Pages

mardi 26 novembre 2013

Rentrée littéraire : Laura Kasischke, Esprit d'hiver




Avec Esprit d'hiver qui fait écho au poème de Wallace Stevens Bonhomme de neige  dont le vers  Il faut posséder un esprit d'hiver éveille des réminiscences peu agréables dans l'esprit de Holly, personnage principal du récit, Laura Kasischke signe un roman qui est pour moi un coup de coeur.

L'esprit de l'hiver imprègne ce huis clos à deux personnages, Holly et Tatiana, sa fille adoptive d'origine russe. Les uns après les autres les invités de Holly se décommandent renonçant,  à cause de la tempête, à  partager le repas de Noël que Holly est en train de préparer. Isolées du monde par la neige qui recouvre le paysage dans cette région du Michigan où les hivers sont rigoureux, la mère et l'adolescente se retrouvent  dans une solitude à deux qui va se révéler pesante.
 Il semble, en effet, que rien ne peut  se dérouler normalement ce jour-là, à commencer par l'angoisse qui saisit  Holly à son réveil tardif. Pourquoi cette pensée néfaste s'impose-t-elle à elle : "Quelque chose les avait suivis depuis la Russie jusque chez eux". Pourquoi le souvenir récurrent  de l'adoption de Tatiana, en Sibérie, il y a quinze ans de cela, viennent-ils la perturber. Et surtout pourquoi Tatiana, si belle, si aimante et si aimée, a-t-elle ce comportement bizarre envers sa mère? 
Le récit s'inscrit dans une seule journée et comporte de fréquents retours en arrière sur le passé de Holly, sur l'enfance de Tatiana, créant un leitmotiv obsédant. Holly parle de son désir d'enfant, elle qui ne peut être mère, de son désir d'être poète, elle qui ne peut écrire. Les images de l'orphelinat sinistre en Sibérie où la vie d'un bébé ne tient qu'à un fil hantent sa mémoire. Le lecteur se sent, comme Holly, prise au piège de toutes ces pensées  inquiétantes. Les rosiers du jardin protégés par des sacs sont semblables à des petits crânes emplis de roses, des esprits faits roses,  la poule Sally que Tatiana aimait temps a été déchiquetée par les coups de bec de ses compagnes, le rôti est une chose morte que Holly doit sortir à toute hâte de la maison… Laure Kasischke avec un talent considérable distille l'angoisse à dose infinitésimale mais progressive et continue.  Son style poétique, fait entendre des dissonances, provoque des perturbations en nous. L'auteur utilise la métaphore pour peindre la souffrance de Holly comme un paysage intérieur hivernal où tout semble étouffé, ou les bruits paraissent amortis, où la souffrance est comme recouverte d'un linceul. 
J'avoue avoir été complètement ensorcelée par cette voix désolée qui est celle de Holly, touchée par le sentiment de  détresse et de solitude, fascinée par tous les non-dits du roman que nous percevons dans la grisaille de l'hiver.  Il faut être un grand écrivain pour faire sentir tout cela, pour communiquer une telle émotion sans avoir besoin de dire, juste par la suggestion, puis peu à peu, en semant des indices de çà de là, légers comme des  flocons puis formant un tout pour nous amener à comprendre!  Une très belle lecture! Une réussite!

Voir Clara ICI

15 commentaires:

  1. j'ai été secouée, mise à mal, manipulée et la fin m'a scotchée !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui tout cela.... mais aussi très touchée par des thèmes pour lesquels je me sens concernée comme la vie des ces enfants, les malformations liés à la malnutrition, les mauvais traitements, etc... dans les orphelinats russes, les problèmes de l'adoption, les souffrances des couples qui ne peuvent avoir d'enfants etc... et encore bien d'autres.

      Supprimer
  2. Je ne pense pas que ce roman soit fait pour moi, et voilà que ton billet me fait réfléchir ...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Mon avis n'est pas tiède! Esprit d'hiver m'a vraiment emballée. Rien n'est gratuit dans la souffrance qui s'exprime dans ce livre. Les thèmes traités peuvent concerner chacun d'entre nous!

      Supprimer
  3. Avis diamétralement opposé j'ai été gênée par le côté manipulation perverse de ce roman qui m'a mis très très mal à l'aise

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui, j'ai vu qu e tu n 'aimais pas! Nous sommes souvent d'accord dans nos lectures mais là pas du tout!
      Personnellement je ne parle pas de manipulation. En fait tout est dit dans ce roman, c'est nous qui ne voulons pas comprendre parce que nous sommes placés selon le point de vue de Holly et épousons son déni total. Quand tu relis le texte après le dénouement, une fois que tu sais, tu t'aperçois que tout est dit ; le style est Kasischke est métaphorique, toutes les métaphores nous ramènent au dénouement, nous y prépare. C'est du grand art, un grand écrivain! Sans compter ce style poétique mais qui fait si mal!
      D'autre part, je ne peux pas parler de manipulation perverse car rien n'est gratuit dans ce roman (contrairement à certains thrillers qui jouent avec la peur des gens et l'attrait du morbide). Les thèmes que Kasischke développe peuvent toutes nous toucher, font partie de la vie ,concerne les coupleset la femme en particulier : la dénonciation de la mortalité, la maltraitance, la malnutrition des enfants dans les orphelinats russes alors que Eltsine vient d'interdire l'adoption, les difficultés de l'adoption , la culpabilité des couples qui laissent les enfants de faible constitution dans ces mouroirs, qui sont donc juges de ceux qui doivent vivre et mourir... La maladie génétique qui touche certaines femmes , leurs souffrances psychiques et physiques, enfin les relations parents-adolescents, la nostalgie éprouvée devant l'enfant qui grandit , qui s'éloigne, et puis bien sûr ce qui est le centre du roman et dont je ne peux parler ici mais qui me touche au plus profond.

      Supprimer
  4. Ah ! Je suis très contente ! cela m'aurait peiné que tu n'aies pas aimé après tous les avis négatifs que 'ai lus ces derniers temps ! J'ai été vraiment touchée par l'ambiance plus que particulière qui règne dans la maison, par ce duo mère-fille...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui, très touchée ; c'est ce que je disais à Dominique. Pour moi, si le roman laisse mal à l'aise ce n'est pas à cause d'une manipulation perverse mais par le fait que l'on se sente si concernée, si impliquée parce que nous pourrions vivre ce qu'elle vit.

      Supprimer
  5. Comme je le disais aujourd'hui sur un autre blog, les avis sont partagés ! Je ne sais plus à quoi m'en tenir... il va falloir que je le lise !

    RépondreSupprimer
  6. Syl, oui, je crois qu'il n'y a plus que ça à faire!!

    RépondreSupprimer
  7. J'ai été surprise par la fin! En relisant, c'est plausible, mais il faut reconnaître qu'on n'ose pas imaginer une telle signification aux métaphores distillées par l'auteur. pour ce qui est de la manipulation du lecteur,le principe de l'oeuvre de fiction, c'est d'emmener le lecteur où l'on veut. Il veut jouer le jeu (ou pas) c'est tout de même très subjectif...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui tu as raison c'est très subjectif! Et la preuve en est que les avis sont rarement mitigés, ou ils sont enthousiastes, ou ils expriment un rejet très net. Et je comprends très bien pourquoi on peut avoir ce rejet! C'est un livre qui bouscule de toutes façons. Quant à moi, je n'ai pas fini d'en parler! j'aurais encore des tas de choses à dire sur cette oeuvre!

      Supprimer
  8. Il m'attend sur ma PAL lui aussi... Le sujet me semble très fort cette fois ci... Avec l'auteur j'ai eu du très bon, comme du très bof-bof ;0)

    RépondreSupprimer
  9. ça y est : lu :0) Comme tu le vois j'ai trouvé ton billet et ai rajouté ton lien vers le mien. Je suis ravie que nous ayions eu la même perception de cette lecture, c'est une lecture qui fait mal, qui remue... mais qui marque durablement.. Je ne regrette en rien de l'avoir lu :0) Bises

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. je retrouve ce message bien tard et c'est bien dommage; je vais venir voir si je n'ai pas laissé passer ton billet!

      Supprimer

Merci pour votre visite. Votre message apparaîtra après validation.