Après avoir vu au festival d'Avignon, cet été, Les Téméraires, une pièce de Charlotte Matzneff, qui réunit Emile Zola et Méliès dans la lutte contre l’antisémitisme et l’injustice à propos de l’affaire Dreyfus, j’ai voulu en savoir plus sur Emile Zola afin de démêler ce qui est historique dans la pièce et ce qui appartient à l’imagination de l’auteur.
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Zola, Jeanne et leurs enfants
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La biographie d’Emile Zola de Henri Troyat est une oeuvre agréable à lire, qui se lit comme un roman. Les faits marquant de la vie de Zola y sont relatés, sa naissance à Aix-en-Provence, son admiration pour son père, ingénieur, qui meurt lorsque l’écrivain est encore un enfant, laissant la famille dans la gêne, les humiliations subies à l’école en tant que fils d’Italien et son attachement à la France - il doit demander sa naturalisation - son amitié avec Cézanne et plus tard sa brouille, son double foyer, entre sa femme Alexandrine et sa maîtresse Jeanne qui lui donne des enfants qu’il adore, et sa prédilection pour la photographie qui a marqué son oeuvre.
Et puis son combat pour la justice et contre l’antisémitisme, le célèbre J’accuse, l’exil en Angleterre, les ennemis qui s’acharnent sur lui et sa famille, et sa mort en 1902, empoisonné par le monoxyde de carbone, la nuit, dans son lit, plus tard le transfert de sa dépouille au Panthéon, en 1908, à laquelle assistait Dreyfus. Ce que je ne savais pas, c’est que ce dernier fut blessé au bras à la sortie de la cérémonie par un tir de pistolet, échappant ainsi à une tentative d’assassinat.
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Nana
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Mais ce qui m’a le plus intéressée dans cette biographie c’est la manière dont il a été traité en France, la haine qui a déferlé sur lui alors qu’il était reconnu partout comme un grand écrivain et reçut à l’étranger avec tous les honneurs, en particulier en Italie, bien sûr. Ce qui ne l’a pas empêché, d'ailleurs, d’obtenir en France un vif succès de lecture auprès du public, ses chiffres de vente le prouvent, et une notoriété grandissante malgré les inimitiés.
En effet, ces ouvrages suscitent la plupart du temps l'indignation et sont enveloppés d'une aura de scandale. Avec Nana, par exemple, on lui reproche d’attenter aux bonnes moeurs et les critiques sont d’une bassesse affligeante, n’épargnant pas sa vie intime, certains de ses faux « amis », dont Edmont Goncourt, se servant de ses confidences pour le traîner dans la boue et l’accuser d’obsessions sexuelles, d’obscénité, de pornographie. Ainsi, on reproche à cet homme chaste d’assouvir ses fantasmes sexuels par procuration dans ses écrits mais plus tard, alors que sa relation avec Jeanne est connue, on le traitera de vieillard lubrique.
« Le marquis de Sade dans ses œuvres immondes… croyait, à ce qu’on assure, entreprendre un oeuvre morale. Cette manie le fit enfermer à Charenton. La manie de Zola n’est pas aussi aiguë, et, de nos jours, on laisse souvent la pudeur se venger seule. Mais Nana, comme Justine, relève de la pathologie. C’est l’éréthisme commençant d’un cerveau ambitieux et impuissant qui s’affole de visions sensuelles. » ( Louis Ulbach , écrivain )
Heureusement, Flaubert s’écrie : « Un livre énorme, mon bon ! » et « Nana tourne au mythe sans cesser d’être réelle! »
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La débâcle
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La débâcle où il raconte et analyse la défaite de Sedan suscite un tollé sans pareil. Que n'avait-il pas fait ? Critiquer l'armée française, parler d'une défaite française ! Les milieux monarchiques, catholiques, nationalistes, militaristes, lui reprochent d’avoir avili l’armée et outragé l’honneur français, d’avoir chercher à saper le moral des français.
« La débâcle est un cauchemar, un honteux cauchemar, aussi malsain qu’antipatriotique. » (L’abbé Théodore Delamont )
"Zola devine, écrit Henri Troyat, qu’une coalition de militaires effrénés, défenseurs du drapeau, d’ecclésiastiques étroits, partisans de l’ordre public à tout prix, et d’ennemis de la liberté de parole se forme insidieusement pour lui barrer la route. On ne lui reproche plus la violence de ses livres mais leur signification politique. Tous ces gens se proclament plus français que lui. Jusqu’où iront-ils dans leur haine de la vérité ? »
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Le capitaine Deyfus
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C’est avec sa prise de position dans l’affaire Dreyfus que la haine est à son comble. Dans un article du Figaro, Zola écrit en décembre 1897 quand il acquiert la certitude de l’innocence de Dreyfus :
« Ce poison c’est la haine enragée des juifs, qu’on verse au peuple chaque matin, depuis des années. Il sont un bande à faire ce métier d’empoisonneurs, et le plus beau, c’est qu’ils le font au nom de la morale, au nom du Christ, en vengeurs et en justiciers. »
Au Sénat, des cris de haine retentissent : « Pot-Bouille ! Zola la Honte ! Zola l’Italien ! » 7 décembre 1897
« A l’heure actuelle Zola est le plus roublard de la littérature, il dégote les juifs… » (Goncourt journal)
Et c’qui eut été plus épatant/ C’est que le père Zola la Mouquette/ N’eût pas foutu son nez dedans/ Pour en tirer un brin d’galette ! (Les chansonniers)
Dans les rues on crie : "A Mort Zola !". On insulte le "Signor Emilio Zola", "Zola la Débâcle" "Zola souteneur de Nana" …
Jeanne et ses enfants reçoivent des menaces de mort. Zola les fait déménager.
Dans la nuit du 11 au 12 janvier 1898 dans l’Aurore, gazette de Clémenceau, paraît J’accuse ! adressée au président de la République Félix Faure. En voici la conclusion que je cite ici juste pour le plaisir de la relire :
Mais cette lettre est longue, monsieur le Président, et il est temps de conclure.
J’accuse le lieutenant-colonel du Paty de Clam d’avoir été l’ouvrier diabolique de l’erreur judiciaire, en inconscient, je veux le croire, et d’avoir ensuite défendu son œuvre néfaste, depuis trois ans, par les machinations les plus saugrenues et les plus coupables.
J’accuse le général Mercier de s’être rendu complice, tout au moins par faiblesse d’esprit, d’une des plus grandes iniquités du siècle.
J’accuse le général Billot d’avoir eu entre les mains les preuves certaines de l’innocence de Dreyfus et de les avoir étouffées, de s’être rendu coupable de ce crime de lèse-humanité et de lèse-justice, dans un but politique et pour sauver l’état-major compromis.
J’accuse le général de Boisdeffre et le général Gonse de s’être rendus complices du même crime, l’un sans doute par passion cléricale, l’autre peut-être par cet esprit de corps qui fait des bureaux de la guerre l’arche sainte, inattaquable.
J’accuse le général de Pellieux et le commandant Ravary d’avoir fait une enquête scélérate, j’entends par là une enquête de la plus monstrueuse partialité, dont nous avons, dans le rapport du second, un impérissable monument de naïve audace.
J’accuse les trois experts en écritures, les sieurs Belhomme, Varinard et Couard, d’avoir fait des rapports mensongers et frauduleux, à moins qu’un examen médical ne les déclare atteints d’une maladie de la vue et du jugement.
J’accuse les bureaux de la guerre d’avoir mené dans la presse, particulièrement dans l’Éclair et dans l’Écho de Paris, une campagne abominable, pour égarer l’opinion et couvrir leur faute.
J’accuse enfin le premier conseil de guerre d’avoir violé le droit, en condamnant un accusé sur une pièce restée secrète, et j’accuse le second conseil de guerre d’avoir couvert cette illégalité, par ordre, en commettant à son tour le crime juridique d’acquitter sciemment un coupable.
En portant ces accusations, je n’ignore pas que je me mets sous le coup des articles 30 et 31 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881, qui punit les délits de diffamation. Et c’est volontairement que je m’expose.
Quant aux gens que j’accuse, je ne les connais pas, je ne les ai jamais vus, je n’ai contre eux ni rancune ni haine. Ils ne sont pour moi que des entités, des esprits de malfaisance sociale. Et l’acte que j’accomplis ici n’est qu’un moyen révolutionnaire pour hâter l’explosion de la vérité et de la justice.
Je n’ai qu’une passion, celle de la lumière, au nom de l’humanité qui a tant souffert et qui a droit au bonheur. Ma protestation enflammée n’est que le cri de mon âme. Qu’on ose donc me traduire en cour d’assises et que l’enquête ait lieu au grand jour !
J’attends.
Ce n’est pas sans raison que la mort de Zola est restée suspecte. On a retrouvé des gravats dans sa cheminée, qui ont bouché le conduit empêchant une évacuation normale, ce qui a entraîné la mort de l’écrivain. Alexandrine, sa femme n’en a réchappé que de justesse.
Pendant de longues années, Emile Zola a donc déchaîné les passions tant pour son oeuvre que pour ces idées et ces combats. Ce qui ne l’a pas empêché de présenter sa candidature à l’Académie française et il le fera 25 fois ! Il était bien évident qu’étant donné ses idées il ne pourrait jamais l’être ! Mais peut-être s’obstine-t-il pour démontrer par l’exemple le crédit que l’on peut accorder à cette institution quand on voit tous les inconnus qui lui ont été préférés … et tous ceux aussi qui ont été refusés : Baudelaire, Stendhal, Maupassant, Dumas, Verlaine, Proust, Hugo à quatre reprises, Balzac à deux reprises ! … Mais cela c'est moi qui l'ajoute, et là, n’est pas le sujet !
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Alexandrine Zola
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Je ne saurai pas si les Zola ont été vraiment victimes d'un attentat à la bombe qui a arraché la porte de leur maison au moment de l'Affaire comme il est dit dans la pièce de théâtre. Ce qui m’a aussi manqué dans cet ouvrage - car j’aurais voulu en savoir plus sur elle -, c’est le rôle qu’Alexandrine a joué pour soutenir l'oeuvre et défendre le combat d'Emile. La pièce de théâtre en fait une femme admirable qui aide et soutient son mari. Cette biographie ne lui accorde qu’une place secondaire, tout en lui reconnaissant une certaine grandeur d’âme pourtant, quand, après la mort de son époux, elle fait reconnaître les enfants de Zola qui pourront désormais porter son nom. Sinon, en dehors de nous répéter qu’elle était laide et avait de la moustache, (celle dont Edmont Goncourt vantait les beaux yeux noirs), Troyat n’a pas grand chose à dire sur elle comme si une femme ne pouvait être jugée que par son physique. Encore patriarcal, le papa Troyat en 1992 ! Il existe une livre sur madame Zola et un autre écrit par sa fille Denise. Ce qui doit être une manière de compléter cette biographie.