiée aux secrets des plantes de l'île par un maître du vaudou et elle va utiliser son don de guérisseuse tandis que son frère rêve d'être pirate ! Marguerite et Samuel Guiraud vont être embauchés sur la plantation et travailler à côté des esclaves.

La jeune fille et sa mère finiront par retourner en France quand le père les abandonne. Josselin devient pirate !

  La Rochelle

La troisième partie s'intitule La Rochelle  et est assez étonnante surtout dans un roman pour de jeunes adolescents. La mère accouche d'un enfant noir qu'elle abandonne. Agathe s'occupe de son petit frère, le met en nourrice et pour payer sa pension accepte de se marier avec un « vieux » riche ! Finies les amourettes secrètes, elle qui en ado de 14 ans, tombait tout le temps amoureuse.

J'ai trouvé la fin bien pessimiste pour une littérature qui s'adresse aux jeunes adolescents. Pessimiste, non, plutôt conforme à la réalité de l'époque et aux mentalités. Pourtant, si ma petite fille lit ce livre, je suis sûre que ce dénouement la mettra en colère  !

Mais il y a une suite intitulée Pirate rouge qui raconte l'histoire de Josselin, le frère d'Agathe. Peut-être y retrouverons-nous Agathe ? Je me prends à rêver qu'elle échappe à ce mariage d'argent ! 

L'esclavage dans les plantations de sucre

Quand j'ai acheté ce livre pour ma petite fille, je ne savais pas qu'il allait m'entraîner de la France de Louis XIV à Saint Domingue et rejoindre ainsi le thème des minorités ethniques. Le roman est, en effet, un prétexte à la dénonciation de l'esclavage et raconte comment les noirs sont arrachés à leur village par d'autres tribus et vendus aux négriers. La récolte de la canne à sucre dans la plantation est extrêmement pénible. Samuel et Marguerite sont mieux traités que les noirs mais leurs souffrances nous révèlent les horribles conditions de travail des esclaves. Ils travaillent dix sept heures par jour et subissent des sévices corporels s'ils ne travaillent pas assez vite.

«  J'ai discuté un peu avec Sango, le fils de Doudou. Leurs conditions de vie sont encore plus misérables que les nôtres. Le maître a droit de mort sur eux, il peut les vendre comme... des moutons. » dit Samuel

Samuel et Madeleine prennent le parti des esclaves, assistent la nuit aux assemblées secrètes et rejoignent les esclaves marrons.

Voilà donc, par ce biais, avec ce livre pour enfants, une participation au rendez-vous sur les minorités ethniques d'Ingammic.




dimanche 19 février 2023

Honoré de Balzac : La recherche de l'Absolu

 

La Recherche de l’absolu d’Honoré de Balzac, est paru d’abord en 1834 dans les Études de mœurs, Scènes de la vie privée. Après avoir été remanié et republié, il est classé dans sa troisième version, en 1845,  dans Les Etudes philosophiques de La Comédie humaine.

Balthazar Van-Claes-Molina, comte de Nourho, appartient à une vieille famille noble de Flandres, installée dans la ville de Douai. Les Claes sont immensément riches jusqu’au jour ou Balthazar Claes se lance dans la recherche de l’Absolu c'est à dire de l'unité de la matière et pour cela provoque la ruine de sa famille. C’est en vain que sa femme Joséphine essaie de le ramener à la raison. Ni elle, ni ses enfants ne comptent plus aux yeux du savant qui se perd dans sa quête. Joséphine en mourra. C’est sa fille Marguerite qui prendra les rênes de la maison et cherchera à protéger ses petits frères et soeur de la folie de leur père.


Gerard Ter Bor : un intérieur flamand

Dire que La recherche de l’absolu de Balzac m’a ennuyée n’est pas peu dire  ! Qu’Honoré me  le pardonne, mais il m’en a fallu  du temps pour que je commence à m’intéresser à ce roman !

J’ai trouvé qu’il y avait d’abord beaucoup de remplissage : En particulier, lorsque l’écrivain commence par rappeler l’importance de la description des lieux dans un roman. D’habitude, Balzac ne se sent pas obligé de nous l’expliquer !  Il le fait et même fort bien  !  Effectivement, dans le roman Balzacien le milieu où vit le personnage, l’architecture, le climat, conditionnent le caractère et le mode de vie qui en découlent. Ils sont si étroitement liés qu’il y a interaction entre les deux.

De part et d’autre tout se déduit, tout s’enchaîne. La cause fait deviner un effet comme chaque effet permet de remonter à une cause.

Avec ce début, La recherche de l’Absolu n’est plus un roman mais un manifeste littéraire ! Balzac aurait pu faire confiance en son lecteur et le considérer comme assez intelligent pour comprendre ce principe. Effectivement, il décrit longuement le pays, la Flandres, et précise comment les gens qui y vivent sont en adéquation avec les lieux qui déterminent leurs actes, leurs habitudes, leurs goûts.

Le caractère flamand est dans ces deux mots, patience et conscience, qui semblent exclure les riches nuances de la poésie et rendre les moeurs de ce pays aussi plates que le sont les larges plaines, aussi froides que l’est son ciel brumeux; mais il n’en est rien.

Après avoir montré que l’occupation  de son sol par des puissances étrangères  et le  commerce avec de lointains  pays, la Chine, le Japon,  avaient modifié le caractère initial, Balzac conclut  :

Après s’être assimilé par la constante économie de sa conduite, les richesses et les idées de ses maîtres, ce pays, si nativement terne et dépourvu de poésie, se composa une vie originale et des moeurs caractéristiques, sans paraître entaché de servilité. L’art y dépouilla toute idéalité pour reproduire uniquement la Forme. Aussi ne demandez à cette patrie de la poésie plastique, ni la verve de la comédie, ni l’action dramatique, ni les jets hardis de l’épopée ou de l’ode, ni le génie musical; mais elle est fertile en découvertes, en discussions doctorales qui veulent et le temps et la lampe. Tout y est frappé au coin de jouissance temporelle.

Viennent ensuite les personnages.  Joséphine Claes née Temninck, noble espagnole, que Balzac trouve admirable parce qu’elle est inconditionnellement dévouée à Balthazar. C’est une femme douce, soumise, qui éprouve un amour absolu (lui aussi) pour son mari. Cet angélisme de la femme et plus encore les déclarations de l’écrivain m’ont insupportée :


Le charme le plus grand d’une femme consiste dans un appel constant à la générosité de l’homme, dans une gracieuse déclaration de faiblesse par lequel elle l’énorgueillit, et réveille en lui les plus magnifiques sentiments.

Le conservatisme de Balzac, ses idées réactionnaires m’irritent souvent ! La femme idéale est pour lui celle qui admire son mari, se dévoue à lui au détriment de sa propre vie et  surtout, ne le remet pas en cause. Et de plus, il ne faut pas risquer d'ébranler la toute puissance paternelle, même indigne, qui est le fondement de cette société patriarcale et hiérarchisée. Voilà qui est confortable pour les hommes !  Pourtant, nous sommes à l’époque de George Sand qui, lorsqu’elle parvient à se séparer de son parasite ( son mari qui vit à ses crochets et a autorité sur elle et sur sa fortune) s’écrie : "Enfin, libre !"  ! Et à quelques années d'Olympe de Gouges, morte sur l'échafaud en 1793,  qui l'a précédée dans sa défense des femmes !

Quant à Balthazar Claës, qui ruine sa famille, devient indifférent à sa femme et ses enfants au nom de la Science, par culte de la Chimie, je sais bien que Balzac nous le peint comme un homme d'une vaste intelligence ! Or, doit-on tout pardonner aux hommes supérieurs ? C’est la question que pose le roman et à laquelle l’écrivain répond affirmativement. Mais je n’adhère pas à cette pensée qui affirme que le génie excuse tout. D’autant plus que, ici, cet homme génial ne prouve rien ni le Eurêka de la fin qui n’est peut-être qu’une autre de ses chimères. Au nom du Génie ( de l'homme), que d'horreurs la société a-t-elle couvertes ?  Voilà encore une autre idée balzacienne qui me dérange !

Heureusement, la fille aînée Marguerite Claes a du caractère et après la mort de sa mère elle va, tout en ménageant son père, s’occuper de ses frères et soeur, Gabriel, Jean et Félicie, et les protéger d’un père pareil ! C’est à partir du moment où elle entre en scène, si je puis dire, que le livre m’a paru plus intéressant et que je l'ai lu plus volontiers.

Mais qu’est ce que cette recherche ? C’est un officier polonais Adam de Wierzchownia qui transmet à Claes cette soif de l’Absolu.  Il lui confie le secret de ses expériences dans le but de transformer les corps composés en corps simples et par là de découvrir le principe de la vie. Bien sûr, cette recherche revient à s’identifier à Dieu et c’est ce que reproche Joséphine Claes à son mari, elle qui est très croyante. C’est une question philosophique intéressante mais que Balzac ne développe pas.


L’existence de L’Absolu" c’est la substance (matière première) commune à la matière organique et inorganique, dont les modifications, sous l'effet d'une force unique (le moyen), produisent les formes diversifiées de la matière qui seules nous sont connues (le résultat).  
Là vous rencontrerez le mystérieux Ternaire devant lequel s’est, de tout temps, agenouillée l’humanité : la matière première , le moyen, le résultat."

Dans ce roman, l’écrivain est en perpétuelle contradiction :  d’une part, il prend le parti de s’appuyer sur la science et il précise que son personnage est un savant. D’autre part, il subordonne la recherche de Balthazar  à un désir de créer de l’or et des diamants non pour lui-même, il est vrai, mais pour ses enfants et il en fait un Alchimiste. Il y a quelque chose de surnaturel dans ce savant fou, hanté par une idée fixe mais au moment où Balzac flirte avec le fantastique, il prend soin de s’en démarquer. Ainsi, l'écrivain dresse l’inventaire des richesses entassées dans la maison de Douai, il nous explique des textes de loi qui permettront aux enfants de se libérer de la tutelle de leur père. Il donne les chiffres précis (en millions) des fortunes dilapidées par le savant. Nous sommes en plein réalisme. Puis il décrit comment Joséphine Claes et sa fille reconstituent ces fortunes à plusieurs reprises en quelques années, ce qui est impossible. L’invraisemblance ne serait pas grave si le roman avait joué sur le fantastique mais ce n’est pas le cas. Cette hésitation entre l'un et l'autre ne me paraît pas réussie. Et finalement l’écrivain joue sur les deux tableaux sans être vraiment convaincant ni dans l’un ni dans l’autre. Au moins dans La peau de chagrin, il avait su choisir !

Il en résulte un roman que j’ai trouvé ennuyeux et qui en plus m’a irritée. J’ai vu qu’il avait été mal accueilli par le public et la critique en son temps. Mais j’ai noté que ceux qui l’apprécient le considèrent comme l’un des plus grands romans de Balzac. Tout ou rien ?




 

mercredi 15 février 2023

Louise Eldrich : Celui qui veille

 

Quel beau roman nous offre Louise Erdrich avec : Celui qui veille ! On y entre lentement avec la présentation de chacun des personnages principaux et de tous ceux qui gravitent autour d’eux : Thomas Wazhashk qui est veilleur de nuit dans une usine de pierres d’horlogerie et Patrice dite Pixie, une jeune fille qui y travaille. Celui qui veille vit dans la réserve de Turtle Mountain située près de cette usine providentielle qui a fourni du travail à de nombreuses femmes de la tribu…

Et puis l’on se laisse emporter par le récit qui se situe en 1953 dans le Dakota du Nord. A l’époque, une résolution du congrès des Etats-Unis adoptée par les deux chambres du sénat et des représentants décide de la « termination » des réserves indiennes sous le prétexte apparemment vertueux d’assimiler les indiens. Or, comme le remarque Thomas, « Termination » est un mot bien proche « d’extermination ». Car sous prétexte d’assimilation, c’est tout simplement leurs terres, garanties par traités, déjà réduites à un strict minimum par les blancs, qui vont leur être enlevées. Que feront alors les indiens dépossédés de leurs biens, ayant perdu les aides fédérales qui leur permettaient de survivre ? Sans que leur soit donnée la possibilité d’accéder à l’autonomie, ils iront grossir la foule des miséreux qui traînent dans les villes à la recherche d’un travail hypothétique et rare et en butte à la discrimination raciale.

Thomas Wazhashk va alors chercher à fédérer tous les indiens de la réserve y compris les blancs qui seraient impactés négativement par cette loi pour aller présenter leur défense à la cour. Un formidable élan de solidarité naît qui fait prendre conscience à tous de la nécessité de se défendre pour obliger les gouvernants à respecter les traités signés par leurs aïeux.

Louise Erdrich présente ici un magnifique portrait inspiré de son grand père. Le patronyme de son personnage Thomas Wazhashk  se réfère à un animal totémique « le rat musqué » , un animal petit et humble mais qui est pourtant dans la cosmogonie indienne celui qui participe à la re-création du monde après le déluge. Thomas forme avec Rose, sa femme et ses enfants une famille soudée et il est très fidèle en amitié. C’est un homme bon, avisé, sérieux et travailleur, qui va mettre toute son intelligence et sa réflexion au service de la communauté quitte à y laisser sa santé. Il passe ses nuits à écrire aux sénateurs pour empêcher l’adoption de la loi. Un moment de bravoure, c'est lorsqu'il ira avec quelques uns de ses amis jusqu’à Washington pour présenter la défense de la réserve. C’est aussi une personne proche de la nature et il éprouve dans son corps la beauté des saisons :

« La beauté des feuilles avait disparu, un autre quart de la grande roue de l’année avait tourné. Les branches élégantes étaient nues. Il adorait ce moment où la véritable forme des arbres se révélait. Il dormait et dormait encore. Pouvait dormir tout un jour et tout une nuit. C’était étrange, se disait-il, qu’avec si peu de temps devant lui, il choisisse de le passer délicieusement inconscient. Il éprouvait toujours l’envie de s’abreuver à la grandeur du monde. »

Les personnages fictifs comme Patrice dite Pixie, la nièce de Thomas, si fière, si indépendante, qui veut farouchement réussir sa vie, faire des études, sont aussi très attachants. Elle refuse de tomber amoureuse car elle a vu trop de jeunes indiennes vieillir prématurément une fois mariée sous l’effet conjugué de la misère et des grossesses répétées. Mais voilà qui est difficile quand on est jolie et que les amoureux tournent autour de vous ! Et parmi eux, un autre beau portrait, celui Wood Mountain, un jeune boxeur, si tendre qu’il va épouser Véra, la soeur de Patrice, pour pouvoir être le père de son bébé.

La mère de Patrice, Zhaanat, pourtant considérée comme une ignorante aux yeux des blancs, représente toute la sagesse des indiens. Sa connaissance des plantes qui va de pair avec le respect de la nature, son savoir des traditions et des mythes, son commerce avec le monde des esprits, font d’elle une femme à l’immense savoir. Car dans ce roman, le monde réel se mêle presque naturellement au monde des esprits qui peuplent ces terres ancestrales et l’un influe sur l’autre et réciproquement sans que personne n’en soit étonné. Cet attachement aux anciens va d’ailleurs de pair avec l’attachement à la terre.

Parfois, quand je me promène, confia Wood Mountain, j’ai l’impression qu’ils m’accompagnent, ces gens des temps anciens. Je n’en parle à personne. Mais ils sont tout autour de nous. Je ne pourrai jamais partir d’ici.

Dans ce livre on sent tout l’amour que l’auteure porte aux siens, les indiens de sa tribu, toujours volés, paupérisés, humiliés, depuis la conquête des blancs et le génocide qui s’en est suivi. Le lecteur partage son indignation devant ces spoliations répétées et cette hypocrisie. Le personnage du sénateur à l'origine de cette loi, Watkins est un mormon persuadé que Dieu les a créées supérieurs aux indiens et qu'il est donc légitime que les terres reviennent aux mormons. Les voix qui s’élèvent dans ce roman ne réclament ni pitié ni compassion. Elles sont celles de personnes conscientes de leur droit et qui exige la justice. Ce n’est pas une aumône que le gouvernement leur octroie c’est un faible dédommagement de ce qu’on leur a pris par la force.

Un roman dans le propos est souligné par un beau style vibrant d’émotion, de tendresse et de poésie, où l’on perçoit une philosophie toujours étroitement liée au cosmos.

Les étoiles avaient beau être impersonnelles, elles prenaient des formes humaines et s’agençaient de manière à indiquer la direction de l’autre monde. Le temps n’existait pas, là où il allait. Il avait toujours trouvé cela inconcevable mais, depuis quelques années, il comprenait que le temps était tout à la fois : des allées et venues en avant, en arrière, et aussi sens dessus dessous. En tant qu’animaux soumis aux lois de la terre, les humains voient le temps comme une expérience. En réalité c’est plutôt une substance comme l’air, mais bien sûr ça n’a rien à voir avec l’air. En fait, c’est un élément sacré. Dans cette substance temps, la cétoine dorée, ou manidoons, ce petit insecte-esprit qu’il avait récemment fait sortir d’une coquille de noisette était venue à lui. Il était alors un tout jeune garçon et se tenait à la lisière d’une prairie en pente. De là, il avait vu les bisons émerger lourdement à l’horizon d’un côté du monde. Le troupeau avait traversé devant ses yeux pour disparaître de l’autre côté dans un continuum d’être. C’était ça, le temps. Tout se passait au même moment, et le petit esprit doré allait et venait dans l’élément sacré, vers l’avant, vers l’arrière, le haut et le bas.

 


dimanche 12 février 2023

Alexis Jenni : La conquête des îles de la Terre Ferme

 

Le livre passionnant d'Alexi Jenni La conquête des îles de la Terre Ferme laisse la parole à un narrateur fictif, Juan de la Luna, qui raconte son histoire. C’est par un long retour en arrière que celui-ci, vieillissant, présente d’abord son enfance, celle d’un fils d’Hidalgo d’Estramadure presque aussi pauvre que ses paysans mais pétri d’orgueil et nourri de chevalerie. Un jeune garçon qui multiplie frasques et sottises avec les garnements de son âge, puis est envoyé dans un monastère où il apprend à aimer la lecture et où il devient presque moine. Presque, oui, car le voilà qui s’enfuit pour suivre une femme mariée, pècheresse tentatrice. Enfin, envoyé au diable, c’est à dire à Cuba, par le vieux mari de sa maîtresse, notre héros fait connaissance de Hernan Cortès et son récit finit par rejoindre la grande Histoire : celle de la conquête de l’empire aztèque. Le jeune homme que Cortès appelle Innocent  - et c’est vrai qu’il a encore l’innocence d’une jeunesse préservée de la violence dans un monastère -  devient son secrétaire et mieux son historien. 


Hernando Cortes (wikipedia)

Las de végéter dans cette île où il ne voit pas la couleur de l’or, Hernan Cortez décide de partir en levant une armée hétéroclite, d’aventuriers, d'hidalgos désargentés, de paysans, d’artisans, plus rarement de vrais soldats de métier. Ils sont cinq cents au départ, renforcés par des esclaves noirs, tous galvanisés par l’énergie et les paroles de Cortès. Ce dernier est un chef né, il a le discours qui fédère et suscite l’enthousiasme, le charisme qui draîne les sympathies, une volonté qui ne plie jamais et une assurance qui en impose. Il saura aussi se montrer ferme, impitoyable et dur pour maintenir la discipline. Bien décidée à faire fortune, la petite troupe embarque sur des vaisseaux armés par le gouverneur de Cuba pour découvrir de nouvelles îles. Ils accosteront bientôt sur la terre ferme d'abord chez les Mayas,sur les côtes du Yucatan,  puis au Mexique, pour le plus grand malheur de ceux qui y vivaient. 

 

carte du voyage de Hernando Cortés

 
Et là, on est sidéré et l’on se demande comment une troupe aussi peu nombreuse et constituée pour ainsi dire de bras cassés, a pu vaincre un empire si immense, si puissant, si organisé, et détruire une civilisation millénaire aussi raffinée que brillante.

Certes, les Espagnols pouvaient passer pour des Dieux aux yeux des autochtones. Ils avaient des vaisseaux, des armures, des chevaux, des chiens de guerre, des canons, mais ceci en nombre limité alors qu’ils devaient affronter des milliers d’hommes, des combattants innombrables aux techniques de guerre éprouvées. Certes, les conquérants sont aidés par les épidémies qu’ils propagent dans tout le royaume et qui déciment les populations mais dont ils sortent indemnes. Leur cupidité ainsi que la ferme conviction qu’ils possèdent la vraie foi et qu’ils doivent christianiser ces peuples dans l’ignorance les fanatisent.  De plus, ils ne peuvent plus revenir en arrière. Et pour cela Cortés fait brûler les navires sur la côte du Mexique rendant impossible tout idée de retour. Ils n’ont plus qu’un choix : vaincre ou mourir ! 

Pourtant ce qui est décisif et lorsque Cortès s’en aperçoit il saisit sa chance, c’est que les Aztèques et leur empereur Montezuma ont des ennemis. Les populations qu’ils ont vaincues comme les Totonaques ou le  Tlaxcaltèques doivent leur payer de lourds tributs aux Mexicas en jeunes gens pour les sacrifices humains et en récolte. Or, jouer sur la division est le plus sûr moyen de vaincre. Des milliers de combattants viennent rejoindre les conquistadors.

 

Calendrier solaire aztèque

Alexis Jenni n’est pas sans manier l’ironie et c’est un des plaisirs du roman, quand il met face à face les mentalités des deux peuples, soulignant ainsi l’avidité, l’appât du gain qui mènent les uns et le curieux sens de l’honneur des autres qui au regard des européens est d’une grande naïveté. Ainsi le plan de guerre de Montezuma pour chasser les Espagnols, stratagème que tous ces conseillers considèrent comme imparable, est celui d’humilier les ennemis en leur faisant des cadeaux somptueux :

« Offrons le grand soleil d’or et la lune d’argent qui sont prêts depuis que les premiers signes sont apparus (…) Ils sont peu nombreux, ils sont pauvres, ils sont démunis, ils errent sur des rivages qui ne sont pas les leurs. Ils ne sauraient être à la hauteur de nos cadeaux, ils ne pourraient que s’humilier en nous offrant un présent. Honteux, troublés, répétant jusqu’à perdre le souffle des remerciements, incapables de combler une telle dette, ils partiront. Ou ils s’offriront d’eux-mêmes en sacrifice. »

Or plus les cadeaux sont luxueux, plus s’accroît au contraire l’avidité des envahisseurs !

Incompréhension totale entre deux cultures : lndignation vertueuse des Espagnols devant cette terrible religion aztèque qui pratique des sacrifices humains, offre le coeur et le foie à manger aux Dieux, verse le sang pour faire avancer la course du soleil ! Mais eux-mêmes, Espagnols, bons catholiques brûlent vif leurs ennemis sur des bûchers comme le pratique leur église, les pendent à un gibet ou les humilient, ce qui est bien pire pour les indiens que d'être mangé !  Les uns trouvent que tous ces dieux serpent, dieu soleil … sont grotesques et ridicules, les autres restent dubitatifs devant un dieu unique mais qui est trois, un dieu qui a une mère toujours vierge !
Enfin, entre les Espagnols qui tuent et anéantissent leurs adversaires pour faire table rase et s’emparer de tous leurs biens et les Aztèques qui ménagent leurs ennemis pour pouvoir les taxer, on comprend que malgré leur incommensurable supériorité numérique les perdants n’étaient pas à même de triompher.
Et puis il y a la leçon que reçoit Innocent auprès de son maître Cortés, on ne peut régner que par la terreur et l’émerveillement mais la terreur d’abord, la terreur ! Au risque d’y perdre son âme. Et le roman se clôt sur des personnages vieillissants et désenchantés qui ont perdu ce qu’il y avait d’humain en eux.

"Je sais bien ce que je suis devenu. La toute-puissance exercée par certains hommes sur d'autres qui en sont dépourvus les rend ignobles."

Ce roman nous dit l’auteur raconte une histoire vraie mais avec "les menteries qui sont au coeur de tout roman". Et après tout quand les historiens eux-mêmes ne sont pas d’accord, c’est finalement la version romanesque qui a raison !

Il en résulte un récit prenant, foisonnant, avec des personnages, qui, s’ils ne sont pas obligatoirement sympathiques, sont hauts en couleurs, pittoresques, truculents, parfois terrifiants, que cela soit du côté des envahisseurs mais aussi des Aztèques, un roman épique qui nous raconte une histoire pleine de cruauté, de mouvement, de violence, villages incendiés, population massacrée, amoncellement de cadavres, flots de sang. Il y a de grands moments dans cette épopée, comme lorsque les conquistadors arrivent devant la ville extraordinaire de Mexico-Tenochtitlan,

"On nous logea dans un palais, il était immense, il était pour nous. Il fallut pour ça traverser toute la ville, et une heure durant nous dûmes marcher dans les rues sans en voir le bout, sans que s'interrompe jamais l'alignement continu des maisons, des palais, des temples, entrecoupés seulement d'autres rues perpendiculaires, de jardins plantés d'arbres, de canaux où les indiens debout sur des barques allaient comme dans des rues."

et qu'ils prennent conscience de leur petitesse :

"La foule sur la chaussée était telle, et l’Empereur si spectaculaire, et ses guerriers si impressionnants, face à nous si seuls au milieu des eaux, que je me dis à cet instant-là, en regardant la ville colossale où nous nous apprêtions à entrer, que nous étions allées trop loin et qu’à force de jouer habilement avec de mauvaises cartes Cortés finirait par perdre; et ce jour était peut-être arrivé, ce serait aujourd’hui, ou alors demain." 

Episodes épiques aussi, celle de leur fuite nocturne après la mort de Montezuma et la bataille homérique qui s’ensuit ou encore le transport des bateaux à dos d’hommes à travers les montagnes et la dernière bataille. Le roman nous offre aussi une réflexion sur la violence de la colonisation espagnole qui a tout sacrifié à l’appât de l’or et à la prétendue supériorité de sa religion.

Merci Ingammic pour ce livre que j'ai beaucoup aimé ! ICI





samedi 11 février 2023

Lisbonne : Musée national d'art ancien : le MNAA (2) : La Renaissance portugaise

 Nuno Gonçalvez : Panneaux de Saint Vincent de Fora au MNAA
 

 Quand vous vous rendez au musée national d'art antique ( le MNAA) de Lisbonne vous pensez y voir la série de tableaux de Nuno Gonçalvez, peintre portugais du XV siècle (actif 1450 à 1471), dont tous vos guides vous parlent avec gourmandise ! Nuno Gonçalves, le peintre des Painéis de São Vicente de Fora, ces panneaux sublimes rassemblant cinquante huit personnages autour de Saint Vincent qui figure dans les deux peintures centrales vêtu d'une large chasuble rouge damasquinée. Magnifiques portraits, pleins de vie, de caractère, de couleurs qui révèlent des individus dotés de caractère et  dont on a l'impression  que l'on pourrait les rencontrer sur la place du Commerce !

 

Nuno Gonçalvez : Panneaux de Saint Vincent de Fora au MNAA Lisbonne

 

Nuno Gonçalvez : Panneaux de Saint Vincent de Fora au MNAA Henry le navigateur

 

Je crois, en voyant les images des visiteurs assis sur des bancs face aux panneaux  que cet ensemble est regardé par les visiteurs avec la même révérence et le même bonheur  que celui des  tapisseries de la Licorne au musée national médiéval de Cluny à Paris ! 

Hélas ! quand j'y suis arrivée, voilà  ce que j'ai aperçu : 

 

Nuno Gonçalves : Restauration des panneaux de Saint Vincent de Fora

Et oui, en restauration ! Mais c'est une bonne chose que les panneaux soient exposés dans un espace vitré pendant le temps où ils sont soustraits au public. On peut en voir la beauté et puis l'on se dit qu'il faudra revenir à Lisbonne !

Ce musée est si riche que l'on peut y rester des heures sans se lasser. Il me faut donc choisir ce que je vais présenter dans ce billet ! Dans celui qui précédait j'ai publié des images de la légende de santa Auta. Je continue donc par  mes coups de coeur  correspondant à l'âge d'or de la Renaissance portugaise  à une époque où la richesse du Portugal est à son apogée et ou les rois Manuel 1er dit le Fortuné et Jao III  encouragent les arts et attirent à leur cour les plus grands artistes. 

La Renaissance portugaise s'appuie pour dégager sa propre originalité sur les aspects techniques et artistiques de la Renaissance italienne et flamande. Des peintres flamands viennent se fixer à Lisbonne. Van Eyck, lui, a séjourné au Portugal de 1428 à 1429.  On comprend pourquoi l'influence flamande avec la connaissance de la technique de la peinture à l'huile, fut si importante au Portugal. 

 

 Jose Afonso  (actif 1504-1540)    

 

Jose Afonso : l'adoration des bergers (détail)

 Jose Afonso  (actif 1504-1540) est nommé peintre royal par Manuel 1er et intendant des peintures. C'est lui qui coordonne tout ce qui a trait à la l'art pictural, sélection des peintres, mise à disposition des pigments et matériaux, ordonnance des festivités, relations diplomatiques. Il s'entoure des plus grands artistes de Lisbonne et parmi eux des peintres flamands.

Autour de Jose Afonso gravitent les  principaux artistes de cet âge d'or dont Nuno Gonçalves (actif 1450-1492), Cristóvão de Figueiredo (actif 1515-1554) qui est peut-être l'auteur de la légende de Santa Auta (Voir Ici ) ou encore Gregorio Lopes (actif 1513-1550).  

Francisco Henrique d'origine flamande attire dans son atelier d'autres peintres flamands, Frei Carlos, le maître de Lounhira, le maître anonyme de l'Enfer, qui se fixent au Portugal.


 L'Enfer : un maître inconnu

 

L'Enfer  maître anonyme Renaissance portugaise MNAA Lisbonne


Les spécialistes se divisent quant à l'attribution de l'oeuvre. Ce maître inconnu pourrait être un peintre flamand ou un peintre portugais influencé par la peinture flamande, on l'a aussi attribué à un atelier français. Mais peu importe ! Car ce qui frappe c'est la force et la cruauté de cette oeuvre ! Le peintre témoigne d'une imagination féconde à la Jérome Bosch quant aux différents supplices et à leur raffinement. L'oeuvre a peut-être été conçue pour un monastère et l'on y voit d'ailleurs de nombreux moines. On comprend la violence de ce tableau si l'on pense qu'elle s'adressait à un public qui vivait dans la hantise du péché et pour qui la peur de l'enfer était quelque chose de bien réel. J'imagine la terreur de ceux qui voyaient ce tableau avec la crainte de ce qui les attendait au-delà ! Si cette oeuvre est remarquable, on ne peut pas dire, par contre, que le christianisme est une religion rassurante !

 

 L'Enfer de maître inconnu Renaissance portugaise MNAA Lisbonne (détails)

  Gregorio Lopez (actif 1513-1550)

 

Gregorio Lopez : la naissance de la Vierge MNAA (1530-1540)




 

Voilà mon tableau préféré de Gregorio Lopez. Evidemment, tous les atistes ne peignaient à cette époque que des scènes religieuses. Gregorio Lopez ne fait pas autrement avec ce tableau montrant la naissance de la Vierge. Mais loin d'être seulement une peinture iconique, c'est une scène de la vie quotidienne. 

Un bébé vient de naître - peu importe lequel - dans une famille aisée. Des servantes et parentes entourent le lit de l'accouchée que l'on réconforte. Trois des femmes ont le visage tourné (en un seul mouvement) vers l'enfant, pôle d'attraction, qui est sur les genoux d'une servante. Celle-ci le lave dans une petite bassine. Le bébé est adorable et particulièrement minuscule. Que porte l'une des servantes dans un panier ? J''aimerais bien le savoir.

 La personne penchée sur le lit de la mère, semble d'un rang supérieur aux autres par sa vêture. Je n'arrive pas à déterminer ce qu'elle fait. On dirait qu'elle lit un message à l'accouchée. Celle-ci a un visage doux, reposée, heureux, une main délicate est posée sur la couverture. Elle porte une auréole. C'est sainte Anne. Le père, Joachim, lui aussi auréolé, est selon la tradition, appuyé sur son bâton, en pleine méditation.  C'est le seul personnage conventionnel qui obéit à des codes religieux. On dirait qu'il s'ennuie et non qu'il est heureux du bébé qui vient de naître. Il n'est pas naturel dans cette scène qui l'est pourtant beaucoup. 

La composition est très rigoureuse : Trois personnages à la tête du lit, trois personnages au pied du lit dont le mouvement converge en avant vers le bébé, en arrière vers le hors champs de la pièce.  La profondeur est rendue par le rideau soulevée qui laisse percevoir une arrière-salle avec quelqu'un en train de s'affairer, peut-être de sortir des vêtements d'un coffre ? La  ligne médiane passe sur le lit et  nous amène jusqu'à la servante qui allume le feu, non pas au milieu mais un peu décalé sur la droite par rapport à l'axe médian. La servante agenouillée attire l'attention sur des détails domestiques. Elle attise le feu d'un petit brasero  avec une sorte d'éventail en paille peut-être pour faire chauffer de l'eau ou pour maintenir la chaleur près du lit.  A observer les détails des costumes de tous !


Gregorio Lopez : la naissance de la Vierge MNAA (détails)


Francisco Henriques ( actif 1506 -1519)


Henriques Francisco retable de sao Francisco de Evora   : la dernière cène, la récolte de la manne


En 1509, Francisco Henriques participe à la décoration de l’église Sao Francisco d’Evora et se rend en Flandres en 1512 pour recruter des artistes. Frei Carlos, le maître de Lourinha et le maître anonyme de l’Enfer auraient fait partie de son atelier. Il est le beau frère de Jose Afonso. Il meurt de la peste en 1518-19.
Le retable de Sao Francisco d'Evora comporte seize panneaux dont onze se trouvent au MNAA . J'ai choisi de montrer ici ceux de La Cène et de  La récolte de la manne  car eux aussi  fourmillent de détails pris sur le vif qui dépasse l'allégorie religieuse pour atteindre l'humain. La peinture fixe un geste en suspens comme dans une photographie  : le personnage en vert qui nous tourne le dos se penche pour saisir  une aiguière, l'un porte un couteau à la bouche, d'autres sont plongés dans une discussion, Jésus tend la main pour attraper ce que lui tend l'un de ses compagnons. Là aussi la Cène obéit à des codes, Jésus est au centre de la table, tourné vers nous, entouré des apôtres, Jean est endormi mais la peinture est une scène entre amis. 
La récolte de la manne témoigne d'un fait miraculeux mais est aussi un beau tableau champêtre dans lequel on peut admirer la composition avec ce petit sentier sinueux qui amène le regard vers le château, juste en haut dans le coin gauche de la scène et puis les habits, les coiffes, les chapeaux, les turbans, qui apportent une connaissance sur la manière dont on se vêtait, les coloris chaleureux qui donnent vie au tableau.


Henriquez Francisco  retable de sao Francisco de Evora  MNAA Lisbonne : la dernière cène, la récolte de la manne (détails)


Frei Carlos

Frei Carlos moine et peintre d'origine flamande  MNAA


Frei Carlos moine et peintre d'origine flamande  MNAA


Frei Carlos (+ 1540) est un peintre flamand qui a probablement travaillé dans l'atelier de Francisco Henriques.  Il  rejoint l'ordre des moines hyéronimites de Sintra en 1517. Les tableaux que j'ai choisis, ces deux Vierges, au visage doux, graves mais sereins, l'une en train de donner le sein, l'autre de jouer avec son bébé qui mange des cerises, donnent un vision souriante et réconfortante de la religion à l'inverse de l'Enfer.


Frei Carlos Evora 1er moitié du Xvi siècle Vierge et deux anges


Quelques portraits du MNAA

 

Cranach Lucas l'Ancien : Salomé

 

Lucas Cranach l'Ancien (1472-1553) peint ici un tableau effrayant :  La richesse des vêtements de Salomé,  cette fourrure rousse qui encadre son visage et tombe sur ses épaules soulignant le chasuble noir aux lignes blanches sur un corsage aux tons mordorés, ses manches de tissu brillant, tout concourt à la vision d'une grande dame de la Renaissance, hautaine et impassible. Le visage dur de Salomé qui se détache sur le fond noir du tableau, son regard qui part dans le lointain, son indifférence, accentuent l'horreur de ce qu'elle porte entre les mains : la tête de Jean-Baptiste sur un plateau...


Maître flamand inconnu : portrait de femme (1569)


Joos van Cleves maître Flamand Anvers  : Eleonor d'Autriche

Eleonor d'Autriche Hasbourg est née à Louvain (pays-Bas des Hasbourg) en 1498 et est morte en Castille en 1558. Elle est la soeur de Charles Quint. Elle fut reine du Portugal de 1518 à 1521 en épousant Manuel 1er qui la laissa veuve puis reine de France avec son mariage avec François 1er. Son portrait est peint par Joos van Cleves peintre flamand de l'école d'Anvers.


Isabel du Portugal 1503-1539

Isabel de Portugal (1503_1539) est la fille de Manuel 1er et  de sa seconde épouse Marie d'Aragon.  Elle épouse en 1526 son cousin l'empereur Charles Quint, roi d'Espagne, du Pays-Bas. Son portrait est de peintre inconnu et la date est imprécise : le milieu du XVI siècle.


Maître inconnu : Jean de Luxembourg

Jean de Luxembourg 1475-1508 est mort à Bruxelles en 1508, il était seigneur de la ville. Il fut nommé chevalier de la toison d'or et devint le favori préféré du roi Philippe de Castille.


La statuaire  portugaise du XV et début XVI siècle

 

Troisième étage du musée national d'art ancien MNAA



Mestre Pero : Saint jacques


Mestre Pero : Vierge attendant l'enfant Jésus MNAA


Joao Afonso  : Sainte Agate, sainte Lucie et sainte Catherine


Joao Afonso : Sainte Catherine MNAA Lisbonne


Joao Afonso archange saint Michel 1450


Artiste flamand actif au Portugal : Saint Jacques


Cornelis de Holanda 1520-1525 Saint Marc l'évangéliste


Pierre Brueghel le Jeune (1564-1636)

 

Pierre Breughel le Jeune Les sept oeuvres de miséricorde

Les sept oeuvres de miséricorde selon les Evangiles représentées ici par Pierre Brueghel sont : Visiter les prisonniers, Ensevelir les morts, Accueillir les étrangers, Visiter les malades,  Donner à boire à ceux qui ont soif, Vêtir ceux qui sont nus ; Donner du pain à ceux qui ont faim.


Pierre Breughel le Jeune Les sept oeuvres de miséricorde  : Donner du pain MNAA Lisbonne

La salle des portraits des Francisco Zurbaran ( Actif 1614-1664)


Francisco Zubaran : Saint Paul  et Saint Jacques le Majeur MNAA Lisbonne

Francisco de Zurbarán est un peintre du Siècle d'or espagnol (1598–1664). L'art de Zurbarán est profondément religieux. Il peint des personnages mystiques,  qui expriment leur foi et témoignent de la grandeur divine. Il est l'artiste par excellence de la contre-réforme.

La salle réservée aux Zurbaran présente les douze apôtres grandeur nature. Surélevés, ils nous dominent de toute leur stature. Le peintre attache beaucoup d'importance au rendu des étoffes et des plis, tout en cherchant à rendre le recueillement, le mysticisme de ces hommes qui se tournent vers Dieu. Impressionnant !


Francisco Zubaran : Saint André MNAA Lisbonne


Francisco Zubaran : Saint Simon MNAA Lisbonne


Voir Lisbonne : le musée national de l'art ancien  : le MNNA (1) le retable de Santa Auta