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dimanche 15 février 2015

Alfred Bertram Guthrie : La captive aux yeux clairs





Alfred Bertram Guthrie est né à Bedford dans l'Indiana. Il passe sa jeunesse à Choteau, petite ville du nord du Montana. Diplômé en 1923 de l'Université du Montana, il part s'installer dans le Kentucky pour y être journaliste. Il revient à Choteau en 1943. Il publie The Big Sky (La captive aux yeux clairs) en 1947 et The Way West (Oregon -Express ou La route de l’ouest) en 1950 pour lequel il reçoit le prix Pulitzer. Ces ouvrages sont parmi les plus connus de la littérature du Montana.
Source










 Je ne peux présenter le livre aujourd’hui ni la liste des participants sortis victorieux de l’énigme. Mais je le ferai un peu plus tard  car le livre est une belle découverte qui plaira à tous les amateurs de Nature Writing (et autres!).

 En attendant, je vous invite à aller lire le billet de Hélène lecturissime ICI

 et le billet de Wens sur le film ICI

Le roman : La captive aux yeux clairs de Alfred Bertram Guthrie (The big Sky)
 Le film :La captive aux yeux clairs de Howard Hawks



samedi 14 février 2015

Un livre/un film Enigme n°107



Un  livre/un film

Pour ceux qui ne connaissent pas Un Livre/un film, l'énigme du samedi, je rappelle la règle du jeu.

Wens de En effeuillant le chrysanthème et moi-même, nous vous proposons, le 1er et le 3ème samedi du mois, et le 5ème pour les mois avec cinq samedis, un jeu sous forme d'énigme qui unit nos deux passions : La littérature et le cinéma! Il s'intitule : Un livre, Un film. Chez Wens vous devez trouver le film et le réalisateur, chez moi le livre et l'auteur. Eeguab ne nous relaiera pas cette année mais nous le remercions de tout le travail accompli l'année dernière.

Consignes  

Vous pouvez donner vos réponses par mail, adresse que vous trouverez dans mon profil : Qui suis-je? et  me laisser un mot dans les commentaires sans révéler la réponse pour m'avertir de votre participation. Le résultat de l'énigme et la proclamation des vainqueurs seront donnés le Dimanche.

Prochain rendez-vous

Donc rendez-vous  le premier samedi du mois :  Le samedi 7 Mars


Enigme N° 107

L'auteur de ce roman fait partie de « l’école » des écrivains du Montana.  Il parle de l’ouest américain, des grands espaces, des montagnes, des rivières sauvages où vivent les castors, des vallées encore peuplées de bisons.. Il décrit les moeurs des indiens et des trappeurs, l’arrivée des colons étrangers, une région en pleine transformation. C’est un ouvrage qui laisse donc une large place à nature. L’écrivain a obtenu le prix Pullitzer pour la suite de ce roman. Les deux ouvrages ont été adaptés au cinéma.


Le Missouri bouillonnait. Il débordait de son lit, gloussait au milieu des saules et des peupliers. Il creusait les falaises et attaquait la rive. De larges portions de terre avaient glissé dans l’eau ou s’étaient écroulées, avec de lents éclaboussements que le courant saisissait, entraînait et perdait dans sa propre précipitation. Des arbres montaient quand les rives cédaient, comme au ralenti tout d’abord, puis plus vite, dans le vacarme de l’air déchiré; ils se couchaient dans l’eau, encore accrochés à la rive dévastée, formant des barrages contre lesquels venaient s’entasser les objets flottants.(…)
Le Missouri est une rivière diabolique, un mur mouvant qui se dressait devant le Mandan, se brisait autour du bateau et se dressait de nouveau; ce n’était pas une rivière, mais une gigantesque masse d’eau libre qui descendait des montagnes en bondissant et traversait furieusement les plaines, impatient d’atteindre la mer.

Ils reprirent le cours sinueux de la rivière, passant devant un ancien fort à Council Bluffs, où trois cents soldats étaient morts du scorbut, …, puis ils traversèrent une portion envahie de souches, dans un paysage plat pendant quelque temps et vallonné de nouveau, dépourvu d’arbres, mais verdoyant, dépassant Wood’s Hill où un million d’hirondelles nichaient dans la roche jaune.
-C’est le pays du bison?
-Bientôt, maintenant. Très bientôt.

jeudi 12 février 2015

Alone de Edgar Allan Poe, traduction de Baudelaire/ Film de Kentin Denoyelle

Edvard Munch : Mélancolie


Alone
By Edgar Allan Poe

From childhood’s hour I have not been
As others were—I have not seen
As others saw—I could not bring
My passions from a common spring—
From the same source I have not taken
My sorrow—I could not awaken
My heart to joy at the same tone—
And all I lov’d—I lov’d alone—
Then—in my childhood—in the dawn
Of a most stormy life—was drawn
From ev’ry depth of good and ill
The mystery which binds me still—
From the torrent, or the fountain—
From the red cliff of the mountain—
From the sun that ’round me roll’d
In its autumn tint of gold—
From the lightning in the sky
As it pass’d me flying by—
From the thunder, and the storm—
And the cloud that took the form
(When the rest of Heaven was blue)
Of a demon in my view—
 
American Poetry: The Nineteenth Century (1993)


Edvard Munch


SEUL
 traduction de Baudelaire

Depuis l’heure de l’enfance, je ne suis pas

Semblable aux autres ; je ne vois pas

Comme les autres ; je ne sais pas tirer

Mes passions à la fontaine commune-
D’une autre source provient

Ma douleur, jamais je n’ai pu éveiller

Mon cœur au ton de joie des autres

Et tout ce que j’aimai, je l’aimai seul

C’est alors — dans mon enfance — à l’aube

D’une vie de tumulte que fut puisé

A chaque abîme du bien et du mal,

Ce mystère qui toujours me retient –

Au torrent et à la fontaine

Dans la falaise rouge de la montagne –

Dans le soleil qui roule autour de moi

En son or automnal

Dans l’éclair qui volait au ciel et passait

Près de moi pour s’enfuir,

Dans le tonnerre et dans l’orage

Et dans le nuage qui prenait la forme

(Alors que le reste du ciel était bleu)

D’un démon à mes yeux.



 Film de Kentin Denoyelle : Demon in my wiew VOIR ICI
D'après le poème de Edgar Poe dit par Tom O'Bedlam
sous-titres : traduction  de Baudelaire
La voix qui dit le texte est très émouvante et très joliment mise en lumière par les images du film.

mardi 10 février 2015

Un conte traditionnel russe : La fille de neige et Blanche

Blanche  de Alexandre Day et Pog

 Voici deux albums qui reprennent tous deux un vieux conte traditionnel russe : un couple de vieillards se désole de ne pas avoir eu d'enfants. Un jour, ils façonnent une fille de neige qui s’anime et devient leur petite fille. Mais, hélas! le bonheur n’a qu’un temps car après l’hiver la neige  fond!

La fille de neige

La fille de neige de Hélène Muller et Robert Giraud

Paru dans la collection du père Castor, La fille de neige raconté par Robert Giraud, est un album délicieusement illustré par Hélène Muller qui explore l’ancienne Russie en dessinant et des vêtements folkloriques aux couleurs vives et des isbas joliment décorées .

Il était une fois un homme et sa femme
Qui avaient passé de longues années ensemble.
Ils s’entendaient bien et s’aimaient beaucoup
Leur seule tristesse était de ne pas avoir d’enfants.

Blanche

Blanche aux éditions Margot

Paru aux Editions Margot vous pouvez lire Blanche, le même conte, dans une langue très différente, celle de Pog qui s’empare de l’histoire pour la raconter d’une manière bien elle, en petites phrases elliptiques, proches de la poésie  :

Il est un grand pays loin là-bas
Un village, des hommes, un bois,
Une maison un peu à l’écart
Ici vivent deux vieillards.

Les illustrations d’Alexandre Day, en noir et blanc sont d’une grande beauté et confère au conte un aspect mystérieux. Il  nous transporte dans un univers onirique, dans un espace hors du temps. Je le conserve dans ma bibliothèque comme un livre précieux.

Qu'en pense ma petite fille?

illustration de Hélène Muller : la fille de neige

Quant aux réactions de ma petite fille face à ce conte?  Si elle aime voir les illustrations qui la font rêver, si elle apprécie la naissance de la fille de neige, l’amour et le bonheur qu’elle partage avec ses parents, la voici beaucoup moins enthousiaste à la fin du récit. On peut dire que lorsque la fillette fond, elle est même un peu chiffonnée!  Pas étonnant puisqu’il s’agit d’une métaphore de la mort! Je n’y avais pas trop prêté attention avant de le lire avec elle!

Heureusement, nous sommes dans un conte et  « celle que l’été a fait fuir, l’hiver la ramènera » nous dit une voix rassurante dans l’album du père Castor!

Prometteuse aussi mais plus mélancolique est la version des éditions Margot qui se termine comme le conte avait commencé par l’image du froid associé à l’absence de la fillette :

ll est un grand pays loin là-bas
Un village, des hommes, un bois,
Une maison un peu à l’écart
Où attendent deux vieillards.
Ils guettent le retour des premières neiges.
Ici l’on croit aux sortilèges.
La vieille a préparé le repas.
Elle est en retard. C'est froid.


dimanche 8 février 2015

Robin Hobb : Les cités des anciens



J’ai beaucoup aimé L’assassin royal de Robin Hobb, j’ai été déçue par Le soldat chamane mais avec Les cités des anciens je retrouve tout le charme du roman Fantasy : vivre des aventures passionnantes, s’immerger dans un univers fantastique, laisser le pouvoir à l’imagination (et Robin Hobb quand il s’agit de créer des mondes imaginaires et de héros extraordinaires n’est jamais en reste), s’attacher à des  personnages qui, pour être des créatures d’un roman fantasy, n’en incarnent par moins l’espèce humaine avec ses faiblesses, ses difficultés, ses tragédies mais aussi ses moments de bonheur et de plénitude.. Et s'intéresser aussi, mais oui, je vous assure, aux dragons dotés de caractère bien affirmé!

Le récit


Dans le Désert des pluies, les eaux et les terres sont si acides que les habitants ont construit des villes en hauteur, dans les arbres centenaires. Dans ce lieu inhospitalier, certains enfants naissent affectés de stigmates si prononcés, écailles et griffes, qu’ils sont pour la plupart sacrifiés à leur naissance. Ceux qui en réchappent sont mis au ban de la société et subissent le mépris de leur entourage. Le peuple du désert des Pluies vit de la chasse, de la cueillette et exploite le patrimoine d’un ancienne civilisation disparue depuis longtemps. Ils font du commerce avec la capitale Terrilville où vivent les riches marchands, créateurs de dynasties fondées sur l’argent.
C’est dans ce milieu acide que Tintaglia, la dragonne, a conduit les serpents géants, qui, enfermés dans des cocons, doivent pérenniser sa race en voie d’extinction. Mais les dragons qui naissent sont  atteints de nanisme, sont infirmes, trop faibles pour pouvoir voler.
Les habitants du désert des pluies décident de se débarrasser d’eux en les confiant à des gardiens. Tous partent pour un long voyage qui semble promettre une mort assurée! Ils ont ont pour mission de retrouver Kelsingra, la cité des anciens, lieu mythique où jadis, dans des temps reculés, vivaient les dragons et leurs gardiens dotés alors de grands pouvoirs.  Chassés de leur famille parce qu’ils sont différents, les jeunes gens du désert des pluies, Thymara,  Kanaï, Sylve, Tatou … vont tout faire pour sauver leur dragon et parvenir au but.


Vous lisez  les huit tomes de la série sans un seul moment d’ennui et sans avoir envie de lâcher le livre. Vous avec l’impression d’être transporté dans un ailleurs tout comme lorsque vous étiez enfant vous parcouriez « pour de vrai » le grand silence blanc des romans de Curwood et de Jack London.. Mais vous pouvez, parce que vous êtes adulte, analyser l’intérêt du propos de Robin Hobb qui développe ici un thème qui lui est cher : celui du droit à la différence et à l'égalité. Kelsingra, en effet, telle qu’elle va être appelée à revivre, sera un lieu où tout le monde pourra vivre quelles que soient ses particularité physiques, sexuelles ou sociales… Une sorte d’utopie où perce pourtant déjà la menace à l’intérieur du groupe, et surtout à l’extérieur. Les cupides marchands de Terriville n’ont qu’un désir, coloniser la cité pour en exploiter les richesses. Voilà qui nous promet une suite?*


*Il faut dire que Les cités des anciens est déjà la suite de L'assassin royal et de Les aventuriers de la mer  (je n'ai pas lu ce dernier mais il vaut mieux le lire avant Les cités des anciens.!)

mercredi 4 février 2015

Gilles Vigneault : Mon pays ce n´est pas un pays, c´est l´hiver


Paysage de neige source


Depuis qu'il y a eu 1cm de neige en Provence, je ne me sens plus! De là à rivaliser avec les Québécois!

Mon pays ce n´est pas un pays, c´est l´hiver... de Gilles Vigneault

Mon pays ce n´est pas un pays, c´est l´hiver
Mon jardin ce n´est pas un jardin, c´est la plaine
Mon chemin ce n´est pas un chemin, c´est la neige
Mon pays ce n´est pas un pays, c´est l´hiver


Dans la blanche cérémonie
Où la neige au vent se marie
Dans ce pays de poudrerie
Mon père a fait bâtir maison
Et je m´en vais être fidèle
A sa manière, à son modèle
La chambre d´amis sera telle
Qu´on viendra des autres saisons
Pour se bâtir à côté d´elle


Mon pays ce n´est pas un pays, c´est l´hiver
Mon refrain ce n´est pas un refrain, c´est rafale
Ma maison ce n´est pas ma maison, c´est froidure
Mon pays ce n´est pas un pays, c´est l´hiver


De mon grand pays solitaire
Je crie avant que de me taire
A tous les hommes de la terre
Ma maison c´est votre maison
Entre mes quatre murs de glace
Je mets mon temps et mon espace
A préparer le feu, la place
Pour les humains de l´horizon
Et les humains sont de ma race


Mon pays ce n´est pas un pays, c´est l´hiver
Mon jardin ce n´est pas un jardin, c´est la plaine
Mon chemin ce n´est pas un chemin, c´est la neige
Mon pays ce n´est pas un pays, c´est l´hiver


Mon pays ce n´est pas un pays, c´est l´envers
D´un pays qui n´était ni pays ni patrie
Ma chanson ce n´est pas une chanson, c´est ma vie
C´est pour toi que je veux posséder mes hivers






mardi 3 février 2015

Lydie Salvayre : Pas Pleurer

Prix Goncourt 2014 : Pas pleurer de Lydie Salvayre
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Pas Pleurer de Lydie Salvayre, prix Goncourt 2014, est pour moi un coup de cœur, un de ces romans que je garderai en mémoire comme je le fais de Les Soldats de Salamine de Javier Cercas et de Le Crayon du charpentier de Manuel Rivas, sur le même sujet : la guerre d'Espagne qui me passionne.

Le récit


La mère de Lydie Salvayre, Montse, a quitté l'Espagne après la victoire de Franco. Elle a maintenant quatre-vingt dix ans, une mémoire défaillante et elle ne se souvient plus de rien, si ce n'est de cette année 1936, après le coup d'état de Franco, année où le peuple s'est dressé pour défendre la liberté. Ce récit raconté par la mère à sa fille mêle tour à tour les voix des deux femmes mais aussi celle de l'écrivain Bernanos dont Lydie Salvayre lit Les cimetières sous la lune.

Dire pourquoi j'ai aimé ce livre m'est difficile car les réponses trop nombreuses se bousculent dans mon esprit.

Des personnages authentiques


J'ai été sous le charme de ces personnages vrais, authentiques, qui peuplent le livre de Lydie Salvayre, en particulier de cette femme âgée qui perd la mémoire et raconte à sa fille le seul grand moment de bonheur qu'elle ait jamais connu, en cette année 1936 qui voit éclater la guerre civile, alors qu'elle a 16 ans. J'ai aimé ce va-et-vient entre le présent et le passé et cette complicité pleine d'amour qu'il y a entre elles, mère et fille, Montse et Lydie.
Car la vieille dame a été cette belle jeune fille, Montse, qui nous est décrite ici, ignorante mais fière, condamnée à la misère et à la résignation par sa seule appartenance à une classe sociale défavorisée. Et puis d'un seul coup parce que souffle le vent de l'Histoire, le carcan de l'oppression se fendille. Les  jeunes gens secouent le déterminisme social qui pèse sur eux, comme le fait José, le jeune anarchiste qui entraîne sa sœur, Montse, dans son sillage. La jeune fille découvre en arrivant à la grande ville  en effervescence que la vie est pleine d'espoir. Elle s'ouvre au bouillonnement des idées, à la fraternité et à la solidarité et puis elle rencontre le grand amour en la personne d'un jeune français qui va partir se battre. Mais tout cela n'a qu'un temps! Cette foi en un monde meilleur est d'autant plus poignante qu'elle n'est qu'un mirage! Javier Cercas le dit dans Les soldats de Salamine quand il fait parler les républicains qui ont lutté contre la dictature et le franquisme :
De toutes les histoires de L'Histoire, la plus triste est sans doute celle de L'Espagne, parce qu'elle finit mal … Elle finit bien pour ceux qui ont gagné la guerre, mais mal pour nous qui l'avions perdu! Personne n'a eu le moindre geste, même pour nous remercier d'avoir lutté pour la liberté. Dans tous les villages, il y a des monuments à la mémoire des morts de la guerre. Sur combien d'entre eux avez-vous vu figurer ne serait-ce que le nom des deux camps, faute de mieux?

Une dénonciation des crimes 


Dans ce roman, j'ai été touchée par la dénonciation passionnée, ardente et sans concession des crimes de guerre commis par les nationaux avec la bénédiction de l'église catholique espagnole. Et je découvre ici, une facette de la  personnalité de Bernanos, ce grand bourgeois de la droite catholique qui a l'immense courage de dénoncer l'horreur du massacre alors qu'un Claudel, lui, se réjouit de la victoire de Franco... Un Bernanos soulevé de dégoût qui assiste en direct, il est en Espagne au moment du coup d'état,  «à l'épuration systématique des suspects"

Au nom du père du Fils et du Saint Esprit, monsieur l'évêque-archevêque de Palma désigne aux justiciers, d'une main vénérable où luit l'anneau pastoral, la poitrine des mauvais pauvres. C'est Georges Bernanos qui le dit. C'est un catholique fervent qui le dit. 

Deux voix différents qui se répondent


Les voix des deux femmes alternent, se répondent, se chevauchent. Celle de Montse, imagée, truffée d'hispanismes ou de mots espagnols* car ils ont «plus de panache» dit-elle, pleine de verve et d'humour, est savoureuse. C'est un langage forgé de toutes pièces par la vieille dame, pour son usage personnel, tout à fait fait la manière de Montaigne : «et que le gascon y arrive si le français ne peut y aller ». Un style à sauts et à gambades, savoureux, riche, épicé, qui nous fait rire et nous émeut comme dans ce passage où la vieille dame explique sa révolte de jeune fille quand sa mère a voulu la placer comme servante chez les Burgos Obregon :

Elle a l'air bien modeste, tu comprends ce que ça veut dire? Plus doucement pour l'amour du ciel, implore ma mère qui est une femme très éclipsée. Ca veut dire que je serai une bonne bête et bien obédissante!
Seigneur Jésus, murmure ma mère, la mirade alarmée, plus bas, on va t'ouir. Et moi je grite un peu plus fort : je me fous qu'on m'ouit, je veux pas être boniche chez Les Burgos, j'aime mieux faire la pute en ville! Pour l'amour du ciel me supplique ma mère, ne dis pas de bêtises.

A cette langue populaire répond celle classique, riche et maîtrisée de l'écrivaine qui représente le lien entre le passé et le présent.

L'actualité du roman

 

Car le roman nous éclaire sur ce que nous vivons et c'est pour cela qu'il me touche tant. Il ne peut pas être plus actuel!
En lisant Pas Pleurer je pense à l'archevêque de Grenade qui récemment a justifié le viol des femmes qui avortent! Je pense à tous ces religieux qui appellent aux meurtres, à tous ces obscurantismes qui se réveillent dans le monde. Et je me demande comment il est possible que la religion de tout temps ait toujours été accompagnée de son cortège d'atrocités et d'intolérance et pourquoi les églises se placent toujours du côté des puissants.
Si la guerre d'Espagne me passionne tant, c'est qu'elle est un exemple des dangers que court la démocratie et de la fragilité de la liberté. J'ai de l'empathie pour ce peuple espagnol qui s'est levé, à l'annonce du coup d'état de Franco, pour défendre la République et les valeurs qui sont aussi les miennes et qui ont été impitoyablement écrasés. Et je nous revois dans notre marche du 11 janvier 2015, à la suite des attentats en France, retrouver, l'espace d'un instant et toutes proportions gardées, les notions de solidarité et de fraternité éprouvées par Montse pendant le combat antifranquiste, en cette année 1936, dans la ville occupée par les républicains.
Et c'est la plus grande émotion de leur vie. Des heures inolvidables (me dit ma mère) et dont le raccord, le souvenir ne pourra jamais m'être retiré, nunca, nunca, nunca. (...)
 Une ambiance impossible à décrire, impossible ma chérie, de t'en communiquer la sensation vivante pour qu'elle t'aille en plein coeur.
....les passants qui se saluent gentiment, qui se parlent gentiment, et s'embrassent sans se connaître, comme s'ils avaient compris que rien de beau ne pouvait advenir sans que tous y eussent leur part, comme si toutes les choses imbéciles que les hommes d'ordinaire s'inventent pour s'entretourmenter s'étaient pff!, volatilisés.

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J'ai eu le même enthousiasme pour une autre œuvre de Lydie Salvayre adaptée à la scène La compagnie de spectres par Zabou Breitman. VOIR ICI


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*Par contre quand il s'agit de phrases entièrement en espagnol, j'aurais bien aimé une traduction en bas de la page car c'est un peu frustrant de ne pas les comprendre bien que cela n'entrave en rien la lecture du livre! Au contraire, cela donne une spontanéité et une véracité au récit de la vieille dame.





dimanche 1 février 2015

Jack Schaefer : L'homme des vallées perdues

L'homme des vallées perdues de Jack Schaefer, éditions Libretto Illustration de couverture Percy Crosby
L'homme des vallées perdues  couverture Percy Crosby


L'homme des vallées perdues de Jack Schaefer, écrivain américain, est paru en 1949 aux Etat-Unis. Il est devenu un classique de la littérature de l'Ouest américain. Le titre d'origine est Shane du nom du personnage principal..

Le récit

L'homme des vallées perdues:  film  Georges Stevens

Nous sommes en 1889 dans le Wyoming. Des colons se sont installés sur des terres et vont bouleverser les méthodes d'élevage. Ils se heurtent au grand propriétaire, Fletcher, qui voit d'un mauvais œil les fermiers s'installer sur les terres et poser des clôtures qui coupent ses immenses pâturages. Dans cette vallée perdue où la loi ne pénètre pas, c'est la raison du plus fort qui l'emporte. C'est alors qu'arrive Shane, un mystérieux étranger qui va être accueilli dans la ferme de Marian et de Joe Starrett et de leur fils Bob. Il va se lier d'amitié avec eux et leur venir en aide.

Un roman démystificateur

Paysage du Wyoming source
L'homme des vallées perdues est sans contexte un livre sur le mythe de l'Ouest avec ses personnages attendus, le justicier vagabond, le tueur, le propriétaire cupide, mais c'est en même temps une démystification peut-être parce qu'il s'agit d'un moment charnière dans l'histoire de ce pays, une période qui voit de grands bouleversements..
La conquête de l'Ouest n'est pas présenté comme une succession de grands moments héroïques, comme une aventure palpitante et grandiose. Certes, il faut du courage pour coloniser l'ouest mais l'écrivain insiste sur le labeur de tous les jours, la peur de l'échec, sur le quotidien épuisant. Et lorsqu'il faut lutter, armes à la main, ce n'est pas un choix mais une obligation. Les fermiers ont peur, certains préfèrent fuir plutôt que de perdre la vie mais tout est alors à recommencer. Les adversaires n'ont rien d'héroïque, ce sont des jeunes sans cervelle qui ont oublié de réfléchir comme Chris, soit des tueurs sans état d'âme comme Wilson. La violence et le meurtre marquent définitivement un homme et Shane ne peut espérer retrouver la sérénité après avoir tué. Il est condamné à l'errance. Derrière le mythe, il y a donc des êtres humains qui souffrent et sont marqués par leurs actes d'une manière indélébile. Il y a aussi des hommes qui n'ont rien d'héroïque, les fermiers, sauf si l'on appelle héroïsme, le fait d'user ses forces à des travaux pénibles et ingrats. Il y a aussi un pays qui se transforme, une économie qui change un monde bien accroché à ses traditions.

Un enfant pour narrateur

Joey , Brandon de Wilde, dans l'homme des vallées perdues de Stevens
Joey dans le film de Stevens , Bob dans le livre de Jack Schaefer

Si le récit paraît somme toute assez banal pour tout amateur de western qui connaît bien cette opposition classique entre les grands ranchers et les petits fermiers, le roman est, au contraire, original, surprenant et attachant.
Cela tient au regard plein d'amour et d'admiration que le narrateur, Bob, porte à ses parents, Marian et  Joe Starrett et à la fascination qu'il éprouve envers Shane. On ne peut vraiment croire aux personnages que si l'on garde en mémoire qu'ils sont vus à travers l'idéalisme et d'un petit garçon exalté et admiratif.

 Une idéalisation des personnages

Bob, Marian, Joe et Sahne

 Derrière le personnage du petit Bob, on sent l'homme mûr qui se souvient d'un passé qui a beaucoup compté pour lui. Ce double point de vue de l'enfant naïf, pur, passionné, aimant qu'il était et du vieillard qu'il est devenu lorsqu'il écrit ses souvenirs, crée une nostalgie qui donne une coloration particulière au récit. On y sent le romantisme de l'enfance. L'idéalisation des personnages auréolés par l'amour de l'enfant est telle qu'ils deviennent presque des êtres de légende : le père, fort, courageux, travailleur, prêt à donner sa vie pour sa femme et son enfant, et la mère, la jolie Marian, au caractère affirmé, qui rivalise à sa manière avec le courage de son mari. Et puis Shane, cet homme dont on ne saura rien sinon qu'il a été blessé par la vie et qu'il ne veut jamais porter son colt sur lui alors qu'il sait pourtant s'en servir d'une manière redoutable. Les zones d'ombre qui entourent ce solitaire permet un portrait nuancé qui laissent place à l'imagination. Importance du non-dit aussi dans l'amour éprouvé par Marian pour Shane (et réciproquement) qui se lit en filigrane à travers ce que l'enfant comprend et entend. 

 Un récit d'initiation 

Il y a une grande humanité dans les personnages, leur amour réciproque, leur confiance mutuelle, leur fidélité, leur courage. Lorsqu'ils servent de leurs armes, ils essaient toujours d'inculquer le sens de la justice et de la responsabilité au petit garçon et la gravité d'un tel acte.

-Je l'ai laissé m'insulter, je lui ai donné sa chance, dit Shane au petit garçon. Pour sauvegarder son amour-propre, on n'a pas nécessairement besoin de massacrer le premier qui vient vous manquer de respect.. Tu comprends cela?
Non . Je ne voyais pas.(...)
- Je lui ai laissé le choix; Rien ne l'obligeait à réagir comme il l'a fait la deuxième fois. Il aurait pu laisser tomber sans perdre la face. Mais pour en être capable, il aurait fallu qu'il soit suffisamment mûr.
Leçon que l'enfant ne comprend pas : il se passa beaucoup de temps avant que je saisisse ce qu'il avait voulu dire; j'étais alors devenu un homme et Shane n'était plus là pour que je lui en parle.

On comprend combien cette période a marqué l'enfant et a été pour lui une initiation à la vie.

Entre épopée du quotidien et humour

Un monde qui change : les premières clôtures

Le roman présente des scènes que l'on pourrait qualifier d'épique si elles ne concernaient pas des hommes simples placés dans des situations du quotidien! Et pourtant quel panache quand Shane et Joe à la seule force de leurs bras déracinent la souche gigantesque d'un arbre mort qui dégrade le champ de Joe. Quel courage aussi quand Shane affronte tout seul le tueur que Fletcher a fait venir pour se débarrasser des colons ou quand il est obligé d'assommer Joé qui veut y aller à sa place ! Les exploits des hommes, Marian les réitère à sa manière en gagnant le combat contre une tarte aux pommes récalcitrante qui refuse de cuire! Car l'humour n'est pas exempt du récit et il souvent est assez inattendu ! On y voit Shane, le «poor lonesome» Shane, donner des leçons de mode à Marian et lui indiquer comment, dans les grandes villes, les coquettes attachent leurs chapeaux sous le menton avec un joli nœud  !

L'homme des vallées perdues est donc un beau roman plein d'humanité qui peut plaire à tous ceux qui aiment les récits sur la conquête de l'Ouest américain mais aussi à ceux qui apprécient les beaux personnages positifs et humains!
J'ai trouvé le film bien médiocre par rapport au roman et Alan Ladd bien faible par rapport au Shane de Jack Schaefer ! Voir Wens pour le film.




Enigme n° 106
Les vainqueurs du jour: Eeguab, Dasola, Keisha, Somaja, Thérèse et Aifelle.

Livre : Shane ou l'Homme des vallées perdues de Jack  Schaefer
Film : L'homme des vallées perdues de George Stevens (voir Wens)

samedi 31 janvier 2015

Un livre/ Un film : Enigme du samedi N°106



Un  livre/un film

Pour ceux qui ne connaissent pas Un Livre/un film, l'énigme du samedi, je rappelle la règle du jeu.

Wens de En effeuillant le chrysanthème et moi-même, nous vous proposons, le 1er et le 3ème samedi du mois, et le 5ème pour les mois avec cinq samedis, un jeu sous forme d'énigme qui unit nos deux passions : La littérature et le cinéma! Il s'intitule : Un livre, Un film. Chez Wens vous devez trouver le film et le réalisateur, chez moi le livre et l'auteur. Eeguab ne nous relaiera pas cette année mais nous le remercions de tout le travail accompli l'année dernière.

Consignes  

Vous pouvez donner vos réponses par mail, adresse que vous trouverez dans mon profil : Qui suis-je? et  me laisser un mot dans les commentaires sans révéler la réponse pour m'avertir de votre participation. Le résultat de l'énigme et la proclamation des vainqueurs seront donnés le Dimanche.

Prochain rendez-vous

Donc rendez-vous  le premier samedi du mois :  Le 7 Février 2015

 Enigme n°106


Ce roman d'un écrivain américain est paru à la fin des années 40 aux Etat-Unis. Il est devenu un classique de la littérature de de l'Ouest américain. Il raconte l'arrivée d'un étranger dans une ferme du Wyoming et la fascination qu'il va exercer sur le couple de fermiers et leur fils. Nous sommes à la fin du XIX siècle. Les méthodes d'élevage sont en train de changer et les partisans des clôtures sont aux prises avec les éleveurs des immenses troupeaux en espace ouvert.


Les gars avec qui je travaillais ne se rendent pas compte. Mais ça viendra. La prairie, c'est terminé. Les clôtures sont partout en train de gagner du terrain. Mettre de grands troupeaux au vert, ça n'est rentable que pour les gros propriétaires, et encore pas tant que ça. Les résultats ne sont pas à la mesure de l'espace utilisé. Ca ne fera pas un pli : il n'y aura bientôt plus place pour les gros ranchers. (...)
Le truc, c'est de se choisir un coin, un bout de terre à soi. De le mettre en culture afin d'assurer sa propre subsistance et d'en retirer un petit quelque chose en plus qui va vous permettre de constituer un petit cheptel. Pas des bêtes tout en os et en cornes. Non, il faut qu'elles soient bien parquées et nourries, il faut qu'elles fassent de la viande.

vendredi 30 janvier 2015

Les plumes d'Asphodèle : Peut-on rire de tout? Hommage à Charlie







Voir le petit tour des guignols de la Mort

Trois pas par ci, trois pas par là

***


LA MORT...

Sentir le souffle de sa noirceur sur tes yeux

Porter le fardeau bancal des pourquoi dans ton cœur

Lire le silence dans la conscience du temps

Crier ta sidération au ciel déchiré par l'absence

***



PUIS....


Mettre entre parenthèses la douleur

Dicter ta ténacité et ta résilience aux regrets



***

ET MALGRE...


Répondre au vide par l'envol

Et sur la scène du monde

Sur le théâtre sinueux du Bien et du Mal

Peindre l'aquarelle scintillante de la vie

Faire retentir la symphonie du rire.


******************





Suite  et commentaires ICI 




Atelier d'écriture : Les plumes d'Asphodèle.  

Les mots que nous avions à choisir devaient être inspirés par une phrase tirée d’un livre de Clara Dupont-Monod : Le roi disait que j'étais le diable.
" Car ceux qui ont perdu quelque chose, comment font-ils pour éprouver encore de la joie ? (…) Ils connaissent désormais l’envers des choses. » 


La collecte a donné ceci :  
temps, lire, ténacité, sidération, tour (nom masculin), regrets, déchirer, malgré, silence, bancal, résilience, pourquoi, aquarelle, fardeau, parenthèse, vide, rire, envol, vie, consciencecoeur, douleur, scintiller, et , symphonie, scène, sinueux.

mardi 27 janvier 2015

Ferenc Karinthy : Epépé

Epépé de Ferenc Karinthy aux éditions Zulme, roman paru en Hongrie en 1970.
Epépé Editions Zulma





Ferenc Karinthy est un écrivain hongrois né à Budapest le 2 juin 1921 et mort à Budapest le 29 février 1992. Il est le fils du célèbre écrivain et journaliste hongrois Frigyes Karinthy





 Epépé De Ferenc Karinthy (1970)


Budaï, linguiste distingué, s'envole de Budapest pour se rendre à un colloque à Helsinki où il doit faire une intervention. Il dort pendant le trajet et lorsqu'il se réveille et descend de l'avion il s'aperçoit qu'il est dans une ville étrangère et qu'il ne parvient ni à comprendre les habitants ni à se faire comprendre malgré les nombreuses langues qu'il pratique. Que s'est-il passé ? S'est-il trompé de destination? Dans quel pays a-t-il atterri? Quelle est cette ville étrangère où les habitants sont si nombreux qu'il faut faire des queues interminables pour pouvoir se restaurer? Budaï d'abord confiant plonge dans un cauchemar dont il ne semble pas pouvoir s'échapper!

Un monde absurde

 

Première de couverture chez Denoël, une ville tentaculaire

 


C'est donc dans un monde absurde que nous sommes plongés, ce qui fait dire dans le prologue à Emmanule Carrère que «Pérec aurait adoré ». On a aussi dit à propos de Epépé qu'il dépeignait un univers kafkaïen déshumanisé, angoissant et privé de sens..
Un des premiers plaisirs du roman tient à la réaction du personnage qui va nous amener avec lui dans une enquête linguistique et ethnographique. Imaginons-nous dans le même cas ! Quelle serait notre panique ! Pourtant Budaï ne se décourage pas. Il cherche à percer les mystères de cette drôle de langue qui ne semble avoir aucune racine et dont le même mot semble changer chaque fois qu'il est prononcé : «Mais il a beau poser et répéter ses questions dans toutes les langues qu'il connaît ,on lui répond chaque fois de cette même manière incompréhensible, sur cette intonation inarticulée et craquelante : ebébé, ou pépépé ou étyétyé».
Bien que ses recherches soient méthodiques, systématiques, intelligentes, raisonnées, bref ! dignes d'un savant, le mystère s'épaissit de plus en plus et notre héros va aller d'échecs en échecs. En fait nous nous enfonçons avec lui dans l'absurdité d'un monde si totalement étranger non seulement par la langue mais par la manière de vivre, si fondamentalement différent que rien ne permet d'établir un contact avec autrui. A part peut-être avec une jeune fille que Budaï va rencontrer mais qui disparaît très vite de sa vie.  Epépé est donc un roman sur l'incommunicabilité, sur la solitude aussi et l'angoisse de l'être humain dans un monde dépourvu de sens.

Un anti-roman


Certes, Perec aurait adoré : chaque fois que le personnage entreprend une action elle est vouée à l'échec . Quand on pense enfin avoir la clef ou tout au moins une étincelle de compréhension, on est à nouveau plongé dans l'obscurité. Quand un histoire d'amour semble s'ébaucher, elle arrive aussitôt à son terme. Voilà ce que l'on peut appeler un anti roman! J'imagine que les oulipiens effectivement doivent jubiler en lisant ce roman, avec leur amour de la langue et des mots, leur sens du canular, de la mystification.
« On devient membre de l'Oulipo par cooptation. Un nouveau membre doit être élu à l'unanimité, à la condition de ne jamais avoir demandé à faire partie de l'Oulipo. Chaque « coopté » est évidemment libre de refuser d'y entrer (son refus est dès lors définitif), mais une fois élu, il ne peut en démissionner qu'en se suicidant devant huissier.
Les membres restent oulipiens même après leur décès : ils sont alors, selon la formule consacrée, « excusés pour cause de décès ».
Et puis l'auteur obéit à une contrainte que les oulipiens ne sauraient refuser pour telle : mettre son personnage dans un lieu qui n'a aucun sens … et écrire un roman avec ça!

Donner un sens ?


Et bien entendu la lectrice cartésienne que je suis a cherché à trouver un sens au roman ! Comme si l'absurde pouvait avoir un sens ! Pourtant je me suis demandé si Ferenc Karinthy en plaçant ainsi son héros dans un lieu totalement inconnu ne nous présentait pas d'une manière détournée une critique de la Hongrie sous le régime soviétique. Ce monde absurde se révèle très dur. Les hommes y sont comme des robots sans vie, leur vie est mécanique, sans âme. Les gens se méfient des autres, ne se lient pas. La police y est terriblement répressive, Budaï l'apprend à ses dépens. L'insurrection populaire à laquelle le personnage assiste et participe sans la comprendre rappelle bien des évènements hongrois. Dénonciation de la dictature sous couvert d'une fiction dans un univers de l'absurde.

Un roman qui désoriente, étonne et séduit.

lundi 26 janvier 2015

Donald McCaig : Le voyage de Ruth : la mama d'Autant en emporte le vent

le voyage de Ruth de McCaig : la Mama d'Auntant en emporte le vent aux éditions Laffont
Le voyage de Ruth


Mes filles me connaissent bien. Je leur ai raconté que dans ma prime jeunesse j'avais tellement pleuré en regardant le film Autant en emporte le vent que je m'étais enrhumée! Et je me souviens avoir lu et adoré le roman quand j'étais en troisième. Que celui ou celle qui n'a jamais pleuré au cinéma me jette la première pierre! 
Pas étonnant, alors, que le Père Noël m'ait apporté cette année, dans sa hotte, Le voyage de Ruth : la mama d'Autant en Emporte le vent de Donald MC Graig paru aux éditions Laffont. L'écrivain n'en est pas à son premier essai en ce qui concerne une œuvre inspirée du livre culte de Margaret Mitchell puisqu'il a déjà écrit Le clan de Rhett Butler. Le roman est dédicacé à Hattie Mc Daniel, l'interprète de Mama, première actrice noire à avoir reçu un oscar au cinéma pour un rôle secondaire..

Le récit 

 

Film de Victor Fleming  avec  Vivian Leigh dans le rôle de Scarlett O'Hara :
Scarlett O'Hara : Vivian Leigh
Ruth, petite fille noire échappe au massacre qui a décimé toute sa famille sur l'île de Saint Domingue. Nous sommes en 1804, au moment de la révolte des esclaves contre les colons français. Elle est recueillie par un couple français, Solange et Augustin Fornier, planteurs qui parviennent à fuir l'île pour s'installer au sud des Etats-Unis, à Savannah. Solange prend en affection la petite esclave, - même si elle considère toujours que celle-ci à une valeur marchande en cas de coup dur- et en fait sa demoiselle de compagnie. Plus tard Ruth est rachetée par Jehu dont elle est amoureuse, un noir libre, très bon artisan connu dans tout le sud, qu'elle épouse. Mais celui-ci participe à une rébellion contre les blancs et est pendu. Toujours esclave, Hattie va être séparée de son enfant qui mourra loin d'elle, vendue à nouveau avant de revenir après maintes péripéties chez Solange. Après avoir survécu à la douleur de ces deux deuils, son grand amour et sa fillette, Mama est brisée et refuse d'aimer à nouveau. Elle se consacre à l'éducation de la fille de Solange, Ellen, qui deviendra la mère de Scarlett. Le roman se termine lors de la fameuse réception aux Douze Chênes quand Scarlett rencontre Rhett Butler pour la première fois, quand elle est repoussée par Ashley et qu'elle dit oui par dépit à la demande en mariage de Charles Hamilton, le frère de Mélanie. C'est à la veille de la guerre de Sécession.

 La Mama de Scarlett


film de de Victor Fleming La mama de Scarlett : Hattie MC Daniel
La Mama de Scarlett :  Hattie Mc Daniel

 Dans Autant en emporte le vent, Mama est un personnage important, c'est la nounou de Scarlett. Elle veille sur elle, lui apprend les bonnes manières, est un guide à la fois affectueux, solide et sévère mais parfois dépassée par la jeune récalcitrante. C'est une esclave qui aime ses maîtres, leur est fidèle, et semble ne se poser aucune question sur sa condition. Non seulement elle ne paraît jamais remettre l'esclavage en question mais elle a l'air d'avoir épousé les mœurs des blancs, tant au point de vue religieux qu'au point de vue des bienséances, des conventions et des codes de la société blanche. On la voit de l'extérieur par le regard des autres et elle n'a pas de vie propre, pas d'histoire. Donald Mc Graig va lui en donner une. 

L'idée est séduisante mais... Mais, je le dis tout de suite, le roman n'est pas au niveau de Autant en emporte le vent, il lui manque le souffle qui confine à l'épopée, il lui manque le romantisme flamboyant qui fait de ses personnages des êtres de passion emportés par leurs sentiments et par les tempêtes de l'Histoire. Le voyage de Ruth ne transmet rien de la fougue et de l'impétuosité des personnages et son  rythme est assez lent. J'ai eu du mal d'ailleurs à entrer dans l'histoire au début. J'ai regretté que le personnage de Solange soit si présent qu'il occulte celui de Ruth. Puis peu à peu, je me suis intéressée au récit. J'ai même pris plaisir à découvrir comment MC Graig mettait en place les personnages du best seller de Margaret Mitchell; comment il donnait un passé à Ruth mais aussi à Solange, la grand-mère, à  Ellen, la mère,  à Gérald O'Hara, le père, et enfin à Scarlett que nous connaissons petite fille, bien avant que le roman commence. Peu à peu les personnages prennent du poids et leur caractère s'affirme.

Le point de vue  


Esclaves dans un champ de coton

  Ce qui me paraît le plus réussi est le changement du point de vue, l'histoire se faisant du côté des esclaves. Ce qui évidemment n'était pas le propos de Margaret Mitchell qui écrivait un livre à la gloire du Sud. Dans la troisième partie, Mama devient narratrice, ce qui permet à l'écrivain d'aborder le personnage par l'intérieur, de nous faire découvrir son indépendance de pensée et sa lucidité en ce qui concerne les blancs. Réussi aussi le style pittoresque qui reproduit le parler populaire de Ruth et montre sa sagesse acquise au prix de beaucoup de souffrances.


« Un idiot prétend savoir plus qu'c'qu'il sait. Mama prétend en savoir moins. J'savais c'qu'j'savais et j'l'ai dit à personne. C' que j'suis pas supposée voir, j'ai pas vu, mais c'que j'veux savoir j'sais. Les mamas doivent tout savoir »

Au final, pas d'enthousiasme  pour ce roman mais une lecture agréable.