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mercredi 18 octobre 2023

David Grann : Les naufragés du Wager


 

En 1739, la Grande-Bretagne et l’Espagne se lancent dans une guerre maritime pour étendre leur Empire respectif et s’approprier les richesses des colonies. C’est ainsi que la Grande Bretagne arme cinq navires confiés au commodore George Anson chargé de doubler le cap Horn en direction des Philippines afin de détruire des navires ennemis, d’affaiblir les possessions espagnoles de l’Amérique du Sud et de s’emparer des richesses d’un galion que l’Espagne envoie deux fois par an du Mexique en Asie. Le Wager est un de ces cinq navires et l’on peut dire que, dès le début, le voyage s’annonce mal puisque l’escouade  prend la mer en 1740 avec des mois de retard rendant impossible le passage du cap Horn avant les grandes tempêtes d’hiver.

Pour écrire ce récit non-fictionnel Les Naufragés du Wager David Grann s’appuie sur les nombreuses archives qui ont documenté ce voyage tragique, journaux de bord des commandants, de leurs seconds mais aussi des membres de l’équipage, témoignages, correspondances, articles parus dans les gazettes de l’époque, compte rendu du procès qui eut lieu à l’issue de la mission, sans compter tous les ouvrages qui ont tenté de comprendre ce qui s’était passé et d’en donner une explication. Mais, conclut l'auteur,  il faut bien avouer que devant tous ces points de vue divergents, la vérité est bien impossible à établir.

 "Aussi, nous avertit-il, au lieu de lisser les dissonances ou d'obscurcir davantage les éléments de preuve, j'ai voulu présenter tous les aspects de cette affaire, en vous laissant le soin de rendre le verdict ultime : le jugement de l'histoire."

Ce travail se présente donc comme une enquête judiciaire qui cherche à éclairer les faits sans influencer notre jugement, un sérieux et impartial travail d'historien. 

John Byron, le grand-père du poète George Byron


 Mais c’est aussi un récit d’aventures car la réalité, parfois, dépasse  la fiction et l’on finit par penser que Robinson Crusoé avait bien de la chance d’être exilé en solitaire sur une île hospitalière, de même que les mutins du  Bounty sur une terre paradisiaque.

David Grann nous présente d’abord les membres de l’expédition, du moins ceux qui ont tenu un rôle important : le Commodore George Anson, le capitaine du Wager, David Cheap, l’enseigne John Byron (l’ancêtre du poète) et ses pairs Henry Cozens et Isaac Morris, le lieutenant Hamilton ainsi que certains hommes de l’équipage qui eurent une influence décisive sur les cours des évènements comme le canonnier John Bulkeley, le charpentier Cumming et bien d’autres. Ils nous apparaissent, dotés d’un passé, d’une famille, d’une personnalité avec leurs qualités et leurs faiblesses, leurs rêves et leurs ambitions. David Grann leur redonne vie tout en respectant scrupuleusement ce que l’on sait des personnages. Certains, les nobles, assez riches pour se faire portraiturer, ont aussi un visage.
Comme des héros de romans, l’écrivain les lance à travers l’Atlantique, livrant bataille, tout canons dehors, décimés par le choléra et le scorbut, bravant les vagues gigantesques du Cap Horn, description que le talent de David Grann rend terrifiante, faisant naufrage sur une île de la Patagonie désormais appelée l’île du Wager. Cette terre désolée, battue par les vagues, toujours recouvertes de sombres nuages, de neige, de gel, sans aucune ressource alimentaire à part quelques rares coquillages est bien ce que l’on peut appeler un enfer sur la terre. Les marins souffrent de faim, de froid, de maladie d’une manière qui semble être au-delà de tout endurance humaine.  Ils survivent grâce à quelques vivres retirées de l’épave mais les relations humaines se dégradent, la solidarité ne fait pas long feu, l’obéissance au capitaine non plus, mutinerie, vols, actes de violence, meurtre, cannibalisme… 

Le capitaine David Cheap
 

Finalement, avec le bois récupéré du Wager, les survivants vont construire des embarcations et s’enfuir,  le groupe des mutins en abandonnant le capitaine et ses alliés qui partiront de leur côté.  Lorsqu’ils reviendront en Angleterre les mutins et le capitaine David Cheap auront à répondre de leurs actes devant un tribunal. Aucun n’est irréprochable ! 


Famille de Kawesquars, les nomades de la Mer,


Un essai passionnant, donc, comme un roman d’aventures mais qui est aussi une réflexion sur la civilisation. Comme dans Sa Majesté des Mouches, l’ouvrage de William Golding, l’on voit qu’elle n’est qu’un vernis qui s’effrite face à l’adversité. L'homme cesse d'obéir aux lois morales de son pays quand il n'y est pas obligé s'il est réduit à la famine et au désespoir. Et l’on se dit que c’est une leçon d’humilité pour l'être humain ! Une leçon pour tous les pays colonialistes aussi, si pénétrés de la supériorité de leur civilisation ! 
Une leçon pour la Grande-Bretagne -car c'est elle qui est visée ici-  et sa prétention à la supériorité sur les autres peuples !  Les marins anglais sont secourus pas un peuple amical et altruiste, les Kawesquars appelés les nomades de la Mer.
 
 ...trois canoës avaient surgi du brouillard... Il y avait à bord plusieurs hommes à la poitrine nue et aux longs cheveux noirs, armés de lances et de frondes. Il pleuvait, un vent du Nord soufflait avec force et Byron, frigorifié, fut frappé par le spectacle de leur nudité. "Leur tenue n'était faite que de quelques morceaux de peaux de bête autour de la taille et d'un vêtement tissé de plumes sur les épaules", rapporta-t-il.
Le feu était allumé dans chaque canoë et les rameurs semblaient indifférents au froid lorsqu'ils manoeuvraient avec adresse au milieu des vagues. Ils étaient accompagnés de plusieurs chiens, "des animaux qui avaient l'air de corneaux", note Byron, qui surveillaient la mer comme des vigies à l'air farouche."
C'était un groupe de Kawesquars signifiant "peuple qui se vêt de peaux". Avec d'autres groupes  indigènes les kawesquars s'étaient installés en Patagonie, en Terre de Feu des milliers d'années plus tôt.
 
Navigateur chevronné, ce peuple, exceptionnellement adapté à ce climat extrême, connaissait les moindres recoins de la côte, les courants, les cheneaux, les récifs, les abris protégés. Ce sont les femmes qui pilotaient et qui plongeaient vers le fond, dans les eaux glaciales, pour pêcher des oursins. Les hommes chassaient le phoque, l'otarie, le lion de mer. Les Kawesquars ne restaient jamais longtemps sur la même place pour éviter d'épuiser les ressources. Leurs chiens leur servent de veilleurs de nuit, de compagnons de chasse, d'animaux domestiques. Les autotchtones apportent de la nourriture aux anglais, leur offrent des moules d'une taille inusitée et, conscients de la situation désespéré des naufragés, reviennent plusieurs fois pour les aider, apportant chaleur humaine et empathie. Loin d'en être reconnaissant, le groupe des mutins les considère comme des inférieurs et devient menaçant envers eux, cherchant à séduire les femmes et à voler les canoës.
 
Les autres naufragés, Byron et ses fidèles, sauvés par des guides incontestablement supérieurs à eux sur le plan de la navigation et de la connaissance de la nature trahissent "leur racisme viscéral". Byron  appelait les  Patagoniens "des  sauvages". Campbell écrivait : "Nous n'osions déplorer aucun manquement dans leur conduite, alors qu'ils se considéraient comme nos maîtres, et que nous étions obligés de nous soumettre à eux en toutes choses. "  
"En effet, le sentiment de supériorité des naufragés étaient chaque jour battu en brèche."
 
Et à cet égard, la séance du procès est un chef d'oeuvre d'hypocrisie que David Grann dénonce avec ironie et délectation. Mais je ne vous en dis pas plus.  Lisez plutôt le livre, il est passionnant !


***


 Participation au challenge des minorités ethniques initié par Ingammic





lundi 16 octobre 2023

Emile Zola : La joie de vivre

N’ayant pas pu écrire depuis un certain temps je suis en retard sur toutes mes lectures et je ne sais dans quel ordre les prendre! Mais, je me décide et je commence par La joie de vivre que je devais faire en LC avec Miriam puisqu’il y a au moins trois semaines que j’aurais dû rédiger ce billet. 

 La joie de vivre est le douzième volume de la série Les Rougon Macquart d’Emile Zola. 

 
 La joie de vivre: une jeune fille douée pour le bonheur
 
 
La joie de vivre : Film de JP Améris
 

La joie de vivre, c’est évidemment la jolie et gentille Pauline, fille de Lisa Macquart et de Quenu, florissants charcutiers dans Le Ventre de Paris. Orpheline à dix ans, elle entre dans la famille des cousins de son père, les Chanteau, et semble apporter le bonheur avec elle. Toujours gaie, heureuse de vivre, elle seule sait s’occuper avec douceur et délicatesse de monsieur Chanteau qui souffre de la goutte. Elle devient la compagne aimante et admirative de son grand cousin Lazare et madame Chanteau ne tarit pas d’éloges sur elle. Seule, la bonne, Adèle,  ne l’apprécie pas. Peut-être a-t-elle deviné le défaut de la cuirasse de la fillette, une féroce jalousie, qui la pousse à la méchanceté dès qu’elle se sent moins aimée…  Jeune fille, Pauline conserve son affection pour son cousin et tombe amoureuse de lui. La mère leur promet de les marier. 

Pourtant, la jalousie de Pauline est vite rallumée par l'arrivée d'une amie de la famille, Louise,  qui devient sa rivale. Si Louise est la jeune fille "comme il faut", pur produit de cette société bourgeoise du XIX siècle, ignorante, rougissante, coquette et maniérée, Pauline est positive, sportive, forte, intelligente, et cherche à s’instruire. Elle lit les manuels de médecine de son cousin qui lui révèlent les « secrets » du corps humain, du moins ce qui devait rester secret pour une jeune fille de bonne famille. Zola prend résolument position ici dans l’éducation des jeunes filles qui, pense-t-il, ont droit à l’instruction, et doivent accéder à l’étude des sciences. 

De plus, Pauline est riche et la fortune qu’elle a reçue en héritage va peu à peu être dilapidée par sa mère adoptive pour servir les ambitions de Lazare dont les projets fantasques et dispendieux tournent toujours à l’échec, ce qui le plonge dans un abattement sans fin. Au fur et à mesure que la fortune de la jeune fille diminue, son crédit auprès de madame Chanteau fait de même. Et l’on sent bien qu’elle n’est plus un parti intéressant aux yeux de cette femme qui avait pourtant promis de respecter son héritage ! Là, à ce moment, la lecture est si prenante, le suspense instauré par Zola si fort que j’ai été prise d’angoisse et d’indignation ! Impossible de continuer à lire ! Je voyais déjà la jeune fille jetée à la rue comme une mendiante, par ceux-là même qui l’avaient ruinée, et Lazare marié à la belle Louise… Mais Zola est beaucoup plus subtil que moi ! (Forcément, c’est Zola !) Et j’ai eu tort de vouloir conclure le roman à sa place. Son récit montrera l'évolution du caractère et de la personnalité de Pauline, ses doutes, son abnégation.  J’ai donc repris ma lecture et c’est à vous de lire ce qui va se passer. 

 La joie de vivre : une antiphrase

 

Lazare et Louise suivis de Pauline film de JP Ameris

 Le titre  du roman est aussi évidemment à prendre comme une antiphrase :  Car la joie de vivre, c'est le moins que l'on puisse dire n’habite pas Lazare qui a une peur horrible, obsessionnelle, de la mort. En proie à des crises nerveuses, dépressif, il voit la mort partout, l'attendant dans l'ombre, le guettant la nuit. Il  alterne des périodes d’activité et d’enthousiasme, généralement suivies par le découragement et la passivité. 

Et que dire de la mer, omniprésente dans le roman, parfois positivement, encadrant les promenades des deux jeunes gens, donnant la joie à la jeune fille d’apprendre à nager mais la plupart du temps vue comme élément dangereux et puissant que rien ne peut arrêter ! Elle grignote peu à peu les rivages, fracasse les cabanes des pêcheurs, engloutit une part du village, apportant son lot de calamités. La description du peuple et des enfants qui viennent chercher de l’aide auprès de Pauline est accablante.  Emile Zola peint comment la misère, la faim, les logements sordides, le manque d'amour, l'absence d'instruction et l’ignorance  sont à l’origine de toutes sortes de maux, la maladie, l’alcoolisme, l’inhumanité,  l'immoralité, la violence et la cruauté. 

Mais le milieu bourgeois n'est pas meilleur ! La satire, à travers le personnage de madame Chanteau, en particulier, est virulente. Comme d’habitude, Zola décrit à travers elle l’importance accordé à l’argent, la malhonnêteté sous des dehors de charité chrétienne, le mariage conçu comme un marché, la réalité sordide sous l’apparence - même la bonne s’indigne et prend le parti de Pauline - . Monsieur Chanteau, lui, est un être veule, sous la coupe de sa femme, trop égoïste pour avoir une morale, trop préoccupé de lui-même et de sa maladie qu’il entretient par sa gourmandise pour aimer ou protéger autrui et le curé ne vaut guère mieux ! Seul, le médecin échappe à la critique. 

Voici donc un roman d’Emile Zola riche de nombreux thèmes, intéressants dans la psychologie des personnages et dans la peinture des milieux sociaux.


Voir Miriam

lundi 2 octobre 2023

Pekka Juntti : Chien sauvage



 

Dans Chien sauvage de l'écrivain finlandais Pekka Juntti, paru aux éditions Gallmeister, le personnage principal,  Samuel Somerniva -dit Samu- semble avoir un destin tout tracé, du moins aux yeux de son père. Son fils sera mineur : « C’est la place des hommes de notre famille, nous y appartenons ». Oui, mais Samu, avec la complicité silencieuse de sa mère, veut échapper à ce déterminisme. Il part dans le Nord, en Laponie, travailler chez Sanna et Matti dans un élevage de chiens de traîneaux. Le travail est rude, de longues journées sans repos, du matin jusqu’au soir. Il s’agit de nourrir les Huskys, de nettoyer les cages, de recevoir les groupes de touristes, de préparer les repas. Rien d’exaltant, mais avec la récompense, parfois, de courses de traîneau fabuleuses avec Matti pour apprendre le métier. Samu tient le coup car son rêve est de devenir musher, conducteur de traîneaux, parmi les plus grands, ceux qui accomplissent des exploits avec leur attelage sur des milliers de kilomètres.

 Mais de la réalité au rêve, il y a loin. Les chiens de traîneaux coûtent cher, certains valent même des fortunes. Aussi lorsque les deux chiens d’un célèbre musher disparaissent, Nanok et Inuk, Samu se lance à leur poursuite. Si Inuk est retrouvé facilement, Nanok, lui, a repris goût à la liberté et est redevenu sauvage. Cependant, le propriétaire du chien promet au jeune homme que Nanok sera à lui s’il parvient à le capturer. Samu va partir de plus en plus loin dans le Nord, parmi les populations minoritaires qui semblent oubliées de tous sauf quand il s’agit de détruire leurs réserves naturelles et d'exploiter leur bois! Si les Samis l’aident au début, ils vont bientôt devenir hostiles, surtout les éleveurs de rennes, car le chien fait des ravages dans leurs troupeaux. L’entêtement de Samuel à  chercher l’animal et à le protéger suscite la colère des éleveurs, son ignorance des coutumes de la population vont le mettre en danger.
 

Le roman est construit sur deux périodes : Il commence en 2008 et se déroule jusqu’en 2009 pour l’histoire de Samu et est daté de 1942  jusqu’en 1949 pour celle d’Aila et de sa famille qui vivent près de la rivière Tengelio. Les deux récits se rejoindront en 2009 quand Samu, arrivant dans la région tombe amoureux d’Avaa. Mais il y a encore une autre partie insérée entre ces deux périodes, sous la forme de pages numérotées indiquant le nombre de jours que Samuel passe dans une cabane, isolé, mourant de peur et de faim sans que le lecteur sache vraiment ce qu’il fait là !  J’avoue que cela m’a un peu déroutée au début avant de comprendre qu’il s’agissait d’un futur par rapport au présent de Samuel et, là aussi, les deux espaces temporels vont finir par coïncider. Une construction un peu complexe.


Paysage finlandais


Chien sauvage
est d’abord un hymne à la nature mais sans idéalisation. On peut facilement y mourir si l’on ne sait pas respecter sa puissance. Ne jamais se croire plus fort qu’elle ! Les paysages sont magnifiques mais les villages miséreux. Quand Samuel part vers le nord à la recherche de ses chiens, il parcourt d’abord des paysages de marais avec des pins rabougris, une forêt peu dense mais qui devient de plus en plus épaisse coupée çà et là de quelques villages.

J’avais l’impression de remonter dans le temps. C’étaient des villages oubliés. Il y avait de la pauvreté , mais aussi beaucoup de vie. (…) Ces villages me faisaient penser aux pins tordus de mont Ousnasvaaara sur lequel j’avais grimpé en route vers le nord. La vie y était fragile mais tenace. Le panneau indiquait Ylitornio.

 
Les Samis croient aux âmes des ancêtres incarnées dans les arbres. L’environnement, la forêt, les rivières et les lacs sont sacrés non seulement pour assurer leur subsistance mais aussi sur le plan spirituel. Aila fait des offrandes au sapin séculaire d’Arviitti qui les protège en retour. La famille a une ferme, cultive un champ, élève des vaches, vit aussi de la chasse et de la pêche.

Quand le père part à la guerre en 1942, il explique à sa fille : 

… il est toujours agréable de rendre visite au sapin d’Arviitti. On y est seul et en même temps bien entouré : quand on raconte ce que l’on a sur le coeur, tout le monde nous écoute. Il y a le vieux Arviitti et Eevertti, Vänni et Liisi  et tous les autres qui sont partis.
Quand tu rends visite à l’arbre observe la rivière. Si tu l’écoutes bien, tu entendras les rapides chanter le chant de la liberté, les pins bouger au vent sur la colline et les saumons faire claquer leurs queues grandes comme des pelles dans les frayères. Il y en a un près de la rive, dans le contre-courant d’un rocher, là où le lac commence. Ma chère Aila, tu as bien constaté que sur la berge de la rivière, le rosier sauvage est encore en fleur. Il ne nous arrivera rien.

 

Pekka Halonen : peintre finlandais

 

Après la guerre, le gouvernement pour reconstruire le pays et relancer l’économie, ouvre de grandes campagnes de coupes forestières qui détruisent la forêt et ravagent des régions entières. Des chantiers pour construire des barrages et des centrales hydrauliques sur la rivière Tengelio voient le jour. Mais ce serait fatal aux saumons qui seraient dans l’impossibilité de remonter le cours d’eau. La colère des hommes s’éveille.

Ils trouvent toujours une bonne raison pour venir ici et tout détruire. Bon Dieu, on a vécu dans le sang et dans la merde à cause de ce satané état finlandais et voilà la récompense !

 Des forestiers, des chefs de chantier, disparaissent mystérieusement. Nul ne peut les retrouver. On dit que la  forêt se venge, qu’elle les a emportés. Et que signifient ces trois roses que certains se voient offrir car les roses poussent aussi sur les bords glacés de la Tengeliö ?  

Chanson de la Tengeliö

Là où scintillent la Tingeliö, 

ses miroirs, ses courants,

Tu peux trouver le bonheur

si tu découvres la fleur.

Pourtant, les jeunes, comme Vaïnö, le frère d’Aila, sont attirés par la grande ville, Helsinki, par l’argent gagné rapidement en s’engageant dans les chantiers bien payés, par le confort d’une maison avec l’électricité. Les femmes lancent des pétitions pour que leurs enfants aillent à l’école.  

« D’après elle, puisque nos forêts et nos eaux leur plaisent tant, ils nous doivent bien ça en contrepartie. »

C’est le monde ancien et moderne qui s’affrontent. Finalement, Le président de la République Urho Kaleva Kekkonen préserve la région  en faisant un parc national d’étude de la nature.

Chien sauvage
n’est pas un de mes coups de coeur, je n'ai peut-être pas été assez accrochée par les personnages qui me semblent parfois froids et un peu démonstratifs. Certains thèmes qui m'intéressaient comme celui de la réalisation du rêve de devenir musher est abandonné. Peut-être que mon attente était trop à la Jack London ou à la Oliver Curwood quand j'ai choisi ce livre !  Mais il présente de belles descriptions de la nature, une connaissance de la vie sauvage et de la vie des peuples du nord.  Le propos écologique est intéressant. J'ai lu ce roman avec plaisir.




 



samedi 30 septembre 2023

Honoré de Balzac : Une ténébreuse affaire

 

Une Ténébreuse affaire d'Honoré de Balzac, paru dans les scènes de la vie politique, porte bien son nom et raconte l’histoire d'un double complot.
D’une part celui fomenté par les émigrés royalistes rentrés en France et financés par l’étranger, la Russie, la Prusse, l’Angleterre, contre Napoléon Bonaparte. Dans le roman, ce sont les personnages des jumeaux Simeuse et des frères Hauteserre qui veulent rétablir la royauté. Ils sont accueillis à Arcis-sur-Aube par leur cousine Laurence de Cinq-Cygne qui les cache sur la partie du domaine dont elle est encore la propriétaire, le reste ayant été vendu comme biens nationaux pendant la Révolution

 

Laurence de Cinq-Cygne
 

Laurence de Saint-Cygne a tout de l’héroïne des romans gothiques, belle, courageuse, arrogante, pleine de morgue et de supériorité envers les roturiers. Plus elle est méprisante, plus elle plaît à Balzac !  Elle ne devient humaine qu'à la fin du roman. Fougueuse, héroïque, elle sait manier des armes et participe au complot. Mais Fouché leur a envoyé des espions, Peyrade et Corentin, qui sont chargés de les surveiller voire de les arrêter.

Grâce à son fidèle régisseur Michu, Laurence de Cinq-Cygne cache les jeunes gens dans la ruine d’un ancien monastère puis les fait évader mais ils seront rattrapés et faits prisonniers.

D’autre part et parallèlement, Fouché qui convoite le pouvoir, a comploté contre Bonaparte. Il se ravise après la victoire de l’empereur à Marengo, veut détourner les soupçons de sa personne. Des hommes masqués se faisant passer pour les Simeuse, Hauteserre et Michu, semblables par la taille et les vêtements, enlèvent Malin, conseiller d’état, ancien révolutionnaire, qui a racheté le domaine de Gondreville  appartenant aux Cinq-Cygne et caché des documents compromettants pour Fouché. Les nobles et leur régisseur Michu sont arrêtés. Un procès a lieu mais seul Michu est condamné à mort. Les gentilhommes iront grossir les rangs de la Grande Armée  et mourir pour l’Empereur sur les champs de bataille. Le roman s’inspire d’un fait vrai, l’enlèvement du sénateur Clément de Ris capturé sur l’ordre de Fouché par des bandits pour faire accuser des nobles normands, ses ennemis,  parfaitement innocents.

La marquise de Cinq-Cygne se rend à Iéna, la veille de la bataille pour supplier l’Empereur de sauver son régisseur. Celui-ci a cette réponse dans laquelle transparaît l’admiration de Balzac pour Napoléon malgré ses opinions légitimistes :

« Voici, dit-il avec son éloquence à lui qui changeait les lâches en braves, voici trois cent mille hommes, ils sont innocents, eux aussi ! Eh bien, demain, trente mille hommes seront morts, morts pour leur pays ! »

Michu aura, lui aussi, une belle mort, édifiante  : 

« Les innocents doivent aller à pied ! » dit-il en refusant de monter sur la charette.

 

Une ténébreuse affaire : Corentin

Enfin voilà, j’ai essayé de débroussailler  cette histoire car l’affaire est vraiment si… ténébreuse que je m’y suis perdue !
Comme d’habitude Balzac y réussit des portraits haut en couleur, en particulier des espions de Fouché, le physique et les vêtements annonçant la couleur, c’est à dire le caractère du personnage et sa condition sociale.

Peyrade : « Sa figure bourgeonnée, son gros nez long couleur de brique, ses pommettes animées, sa bouche démeublée, mais menaçante et gourmande, ses oreilles ornées de grosses boucles en or, son front bas, tous ces détails qui semblent grotesques étaient rendus terribles par deux petits yeux placés et percés comme ceux des cochons et d’une implacable avidité, d’une cruauté goguenarde et quasi joyeuse. »

Corentin : « Ce parfait muscadin paraissait âgé de trente ans. Ses manières sentaient la bonne compagnie, il portait des bijoux de prix. Le col de sa chemise venait à la hauteur de ses oreilles. Son air fat et presque impertinent accusait une sorte de supériorité cachée. Sa figure blafarde semblait ne pas avoir une goutte de sang, son nez camus et fin avait la tournure sardonique du nez d'une tête de mort, et ses yeux verts étaient impénétrables ; leur regard était aussi discret que devait l'être sa bouche mince et serrée. »


 Il peint avec finesse les duplicités et le cynisme des hommes politiques qui, ne sachant si Bonaparte va être vainqueur ou non, essaie de ménager l’un et l’autre, louvoyant toujours pour tirer leur épingle du jeu. Pas d’idéal mais de la basse politique ! 


La Bataille d'Iéna

Enfin il y a de grandes scènes d’une beauté picturale et marquante : Ainsi la scène où Laurence de Cinq-Cygne part avec le Marquis de Chargeboeuf dans son vieux carrosse brinquebalant et se retrouve prise entre deux feux en avant de l’avant-garde de l’armée française !
La nuit venait, Laurence voyait s’allumer des feux et briller des armes. Le vieux marquis, dont l’intrépidité fut chevaleresque, conduisait lui-même, à côté de son nouveau domestique, deux bons chevaux achetés la vieille. … Tout à coup l’audacieuse calèche, objet d’étonnement de tous les soldats, fut arrêtée par un gendarme de la gendarmerie de l’armée qui vint à bride abattue sur le marquis en lui criant :
- Qui êtes-vous ? Où allez-vous ? Qui demandez-vous?
- L’empereur, dit le marquis  de Chargeboeuf ...


Pourtant même si ce récit est riche et bien écrit, je n’ai pas eu plaisir à le lire car je ne connais que dans les grandes lignes l’Histoire de ces temps troublés. Il faut être un spécialiste déjà averti et avoir des connaissances pointues pour tout comprendre. J'y suis parvenue mais avec difficulté.
De plus, comme pour Les Chouans, je n’aime pas ce Balzac royaliste et ces nobles pleins de mépris et d’arrogance qu’il ne peut s’empêcher de révérer et de peindre en images d'Epinal ! Cette noblesse dont il légitime la morgue et qui cherche à rétablir ses privilèges en trahissant la France, en vendant son pays aux nations étrangères, ne m’emplit pas d’admiration contrairement à lui !
 

jeudi 28 septembre 2023

Eva Jospin : Palazzo, exposition au Palais des papes d'Avignon

Palais des papes d'Avignon : exposition Eva Jospin, Grande Chapelle : Côté cour côté Jardin, Nymphée, Cénotaphe


"Diplômée de l'École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris, Eva Jospin compose depuis une quinzaine d’années des paysages forestiers et architecturaux qu’elle développe dans différents médiums. Du 30 juin au 7 janvier 2024, l’exposition Palazzo investit différents espaces du Palais des Papes, invitant à une déambulation rêveuse entre des œuvres choisies de l'artiste pour répondre à l’histoire et l’architecture de la résidence pontificale."

 

Eva Jospin sculpte dans le carton des oeuvres monumentales
 

Le palais des Papes et les Mondes parallèles d'Eva Jospin  



La déambulation rêveuse parmi les oeuvres d'Eva Jospin est aussi une promenade dans le majestueux palais des Papes d'Avignon, ce qui décuple le plaisir de la découverte, le déplacement spatial devient aussi voyage temporel. 

Les tombeaux et des gisants du palais évoquent la mort toujours liée à la mémoire dans les ruines des cités disparues où nous fait pénétrer l'artiste. 

 

Cénotaphe : Eva Jospin
 

Et cette oeuvre, ci-dessous, dans la chapelle Saint Jean, répond aux fresques de Matteo Giovanetti du XIV siècle.

 

Eva Jospin : Chapelle saint Jean : fresques du XIV siècle

 

L'artiste crée des correspondances secrètes et subtiles entre son travail artistique  et le vieux palais,  piliers,  recoins obscurs,  passages dérobés, voûtes gothiques,...

 

Voûte en ogive : rappel du  palais gothique

qui n'est pas sans rappeler aussi les voûtes nervées des palais hispano-musulmans :

 

 art hispano-musulman

 

 Palais des Papes : pilier sculpté par le vent, pilier à cinq colonnes

Dans la salle du Parement, une forêt inextricable, semé d'embûches, hérissées de piquants, cache, comme dans un conte de fées, un vieux château oublié.

 

 Salle du parement : Une forêt inextricable... carton et bois

  

Des Mondes imaginaires


Eva Jospin Palais des papes  : Nymphée


La Grande Chapelle présente les oeuvres monumentales d'Eva Jospin qui donnent l'impression de pénétrer au coeur de mondes mystérieux si bien que l'on ne sait plus vraiment où l'on est.  Intitulées  : Côte cour, côté jardin, Nymphée, Cénotaphe, elles s'élèvent, couronnées par les arcs en ogive, et se déploient dans ce vaste ensemble. 


Côté cour côté jardin comme dans un théâtre mais aussi fontaine

Dans Côté cour, Côté jardin qui évoque le théâtre peut-être en souvenir de Shakespeare : "le monde entier est un théâtre, et tous, hommes et femmes, n'en sont que les acteurs",  le décor est une fontaine d'où s'écoulent de minces filets d'eau. Eau ou sable poussé par le vent ou cendres  ? Car le  corps replié sur lui-même, en position foetale, rappelle la mémoire de Pompéi ou de tout autre cité disparue. Le corps emprisonné devient alors un de ces moulages que les archéologues ont pu recueillir dans la ville ensevelie.


Eva Jospin Palais des Papes côté cour Côté jardin


 Architecte et sculptrice

 

Cambodge : Angkor Temple
 

Ainsi l'on peut dire que Eva Jospin est architecte, elle crée avec du carton et du bois des villes oubliées, des grottes décorées de coquillages, des nymphées, des ruines envahies par la végétation luxuriante, croulant sous les lianes comme sous le poids des années, témoins de l'éphémérité des civilisations humaines.  Parfois l'on part dans un autre continent, on pense aux temples kmers dévorés par des arbres  gigantesques aux racines tentaculaires.


Eva Jospin Palais des papes : La forêt corinthienne


La forêt corinthienne (détail)


Regardez les détails : cet escalier qui monte jusqu'à ce temple prisonnier de la végétation. On est dans un film d'Indiana Jones ! 

 Sur le plan pictural on pense à la mode des ruines au XVII siècle, Monsu Desiderio, ou des peintres du XVIII siècle, Piranesi... 

 

Monsu Desiderio : l'Atlantide

  

 Piranesi : Temple de Minerve


Mais elle est aussi sculptrice, elle façonne dans le carton, ces décors étranges, ces reliefs qui semblent érodés par le vent et qui nous transportent au milieu d'un désert de pierres

 

Des formes érodées par le vent
 

 

Eva Jospin  : un désert


Les Tapisseries de soie

 

Eva Jospin : Les tapisseries de soie dans le Grand Tinel
 

Eva Jospin abandonne de temps en temps le carton pour présenter de splendides tapisseries de soie qui reprennent ses thèmes de prédilection, les ruines, les cités étouffées sous la végétation. Le Grand Tinel du Palais des Papes est un cadre somptueux qui les met en valeur.

 


 

 

Eva Jospin : Tapisserie de soie : détail

 

Eva Jospin : Les tapisseries de soie : détails
 


Exposition Eva Jospin : Palazzo

 Du 30 Juin 2023 au 7 Janvier 2024

Ouverture : 

Du 30/06/2023 au 07/01/2024, tous les jours.

  • du 30 juin au 5 novembre : de 9h à 19h.
  • du 6 novembre au 22 décembre : de 10h à 17h.
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samedi 23 septembre 2023

Gaspard Koenig : Humus

 



Humus de Gaspard Koenig est un roman écologique où deux étudiants en agronomie prennent la mesure du défi qui les attend et du sort qui menace le genre humain face à l’appauvrissement des sols ruinés par les pesticides, dépourvus d'humus. C’est une évidence qui nous mène tout droit à la famine alimentaire et à la fin de l’humanité. Car, il faut savoir que Humus, en latin signifie Homme et que sans humus, la vie n’est plus possible ! Mais il semble qu’il y ait une solution, apprennent les deux amis, Kevin et Arthur, au cours d’une conférence sur les vers de terre, c’est le vermicompostage. Et oui, le lombric comme sauveur de l’humanité ! Il faut dire que ces adorables petites bêtes travaillent pour nous, aèrent la terre, transforment les déchets en matière organique et enrichissent nos sous-sols ! Au lieu de les empoisonner, il faut, au contraire, les protéger et et les réintroduire par inoculation dans les sols épuisés. Et voilà nos deux agronomes partis en croisade ! Les Rastignac du ver de terre !


Le lombric : 7000 espèces différentes


Les espaces infinis qui fascinent  les philosophes ne se trouvent pas au-dessus de nos têtes mais sous nos pieds. Les vers de terre transforment le sol en un dédale de chemins, de croisements, de puits, de cachettes. Chaque mètre carré dissimule  cinq mètres de galeries, un réseau encore plus dense que celui  des pyramides. Ce sont elles qui permettent de remonter depuis les entrailles de la Terre, les éléments nutritifs à la vie et, inversement, qui drainent l’eau de la pluie pour la garder en réserve. Sans cette architecture complexe, les sols se tassent, l’eau ruisselle en surface et les plantes restent affamées.


Ironie et dérision

 

C'est la faux qui doit travailler...

 

Arthur le bourgeois, fils d’avocat, choisit d’aller cultiver ( c’est logique ! Lui, ne sait pas ce que c’est !) la terre familiale « pesticidée », si j’ose dire, au dernier degré.
 Kevin, fils d’ouvriers agricoles, se gardent bien de suivre l’exemple de ses parents (pas bête ! Lui, sait  !)

« Malgré tout le prix qu'il accordait à leur amitié, Kevin ne s'imaginait pas un instant vivre en Basse-Normandie avec deux néo-ruraux émerveillés par les papillons. »

 
Il se lance dans la création d’une start-up de vermicompostage à grande échelle, qui, grâce aux lombrics de tout acabit et par un procédé naturel, sans engrais et sans pesticides, va fournir une terre noire, grasse et riche qui sera vendue partout dans le monde. Certes, il ne connaît rien à la gestion de l’entreprise et à la recherche des financements mais il est aidé par la cupide Philippine, qui incarne le capitalisme sans scrupules, dans toute son horreur et sa malhonnêteté.

Et bien, sachez-le, nos deux agronomes échoueront ! C’était couru d’avance mais il faut lire le roman pour  comprendre pourquoi et comment. Humus est une charge contre notre monde actuel qui ne sait pas s’arrêter dans cette course vers la mort et est déjà, comme le champ d’Arthur, à un point de non retour. Il est une critique du capitalisme qui n’hésite pas à vendre son âme (c’est ce que finit par faire Kevin) lorsqu’il s’agit d'argent.

Si c’est un constat assez amer, c’est avec ironie et dérision que Gaspard Koenig nous raconte cette histoire qui ne laisse pas cependant d’être angoissante. Il y a des moments d’humour que j’aime beaucoup quand Arthur, par exemple, défrichant son champ à la faux et refusant vertueusement l’utilisation du tracteur, est obligé - couvert de pansements -  de lire le mode d’emploi de cet outil qu’il est bien incapable de manier !

« C’est la faux qui doit travailler et non vous. » Il était bien d’accord.
Votre faux étant à plat sur le sol, posez un point de repère quelconque au point A au ras de la lame. Tout en maintenant la pointe du manche contre votre botte, saisissez la poignée du milieu et faites pivoter la faux au ras du sol jusqu’à ce que la pointe p vienne jusqu’au repère A. » etc…


ou quand désireux de se suicider, il calcule quel genre de mort aura le moins d’impact sur l’environnement!
Ce n’est pas pour rien que Arthur se trouve vers l’éco- terrorisme, lui aussi, voué à l’échec.

Une satire de certains milieux
 
Campus Agro Paris tech


Le roman est aussi une satire des milieux bourgeois comme des milieux financiers qui, lorsqu’ils apprennent que Kevin est issu d’un milieu modeste et fait ses études dans cette grande école d’agronomie, l’Agro Paris Tech, se réjouissent, confortés dans leur bonne conscience, que « l’ascenseur social » fonctionne en France (même si Kevin est le seul avoir atteint ce niveau !).

« Kevin resta muet. Il ne comprenait pas cette histoire d’ascenseur. Il avait plutôt l’impression de marcher d’une aventure à l’autre sans monter ni descendre. »

Ironie aussi envers le parisianisme de la directrice RSE  (de l’Oréal) qui rencontre Kevin :

« Madame RSE le regarda avec étonnement. Si l’idée qu’on puisse naître et grandir dans le Limousin était un
e vérité théorique incontestable, elle n’avait encore jamais rencontré de cas pratique. »

L’Agro Paris Tech, d’ailleurs, n’échappe pas à l’ironie de Koenig, cette grande école qui oeuvre pour booster le déploiement de la bioéconomie mais qui forment surtout des jeunes loups  soucieux de faire une carrière lucrative. L’hypocrisie consiste à la fin de l’année d’étude à laisser parler pendant quelques minutes « les bifurqueurs » «  pour dénoncer l’agribusiness et présenter leurs projets alternatifs en ferme autogérée ou à la Confédération paysanne, sous les applaudissements de leurs camarades qui, eux, auraient déjà signé leurs contrats chez Danone. »

Sous la forme d’un roman présentant des personnages que l’on suit avec plaisir, Gaspard Koenig dresse, avec un  humour grinçant, un constat pessimiste de l’état de la planète mais la fin présente pourtant une note d’espoir.


LC avec Keisha ICI  et Je lis je blogue ICI

jeudi 21 septembre 2023

Sorj Chalandon : L 'Enragé

 

Dans l’Enragé, Sorj Chalandon  raconte la mutinerie des enfants de la colonie pénitentiaire de Belle-île sur Mer, Haute-Boulogne, en août 1934.
Il s’agissait d’un véritable bagne pour mineurs, petits délinquants rejetés par leur famille, ou tout simplement, orphelins abandonnés sur le seuil d’une église. Les conditions de vie, les sanctions disciplinaires y sont d’une dureté incroyable : violences physiques et morales, humiliations, privation de liberté et de nourriture. De plus, ils sont traités comme des esclaves et fournissent une main d’oeuvre bon marché aux habitants de l’île. Un jour, la brutalité gratuite d’un chef met le feu au poutres. Les détenus se révoltent, frappent, pillent, détruisent puis s’enfuient.

C’est à travers le regard d’un personnage fictif, Jules Bonneau, dit la Teigne, que Sorj Chalandon nous fait vivre ces ignominies. Ce surnom, Jules l’a gagné auprès de ses co-détenus et des surveillants de la colonie tant sa rage est grande contre ce système qui broie l’individu. Pour survivre, il faut savoir se faire respecter et ne jamais faire preuve de faiblesse. Ce n’est pas le cas de Camille Loiseau, un enfant de 13 ans, trop fragile pour se défendre et qui subit, de plus, les sévices sexuels des « caïds », ceux qui, parmi les plus âgés des détenus, ont perdu tout humanité. Car, bien sûr, loin d’être éducatif, cet univers carcéral pervertit les esprits, émousse les consciences et entretient la violence.

Dans la réalité tous les détenus ont été repris. Dans son roman, Sorj Chalandon imagine que Jules s’en sort grâce à l’aide de braves gens, Sophie, l’infirmière du bagne, Ronan, son mari, patron d’un bateau de pêche et son équipage. Ronan, le socialiste, Alain le communiste, Pantxo, le basque, anarchiste, qui ne sont peut-être pas toujours d’accord mais qui s’unissent tous contre la même injustice, celle que l’on inflige aux plus faibles.
Ce drame se déroule dans un contexte historique nocif, avec la montée de l’extrême-droite en France, (les Croix de Feu) comme en Allemagne, le renforcement des idées réactionnaires, contre l’émancipation des femmes, leur droit de vote, (avec une page terrible sur l’avortement), mais aussi l’antisémitisme de plus en plus virulent, tout ceci sur fond de guerre d’Espagne avec le carnage de Guernica !

Ce qui m’a intéressée, c’est que Sorj Chalandon ne tombe pas dans l’angélisme. Les enfants deviennent pour certains des bêtes sauvages et Jules, lui-même, qui a pourtant des éclairs de conscience et d’humanité, se rêve criminel avant de le devenir.

« J’allais te voler Ronan ! J’étais à deux doigts. (…)  Tu sais Ronan, je suis un bandit. C’est une canaille de Haute-Boulogne que tu as accueillie dans ta chaloupe et sous ton toit. Pas un orphelin pitoyable, qui sanglote avec un caïd entre les reins, mais une Teigne. Une vraie. Un chacal pelé, sans père ni mère, sans rien de ce qui fait votre humanité. »

« Tu espérais quoi, le communiste ? Que j’allais défiler avec toi contre la vie chère ? Je m’en fous de tes combats. Quand je lève le poing, c’est pour ma gueule. Et toi le basque, tu attendais quoi ? Que je te rende la chemise et le pantalon que tu m’avais prêtés pour enterrer la vieille ? Jamais, tu m’entends ! Il resteront au fond de mon sac. (…) C’est ça que vous voulez sauver ? Ce chien enragé? »

 L’écriture est belle, énergique, vent debout contre l’injustice et la barbarie. Je l’ai lu sans pouvoir m’arrêter tant j’ai épousé la révolte du jeune homme, tant j’ai vécu les dangers de l’évasion, les mutins n’ayant d’autres ressources que de se jeter à l’eau ou de braver la mer sur un esquif volé au péril de leur vie. Cette chasse à l’enfant comme l’a écrit Jacques Prévert alors présent sur l’île, jette les Bélillois à la poursuite des fugitifs, chaque capture apportant 20 francs au chasseur d’enfants.


Un roman passionnant et addictif.


 

Jacques Prévert : La chasse à l'enfant

Colonie pénitentiaire de Belle-île-en-Mer
 

J'ai presque terminé L'enragé de Sorj Chalandon que je commenterai bientôt et qui raconte la mutinerie  des enfants de la colonie pénitentiaire de Belle-Île-en-Mer en août 1934. Aussitôt a ressurgi le souvenir du poème de Jacques Prévert,  La chasse à l'enfant, que j'avais appris par coeur quand j'étais enfant, tant ce texte tiré du recueil "Paroles", publié en 1946, m'avait touchée.

Or dans le roman de Sorj Chalandon, on rencontre le poète, silhouette discrète que les habitants de l'île prennent d'abord pour un policier. On le voit sympathiser avec Ronan et Alain, deux marins qui viennent en aide à Jules, personnage fictif, dit l'Enragé, dit la Teigne, un des mutins en fuite ! Effectivement, Jacques Prévert était dans l'île avec des amis quand les enfants se sont enfuis et que la population a commencé à les traquer.

 

La Chasse à l’enfant
 

Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Au-dessus de l'île
On voit des oiseaux
Tout autour de l'île
Il y a de l'eau
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Qu'est-ce que c'est que ces hurlements
Bandit ! Voyou ! Voyou ! Chenapan !
C'est la meute des honnêtes gens
Qui fait la chasse à l'enfant
Il avait dit "J'en ai assez de la maison de redressement"
Et les gardiens, à coup de clefs, lui avaient brisé les dents
Et puis, ils l'avaient laissé étendu sur le ciment
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Maintenant, il s'est sauvé
Et comme une bête traquée
Il galope dans la nuit
Et tous galopent après lui
Les gendarmes, les touristes, les rentiers, les artistes
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
C'est la meute des honnêtes gens
Qui fait la chasse à l'enfant
Pour chasser l'enfant, pas besoin de permis
Tous les braves gens s'y sont mis
Qui est-ce qui nage dans la nuit ?
Quels sont ces éclairs, ces bruits ?
C'est un enfant qui s'enfuit
On tire sur lui à coups de fusil
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Tous ces messieurs sur le rivage
Sont bredouilles et verts de rage
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Rejoindras-tu le continent ? Rejoindras-tu le continent ?

Au-dessus de l'île
On voit des oiseaux
Tout autour de l'île
Il y a de l'eau.

 

 

Le poème, mis en musique par Joseph Kosma, chanté par Mouloudji