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dimanche 12 juin 2011

Elizabeth Gaskell : Nord et Sud



Elizabeth Gaskel
Il fut une période ou les romans des écrivains victoriens étaient introuvables en traduction française. Depuis quelques années, je les vois arriver à la bibliothèque Ceccano d'Avignon où le budget livres est pourtant et malheureusement assez réduit! Mais bref! Je viens d'y emprunter Nord et Sud d'Elizabeth Gaskell aux éditions Fayard dans une traduction qui date de 2005.
Cette écrivain qui a commencé à écrire en 1848  a eu un grand succès à son époque; puis elle est tombée relativement dans l'oubli. En France, nous dit Françoise du Sorbier, auteur de la préface du livre, on n'a d'abord vu en elle (critique de 1929) que  :" l'expression  d'une sensibilité féminine nécessairement suave, voire mièvre." Dans les années  1950, par contre, "sur le rebond de la critique marxisante, on a recommencé à s'intéresser à elle comme à la romancière des problèmes sociaux.".
Les deux aspects du livre existent et forment  un roman passionnant, mêlant une analyse au scalpel des sentiments amoureux et des "intermittences du coeur", à la manière d'un Marivaux (ou d'une Jane Austen!), et une analyse sociale d'une acuité surprenante et d'une modernité à laquelle on ne s'attendrait pas de la part d'une fille et femme de pasteur en ce milieu du XIXème siècle.  Mais Elizabeth Gaskell dotée d'une vive intelligence, n'est ni conformiste ni conventionnelle. Elle connaît bien ces milieux industriels et a fréquenté, nous dit-on, des hommes politiques et des réformateurs sociaux.
Sa manière de peindre la condition ouvrière tient à la fois de sa sensibilité de chrétienne qui réagit aux malheurs et à la misère de cette classe sociale mais aussi d'un regard affranchi et lucide qui sait voir au-delà des apparences. Sous la pauvreté et la crasse, elle distingue la dignité de ces ouvriers, la fierté du travail bien fait, l'orgueil de leur condition. Le personnage de Higgins est hors commun, lui qui parle d'égal à égal à Thornton parce qu'il se sait un ouvrier compétent, courageux et dur à la tâche et qu'il reconnaît en son patron un homme de la même trempe. Gaskell a l'art de camper ses personnages, de les faire vivre dans leur simplicité avec le manque de raffinement liéé à leur situation, mais aussi dans leur honnêteté, et leur dignité. Elle a l'art aussi de faire parler les ouvriers dans une langue familière et populaire qui tord parfois la grammaire mais qui est imagée, pleine de répartie et d'humour. Les dialogues sont donc souvent des morceaux de choix qu'il faut déguster. Bien sûr, ce n'est pas une révolutionnaire mais elle exprime une idée, qui, pour être une utopie au XIXème siècle, n'en est pas moins intelligente. Les rapports conflictuels entre patrons et ouvriers ne profitent ni aux uns ni aux autres puisque que les intérêts des uns comme des autres sont communs. Elle souligne la nécessité pour les deux classes d'une négociation qui éviterait le conflit tout en  essayant de satisfaire les deux parties.
L'histoire d'amour entre Margaret et Thornton, elle aussi est conflictuelle car tous deux n'ont pas les mêmes idées politiques. Chacun fait preuve vis à vis de l'autre de beaucoup d'orgueil et de préjugés comme les  personnages de Darcy et Elizabeth de Jane Austen. Margaret, venue du Sud rural et champêtre, n'aime pas les manufacturiers du Nord de l'Angleterre qui sont matérialistes et ne pensent qu'à gagner de l'argent au détriment des ouvriers. Elle finira par reconnaître le travail énorme qu'ils accomplissent, les compétences et l'intelligence dont ils font preuve, les risques qu'ils prennent (Thornton, en faillite,verra détruit le travail de longues années)... Thorton ne voit d'abord en Margaret que son orgueil de classe, son parti-pris contre le Nord, et son manque de compréhension par rapport au travail industriel. Il est plein de préjugés envers les ouvriers qu'il ne connaît pas et méprise. Il pense qu'ils méritent leur sort. Lui aussi devra changer pour obtenir Margaret. Une fin heureuse, on s'en doute, plaira aux romantiques dont je fais partie. Un beau roman donc, agréable à lire et surprenant par son sujet.




Anthony Troloppe : Phinéas Finn

 
Phineas Finn est un un roman d'apprentissage comme il en y eut beaucoup en France et en Angleterre au XIXème siècle. Nous sommes en 1865. Phinéas Finn, un jeune irlandais, fils de médecin, après avoir fini ses études de droit, se lance dans la politique et devient député dès l'âge de 25 ans. Rapidement il connaît des succès politiques et mondains surtout auprès des femmes et il est reçu parmi les plus grandes familles du royaume. Pourtant sa classe sociale relativement modeste ne lui permet pas de faire de la politique (les députés anglais devaient avoir une fortune personnelle à l'époque car ils ne recevaient pas de salaire) Aussi Phinéas accepte d'entrer au gouvernement. Il devient ministre avec une rente annuelle confortable mais il perd son indépendance. Va-t-il perdre toute moralité et voter contre sa conscience surtout quand il s'agit de son pays l'Irlande? Va-t-il épouser une femme qu'il n'aime pas parce qu'elle est riche alors qu'il n'a pu obtenir la main de la femme qu'il aimait à cause de son manque de fortune. Ce sont toutes ces questions qui se posent à lui. On pense bien sûr à Rastignac ou Lucien de Rubempré... Mais le jeune homme malgré ses faiblesses reste attachant car il peut sacrifier son ambition à son sens de l'honneur. Troloppe dénonce aussi à travers le personnage de Lady Laura, mal mariée, la difficulté de la condition féminine que son statut inférieur à l'homme livre pieds et poings liés aux volontés de son mari.
Les débats politiques et la réforme électorale mise en place en Angleterre puis en Irlande à cette époque occupent une grande place dans le roman. Mieux vaut réviser son Histoire avant de le lire ou alors s'accrocher! Mais on y arrive! et finalement la thèse de Trollope est évidente. Il met en valeur l'hypocrisie des hommes politiques, qu'ils soient conservateurs ou libéraux, tous issus des mêmes milieux et finalement peu différents les uns des autres. Finalement, un roman d'actualité!!


Thomas Hardy : Le retour au pays natal


Femme au rêve éveillé de John Waterhouse

Le retour au pays natal, un roman de l’enfermement

Le retour au pays natal de Thomas Hardy est une oeuvre passionnante dont l'atmosphère et les personnages sont étonnants. Alors qu'il s'ouvre pour le lecteur sur un paysage évoquant de grands espaces, alors que tous les protagonistes de l'histoire et surtout la jeune héroïne du roman rêvent de liberté, il est curieusement un roman de l'enfermement.
Le récit est assez complexe, tout comme les personnages, et il ne faut pas en dévoiler toute l'intrigue qui présente de nombreux rebondissements*.  En voici la trame :

L'histoire se déroule dans une région reculée et sauvage, la lande d'Egdon, dans le Wessex, où Thomasine, nièce de Mrs Yeobright, va se marier,  malgré les réticences de sa tante, avec Damon Wildeve. Celui-ci ne manque pas de charme mais c'est un jeune homme peu sérieux et il hésite à épouser Thomasine car la très belle Eustacia le tient sous le charme. Quant à Eustacia, jeune citadine venue habiter chez son grand père dans ce lieu perdu, à la mort de ses parents, elle rêve de passion, d'aventures et désire plus que tout échapper à cette lande austère. Aussi lorsque le fils de Mrs Yeobright, le beau et brillant Clim, revient de Paris où il est diamantaire, elle est toute prête à tomber amoureuse de lui. Et Clim d'elle! Wildeve délaissé retourne à Thomasine et Eustacia et Clim se marient bravant l'interdit de la mère. Mais Clim n'a pas du tout l'intention de retourner à Paris et aime son pays natal où il veut s'installer définitivement. Eustacia va vite être déçue par son mariage. Tous les éléments sont rassemblés pour former une tragédie que je vous laisse découvrir.

Un pays exceptionnel pour décor
Un lieu  vaste et hanté
J'ai adoré ce roman tout d'abord par l'atmosphère étrange et mystérieuse que Thomas Hardy parvient à créer en décrivant le cadre de l'action. La description de cette lande magnifique et sauvage met le lecteur en symbiose avec ce lieu de tous les possibles, lieu vaste et hanté par les voix du vent dans les bruyères, par les  esprits d'une ancienne civilisation disparue, les celtes, dont le tumulus s'élève au-dessus du village en témoin silencieux. Le 5 Novembre, quand le pays plonge dans la nuit hivernale, les habitants allument des feux qui se répondent d'une hauteur à l'autre en créant une fantasmagorie d'ombres et de lumières.
Un choeur de tragédie antique
Dans cet endroit qui paraît hors du temps, Hardy dresse des portraits de villageois pleins de vie et de malice qui témoignent de sa part d'une grande connaissance de la vie paysanne, des croyances et des suspertitions, et des activités agricoles de la région, entre autres, la coupe des joncs. Ces personnages secondaires, pleins de saveur forment comme un choeur antique qui commente la vie des principaux protagonistes de l'action et constitue un  des plaisirs de la lecture.
Un lieu  d'enfermement
Mais si la lande est un lieu de toutes beautés, vaste, libre et ouvert, où les gens doivent parcourir des miles pour pouvoir se rencontrer, il est aussi et paradoxalement un lieu d'enfermement pour ceux qui, comme Eustacia, ne l'aime pas. Car il  est impossible à la jeune fille de s'en échapper sans l'appui d'un mari.

La condition féminine : un enfermement par les lois sociales et religieuses

C'est un des thèmes du roman que je trouve aussi très intéressant, celui de la condition féminine dans l'Angleterre victorienne, un sujet que Hardy a souvent traité, ne serait-ce que dans Tess d'Uberville considéré comme son chef d'oeuvre.
Thomasine
Thomasine est le personnage de la jeune femme douce et mesurée. Elle intéresse moins Hardy qui la fait un peu disparaître au profit d'Eustacia. Mais c'est aussi une victime de la société. Parce que son mariage est provisoirement reporté et qu'elle s'est trouvée seule avec son futur mari, elle doit absolument l'épouser pour "réparer" ... une faute qu'elle n'a  pas commise. Elle se marie donc avec Damon Wildeve alors qu'elle commence à douter de lui et à comprendre sa véritable personnalité. Ensuite, elle est entièrement soumise à lui, même s'il ne lui donne pas d'argent pour vivre et courtise Eustacia.
Eustacia
La belle Eustacia peut paraître antipathique avec son orgueil démesuré, la conscience affichée de sa supériorité sociale et intellectuelle et de sa beauté physique. Mais c'est une fille qui a du caractère, intelligente, audacieuse, fantasque, qui rejette les conventions hypocrites d'une société puritaine. C'est pourquoi elle est considérée comme une sorcière par les paysans et mal vue de la "bonne" société. Romantique, elle souhaite vivre une grande passion mais, par contraste, sa chasse au mari paraît  trop réfléchie et intéressée. Cependant, elle a des excuses! Il faut considérer que la femme est à cette époque une éternelle mineure, qu'elle ne peut attendre la réalisation de ses aspirations que de son mari. Si celui-ci les lui refuse, elle doit se soumettre.  La femme est donc prisonnière des lois de l'Angleterre victorienne, enfermée dans les conventions religieuses et sociales.

Des personnages égocentriques : un enfermement en soi-même
D'ailleurs c'est ce que fait son mari, Clim Yeobrigth. Désireux de réaliser son rêve d'une vie autre, dans son pays natal, il se préoccupe  peu de savoir si sa femme est malheureuse. Egoïste, son amour n'est pas assez fort pour l'amener à modifier son attitude  et tenir compte des désirs de sa femme. Eustacia, de même, n'essaie pas de s'intéresser à son projet et lorsque son mari est malade a bien peu de commisération.
Ainsi presque tous les personnages principaux du roman sont égocentriques et, pour cela peu, d'entre eux sont entièrement sympathiques. Mais à l'inverse, aucun n'est totalement antipahique!
Damon Wildeve est prêt à sacrifier Thomasine et son enfant à une femme dont on se demande, au départ, s'il l'aime vraiment ou si c'est un caprice passager. Mais il a dans une certaine mesure un code d'honneur bien à lui et ne manque pas de courage pour sauver celle  qu'il aime.
Mrs Yeobright se fâche avec son fils parce qu'il ne veut pas continuer la brillante carrière qu'elle attendait de sa part et parce qu'il épouse Eustacia. Certes, elle a raison quant à l'avenir de ce mariage mais elle ne fonde son aversion pour Eustacia que sur les "on dit" et les conventions. Il est vrai qu'elle sera la première à chercher à se réconcilier car l'amour maternel est le plus fort.
Enfermés dans leur logique, les personnages poursuivent leur propres intérêts et  par conséquent sont souvent seuls. Ils sont pourtant capables d'amour et de pardon mais porte en eux une dimension tragique qui voue à l'échec leurs élans  : ainsi Clim pardonne deux fois, à sa mère et à sa femme, mais le pardon arrive toujours trop tard.

L'homme au rouge, un personnage hors commun
Un personnage échappe à cette règle : " l'homme au rouge", Diggory Venn,  ainsi appelé parce qu'il vend de la craie rouge pour marquer les moutons, un métier en voie de disparition avec l'apparition du chemin de fer, note Thomas Hardy. Il est rouge de la tête aux pieds, une teinture tenace que l'on ne peut faire disparaître avant plusieurs mois.
Venn aime Thomasine  et aurait bien aimé l'épouser. Mais repoussé par la jeune fille, il est prêt à tout faire pour que celle-ci trouve le bonheur avec celui qu'elle aime.
C'est un personnage réel mais qui paraît surnaturel. Il semble surgir de n'importe où, à n'importe quel moment, tel un justicier qui veille sur Thomasine et est toujours prêt à intervenir. Un justicier ou un ange gardien? Un peu diable pourtant  à cause de sa couleur :  dans les campagnes, on fait peur aux enfants avec l'homme au rouge qui viendra les emporter...   C'est un personnage qui ne paraît pas tout à fait humain et T Hardy avait prévu de le faire disparaître à la fin sans que l'on sache ce qu'il était devenu. Ce qui aurait été logique mais les impératifs de l'édition en a voulu autrement et c'est dommage car il apportait un  touche fantastique au roman.
Voilà donc tous les éléments de ce très beau roman qui procure à sa lecture un long moment de bonheur.

* il vaut mieux éviter la lecture de la quatrième de couverture des éditions Le Rocher pour la traduction française qui dévoile le dénouement.
 
 

samedi 11 juin 2011

Concours de la nouvelle George Sand 2011 de Déols en Berry


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Puisque je suis plongée, en ce moment, dans la lecture de George Sand, je veux signaler ce concours que j'ai découvert récemment : Concours international de la nouvelle George Sand de Déols en Berry
Ce concours a été fondé en 2004 et a lieu chaque année en hommage à l'écrivain, à son combat humaniste en faveur des femmes et aux valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité que George Sand a défendues. Il a pour but de promouvoir la langue française.
Le Concours international de la nouvelle George Sand de Déols en Berry est ouvert à toutes les femmes sans distinction de lieu de naissance ou de résidence.
Le Concours étant attaché à promouvoir la langue française, les règles d'orthographe et de grammaire doivent être respectées. Les textes doivent répondre aux exigences génériques de la nouvelle : la simplicité de l'intrigue, une action resserrée autour de quelques personnages, l'existence d'une chute sont autant d'éléments qui garantissent la brièveté et la force de la nouvelle.
Mais surtout, les textes distingués le seront pour leur qualité littéraire : le jury prête une attention particulière à l'originalité de l'histoire et du style, à l'efficacité de la narration, à la puissance ou à la beauté de l'écriture.
La septième édition du concours propose le thème suivant : Frontière(s). Les candidates peuvent envoyer leur texte jusqu'au 30 Juin 2011.
Je  renvoie au règlement du concours pour celles qui sont intéressées.
A vos plumes! Devrais-je dire : A vos claviers!

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logo-challenge-la-nouvelle5.1304787274.jpg de Sabbio
challenge-george-sand1-1.1304787241.jpg de  George

George Sand : Nouvelles (2) Metella et Mattea


 Metella
Dans la première partie de Metella, George Sand crée un personnage de femme belle et intrépide, installée à Florence, Lady Metella Mowbay mais qui, passé un certain âge, craint de perdre son amant, le comte de Buondelmonte. Le comte, d'abord jaloux et blessé dans sa vanité par la crainte de voir un jeune rival le supplanter, le jeune suisse Olivier en visite à Florence,  finit par rompre. Dans la société du XIXème siècle,  George Sand dénonce l'absence d'amour véritable et la vanité égoïste des hommes. Une femme n'a de valeur que si elle flatte l'orgueil de son amant et lui permet de briller en société. Comme dans Lavinia ou Pauline, les hommes confondent amour avec  amour propre. Mais les relations entre femmes sont terribles aussi. Quand Metella est abandonnée par le comte, ses "amies" se réjouissent et la raillent, tout comme le faisaient celles de la Marquise.. Malheur à celle qui devient vieille et qui ne parvient plus à plaire!
Dans la seconde partie, Metella vit en Suisse au bord du lac Léman avec Olivier. Elle l'appelle "mon fils", lui "ma mère" (allusion à Jean Jacques Rousseau?) mais ces relations sont un peu incestueuses! Leur tête à tête est interrompue par la venue de Sarah, la nièce de Metella qui sort du couvent. Celle-ci naïve croit que le jeune homme est le fils adoptif de sa tante. Les deux jeunes gens, comme l'on doit s'y attendre, finissent par s'aimer. Metella, d'abord jalouse de Sarah, parvient à dominer ses sentiments et continue à offrir protection et affection à la jeune fille. Mais une union comme celle-là serait scandaleuse. Olivier le comprend et part de son plein gré. Le portait de cette femme vieillissante deux fois abandonnée n'est pas sans grandeur. Metella finit par dominer la souffrance et par trouver dans l'amour  qu'elle éprouve envers sa nièce une raison de vivre et atteint à la sérénité. Ce qui est sûr, c'est que ce n'est pas avec  un homme que la femme peut trouver la paix.

Mattea
Mattea est la seule nouvelle de ce recueil qui finit bien. La jeune héroïne, Mattéa, se libère de la tutelle oppressante de ses parents, commerçants vénitiens, et de la brutalité de sa mère; elle s'enfuit de Venise, à bord du navire de Abdul, riche marchand turc, sous la protection du jeune grec, Timothée, employé d'Abdul, qui veut l'épouser. Elle arrive en Grèce où elle travaille pour gagner sa vie. Elle épouse Thimotée. A la mort de sa mère elle revient s'installer à Venise avec son mari et elle obtient le pardon de son père, Zacomo.
Il s'agit d'une "fantaisie", "une turquerie" comme on le disait du temps de Molière, très à la mode aussi au XVIIIème et que George Sand reprend à son actif. Ce récit, romanesque à souhait, ne peut être pris au sérieux car les aventures de Mattea sont plutôt rocambolesques. L'intrigue pourrait être facilement transposée au théâtre tant les scènes clefs, dont certaines sont presque entièrement dialoguées, prêtent au rire : Zacamo dont le chapeau est emporté par le vent tombe dans la barque de la princesse, Thimotée, le jeune grec, s'amuse franchement de la cupidité de Zacomo en lui faisant croire que Abdul réclame son argent. Veneranda qui refuse d'avouer son âge se croit aimée de Thimotée qui n'est là que pour les beaux yeux de Mattea. Le  Turc, Abdul, préfère la mère qui est une  grosse matrone à l'exquise jeune fille jugée trop maigre! Les personnages obéissent eux aussi à des types théâtraux : la jeune première idéaliste mais au caractère affirmé  qui n'a pas froid aux yeux, le jeune premier, Thimotée, habile et malin, une sorte de Figaro qui domine son maître Abdul, le père avare, la méchante marâtre...
Pourtant, les thèmes que George Sand aborde sont très sérieux :  Le mariage forcé car la mère veut marier sa fille à un cousin qu'elle n'aime pas; les rapports entre mère et fille qui rappellent ceux que George entretenait avec sa propre mère; le désir d'indépendance de Mattea qui n'hésite pas à braver les conventions sociales. Enfin l'on y retrouve une critique sociale vive et pleine d'ironie : cupidité du marchand Zacomo qui utilise sa fille Mattea comme appât sexuel auprès de Abdul. Ridicule de la princesse Veneranda qui refuse de vieillir, enfermée dans son égoïsme et sa richesse.
Enfin cerise sur le gâteau, une belle description de Venise!
J'ai déjà résumé Pauline ici
Voir Mattea chez Kathel





George Sand : Pauline


Pauline est un court roman de George Sand qui décrit en peu de pages mais avec une plume énergique et forte les tourments intérieurs d'une jeune fille, héroïne éponyme du roman, et ses relations avec son amie Laurence.
Dans la première partie qui se passe en province, Laurence qui est devenue une actrice célèbre revient par hasard à Saint-Front, la ville qu'elle a quittée pour aller vivre à Paris. Elle décide de rendre visite à son amie Pauline dont elle n'a plus eu de nouvelles depuis son départ.
Laurence vit dans l'aisance, ce qui lui permet d'assurer le confort matériel de sa mère et de sa soeur. Pauline, elle, vit dans la solitude et l'austérité et soigne sa mère aveugle. Les deux jeunes filles, en se retrouvant, renouent immédiatement avec leur amitié mais il ne faut pas longtemps pour que Laurence s'aperçoive de la souffrance morale et matérielle de Pauline. Aussi lorsque la mère de cette dernière meurt, Laurence croit bien  faire en invitant Pauline à venir partager sa vie à Paris. La seconde partie se déroulera donc dans la capitale. Mais comment réagira Pauline face à la vie brillante de son amie admirée de tous; comment vivra-t-elle l'hospitalité pourtant désintéressée de Laurence et sa réussite?
La première partie rend compte de la vie grise, monotone, terne d'une petite bourgade provinciale dans laquelle on croit reconnaître La Châtre, ville que George Sand jugeait laide et sans ouverture.  L'écrivain peint avec brio et humour l'esprit de ces petits bourgeois étriqués et moralisateurs. Toujours prête à dénigrer la morale des comédiens, toute cette clique bien-pensante vient ensuite, pour tromper son ennui et en constatant la réussite de Laurence, lui  faire sa cour et se prévaloir d'être son amie! Les scènes provinciales décrites par George Sand tiennent de la meilleurs comédie de moeurs. Le lecteur ne peut s'empêcher de sourire quand, au cours du dîner où Pauline et sa mère ont convié le Maire pour lui faire rencontrer Laurence, on voir arriver Madame la mairesse qui passait par là, par hasard, puis une seconde, une troisième visite... jusqu'à ce que le salon soit bondé! Ce qui fait déclarer à la mère de Pauline :
Oui-da, mesdames, je me porte mieux que jamais puisque mes infirmités ne font plus peur à personne. Il y a deux ans que l'on n'est venu me tenir compagnie le soir et c'est un merveilleux hasard qui m'amène toute la ville à la fois.
George Sand dénonce donc les travers de la vie provinciale  et ceci  d'une dent acérée qui prouve qu'elle a eu à souffrir elle-même de cet état d'esprit  :
Quoi qu'on dise à cet égard, il n'est point de séjour où la bienveillance soit plus aisée à acquérir, de même qu'il n'en est pas où elle soit plus facile à perdre. Le temps est un grand maître; il faut dire en province que c'est l'ennui qui modifie, qui justifie tout.
A côté de cette dénonciation sociale, George Sand explore l'âme humaine avec une perspicacité et une clairvoyance qui font froid au dos. En adoptant le point de vue de Laurence, l'écrivain laisse deviner, en effet, la vérité sur les relations de Pauline, fille exemplaire, avec sa mère aveugle. Peu à peu sous les gestes de dévouement de son amie, Laurence voit percer l'impatience, la rancoeur de la jeune fille qui n'a plus de vie personnelle. Sous l'affection de la vieille dame pointe l'égoïsme de la malade qui sait qu'elle sacrifie sa fille et au final sa peur d'être abandonnée.
La seconde partie présente la vie parisienne et nous voyons évoluer plusieurs spécimens d'hommes que j'ai déjà rencontrés dans mes lectures sandiennes, celui de l'ami fidèle et désintéressé, ici le vieil acteur Lavallée. Et  celui du dandy superficiel et mondain, Montgenays, incapable d'aimer vraiment et pour qui les conquêtes féminines sont surtout un moyen de briller dans le monde. Ce Montgenays n'est pas sans rappeler le héros de Indiana, Raymon. L'attitude de Pauline envers lui ressemble aussi à celle d'Indiana et révèle un manque  de lucidité voire d'intelligence difficile à accepter. Les ressorts qui permettent à Montgenyas d'abuser Pauline tiennent plus, en effet, du  mélodrame que du roman de moeurs.
Ce que j'ai préféré dans cette seconde partie, c'est l'étude psychologique toujours aussi fine qui étudie les progrès de la jalousie dans l'âme de Pauline. C'est ici que Pauline devient vraiment l'héroïne du roman car ce sont ses sentiments qui font évoluer l'action et conduisent à ce naufrage d'une amitié que Laurence ne peut rien faire pour éviter.
La morale, écrit George Sand, s'il faut en trouver une, c'est que l'extrême gêne et l'extrême souffrance sont un terrible milieu pour la jeunesse et la beauté. Un peu de goût, un peu d'art, un peu de poésie, ne seraient point  incompatibles, même au fond des provinces, avec les vertus austères de la médiocrité.



Challenge initié par George Sand


George Sand : Nouvelles (1) La Marquise et Lavinia

Dans ce recueil Editions Des femmes de Eve Sourian sont réunies cinq nouvelles que  Georges Sand  a écrites à l'âge de trente ans quand la jeune femme, après avoir quitté son mari, Casimir Dudevant, se rend à Paris et cherche sa voie pour devenir indépendante en gagnant sa vie. C'est à ce moment qu'elle découvre sa vocation littéraire. Le "métier d'écrire" devient une passion et elle écrit énormément "avec autant de facilité dit-elle que je ferai un ourlet". C'est une période douloureuse pour elle, elle est hantée par le suicide, trop "lâche" dit-elle pour mettre fin à ses jours. C'est pourquoi ces textes que l'écrivain aimait particulièrement et qu'elle rassemblera en 1861 dans un recueil, une trentaine d'années environ après leur rédaction, reflètent ses préoccupations de l'époque. Ils ont tous pour personnages principaux des femmes. Ils traitent de thèmes communs :  la femme par rapport à l'amour, au mariage, ses relations avec les hommes dans la société, l'infériorité de sa position, sa difficulté à être indépendante...
Les titres de ces nouvelles : La Marquise, Lavinia,  Metella, Mattea et Pauline
La Marquise
La marquise est une vieille femme peu spirituelle, ce que la société encline aux stéréoptypes attendrait d'elle. Pourtant quand on daigne l'écouter, elle a beaucoup à raconter; c'est ce dont s'aperçoit le narrateur qui l'interroge sur sa vie passée. Mariée à seize ans au Marquis de R., beaucoup plus âgé qu'elle, veuve à seize ans et demi, la Marquise de R, a eu une telle expérience de la sexualité qu'elle cesse tout commerce amoureux avec les hommes. Non par vertu, dit-elle, mais par dégoût, aversion et haine envers eux. Mais une femme sans mari ou amant n'a aucun soutien dans la société et subit humiliations, sarcasmes, railleries. Pour faire cesser ce harcèlement constant, la Marquise prend un amant qu'elle n'aime pas, le plus terne et le plus sot qui soit. Elle subit sa présence auprès d'elle pendant soixante ans, ce qui lui assure la tranquillité d'esprit et une relative indépendance. L'amour passion mais platonique et romanesque, elle le vivra pourtant à travers le personnage d'un acteur, Lélio. Mais n'est-ce pas les ombres du Cid ou de Cinna qu'elle admire à travers lui?
Dans cette courte nouvelle, on sent la rage et la révolte de George Sand. C'est avec âpreté qu'elle dénonce cette aberration qui pousse les toutes jeunes filles dans le lit des vieillards, cette société fausse, froide et méprisante où les conventions, le qu'en dira-t-on règnent en maître, où la femme doit obéir à ce que l'on attend d'elle. En prenant un amant, la Marquise entre dans les normes voulues par la société mais renonce à elle-même. C'est une sorte de suicide moral. Certes, George Sand a beaucoup en commun avec son héroïne mais elle ne veut pas lui ressembler. Contrairement à la Marquise, l'écrivain ne veut pas se contenter d'entrer dans un moule et de passer à côté de la vie.  Quand elle écrit ce texte, elle doit subir, elle aussi, les pressions sociales, elle est l'objet d'un scandale que suscite son farouche désir d'indépendance. Elle ne renoncera pas, ne voulant pas comme la jeune femme de la nouvelle se contenter de faux semblants et d'un amour fantasmé, idéalisé et factice lui donnant, à tort, l'impression d'avoir vécu.
Lavinia
Lavinia est aussi le type de la femme victime de l'homme. Elle a passionnément aimé Sir Lionel Bridgemont, un dandy fat et sans coeur, à qui elle s'est donnée et qui l'a abandonnée. Profondément blessée, elle a accepté d'épouser un vieillard dont elle est veuve. Mais Sand lui accorde une revanche ... bien amère. Quand elle revoit Lionel, Lavinia a gagné en beauté, en assurance, en raffinement. Ce qui provoque un retour de flammes chez le jeune homme. La demande en mariage du riche comte de Morangy attise encore les sentiments du dandy en redonnant du prix à Lavinia. Il ne peut supporter qu'elle lui échappe et lui demande à son tour de l'épouser. Mais Lavinia ne choisit ni l'un ni l'autre.
Nous retrouvons ici donc des thèmes semblables à ceux de La Marquise. Abandonnée et déshonorée, Lavinia cède aux conventions sociales en épousant un homme âgé. Elle le paie chèrement :  l'alliance d'un vieux lord ne m'a jamais bien lavée de la tache cruelle qui couvre une femme délaissée. On sait qu'un vieillard reçoit toujours plus qu'il ne donne. Elle refuse d'aimer à nouveau, protégée, en cela, non par la vertu mais par la méfiance.  les hommes apparaissent dans leur superficialité, incapables d'un sentiment vrai, inconstants,  vaniteux, soucieux surtout de leurs succès féminins et de leur carrière.
Le ton de Sand emprunte parfois au registre du vaudeville. Ainsi, certains passages font sourire :  Sir Lionel caché sur un balcon doit assister, furieux, aux déclarations d'amour de son rival; de plus, Lavinia s'en va et l'oublie! Mais l'amertume domine. Si Lavinia refuse l'amour, ce n'est pas comme la Marquise pour se plier aux exigences de la société. Au contraire, elle décide de se retirer du monde, de sa perfidie, de sa fausseté. Mais la véhémence douloureuse avec laquelle elle s'exprime, sa colère, sa haine, cachent mal les blessures profondes qui lui ont été infligées et l'amour qu'elle porte toujours à Sir Lionel.
" Et puis je hais le mariage, je hais tous les hommes, je hais les engagements éternels, les promesses, les projets, l'avenir arrangé à l'avance par des contrats et des marchés dont le destin se rit toujours.
A la fin de ce récit, Sir Lionel, loin d'être désespéré, recouvre ses esprits, se rabiboche avec sa fiancée actuelle, la riche Margaret, qui lui permettra de vivre dans l'opulence et de réussir dans la vie.
Allons lui dit Henry* en le voyant baiser la main de Miss Margaret, l'année prochaine nous siégerons au parlement.  (*Henry cousin de Lavinia)
On le voit, la conclusion est loin de tout romantisme. Cynique, pessimiste, désabusée, elle montre que George Sand en écrivant ces mots est revenue de tout... comme son héroïne! Car l'indépendance à un prix pour la femme, semble dire George Sand. Elle ne peut l'acquérir sans souffrance!




Challenge de George


  Challenge de Sabbio

Le monde de George Sand


George Sand par Nadar
Le Monde George Sand est un beau recueil de photographies consacré à l'écrivain, sa famille, ses amis et d'une manière plus générale à son époque.
Paru aux éditions  du patrimoine il est préfacé par Simone Veil qui lui rend hommage ainsi : Tout le temps qu'elle a vécu, elle a écrit, et par là, elle a puissamment agi sur ses contemporains. Le XXème siècle qui vient de s'achever a quelque peu masqué la force de son talent. Le moment est donc venu de reconnaître que George Sand est un auteur majeur de notre patrimoine, à la fois, femme, artiste, combattante et témoin de son temps.
L'introduction de Anne-Marie de Brem présente un court aperçu de la vie d'Aurore Dupin, de son mariage avec le baron Dudevant, de son combat de femme pour se libérer. Enfin nous assistons à la naissance de George en tant qu'écrivain puis à son engagement politique et social. Elle montre aussi l'importance de la famille et de son rôle de mère et surtout de grand mère lorsque approche la vieillesse "l'âge le plus heureux et le plus favorable de la vie".
Anne-Marie de Brem s'intéresse aussi aux contradictions de George Sand, cette femme  célèbre, reconnue,  entourée, respectée par de nombreux amis mais qui se plaint toujours de sa timidité, de sa sauvagerie : "Vous trouverez un personne bien timide et bien muette; mais ne vous en préoccupez pas et rien de ce que vous direz ne seraperdu pour moi". Un écrivain qui a besoin de silence et de recueillement pour réfléchir à la mission de l'artiste dans le monde mais qui sengage dans la lutte sociale et révolutionnaire à côté de ses amis politiques, Louis Blanc, Ledru-Rollin, Barbès, Lamartine..
Le recueil est divisé en cinq  chapitres qui regroupe les thèmes suivants :
Les liens de sang, de chair et d'encre
Belles-lettres
De l'art
La scène du pouvoir
L'univers du spectacle
Aurore Dudevant
Parmi ces images, il y a bien évidemment les superbes photographies de Nadar  : George à soixante ans en mars 1864, son fils Maurice Dudevant et sa belle fille Lina, Auguste Clesinger, le mari de sa fille Solange et surtout les deux magnifiques portraits de ses petites filles, Aurore et Gabrielle Dudevant, adolescentes. A côté de Nadar, ses contemporains Millet, Bisson,  Berthier, Verdot, Angerer,  Appert,  Bayard..





Challenge George Sand de George