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vendredi 17 février 2012

Des mots une histoire : Dessin d'enfant

Joan Miro : le coq


Texte écrit dans le cadre de l'atelier d'écriture d'Olivia : Des mots, une histoire



 Dessin d'enfant

La caroncule en fleur, le coq mène la danse
climatique, 
 plumes au vent, solo de clarinette ardent
Où le soleil dans le ciel roule
Comme le ballon d'un enfant   
Le loup mange le Chaperon sans préparation culinaire, 
De son repas roboratif, il hoquète  
et sommeille encore. 
Andante...
Le chat est en apesanteur, il sanglote dans son mouchoir,
Dans son vertige violoncelle,
Il est emporté sur la lame de l'air du temps
et ritournelle...
Sur son grillage, le grillon grillonne et gratte sa guitare,
Le chapon, le mouton et l'âne lancent leur chant, Hum!
 Délicieux!   
Le chien est sans contexte un chien même s'il a un oeil en verre,
Et le dragon dans son couffin comme dans un livre d'images
semble sortir d'un catalogue de jouets, de fées, de lutins,
malicieux! 
Allegretto...
Et les allumettes pianotent en éclairs qui saignent et tempêtent,
Quand l'enfant aux doux barbouillages, trace à grands traits de feux
de flammes, 
             de rires légers, scintillants,
des croquis en vie qui s'animent, tourbillonnent, et nous chavirent.
Quel menuet molto vivace !
                               Renaît en moi, alors, l'enfance!





Ce poème a été écrit dans le cadre de l'atelier d'écriture d'Olivia : Désirs d'histoire. Les mots imposés étaient les suivants : grillage – chat – andante – apesanteur – caroncule – chant – contexte – plume – couffin – barbouillages – croquis – enfant – lame – livre – vertige – saigner – chapon – climatique – catalogue – match – roboratif – sangloter – allumettes – mouchoirs – enfance – préparation – délicieux

jeudi 16 février 2012

Une citation de George Sand : Il est l'homme de tous les temps...


J'ai énormément aimé Le péché de M. Antoine de George Sand! Je  présenterai bientôt ce roman dans un billet. Mais j'ai choisi aujourd'hui cette citation qui met en cause ceux qui abusent de leur pouvoir (qu'il soit comme ici paternel, religieux ou d'état) pour amener ceux qui dépendent d'eux à renier leur opinion et à faire taire leur conscience.

Ne l'accusez pas de tant de perversité : il est l'homme de notre temps,* que dis-je? Il est l'homme de tous les temps. Le fanatisme ne raisonne pas et votre père est un fanatique; il brûle et torture l'hérésie, croyant faite honneur à la vérité. Le prêtre qui vient nous dire à notre dernière heure : "crois, ou tu seras damné", est-il beaucoup plus sage ou plus humain? L'homme puissant qui dit au pauvre fonctionnaire et à l'artiste malheureux : "sers-moi et je t'enrichis", ne croit-il pas lui faire une grâce et lui octroyer un bienfait?

* le père d'Emile,  le jeune héros socialiste de George Sand veut amener le jeune homme à renoncer à ses idées en l'achetant.



mercredi 15 février 2012

Les aventures d'une taguée : Reine des Neiges ou rat Ramoli?

Album / La princesse des neiges illustration de Ruth Sanderson source


 Le tag de Jeneen :  Il faut répondre avec des titres de livres au tag de Jeneen; je me suis octroyée le droit (en tant que Reine : cf ci-dessous) de remplacer, parfois, des titres par des citations. Pardonne-moi, la Korrigane!

Comment te sens-tu? La Reine des Neiges (Andersen) 
(Quitte à  se geler autant ne pas être prolétaire! Il faut bien une consolation!)

Décris là où tu vis actuellement Avignon, Isle sonnante (Pantagruel, Rabelais)
 (Il y a moins de cloches maintenant! Enfin ça dépend ce que l'on entend par cloche!)

Si tu pouvais aller n'importe où, où irais-tu?Mort à Venise Thomas Mann
(la mort en moins SVP! Cette idée! Il y a tout de même autre chose à faire à Venise!)

Ton, ta, tes meilleur(e)(s) ami(e)(s) est(sont) : Les filles du feu (Nerval) pour me réchauffer à leur amitié avec mon poète chéri.

Toi et tes amis, vous êtes? : le cercle littéraire des amateurs d'épluchures de pomme de terre (avec les livres mais les épluchures, j'en doute!)

Comment est le temps? ah! comme la neige a neigé  (poème de Emile Nelligan)
 (Même pas vrai. Chez nous il glace mais il ne neige pas! Immoral!)

Ton moment préféré de la journée? : Mon coeur qui s'oublie aux soleils couchants ( poème Verlaine) (C'est beau, hein?)

Ton animal préféréLes chevaux noirs des Carpates (Gheorgiu) 
(S'ils ne sont pas noirs et s'ils ne sont pas des Carpates, ça va aussi!)

Ton moyen de transport préféré La grande course de Flanagan (Tom MC Nab)
 (Là, je frime! j'aime beaucoup le roman qui m'a donné envie de courir pendant au moins... et sur une distance de... mètres! )

Ta passion : " Le commerce des livres me console en la vieillesse et en la solitude..." "Il émousse les pointures de la douleur, si elle n'est pas du tout extrême et maîtresse. Pour me distraire d'une imagination importune, il n'est que de recourir aux livres..." (Montaigne)

Le défaut qui t’horripile le plusOrgueil et préjugés (Jane Austen)
(j'ai copié sur toi Jeneen)

Le métier qui ne te fait pas rêver Une belle canaille (Wilkie Collins) quel que soit le métier mais surtout chez les politiques!

Ton histoire d’amour : ... Mais c'est notre amour à tous deux (Aragon)

Qu'est-ce que la vie pour toi? : puisque vivre si prudent qu'on se veuille, c'est brûler (Philippe Jacottet)

Ta peurCent ans de solitude (Gabriel Garcia Marquez)

Pensée du jour :   La vie, c'est comme un cône glacé; il faut savourer chaque bouchée (Snoopy Schlutz)

Comment aimerais-tu mourir ? : Ou même à la grande rigueur ne pas mourir du tout (Brassens)

La condition actuelle de mon âme : Les filles du froid  (Jack London)

Ton rêve le plus cher? : Les grandes espérances (Charles Dickens)

Quel est le meilleur conseil que tu as à donner? : Cueillez dès à présent les roses de la vie (Ronsard/ Epicure) et je ne blague pas, faites-le!




Le tag de Cériat

1. Quel personnage aimerais-tu être ? ( personnages réels ou fictifs )
 Le Père Noël parce que j'aime qu'on m'aime ou le célébrissimo  rat Ramoli de Cériat

2. Si l’on t’attribuait une planète nouvellement découverte, comment la nommerais-tu ?
  Trinitad : Liberté, Amitié, Tolérance

3. Dans lequel des pays visités par Phileas Fogg aurais-tu aimé séjourner ?( à son époque )
 En Inde,  à Bombay, mais j'accepte, si tu m'envoies un chèque, Cériat,  d'aller visiter le pays actuellement. (idem pour tout autre mécène)

4. Si tu étais un animal fabuleux, lequel serais-tu ? ( licorne, phœnix, Minotaure, etc…) Le phoenix pour renaître de mes cendres! Mes ennemis  ne pourraient jamais se débarrasser de moi, mes amis non plus!!
 
5. Quel personnage mythique serais-tu ? ( vampire, fée, elfe, etc…)
Une fée avec une baguette magique capable de tout faire même le ménage! (parce qu'en général dans les livres, les fées doivent faire le ménage elles-mêmes et LA, on se demande bien à quoi servent leurs pouvoirs!)
 

6. Quel personnage de livre pour enfant aurais-tu aimé être ?
Peter Pan pour voler et me battre avec le Capitaine Crochet.
 

7. Si tu étais la petite souris, à qui n’aurais-tu pas donné de pièce ?
Au méchant chat, forcément! Pas bête la guêpe! (la souris, je veux dire!)
 

8. Dans quelle comédie musicale aurais-tu aimé jouer ?
Chantons sous la pluie à la condition d'être Gene Kelly et de danser aussi bien que lui!

9. Es-tu Seigneur des Anneaux ou Pirates des Caraïbes ?
Le Seigneur des anneaux, il fait plus peur que le pirate J. Depp!

10. Si tu pouvais voyager dans l’espace, quelle planète visiterais-tu ?
Euh! Je ne peux pas rester sur terre?

11. Si tu pouvais ressusciter un dinosaure, lequel choisirais-tu ?
Le tyrannosaurus (à condition de l'apprivoiser pour qu'il me mange dans la main!)(non je n'ai pas dit  LA main mais DANS la main!)

lundi 13 février 2012

Metin Arditi : Le Turquetto

Le Titien : L'homme au gant musée du Louvre

Il existe, nous dit Metin Arditi, avant de commencer cette brillante biographie, une oeuvre du Titien exposée au Louvre : L'homme au gant. Elle est signé Ticianus mais des analyses récentes semblent prouver que le Titien n'en est pas vraiment l'auteur. Serions-nous en face d'un tableau du Turquetto,  élève du Titien, un des peintres les plus brillants de son siècle?
Le Turquetto de Metin Arditi nous fait voyager dans l'espace, de Constantinople à Venise, et dans le temps pendant la Renaissance au début du XVI ème siècle. Nous suivons les aventures d'un jeune garçon, Elie Soriano d'origine juive qui vit à Constantinople. Son père et Arsinée qui lui tient lieu de mère sont tous deux des vendeurs d'esclaves. Passionné par le dessin, Elie sait que sa religion lui interdit la représentation figurative. Aussi à la mort de son père, il s'enfuit et gagne Venise où il se fait passer pour chrétien. Ses talents exceptionnels lui permettent d'entrer dans l'atelier du Titien et bien vite d'égaler son maître voire de le surpasser. Elie surnommé le Turquetto devient le peintre le plus couru de Venise et réalise de magnifiques tableaux pleins de sensibilité. Hélas! toutes ces oeuvres seraient promises au bûcher et lui-même condamné à mort si l'on découvrait qu'il est juif!
Le Turquetto se lit d'abord comme un livre d'aventures, un roman picaresque, enlevée, vivant, qui nous promène dans le bazar de Constantinople au milieu de personnages hauts en couleurs puis dans la richissime Venise, toute revêtue d'or où  règnent la corruption, l'envie, la cupidité, la misère et l'intolérance. Les courtisans sont vaniteux et cruels, les juifs sont enfermés dans le ghetto et ne peuvent en sortir le jour qu'affublés d'un béret jaune, les bûchers de l'inquisition sont toujours prêts à s'allumer pour traquer l'hérétique ou pour brûler les oeuvres d'art. Nous apprenons beaucoup sur cette période sans que l'érudition de l'auteur ne vienne alourdir le récit ou le freiner. Metin Arditti nous fait partager ses connaissances de l'art de la Renaissance. Il nous en fait découvrir les aspects techniques mais en parle aussi avec sensibilité. Un artiste est d'abord quelqu'un qui sait regarder, don que possède le Turquetto  qui allie , dans sa peinture, la spiritualité  à la sensualité. C'est donc avec un vif plaisir que l'on suit l'histoire de cette existence parfois triste et douloureuse, consacrée à l'art. 
 Comme presque tous les dessins d'Elie, celui-ci serait "pour la pile". Elie s'asseyait en tailleur, fermait les yeux, cachait son visage de ses mains et, tout à l'intérieur de lui-même, s'imaginait en train de dessiner. Une mine de plomb à la main, il traçait un premier trait, par exemple un ovale de visage ou une ligne d'épaule, puis un deuxième, comme s'il dessinait vraiment, et ainsi de suite jusqu'à ce que le dessin soit en place. Il le regardait alors avec intensité, ajoutait ici une ombre, là un dégradé, fronçait un regard, marquait une tension sur un muscle, exactement comme si tout ce qu'il faisait était réel. Après quoi il regardait le dessin en y mettant toutes ses forces, s'en imprégnait jusqu'au plus infime détail, et le déposait sur le haut d'une pile, imaginaire elle aussi, dans un coin précis de la pièce minuscule qu'il partageait avec son père.
Le plus étrange, lorsqu'il dessinait pour la pile, touchait à la violence des émotions qui le traversaient. Dans de tels instants, un sentiment de suprématie le portait tout entier. Rien ne lui semblait impossible. Il travaillait à la plume, au pinceau, ou à la mine d'argent, utilisait mille couleurs, donnait des effets d'ombre ou de clair-obscur, en un mot, il dessinait selon son bon vouloir. Il était, enfin, maître de sa vie.
 Elie est un personnage intéressant qui tire la leçon de ce qu'il a vécu. Il prend conscience qu'il a toujours été guidé par la vanité, qu'il a trahi tous ceux qui l'aimaient pour sa satisfaction personnelle. Ainsi, il s'est servi de sa peinture pour satisfaire ses désirs, son orgueil, au lieu de s'effacer derrière son art. Enfant, Elie méprisait son père, brisé par la misère, courbé par la maladie et les malheurs, sans énergie pour lutter. Ce n'est qu'à la fin du récit qu'il pourra l'accepter et le peindre : Il l'avait représenté en pauvre bougre, tel qu'il était. La vieillesse apporte à Elie la sagesse et la reconnaissance des véritables valeurs. 
Un roman très agréable donc, qui se lit avec beaucoup de plaisir. Pour les curieux j'ajouterai que, malgré les apparences, le personnage est fictif! Ce peintre n'a pas existé!
Le roman est souvent comparé à celui de Mathias Enard : Parle leur de batailles, de rois et d'éléphants  mais je préfère nettement celui-ci;

LIVRE VOYAGEUR :  inscrivez-vous!

Metin Arditi : écrivain suisse d'origine turque.

Voir l'article de Hélène Lecturissimo




Knister/ Eve Tharlet : Promis, c'est promis!



Promis, c'est promis! de Minedition est un très joli objet, un mini-livre dans un étui en carton décoré de fleurs printanières, laissant apparaître, par une ouverture circulaire, les deux personnages de l'histoire, Camille, la petite marmotte, et la fleur de pissenlit.

Les marmottes ont dormi tout l'hiver, aussi quand Camille se réveille, il est tout heureux de découvrir la nature dans son premier printemps. Au cours de ses promenades, il rencontre une fleur de pissenlit dorée et rayonnante qui va devenir son amie. Mais la fleur change rapidement et un jour elle arbore une jolie tête toute blanche. Lorsqu'elle lui demande de souffler sur elle, elle promet aussi à Camille que tout ira bien. Camille obéit et, à son grand désespoir, voit la fleur disparaître. Il est d'abord découragé mais... : " Promis, c'est promis", il doit faire confiance à son amie jusqu'au printemps prochain!

Le texte de Knister permet aux tout-petits de comprendre le cycle des saisons et de constater que le printemps préside à la renaissance des fleurs, au renouveau de la nature. C'est aussi un récit sur la confiance que l'on doit avoir entre de véritables amis.

Les illustrations d' Eve Tharlet sont tout en délicatesse et douceur, des teintes bleutées et froides pour l'hiver, pastels pour célébrer le renouveau de la nature et lumineuses et chaudes pour peindre la beauté de la fleur de pissenlit semblable à un soleil aux yeux de la petite marmotte.


Merci à la Librairie Dialogues pour ce joli petit album (à partir de 3 ans)

dimanche 12 février 2012

Kate Morton : Les brumes de Riverton et Captive de Margaret Atwood




 Les brumes de Riverton de Kate Morton est ce qu'il est convenu d'appeler une saga à propos d'une grande famille anglaise de l'époque victorienne. Il s'agit des Hatford qui possèdent le château de Riverton ou Grace, une jeune fille de quatorze ans, est embauchée comme bonne. Le récit est raconté de son point de vue lorsque, à l'âge de 98 ans et à la suite d'un film où la réalisatrice sollicite ses souvenirs, le passé remonte à sa mémoire avec ses moments heureux mais aussi ses  tragédies et ses secrets. Grace fait revivre l'adolescence des soeurs Hatford, Hannah et Emmelyne et de leur frère David. Elle raconte la vie de la domesticité mais aussi des maîtres à cette époque et nous livre les secrets de sa maîtresse Hannah qu'elle aime comme une soeur.  C'est bien sûr aussi son histoire que nous devinons en filigrane derrière le récit. A travers l'histoire des Hatford et de leur décadence, nous assistons à un changement de société et de mentalité avec les bouleversements  apportés par le changement de siècle et la guerre de 1914.

L'intérêt du livre tient pour moi à la connaissance historique de l'auteur, en particulier, des moeurs de l'époque victorienne que Kate Morton fait revivre devant nous. Je me suis intéressée à la vie de la domesticité dans une grande maison, aux préparations des repas et des fêtes, à la hiérarchie qui règne entre les domestiques aussi stricte que celle qui existe chez les Grands. Kate Morton nous dit qu'elle s'est inspirée entre autres, du film de Altmann, Gosford Park et, en effet, elle a su rendre cette atmosphère fébrile et solennelle qui fait d'un dîner une affaire d'honneur sinon d'état! La construction du récit est habile et bien menée puisque l'on ne comprendra qu'à la fin ce qui s'est réellement passé et pourquoi Grace se sent coupable. Les qualités du roman, facile à lire, "romanesque", histoire d'amour, jalousie, drames  ont plu puisqu'il est devenu un best seller. Personnellement, je l'ai lu sans déplaisir mais sans parvenir à me passionner entièrement pour ces personnages, peut-être parce qu'ils sont trop lisses, trop éloignés d'une réalité sociale qui était sans pitié pour les classes humbles.

On a comparé ce roman à celui de Margaret Atwood, Captive qui met en scène (à partir d'une histoire vraie) une servante, elle aussi dénommée Grace, accusée d'avoir tué son patron. Mais la ressemblance s'arrête là!  Pour moi, les deux romans ne sont pas  de la même force, n'ont pas la même ambition! Le roman de Margaret Atwood va beaucoup plus loin dans l'analyse sociale et psychologique des personnages. Atwood ne se contente pas de nous raconter une histoire comme le fait Kate Morton pour "faire plaisir", elle brosse un tableau très noir de la condition des femmes employées dans une grande maison et ses oeuvres sont en général un cri de protestation contre les violences qui leur sont faites et le mépris dans lequel on les tient. Lorsque Kate  Morton raconte la séduction d'une petite bonne (la mère de Grace) engrossée par le fils de la maison, elle montre le séducteur devenu vieux - toujours amoureux des années après- venir pleurer sur la tombe de la dulcinée qu'il n'a pu épouser. Quand Margaret Atwood écrit sur le même sujet, elle montre la jeune fille brisée, abandonnée avec mépris par celui qu'elle aime, chassée, se vidant de son sang jusqu'à la mort, à la suite d'un avortement pratiquée à la sauvette par un charlatan, une scène décrite avec un tel brio, une telle cruauté et en même temps une telle sobriété que le lecteur ne l'oubliera jamais.



Kate MORTON

Titulaire d'une maîtrise sur la littérature victorienne, férue de gothique, l'australienne Kate Morton est depuis toujours fascinée par les romans d'atmosphère. Son premier roman, Les brumes de Riverton, écrit à 29 ans, est un succès mondial, bientôt suivi par Le jardin des secrets paru aux Presses de la Cité. Mariée à un compositeur, elle est mère de deux enfants.



Ce livre a été lu dans le cadre du Challenge des 12 d'Ys sur les écrivains d'Australasie

Les autres écrivains  que j'ai lus dans la liste d'Ys et sur lesquels j'ai écrit un billet :

Un livre/ Un film : réponse à l'énigme N°21 William Irish, Fenêtre sur cour

 Fenêtre sur cour de William Irish


Le prix Hitchcock a été attribué à  : Aifelle Dasola Eeguab Jeneen Keisha Asphodèle Océane Somaja
Merci à Dominique Lire aujardin Maggie Miriam 
pour leur participation.
Le livre : William Irish  : Fenêtre sur cour
Le film Alfred Hitchcock  : Fenêtre sur cour James Stewart Grace Kelly

Cornell Woolrich(1906-1968) est plus connu sous son pseudonyme de William Irish. Il est l'auteur de nombreuses nouvelles qui ont été souvent adaptées au cinéma : La mariée était en noir et La sirène du Mississipi (François Truffaut) J'ai épousé une ombre (Robin Davis). La nouvelle Rear Window  traduit en français par Fenêtre sur cour paraît en 1942 sous le titre de It had to be a murder (Ce ne pouvait être qu'un meurtre), sous son titre définitif la même année et , en 1946, sous le titre Six times Death.

Ressemblances et Différences entre le film et la nouvelle

Le scénariste John Michale Hayes suit avec fidélité la trame narrative de la nouvelle, un homme immobilisé épie le comportement étrange d'un de ses voisins et finit par conclure qu'il s'agit d'un meutre. Mais la nouvelle ne peut suffire à la matière d'un film. Le scénariste a donc enrichi le récit initial. A partir de là, Hitchcock va imposer sa marque et réaliser une oeuvre toute personnelle. Le film va prendre une autre portée et une autre coloration.

Dans le scénario, Jeff est doté d'un  passé mais aussi d'un avenir. Dans la nouvelle nous savons seulement qu'il est immobilisé et qu'il est actif. Il n'y a pas de femme dans sa vie. Dans le film,  nous savons que Jeff est un grand reporter, qu'il aime l'aventure et hésite devant un mariage avec Lisa, la belle et séduisante Grace Kelly, car elle est tout ce qu'il n'est pas!  Il a peur d'une existence bien rangée et mondaine avec cette femme, incarnation de l'élégance et égérie de la mode New yorkaise. Il se laissera convaincre de l'épouser ( piéger serait peut-être le terme exact?) quand Lisa participe avec sang froid à l'aventure policière, mettant même sa vie en danger. Mais l'ironie Hitchcockienne intervient en montrant dans la dernière image, la jeune femme dissimulant une revue de mode sous un magazine de reportage


Les femmes ont une importance dans le film qu'elles n'ont pas dans la nouvelle où elles sont absentes. Dans le livre, en effet, le rôle de l'infirmière Stella (Thelma Ritter) est tenu par un homme à tout faire, Sam, qui  assure aussi celui de Grace Kelly en se rendant dans l'appartement du meurtrier. De fait, ce sont les femmes qui dans le film tirent les ficelles de l'action. Ce sont elles qui prennent des initiatives alors que le héros reste passif. Seul le personnage du détective, ami de Jeff, ne change pas.

La trame de la nouvelle est sèche comme le genre l'exige, réduite à l'action alors que le scénario du film va  partir dans plusieurs directions.  Car le film ne nous conte pas une histoire  mais  plusieurs : celles de la  jeune danseuse très courtisée, de la femme qui souffre de sa solitude et cherche l'amour,du couple de jeunes mariés. Ces derniers ne sont qu'esquissés dans la nouvelle alors qu'ils prennent dans le film  une importance extrême. En observant tous ses voisins Jeff révèle bien des choses sur les rapports amoureux, sur le mariage, le couple en général. Il introduit des thèmes chers à Hitchcock qui ne sont pas sous la plume de Irish, comme le voyeurisme juste effleuré par Irish, la culpabilité.

Enfin d'autres détails diffèrent aussi : dans la nouvelle Jeff est sauvé par le buste de Rousseau alors que dans le film Jeff est sauvé par l'éclair de son appareil photo, c'est le cinéma qui vient à bout de l'assassin. Et puis, marque de l'ironie hitchcockienne par excellence, si dans le livre Irish fait intervenir le médecin qui vient déplâtrer Jeff quand tout est fini, dans le film Hitchcock lui casse l'autre jambe!

Ainsi Hitchcock adopte une tonalité faite de dérision et d'humour. Le  film  est une comédie alors que la nouvelle "policière" d'Irish est franchement noire .


samedi 11 février 2012

Un livre, un Jeu : énigme n° 21



Wens de En effeuillant le chrysanthème et moi-même, nous vous proposons, le samedi, un jeu sous forme d'énigme qui unit nos deux passions : La littérature et le cinéma! Il s'intitule : Un livre, Un film.

Chez Wens ICI vous devez trouver le film et le réalisateur, chez moi le livre et l'auteur.

Consignes :  Vous pouvez donner vos réponses par mail (que vous trouverez dans mon profil) : Qui êtes-vous? et  me laisser un mot dans les commentaires sans révéler la réponse pour m'avertir de votre participation. Le résultat de l'énigme et la proclamation des vainqueurs seront donnés le Dimanche.


         Enigme 21

L'auteur a écrit de nombreuses nouvelles et romans policiers qui ont été souvent adaptées au cinéma. Aux Etats-Unis il est plus connu sous son véritable nom et en France sous son pseudonyme. La nouvelle qui a inspiré le film a été publiée la première fois sous un autre titre que celui qu'il a actuellement  : Ce ne pouvait être qu'un meurtre.

Je ne connaissais pas leur nom, je n'avais jamais entendu leur voix. A dire vrai, je ne les connaissais même pas de vue, car, à cette distance leurs visages étaient trop petits pour que je puisse identifier leurs traits. Et pourtant,  j'aurais pu établir un emploi du temps de leurs allées et venues et de lerus activités journalières.

vendredi 10 février 2012

Des mots une histoire : Mon dieu! Que le givre...

 Photographie de Véronique L.
  Participation à l'atelier  d'écriture d'Olivia : Des mots une histoire
En écrivant ce poème j'ai pensé aux roues de la rue des Teinturiers à Avignon prises dans le gel et à la Sorgue ou plutôt la Sorguette qui faisait fonctionner les roues actionnant les fabriques.
J'ai pastiché  ce vers que j'aime tant : Ah! comme la neige a neigé! du poète québécois Emile Nelligan  en le modifiant pour les besoins du poème :

Mon dieu! Que le givre a givré 

Dans la nuit mordante et lucide
Sous le précipice céleste
Mon dieu! Que le givre a givré
Pimentant de gel les étoiles,
patinoire aux diamants d'eau claire
Où l'otarie et la pie noire,
Figures chéries, rêves bleus,
s'amusent et rient aux éclats. 
A  Avignon, la Sorgue amère
du froid a lancé le blasphème
Frénétique en ce matin blême
le givre en aiguilles extrêmes
Comme un cactus s'est hérissé.
Mon dieu! Que le givre a givré!
A l'axe de des Roues du passé
comme un gage de dérision
 fleurissent, graines translucides
Qui de fleurs en fleurs s'élucident
Les feux d'artifice glacés.
J'ai ressenti dans le froid blême
Un appel de la Sorgue claire
Lorsqu'en sarabande brillante
En éclats de perles irisées
Ont tourné les Roues du passé.
Mon dieu! Que le givre a givré!


Voilà les mots qu'il fallait placer  aujourd'hui   dans l'atelier d'Olivia mais je ne suis pas arrivée à tous les intégrer : Cactus – documentaire – blasphème – chérir – pie – pimenter – matin – ressenti – gel – graine – bronchiolite – fromage – sarabande – mordant – gage – épaulette – dérision – givre – précipice – otarie – patinoire – nuit – excédent – frénétique

jeudi 9 février 2012

Civilisation : Une réponse de Montaigne

  

 
L’astrolabe d’Abû Bakr b. Yûsuf, XIIIe siècle.


 Civilisation : Etymologie : du latin civis, citoyen.

Sens n°1 :
Une civilisation est l'ensemble des caractéristiques spécifiques à une société, une région, un peuple, une nation, dans tous les domaines : sociaux, religieux, moraux, politiques, artistiques, intellectuels, scientifiques, techniques... Les composantes de la civilisation sont transmises de génération en génération par l'éducation. Dans cette approche de l'histoire de l'humanité, il n'est pas porté de jugements de valeurs.
Le sens est alors proche de "culture".
Exemples : civilisations sumérienne, égyptienne, babylonienne, maya, khmer, grecque, romaine, viking, arabe, occidentale...

Sens n°2 :
La civilisation désigne l'état d'avancement des conditions de vie, des savoirs et des normes de comportements ou moeurs (dits civilisés) d'une société. La civilisation qui, dans cette signification, s'emploie au singulier, introduit les notions de progrès et d'amélioration vers un idéal universel engendrés, entre autres, par les connaissances, la science, la technologie. La civilisation est la situation atteinte par une société considérée, ou qui se considère, comme "évoluée". La civilisation s'oppose à la barbarie, à la sauvagerie.
Le XXe siècle ayant montré que la "civilisation occidentale" (au sens n°1) pouvait produire les formes les plus cruelles de barbarie, il est indispensable de faire preuve de la plus grande modestie quant au degré de civilisation (sens n°2) atteint par notre société.
source


C'est déjà l'avis de Montaigne! En parlant des Cannibales du Nouveau Monde dans l'essai du même nom, Montaigne note que ceux-ci mangent leurs ennemis morts en signe de vengeance alors que les Portugais les torturent longuement et avec raffinement avant de les pendre!
Je ne suis pas marri que nous remarquons l'horreur barbaresque qu'il y a en une telle action*, mais oui bien de quoi, jugeant bien de leurs fautes, nous soyons si aveugles aux nôtres. Je pense qu'il y a plus de barbarie à manger un homme vivant qu'à le manger mort, à déchirer par tourments et par gênes un corps encore plein de sentiment, le faire rôtir par le menu, le faire mordre et meurtrir aux chiens et aux pourceaux (comme nous l'avons non seulement lu, mais vu de fraîche mémoire, non entre des ennemis anciens, mais entre des voisins et concitoyens, et, qui pis est, sous prétexte de piété et de religion)**, que de le rôtir et manger après qu'il est trépassé.
Nous les pouvons donc bien appeler barbares, eu égard aux règles de la raison, mais non pas eu égard à nous, qui les surpassons en toute sorte de barbarie.


 *le cannibalisme
** Quand Montaigne écrit les Essais, la France est déchirée par les guerres de religion

Percival Everett : Désert américain





Désert américain de  Percival Everett est  livre peu banal ! Ce qui en fait  l'originalité, c'est que l'écrivain part d'un fait rocambolesque pour mieux nous présenter la réalité américaine.

Theodore Larue, époux peu fidèle de Gloria, père de deux enfants, Emily et Perry, et professeur d'ancien anglais à l'université de Californie du Sud meurt dans un accident de voiture. Et non seulement, il meurt mais en plus il est décapité. Sa tête est hâtivement recousue à son corps afin qu'il fasse un cadavre convenable dans son cercueil..  Oui, mais voilà que pendant la cérémonie religieuse le cadavre se dresse (provoquant une émeute) et force est de constater qu'il est vivant! Un choc pour sa femme et ses enfants et  pour l'intéressé lui-même.  Les médias s'emparent de l'affaire attirant l'attention sur lui.  Ted  est  alors embarqué dans une histoire complètement farfelue et à rebondissements.

Percival Everett manie l'ironie d'une manière assez féroce. Ted Larue  meurt dans un accident alors qu'il est en route vers son suicide à la suite de ses échecs professionnels et conjugaux. Le récit se teinte d'un humour noir assez savoureux et  plein de détails  scabreux : la tête est recousue par l'embaumeur "à gros points serrés au fil de pêche bleu de quinze", couture grossière qui gêne notre héros quand il redevient vivant (on le comprend!). L'écrivain se délecte à nous raconter la réaction de la foule hystérique dans l'église et les rues avoisinantes, celle du voisin hargneux qui s'évanouit..  Les portraits satiriques des personnages comme celle du directeur du département de Ted à l'université  ou celui du gourou Big Daddy sont très réussis!

Mais on peut se demander pourquoi cette fable. Pourquoi Perceval Everett prend il pour porte-paroles "un mort en vie" pour présenter sa vision de la société ? Au-delà du rocambolesque, l'écrivain  nous dit que son personnage qui est revenu de la mort a gagné en lucidité. Sa vision est devenue autre, plus profonde, plus large, plus complète. Faut-il aussi ne plus avoir rien à perdre pour avoir le courage de démasquer les impostures et les crimes ? La mort est-elle nécessaire pour  y voir plus clair? Autrement  dit, nous, les vivants, serions-nous aveugles  à ce qui nous entoure? 

Sa mort avait changé sa conception de la vie. Sa résurrection avait enrichi sa personnalité, le faisant accéder à une dimension jamais atteinte de son vivant(...) Son regard était différent, sa façon de pencher la tête quand il observait le monde autour de lui, de se tourner, de montrer du doigt.

Car au-delà de l'humour, Ted devient un prétexte à la dénonciation de la société américaine. Et tout d'abord des journalistes et des médias charognards dont Ted et sa famille deviennent la proie. L'université et son système aléatoire de titularisation sont aussi remises en question. Ted travaille depuis neuf ans, ses évaluations d'enseignements sont parfaites mais il n'a pas publié de livre  et est en passe d'être remplacé par une jeune femme  de manière tout à fait arbitraire.  Par contre, il ne sera pas inquiété pour ses fautes réelles, ses relations sexuelles avec son étudiante. Les services secrets américains, les sectes religieuses et leurs dangereuses dérives, le clonage (et pas n'importe lequel grâce à l'imagination sans limites de Percival Everett ! )sont aussi au coeur de cette critique qui montre une société malade où les faibles sont opprimés.

Quand il meurt pour de bon, Percival Everett répond aux journalistes qu'il n'a pas de message à transmettre sur la mort après la vie. Il n'est pas Jésus, ni un ange, ni Satan, comme on a pu le dire. "La mort n'est pas une mauvaise chose", affirme-t-il, et c'est pourquoi il ne faut pas en avoir peur.

Ce roman n'est pas sans me rappeler le Testament de Ben Ziom Avrohom de James Frey, écrivain qui a lui aussi choisi la fable et la provocation pour composer un tableau de la société américaine au cours d'un  récit complètement fou .  

Merci à Keisha pour ce livre qui continue à voyager. Qui le veut?

mercredi 8 février 2012

Avignon : Rue des Teinturiers en Février 2012/ Félix Gras, Les Rouges du Midi




 La rue des Teinturiers est une des plus pittoresques d'Avignon avec ses grandes roues qui témoignent d'un temps déjà assez lointain où  elles tournaient encore pour faire fonctionner les fabriques des teinturiers. Mais il est rare de les voir ainsi prises dans la glace. Merci à  Véronique Lagarde qui a eu la gentillesse  de m'autoriser à publier ces photographies assez inhabituelles à Avignon!



Félix Gras : Les Rouges du Midi

Un passage du roman du félibre Félix Gras (1844-1901) "Les Rouges du Midi", décrit  cette rue au moment de la fête populaire et de l'élan révolutionnaire liés au rattachement du Comtat Venaissin à la France. Voici un extrait où l'on voit Pascal, le héros du roman, évoquer ses souvenirs de jeunesse. Il  nous semble alors revivre le passé de cette rue.

J'entrai avec la farandole par la rue Limbert et nous suivîmes la rue de Roues. En voilà une rue bizarre! La moitié est pavée pour laisser passer les gens et l'autre moitié sert de lit à la Sorgues, qui fait tourner les roues des fabriques des indienneurs et des teinturiers. Comme c'était grande fête, les teinturiers et les indienneurs avaient fermé leurs fabriques mais la rue était tapissée, depuis les toits jusqu'au ras du sol, de bandes indiennes bigarrées, rouges, bleues, jaunes, vertes, à grands ramages de fleurs; des milliers de jolis fichus de filles flottaient sur les séchoirs et les courroies qui traversaient la rue et faisaient ainsi comme des milliers de drapeaux et de festons et d'oriflammes, où le clair soleil, malgré le froid vif, se jouait étincelant. Et tout ce papillotement, avec le bourdonnement et le balancement de la foule qui nous emportait, le bruit de l'eau de la Sorgue qui clapotait comme un tourbillon de feuilles sèches, en s'écoulant des grandes roues alignées et qui tournaient lentement et semblaient marcher comme de grosses limaces en sens contraire de la foule, tout cela vous faisait clignoter, vous donnait les éblouissements du vertige. La foule  était encore plus serrée dans cette rue étroite et les farandoleurs ne pouvaient plus faire leurs entrechats à leur aise. De temps à autre on voyait apparaître leur tête au-dessus de la foule, ils essayaient en vain  de se remettre en danse à la cadence des tambourins qui ronflaient et des fifres qui s'égosillaient."

lundi 6 février 2012

Théophile Gautier : Histoire du Romantisme (3) le Petit Cénacle, Gérard de Nerval


Gérard, nous ne savons pourquoi, a toujours passé pour être paresseux comme une couleuvre. C'est une réputation qu'on a faite à bien d'autres qui ont travaillé toute leur vie et à qui on pourrait faire un bûcher de leurs oeuvres. Ce bayeur aux corneilles, ce chasseur de papillons, ce souffleur de bulles, ce faiseur de ronds dans l'eau menaient au contraire l'existence intellectuelle la plus active.
                                                         Théophile Gautier
Théophile Gautier par Célestin Nanteuil

Dans ce billet N° 3  sur Histoire du Romantisme  par Théophile Gautier (voir les billets 1 La bataille d'Hernani et  2) Le Petit cénacle )l'écrivain brosse avec un mélange de tendresse, de légèreté  et de gravité le portrait de son ami, membre du Petit Cénacle comme lui, Gérard de Nerval.Il faut saluer l'art de Théophile Gautier qui sait saisir les traits caractéristiques de son personnage avec un don de l'observation, une précision et un talent qui rappellent sa vocation et ses études de peintre, antérieures à son choix d'une carrière littéraire. Voilà comment le jeune Gérard se présentait aux yeux de ses amis du Petit Cénacle dans les années 1830 qui marquent le triomphe du Romantisme avec la bataille d'Hernani.

  
Quelquefois on l'apercevait au coin d'une rue, le chapeau à la main, dans une sorte d'extase, absent évidemment du lieu où il se trouvait, ses yeux étoilés de lueurs bleues, ses légers cheveux blonds déjà un peu éclaircis faisant comme une fumée d'or sur son crâne de porcelaine, la coupe parfaite qui ait jamais enfermé une cervelle humaine gravissant les spirales d'une Babel Intérieure.


Théophile Gautier a connu Gérard de Nerval sur les bancs du collège Charlemagne où il avait noué avec lui "une de ces amitiés d'enfance que seule la mort dénoue".
Gérard, de son vrai nom Gérard Labrunie, était un de ces jeunes prodigues, poète doué, qui a dix sept ans s'était déjà fait connaître par un coup d'éclat : la traduction du Faust de Goethe si brillante que le "l'olympien de Weimar avait daigné dire qu'il ne s'était jamais si bien compris." Cette réussite lui avait valu de connaître Victor Hugo et d'être reçu chez lui, honneur qui le parait aux yeux de ses amis d'un grand  prestige.

Gautier le décrit en 1830 comme un jeune homme toujours en train de rendre service, toujours en mouvement, qui  travaillait en marchant,  prenait des notes dans un petit carnet puis repartait ensuite au pas de course.

Cet esprit était une hirondelle apode. Il était tout ailes et n'avait pas de pieds, tout au plus une imperceptible griffe pour se suspendre un moment aux choses et reprendre haleine. Il allait, venait, faisait de brusques zigzags aux angles imprévus, montait, descendait, montait plutôt, planait et se mouvait dans un milieu fluide avec la joie et la liberté d'un être qui est dans son élément.

Gérard de Nerval est alors un rêveur qui aime la discrétion, qui se cache sous des pseudonymes et qui, contrairement à son ami au gilet rouge, s'habille de façon modeste pour passer inaperçu! A cette époque "sa destinée s'annonçait souriante" nous dit Gautier et il y  a en lui un rayonnement tel que tous ses amis l'appellent le "bon Gérard".

"Cette bonté rayonnait de lui comme d'un corps naturellement lumineux, on la voyait partout et elle l'enveloppait d'une atmosphère spéciale"

Ce n'est plus que tard que la vie de Gérard de Nerval en proie à la folie s'assombrit :

Rue de la Vieille-Lanterne

 Lithographie de Célestin Nanteuil publiée dans L'Artiste du 18 Février 1855.

Il n'avait encore rencontré ni l'escarbot roulant sa boule sur la route de Syrie qui lui parut d'un si mauvais augure, ni le hideux corbeau privé, commensal d'un pauvre ménage dont il accepta une tasse de vin dans la traversée de Beyrouth à Saint-Jean d'Acre, et qu'il regarda comme un message du malheur direct envoyé par le Sort*. Un corbeau familier croassait et battait des ailes aussi rue de la Vieille-Lanterne sur le palier de la rampe fangeuse, maculée de neige près des affreux bareaux, et peut-être à son heure suprême, le pauvre Gérard de Nerval, par un de ces sauts de pensée si fréquents aux moments solennels, se souvint-il du corbeau rencontré sur le pont du navire qui le fascinait de ses yeux fixes et fatidiques.**

*Dans Voyages en Orient

**A l'aube du 26 Janvier 1855, Nerval fut trouvé pendu aux barreaux d'une fenêtre, rue de la Vieille-Lanterne (disparue depuis) dans le quartier du Châtelet. Dans la description qu'il donna des lieux, dans Le Mousquetaire du 28 Janvier, Dumas mentionna la présence d'un corbeau.  Ce corbeau allait se trouver présent dans plusieurs représentations figurées du matin tragique.




Les oeuvres principales de Gérard de Nerval



dimanche 5 février 2012

Un livre, un Jeu : réponse à l'énigme n° 20 Antoine Blondin Un singe en hiver


Antoine Blondin

  Ont gagné le prix Bebel : Aifelle,  Asphodèle, Dasola,  Eeguab,  Gwenaelle, Keisha,  Jeneen, Lireaujardin, Myriam, Nanou,  Pierrot Bâton, Somaja.
  

 Le Livre : Un singe en Hiver  : Antoine Blondin
Le film : Un singe en Hiver :   Henri Verneuil  Jean-Paul Belmondo et Jean Gabin  A voir chez Wens
 Antoine Blondin (1922-1991 a reçu le prix interallié 1959 pour Un Singe en Hiver. Il est aussi l'auteur de L'Europe buissonnière (1953), L'humeur vagabonde (1955) Les enfants du Bon Dieu (1973) et  a obtenu le prix Goncourt de la Nouvelle pour Quat'saisons en 1975. Il est célèbre pour ses chroniques sportives : L'ironie du Sport ; chroniques de l'Equipe (1988). Il appartenait  au  mouvement des Hussards, groupe littéraire d'extrême-droite caractérisé par son opposition à Sarte, et à De Gaulle, notamment en ce qui concerne la guerre d'Algérie.

Extrait d'un article de Télérama à propos d'une réédition de deux romans :
Voilà donc vingt ans que Blondin a posé son dernier verre au comptoir des mots, mais sa légende reste aussi vivante que sa devise : « Remettez-nous ça ! » Il fut un remarquable chroniqueur sportif, un familier des cafés de Saint-Germain-des-Prés, un superbe écrivain surtout, même s'il n'écrivit que cinq romans, promettant toujours le sixième...  Cette réédition de deux d'entre eux - entourée de nombreuses photos, d'extraits de presse et de textes méconnus - permet de renouer avec son écriture mélancolique. Brillant, rigoureux, méticuleux sont les termes communs aux articles que lui ont consacrés Marcel Aymé, Paul Guimard ou Roger Nimier. C'est ce qui frappe le lecteur d'aujourd'hui : une façon d'agripper le réel et de l'ajuster au plus serré.
Je n'ai jamais lu qu'un roman d'Antoine Blondin et justement c'est celui-ci :  Un singe en Hiver.

La nuit Albert Quentin rêve de la Chine où, fusilier-marin, il descend le Yan-Tsé-kiang ou bien il revit les péripéties de la guerre et le serment adressé à Dieu et surtout à lui-même : "si je rentre dans mon hôtel" occupé par les Allemands,  "jamais plus je ne toucherai à un verre, jamais plus!".
 Le jour, il  est propriétaire d'un modeste hôtel-restaurant dans une petite ville de Normandie Tigreville. Il ne boit plus  même s'il est toujours en lutte avec ses vieux démons et mène une vie tranquille auprès de son épouse Suzanne,  une existence bien réglée, faite de petites habitudes  et de ... beaucoup d'ennui!
Gabriel Fouquet, parisien, est installé depuis plusieurs semaines dans l'hôtel des Quentin. Le couple, sans enfants, commence à le considérer un peu comme leur fils. Publicitaire, il ne se remet pas d'une rupture amoureuse. Il a une fille, Marie, treize ans, d'un premier mariage, qui est élève dans un pensionnat à Tigreville.  Fouquet observe sa fille de loin pour la regarder vivre. Et il boit. 

L'amitié :
Cette amitié est pour moi,  avant tout, l'alliance momentanée de deux solitudes. Le même mal de vivre unit ce vieil homme apparemment rangé et le jeune homme déboussolé. Tous deux ont des rêves irréalisables. Ils sont tous deux comme ces singes dont parle Quentin égarés dans les villes loin de leurs forêts:
aux Indes, ou en Chine, quand arrivent les premiers froids, on trouve un peu partout des petits singes égarés là où ils n’ont rien à faire. Ils sont arrivés là par curiosité, par peur ou par dégoût. Alors, comme les habitants croient que même les singes ont une âme, ils donnent de l’argent pour qu’on les ramène dans leurs forêts natales où ils ont leurs habitudes et leurs amis. Et des trains remplis d’animaux remontent vers la jungle."

Quentin s'ennuie dans cette vie étriquée où il ne peut plus avoir d'aventures qu'en rêve, où le seul voyage annuel qu'il accomplit sur la tombe de son père est planifié, où il apprend par coeur les lignes de chemin de fer pour aller à Madrid sans jamais y avoir mis le pied. C'est pourquoi il dit à sa femme Suzanne qui s'inquiète  car elle devine la tentation que Fouquet peut exercer sur son mari :

Je ne vois pas en quoi ce que tu sais de M. F. peut te rassurer. En revanche, à ta place, je m'inquiéterais d'avoir un mari qui vient de découvrir que tout ce qui était rassurant était ennuyeux, comme ces souvenirs qui nous entourent, dont on ne peut rien retrancher, auxquels on ne peut rien ajouter, parmi lesquels nous allons bientôt prendre la pose à notre tour; car nous arrivons à la dernière étape de  notre vie.. Alors de l'imprévu, moi, brusquement, j'en demande encore et je le prends où il se trouve. Je ne veux pas qu'à mon côté on s'acharne à le réduire sitôt qu'il se présente.

Pour lui, Gabriel représente ce fils qu'il n'a pas pu avoir et qui aurait pu, peut-être, donné un sens à sa vie et enrichir sa vieillesse. Mais il représente aussi la jeunesse, un autre lui-même, un homme qui n'est pas encore résigné, un homme qui est encore capable de folie, qui trouve dans l'alcool une démesure qui rend moins terne la vie et le chagrin.

Gabriel Fouquet a trente cinq ans. Il vient de rompre avec sa seconde épouse Claire. La publicité dont l'ennuie et il rêve d'être toréador, de combattre dans une corrida. L'Espagne est le pays de référence, celui où il partait chaque année avec Claire. Il n'a pas mieux réussi avec sa fille, Marie, pour qui il a été un père absent et qu'il observe de loin sur la plage où on amène promener les élèves du pensionnat. Sa vie est donc un échec, l'ivresse est pour lui ce qui "embellit l'existence". Quentin pourrait être pour lui un père, il l'appelle même ironiquement "papa" au cours de sa beuverie et il observe chez ce vieil homme des restes d'un incendie mal éteint. 
Ce qui est respectable chez les gens âgés n'est pas ce vaste passé qu'on baptise expérience, c'est cet avenir précaire qui impose à travers eux l'imminence de la mort et les familiarise avec de grands mystères. Là, il me semble que mon ami a baissé les bras un peu vite.

Il est aussi très conscient de la tentation qu'il représente pour Quentin et il décide de le "pervertir", de venir à bout de cette volonté que Quentin oppose à l'alcool mais aussi à  ce qui le rattache à la vie.
Une épreuve de forces était ouverte devant laquelle il ne pouvait se dérober. Je ne suis pas venu pour te détruire mais pour te réveiller.
Le "réveil" de Quentin donnera au cours d'une cuite mémorable  les deux scènes clefs du roman que Verneuil a repris avec bonheur : La corrida de Fouquet avec les voitures et le feu d'artifice improvisé sur la plage

Un style
La prose d'Antoine Blondin peut-être  belle et évocatrice comme dans ce premier chapitre :
Une nuit sur deux, Quentin Albert descendait le Yang-tsé-kiang dans son lit-bateau : trois mille kilomètres jusqu'à l'estuaire, vingt-six jours de rivière où on ne rencontrait pas les pirates, double ration d'alcool de riz si l'équipage  indigène négligeait de se mutiner. Autant dire qu'il n'y avait pas de temps à perdre. Déjà, la décrue du fleuve s'annonçait aux niveaux d'eau établis par les Européens sur les parois rocheuses; d'une heure à l'autre, l'embarcation risquait de se trouver fichée dans le limon comme l'arche de Noé sur le mont Ararat. Ou lorsqu'il parle des singes égarés ddans les villes

Cette prose alterne avec des phrases ramassées, courtes qui ont une force qui  frappe :
Si quelque chose devait me manquer, ce ne serait pas le vin mais l'ivresse.