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| Elizabeth Gaskel | 
Cette écrivain qui a commencé à écrire en 1848  a eu  un grand succès à son époque; puis elle est tombée relativement dans  l'oubli. En France, nous dit Françoise du Sorbier, auteur de la préface  du livre, on n'a d'abord vu en elle (critique de 1929) que  :"  l'expression  d'une sensibilité féminine nécessairement suave, voire  mièvre." Dans les années  1950, par contre, "sur le rebond de la  critique marxisante, on a recommencé à s'intéresser à elle comme à la  romancière des problèmes sociaux.".
Les deux aspects du livre existent et forment  un  roman passionnant, mêlant une analyse au scalpel des sentiments amoureux  et des "intermittences du coeur", à la manière d'un Marivaux (ou d'une  Jane Austen!), et une analyse sociale d'une acuité surprenante et d'une  modernité à laquelle on ne s'attendrait pas de la part d'une fille et  femme de pasteur en ce milieu du XIXème siècle.  Mais Elizabeth Gaskell  dotée d'une vive intelligence, n'est ni conformiste ni conventionnelle.  Elle connaît bien ces milieux industriels et a fréquenté, nous dit-on,  des hommes politiques et des réformateurs sociaux.
Sa manière de peindre la condition ouvrière tient à  la fois de sa sensibilité de chrétienne qui réagit aux malheurs et à la  misère de cette classe sociale mais aussi d'un regard affranchi et  lucide qui sait voir au-delà des apparences. Sous la pauvreté et la  crasse, elle distingue la dignité de ces ouvriers, la fierté du travail  bien fait, l'orgueil de leur condition. Le personnage de Higgins est  hors commun, lui qui parle d'égal à égal à Thornton parce qu'il se sait  un ouvrier compétent, courageux et dur à la tâche et qu'il reconnaît en  son patron un homme de la même trempe. Gaskell a l'art de camper ses  personnages, de les faire vivre dans leur simplicité avec le manque de  raffinement liéé à leur situation, mais aussi dans leur honnêteté, et  leur dignité. Elle a l'art aussi de faire parler les ouvriers dans une  langue familière et populaire qui tord parfois la grammaire mais qui est  imagée, pleine de répartie et d'humour. Les dialogues sont donc souvent  des morceaux de choix qu'il faut déguster. Bien sûr, ce n'est pas une  révolutionnaire mais elle exprime une idée, qui, pour être une utopie au  XIXème siècle, n'en est pas moins intelligente. Les rapports  conflictuels entre patrons et ouvriers ne profitent ni aux uns ni aux  autres puisque que les intérêts des uns comme des autres sont communs.  Elle souligne la nécessité pour les deux classes d'une négociation qui  éviterait le conflit tout en  essayant de satisfaire les deux parties.
L'histoire d'amour entre Margaret et Thornton, elle  aussi est conflictuelle car tous deux n'ont pas les mêmes idées  politiques. Chacun fait preuve vis à vis de l'autre de beaucoup  d'orgueil et de préjugés comme les  personnages de Darcy et Elizabeth de  Jane Austen. Margaret, venue du Sud rural et champêtre, n'aime pas les  manufacturiers du Nord de l'Angleterre qui sont matérialistes et ne  pensent qu'à gagner de l'argent au détriment des ouvriers. Elle finira  par reconnaître le travail énorme qu'ils accomplissent, les compétences  et l'intelligence dont ils font preuve, les risques qu'ils prennent  (Thornton, en faillite,verra détruit le travail de longues années)...  Thorton ne voit d'abord en Margaret que son orgueil de classe, son  parti-pris contre le Nord, et son manque de compréhension par rapport au  travail industriel. Il est plein de préjugés envers les ouvriers qu'il  ne connaît pas et méprise. Il pense qu'ils méritent leur sort. Lui aussi  devra changer pour obtenir Margaret. Une fin heureuse, on s'en doute,  plaira aux romantiques dont je fais partie. Un beau roman donc, agréable  à lire et surprenant par son sujet.


 
 
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