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dimanche 12 juin 2011

Charles Dickens : Les grandes espérances


                                


Les grandes espérances est l'oeuvre que je préfère de Charles Dickens. C'est aussi le roman qui me paraît le plus différent - malgré les ressemblances- des deux autres récits sur l'enfance, David Copperfield et Olivier Twist.
Comme David et Olivier, Pip, est un enfant pauvre, orphelin, qui n'a pas d'appui pour faire son chemin dans la vie si ce n'est sa soeur et le mari de celle-ci, un forgeron sans fortune.
Cependant, Les grandes espérances échappe  à la description réaliste d'une enfance vouée au travail dans les usines ou à la déchéance de la rue, car l'auteur introduit dans le récit une dimension fantastique et laisse planer sur toute l'oeuvre un mystère qui ne sera résolu qu'à la fin. D'où cette oeuvre envoûtante dont les personnages inoubliables  demeurent dans l'esprit du lecteur bien longtemps après que le livre  ne soit refermé.
Philip, dit Pip, est tout jeune lorsqu'il fait la connaissance de Miss Havisham, une vieille dame qui l'engage chaque mercredi pour venir la distraire. Introduit dans la demeure par Estelle, la fille adoptive de Miss Havisham, jolie mais fière et dédaigneuse, il découvre un spectacle hallucinant : dans une salle  éclairée par des chandelles, une femme âgée, semblable à un spectre, vêtue d'une robe de mariée, semble présider à un festin étrange. Sur la table couverte de poussière et de toiles d'araignées, trônent, en effet, un gâteau de noces et les restes en décomposition d'un repas interrompu depuis très longtemps, jamais terminé. Qui est cette mariée figée dans le passé, dans cette maison où le jour ne pénètre jamais et où toutes les horloges sont arrêtées à la même heure?
Auparavant, le jeune garçon avait vécu une autre aventure étrange. Dans les marais qui entourent la maison où il vit avec sa famille, il aide un bagnard à s'échapper en lui apportant  de la nourriture et une lime pour se débarrasser de ses fers. Un Jean Valjean? On pense au roman de Victor Hugo, Les Misérables. Qui est ce personnage étrange qui va se fondre dans le brouillard pour ne réapparaître que longtemps après?
Pip  devient donc apprenti dans la forge de son oncle jusqu'au jour où un homme de loi lui apprend qu'un mystérieux donnateur lui a légué sa fortune, qu'il pourra en disposer à sa majorité et que ses études et son entretien seront assurés d'ici là. Il devient donc un jeune homme "aux grandes espérances" et pourra échapper à sa condition pour s'élever dans la société. Mais qui est ce bienfaiteur?
Le roman présente un personnage attachant, Pip, malgré toutes ses faiblesses qui le poussent à avoir honte de sa famille et de son milieu social. Charles Dickens brosse aussi avec beaucoup de talent et d'humour une galerie de portraits de gens du peuple très bien observés et criants de vérité.
Avec Les grandes espérances, tout à la fois roman d'inititiation traditionnel dans la lignée de Balzac et roman qui s'éloigne du réalisme, Charles Dickens crée une oeuvre tout à fait originale dont le personnage devenue mythique de la vieille Miss Havisham est entré dans la littérature.



Antony Trollope :




Antony Trollope est un auteur de l'époque victorienne (1815-1882), auteur de deux séries qui l'ont rendu célèbre, l'une s'articulant autour de Londres : Les Palliser Novels dont Plantagenet Palliser, homme politique, est le personnage fictif et Barchester Novels qui se passe dans le comté imaginaire de Barchester.
Miss Mackenzie ne paraît appartenir ni à l'un ni à l'autre même si le nom de Pallister apparaît brièvement et de façon allusive.
Margaret Mackenzie est une vieille fille avec ce que cela comporte de dépréciatif dans une société où le statut de la femme ne se définit que par son rôle d'épouse ou de mère. Elle a servi de garde malade à son père et à son frère, héritier d'une grosse fortune, moins considérée qu'une domestique puisqu'elle n'a même pas le droit d'intervenir dans les affaires du ménage. Elle ne connaît donc rien du monde,  n'est jamais sortie, est restée très seule. Aussi quand à la mort de son frère, elle hérite de sa fortune, elle est bien décidée à faire quelque chose de sa vie. Elle part à Littlebath, une ville d'eau provinciale, décidée à se faire des amis et à vivre agréablement dans le respect de la religion bien sûr! Et d'abord se marier! Mais si possible par amour! A 35 ans et bien que la société réprouve ce souhait, elle a bien envie d'être aimée. Oui, mais voilà, si elle ne manque pas de soupirants et de demandes en mariage, Miss Mackenzie, naïve mais intelligente, sait bien qu'ils ne soupirent que pour "les beaux yeux" de sa cassette.
Loin de nous conter une bleuette, Antony Trollope brosse ici une satire de la société qui ne manque pas d'audace : pouvoir tout puissant de l'argent, calculs, malhonnêteté, tromperies, égoïsme, mépris et rejet des plus humbles et surtout des femmes, snobisme, hypocrisie religieuse et sociale, obéissance à un conformisme mesquin...
De plus, il se livre à une  analyse psychologique  tout en finesse de ses différents personnages, en particulier de Margaret, de sa naïveté, son manque de confiance, son sentiment de dévalorisation liée à son éducation, sa soumission et son conformisme aussi, en particulier, religieux que son intelligence et son sens de la justice parviennent à secouer dans de beaux élans de révolte, sa générosité qui va à l'encontre des milieux qu'elle fréquente.
Deux scènes, excellentes, se répondent dans le roman, l'une dans la première partie de l'ouvrage à Littlebath, au cours d'un thé chez Miss Todd où Miss Mackenzie a été invitée, l'autre dans une vente de charité à Londres où se côtoient les Grands de ce monde, bourgeois bien en place et nobles. C'est avec un humour élégant mais féroce que Trollope brosse ces deux grands tableaux qui sont des morceaux de bravoure.
A vous de les découvrir!

James Matthew Barrie : Le Petit oiseau blanc




Le petit oiseau blanc de James Matthew Barrie est un roman qui, au-delà de de la féérie et de la fantaisie propres à Barrie, est imprégné d'une mélancolie douloureuse par ce qu'il nous laisse entrevoir des sentiments et de la personnalité de l'auteur. J'ai été très sensible au climat particulier de cette oeuvre  qui semble devoir être lue à plusieurs degrés. Il m'est apparu qu'une simple lecture ne suffisait pas et qu'il fallait toujours essayer de lire autre chose que ce qui était écrit.. un peu comme si les mots imprimés en recouvraient d'autres. En particulier l'étrange humour de Barrie qui dit toujours le contraire de ce qui est écrit.
Ce livre a d'abord été célèbre par les chapitres qui sont consacrés à l'histoire de Peter Pan dans les jardins de Kensington dont JM Barrie tirera une pièce de théâtre qui le rendra célèbre. Nous savons tous, en effet, que Peter Pan est ce petit garçon qui a cessé de grandir et est parti vivre avec les fées, dans un pays où les enfants ne vieillissent pas. Peter Pan est donc le frère d'Alice au pays des Merveilles. Mais alors qu'Alice échappe à Wonderland pour retrouver le réel, sortir de l'enfance, devenir femme, donc accepter la vie, Peter Pan reste à jamais prisonnier de ce monde féerique, à jamais petit garçon avec tout ce que cela représente de renoncement et de souffrances. Si bien que lorsque l'on débarrasse Peter Pan des oripeaux dont la nunucherie Waltdysnéenne l'a affublé, l'on s'aperçoit que son histoire n'est peut-être bien qu'une métaphore de la mort. Et il faut lire pour s'en persuader une scène très belle mais terriblement triste où Peter Pan essaie de revenir près de sa mère après l'avoir quittée. Dans le livre, en effet, nous apprenons que les enfants, avant de naître, sont de petits oiseaux qui conservent quelque temps le pouvoir de voler après être devenus humains; c'est pourquoi, il ne faut pas les laisser échapper en laissant les fenêtres ouvertes. Or Peter Pan s'est envolé lorsqu'il était encore un tout petit bébé, il est revenu déjà une fois chez sa mère mais est reparti pour profiter encore un peu du pays des fées; cependant, il toujours su qu'il rentrerait un jour chez lui :
 Il était si désireux de se nicher dans ses bras que, cette fois-ci, il vola tout droit jusqu'à la fenêtre qui était toujours ouverte pour lui.
Mais la fenêtre était fermée et il y avait des barreaux et, à travers eux, il vit sa mère qui dormait paisiblement, les bras enlacés autour d'un autre petit garçon.
Peter cria : "Mère! Mère!". Mais elle n'entendit pas. En vain, il frappa avec ses petits bras contre les barreaux en fer. Il dut retourner en pleurant aux jardins et il ne revit plus jamais son adorée... Ah! Peter! nous qui avons commis de grandes erreurs, comme nous agirions différemment si nous avions une seconde chance! Mais Salomon avait raison : il n'y a pas de seconde chance, pas de seconde chance pour la plupart d'entre nous. Quand nous atteignons la fenêtre, l'Heure de la Fermeture a sonné. Les barreaux de fer sont mis pour la vie.
 Une philosophie bien pessimiste pour ce maître de la fantaisie et de la féerie, cet homme dont on nous dit qu'il a toujours gardé son âme d'enfant, qui a été le compagnon de jeux, le pourvoyeur de rêves des cinq garçons de Sylvia Lleweling Davies, une jeune femme à qui il a voué un amour platonique et dont il a adopté les fils,  après sa mort... Mais être un éternel enfant est douloureux. Barrie qui, comme son personnage, n'a pas pu grandir ni physiquement, ni mentalement, ni socialement, l'a payé de l'échec de sa vie d'homme : le divorce d'avec sa femme, Mary Ansell, l'impossibilité d'être père. Il porte toujours le deuil de son frère David disparu à l'âge de treize ans, le fils préféré de sa mère, dont il est devenu l'ombre, empruntant même ses vêtements, pour essayer mais en vain de le remplacer auprès d'elle.
De là naît ce roman en marge du réel qui en dehors des passages qui font vivre Peter Pan, relate l'histoire d'un homme vieillissant, le capitaine W., amoureux de Mary, une jeune femme qu'il n'approchera jamais. Le fils de Mary, David, qui l'appelle "père", est l'enfant que Barrie n'aura jamais. Cependant, en enfantant Le Petit oiseau blanc, par la création littéraire, l'écrivain accède lui aussi à la paternité.
Transposition évidente de sa propre vie. Barrie prend pour modèle Georges Llewling Davies, le fils de Sylvia, et lui donne le nom de son frère, David. Les promenades dans le jardin de Kensington avec David nous introduisent dans un pays imaginaire qui accueille ceux qui refusent de grandir, ceux qui préfèrent le rêve à la réalité. C'est pourquoi alors même que le monde de Barrie est extrêmement séduisant, il est en même temps effrayant. Attrait-répulsion. Comment choisir entre l'enfance et l'âge adulte? Abandonner l'un, c'est obligatoirement se priver de l'autre, d'où le désenchantement, la nostalgie qui sourdent toujours sous la prose de Barrie. C'est ce que ressent David lorsque le capitaine W. l'amène, en imagination, six ans en arrière, dans la machine à remonter le temps :
En quelques bribes, je décrivis à David ce qui existait à cette époque.
"Cela ne va pas me rendre plus petit, n'est-ce pas?" demanda-t-il, avec anxiété. Et soudain, un terrible doute s'insinua en lui : "cela ne me rendra pas trop petit, n'est-ce pas, père?"...



Jane Austen : Northanger Abbey et Bath (2)

Pulteney Bridge

Dans Northanger Abbey de Jane Austen, la jeune Catherine se rend à Bath avec ses amis, les Allen, venus prendre les bains. voir texte 1
Lors de ma visite à Bath, me voici donc partie comme bien d'autres admiratrices de Jane Austen sur les traces de son héroïne. La ville entretient une sorte de culte envers l'écrivain à qui est dédié un musée.
Dans le roman, dès son arrivée, Catherine was all eager delight quand elle passe en voiture dans les rues qui la conduisent à son hôtel situé dans Pulteney Street.

Le pont de Pulteney sur la rivière Avon mène dans la rue du même nom où vont s'installer Mr Allen, son épouse et Catherine pendant leur séjour à Bath
Arrive enfin le soir très attendu où Catherine va être introduite dans le monde par Mrs Allen. Celle-ci  l'amène au bal dans the Upper room ou Assembly Rooms qui offre tous les divertissements jugés indispensables aux curistes oisifs : la salle de bal, le salon de thé et la salle de jeu.


Hall d'entrée de Assembly Rooms
 
La première expérience de Catherine dans la salle de bal est tout sauf idyllique. La foule y est si dense que les deux femmes sont obligées de se frayer un chemin comme elles le peuvent, bousculées, écrasées, n'apercevant des danseurs que les plumes des chapeaux de ces dames. De plus, Catherine ne trouve pas de cavalier et ne peut pas danser.

The Ball room


Au salon de thé où elles ne connaissent personne, elles se sentent bien seules et très gênées. Leurs voisins de table ne leur adressent pas la parole si ce n'est l'un d'entre eux qui condescend à leur offrir du thé. Ce n'est que quelques jours après que la jeune fille sera présentée à Henry Tilney.

The Tea room


Un autre lieu rassemble la bonne société, c'est The Pump Room que l'on fréquente dans la journée pour se montrer, étrenner ses belles toilettes, retrouver des connaissances. De cette salle, l'on pouvait alors accéder aux Bains par un escalier.  De nos jours The Pump Room est un restaurant où j'ai eu le plaisir de déjeuner et un salon de thé qui a conservé le lustre des années passées.

The Pump Room

On apprend dans le roman que Mr Allen was ordered to Bath for the benefit of a gouty constitution. Les curistes se baignaient alors dans le bassin ci-dessous.




 Les thermes de Bath

Jane Austen : Northanger Abbey (1)

Bath: Bain romain

Northanger Abbey ou l'anti-romantisme

On ne peut pas visiter Bath sans relire Northanger Abbey de Jane Austen. C'est donc ce que j'ai fait et en anglais, qui plus est! Jugez de l'exploit...enfin pour moi!
Northanger Abbey est l'histoire de Catherine Morland, dix sept ans, fille de pasteur, jamais sortie de sa campagne natale, que des amis, monsieur et madame Allen, amènent à Bath. Pour la jeune fille naïve et ignorante, Bath est la ville des Merveilles.  Les bals, le théâtre, les salons de thé, les rues bondées qui offrent la richesse de leurs beaux magasins, une société aisée et brillante, tout éblouit la jeune campagnarde. Et puis il y a les rencontres, celle de l'adorable Isabella Thorpe qui aime tant sa "sweetest Catherine" et de son frère John, lourdaud et importun. Il y a aussi le beau Henry Tilney qui fait battre son coeur et Eleonor, sa soeur, réservée et discrète. Et enfin, pour couronner le tout, l'invitation miraculeuse du Général Tilney, père de Henry et d'Eleonor,  dans son domaine de Northanger Abbey. C'en est trop pour Catherine! Voilà qui lui fait tourner la tête. Une abbaye! Un vieil édifice mystérieux, rempli de secrets, de portes dérobées, de squelettes cachés, comme dans les romans d'Ann Radcliffe, par exemple, qu'elle dévore avec avidité. Quelle aventure! Mais ce qu'elle va vivre dans ce lieu la délivrera de ses rêveries gothiques et lui ôtera ses illusions romantiques!
Quand on lit Jane Austen, c'est d'abord l'humour que l'on retient car l'on s'amuse beaucoup à la lecture de ce roman, on en savoure l'ironie toute en nuances, les traits d'esprit, les portraits subtilement acides qui révèlent par un détail le ridicule ou les faiblesses d'un personnage.
Northanger Abbey est d'abord un pastiche du roman gothique et Jane Austen feint d'adopter les codes du genre pour mieux en démontrer les excès. Lorsque Catherine, dans la solitude de sa chambre, au milieu de la nuit, dans la sombre abbaye battue par la tempête, découvre, comme le lui avait prédit malicieusement Henry Tilney, un  mystérieux manuscrit, ce n'est que pour mieux s'apercevoir qu'il s'agit d'une facture de blanchisserie! De même que le jeune homme, Jane Austen rit de son héroïne et de sa vive et fertile imagination, tout en nous faisant partager la tendresse qu'elle éprouve pour elle. Ce personnage, en effet, est profondément attachant malgré ses défauts ou peut-être aussi à cause d'eux.
Car Northanger Abbey est aussi un roman d'apprentissage :  naïve, inculte, ignorante, romantique, d'une sensibilité extrême, la jeune fille a une vision simpliste de la vie. Sa franchise, sa droiture, le respect de la parole donnée, son incapacité à mentir, l'empêchent de percevoir chez les autres ce qui ressemble à de la duplicité. Et c'est pourquoi elle tombera de bien haut en découvrant le monde tel qu'il est et nul doute qu'elle aura appris beaucoup lors de cette visite à Bath! Sa vision du monde en sera radicalement transformée.
En effet, sous des dehors d'apparente légèreté, les romans de Jane Austen sont souvent très pessimistes quant à la nature humaine et la société.
Les personnages de Jane Austen sont complexes. Derrière un extérieur gracieux et plaisant, se cachent parfois les plus sordides motivations. Les paroles élégantes et policées sont souvent en désaccord avec les actes. C'est toujours avec étonnement que la sincère Catherine constate que celui qui parle pense le contraire de ce qu'il  dit.  Elle l'apprend à ses dépens lorsque sa chère et jolie Isabella, malgré l'amour qu'elle affiche pour James, le frère de Catherine, trahit son engagement pour courir après la fortune du frère aîné de Henry. Elle le découvre avec le Général Tilney, si charmant en public, qui se révèle un véritable tyran domestique exigeant et autoritaire envers ses propres enfants.
Quant à la loi qui régit cette société  hypocrite, elle peut se résumer en un mot : l'argent qui détermine la position sociale; le respect se mesure à l'aune de la fortune que l'on possède. Aussi  la première préoccupation des uns et des autres dans cette ville où l'on fait beaucoup de rencontres, est de s'enquérir des biens de ses nouvelles connaissances.  Là encore, Catherine  en fait les frais. Très courtoisement reçue par Le Général tant qu'il la croit riche, elle est chassée ignominieusement quand il la sait sans le sou.
Cette expérience bien amère la prive de sa joie de vivre et pourrait lui donner définitivement une opinion négative de l'humanité. Heureusement, la bonté et l'amour de sa famille et  de ses vrais amis la réconfortent. Il ya donc des gens capables de sentiments vrais.  Et puis, Henry  vient la rejoindre et la demande en mariage, bravant l'interdiction de son père. Tout est bien qui finit bien, donc? Oui, mais que l'on ne me parle pas du romantisme de Jane Austen si l'on sait que Henry ne s'est intéressé à Catherine que par gratitude :
I must confess that thus affection originated in nothing than gratitude; or, in another words, that a persuasion of her partiality for him had been cause of giving her a serious thought.
et qu'il se sent lié à Catherine autant par sens de l'honneur que par amour. Voilà des sentiments sincères mais très (trop) raisonnables! Anti-gothique, anti-romantique, Jane Austen affiche ainsi son refus :
It is a new circumstance in romance, I acknowledge, and dreadfully dérogatory of an heroine's dignity; but if it be as new in common life, the credit of a wild imagination will at least be all my own.
Enfin, Jane Austen n'oublie pas de nous faire rire en décochant un dernier trait acéré au Général Tilney
I leave it to be settled by whomsoever it may concern, wether the tendency of this work be altogether to recommend parental tyranny or reward filial disobedience.


Voir Northanger Abbey et la ville de Bath (2)

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Walter Scott : Rob Roy



Walter Scott  qui est né à Edimbourg en 1771 fut non seulement le plus grand écrivain de l'Ecosse mais eut aussi une place considérable dans la littérature romantique par l'énorme retentissement de son oeuvre qui mit à la mode le roman historique en Europe.
De plus, par son engagement en faveur des coutumes, de la culture et de la langue écossaise  il est considéré comme  un héros national. C'est lui qui rétablit le port du tartan et du kilt  qui avait été interdit en 1746 après la défaite des écossais jacobites, partisans de Bonnie Prince Charlie (Stuart), à  la bataille de Culloden contre les anglais. En effet, lors d'une cérémonie officielle dont il est l'ordonnateur, il demanda non seulement aux notables mais aussi au roi d'Angleterre de revêtir le costume traditionnel de l'Ecosse, coutume qui est toujours en vigueur dans la famille royale de nos jours. Un monument à sa gloire se dresse au pied du château médiéval dans la Ville Neuve.


Rob Roy

 Monument à Walter Scott  Edimbourg


Son roman Rob Roy s'appuie sur un personnage historique Rob Roy, du clan Des Mc Gregor dont le nom avait été aboli par un décret en 1617. En dépit de cet interdit les Mc Gregor continuèrent sous des noms d'emprunt à former un clan. Rob Roy est un de leurs descendants. Eleveur de bestiaux, il devint insolvable en 1712 à cause de la mauvais foi d'un associé.
C'est alors que commença la vie de brigand et de proscrit, protégé par ses amis, alliés, parents. Jacobite, il menait la vie dure à ceux qui soutenaient le gouvernement anglais, distribuant généreusement ses prises à ceux qui en avaient besoin. On a souvent dit qu'il était le Robin des Bois de l'Ecosse.
Le récit commence pourtant à Londres avec un personnage fictif, Francis Osbaldistone, jeune homme épris de poésie, qui est banni par son père après avoir refusé de prendre ses responsabilités dans la maison de commerce familiale. Il est envoyé dans le Northumberland, à la frontière de l'Ecosse chez son oncle. Là, dans le manoir de la famille, il fera connaissance de la belle, intelligente et mystérieuse Diana et du perfide Rasleigh, son cousin. Les machinations de Rasleigh qui menace l'entreprise paternelle et son honneur amèneront Francis Osbaldistone en Ecosse, au coeurs des Highlands, à la recherche de Rob Roy, le seul qui puisse lui venir en aide.
L'histoire est romantique à souhait et l'on prend bien vite le parti du jeune et fougueux Osbaldistone même s'il a la tête près du bonnet et ne réfléchit pas toujours avant d'agir. Pourtant le récit traîne un peu en longueur et il m'a fallu attendre plus de 200 pages avant de franchir la frontière et plus de 300 avant de pénétrer dans le domaine de Rob Roy, territoire ingrat et montagneux situé entre les trois lacs Lomond, Ard et Katrine, et qu'on nommait vulgairement le pays de Rob-Roy ou de Mc Gregor.
Ce que j'ai aimé dans le roman, c'est toute cette partie sur L'Ecosse, la description de ces paysages sauvages et beaux, de ces villages misérables, de cette population réduite à la famine, hostile et farouche, de ces hommes toujours prêts à manier la dague, de ces guerriers qui ne trouvent leur subsistance que dans les raids et la rapine.
A gauche, à travers une vallée, serpentait le Forth, dont une guirlande de bois taillis dessinait le cours vers l'orient, autour d'une charmante colline entièrement isolée. A droite, au milieu d'une quantité de rocs nus, d'épais halliers et de monticules, s'étendait un vaste lac; le souffle d'une brise matinale y soulevait par places de courtes vagues, où pointaient en reflets étincelants des facettes de lumière....
La connaissance de l'Ecosse, des mentalités de l'époque avec la solidarité des clans, le sens de l'honneur bien particulier des Highlanders, les dissensions religieuses, la description des coutumes et des vêtements donnent au roman un intérêt non seulement historique mais ethnologique.
Les nouveaux-venus portaient la plupart des pistolets à la ceinture, et presque tous des dagues (dirk) suspendues à la gibecière (sporran) qu'ils ramenaient par devant. Chacun d'eux était muni d'un bon fusil, d'une claymore, et d'un solide bouclier rond, ou targe, en bois léger, doublé de peau et artistiquement plaqué de cuivre, avec une pointe de fer au centre...


Robert Louis Stevenson et Dr Jekyl et Mr Hyde

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 la maison de William Brodie
The Deacon's house

C'est au moment de la pause-repas, au cours de mon voyage en Ecosse, que j'ai découvert The deacon's House Cafe, dans la Vieille Ville d'Edimbourg, installé dans les vestiges de l'ancienne maison des Brodie, plus exactement dans ce qui a dû être l'atelier de cette famille.

Francis Brodie, ébéniste réputé, était chef (deacon) de la guilde des ébénistes et menuisiers. Il fut aussi conseiller munipal, charge qu'il transmit en mourant à son fils William né en 1741.
Deacon William Brodie était connu dans la ville comme artisan et conseiller municipal et respecté en tant que tel. Il semblait mener une vie irréprochable (tout au moins le jour!) mais il profitait de ses fonctions pour fabriquer de fausses clés pendant qu'il travaillait chez ses clients. La nuit, il se transformait en voleur, s'introduisant dans les maisons pour en dérober les richesses qui lui permettaient d'entretenir deux maîtresses, de nombreux enfants et de s'adonner au jeu. Il fut arrêté, jugé et pendu en 1788 sur le gibet qu'il avait lui-même fabriqué et dont il se vantait qu'il était le plus efficace..
Mais ce qui n'était qu'un fait divers est devenu grâce à Robert Louis Stevenson une oeuvre littéraire et plus encore, un mythe sur le Bien et le Mal qui se partagent l'âme humaine ..

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William Brodie a, en effet, inspiré deux livres à  l'écrivain : en  1876 il écrit une pièce en collaboration avec William Henley : la double vie de William Brodie et en 1878 :  L'étrange cas de Dr Jekkill et Mr Hyde.

Voir des extraits de la pièce de Stevenson ici 


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L'entrée du café : atelier de William Brodie



Philippe Jaccotet : Une référence au poème de William Blake

William Blake

William Blake ( 1757- 1827) était aussi doué pour le dessin que pour la poésie; Il a été peintre et graveur et reconnu comme un grand poète britannique.

*Tyger! Tyger! burning bright
In the forests of the night,
What immortal hand or eye
Dare frame thy fearful symmetry?
In what distant deeps or skies
Burnt the fire of thine eyes?
On what wings dare he aspire?
What the hand dare seize the fire?
And what shoulder, and what art,
Could twist the sinews of thy heart?
And when thy heart began to beat,
What dread hand? And what dread feet?
What the hammer? What the chain?
In what furnace was thy brain?
What the anvil? What dread grasp
Dare its deadly terrors clasp?
When the stars threw down their spears,
And water'd heaven with their tears,
Did he smile his work to see?
Did he who made the Lamb make thee?
Tyger! Tyger! burning bright
In the forests of the night,
What immortal hand or eye
Dare frame thy fearful symmetry?


La lampe apprivoisée et le tigre bondissant

 Ainsi de cette fin du jour où, au-dessus de la maison dont s'allume la première lampe, flamboie en même temps un grand nuage empourpré.
Voici les mots qui me sont venus alors à l'esprit, comme un titre : "la lampe apprivoisée et le tigre bondissant". Problablement un souvenir du poème de Blake : "Tiger! Tyger! burning bright/ In the forest of the night"*; et la rencontre de la lumière domestiquée avec celle, sauvage, d'une sorte d'incendie. Ce furent encore, un instant superposées, les images de deux façons de vivre; puisque vivre, si prudent qu'on se veuille, c'est brûler.
 
Phillippe jaccotet :  Après beaucoup d'années, une couronne
 film d'animation de Guilherme Marcondes

Lire le poème de Blake dans le beau blog de mathématiques de Guy Marion qui nous renvoie au film d'animation du brésilien Guilherme Marcondes inspiré par ces vers.
 ou  Art et maths voir 11 Avril 2008

Elizabeth Gaskell : Nord et Sud



Elizabeth Gaskel
Il fut une période ou les romans des écrivains victoriens étaient introuvables en traduction française. Depuis quelques années, je les vois arriver à la bibliothèque Ceccano d'Avignon où le budget livres est pourtant et malheureusement assez réduit! Mais bref! Je viens d'y emprunter Nord et Sud d'Elizabeth Gaskell aux éditions Fayard dans une traduction qui date de 2005.
Cette écrivain qui a commencé à écrire en 1848  a eu un grand succès à son époque; puis elle est tombée relativement dans l'oubli. En France, nous dit Françoise du Sorbier, auteur de la préface du livre, on n'a d'abord vu en elle (critique de 1929) que  :" l'expression  d'une sensibilité féminine nécessairement suave, voire mièvre." Dans les années  1950, par contre, "sur le rebond de la critique marxisante, on a recommencé à s'intéresser à elle comme à la romancière des problèmes sociaux.".
Les deux aspects du livre existent et forment  un roman passionnant, mêlant une analyse au scalpel des sentiments amoureux et des "intermittences du coeur", à la manière d'un Marivaux (ou d'une Jane Austen!), et une analyse sociale d'une acuité surprenante et d'une modernité à laquelle on ne s'attendrait pas de la part d'une fille et femme de pasteur en ce milieu du XIXème siècle.  Mais Elizabeth Gaskell dotée d'une vive intelligence, n'est ni conformiste ni conventionnelle. Elle connaît bien ces milieux industriels et a fréquenté, nous dit-on, des hommes politiques et des réformateurs sociaux.
Sa manière de peindre la condition ouvrière tient à la fois de sa sensibilité de chrétienne qui réagit aux malheurs et à la misère de cette classe sociale mais aussi d'un regard affranchi et lucide qui sait voir au-delà des apparences. Sous la pauvreté et la crasse, elle distingue la dignité de ces ouvriers, la fierté du travail bien fait, l'orgueil de leur condition. Le personnage de Higgins est hors commun, lui qui parle d'égal à égal à Thornton parce qu'il se sait un ouvrier compétent, courageux et dur à la tâche et qu'il reconnaît en son patron un homme de la même trempe. Gaskell a l'art de camper ses personnages, de les faire vivre dans leur simplicité avec le manque de raffinement liéé à leur situation, mais aussi dans leur honnêteté, et leur dignité. Elle a l'art aussi de faire parler les ouvriers dans une langue familière et populaire qui tord parfois la grammaire mais qui est imagée, pleine de répartie et d'humour. Les dialogues sont donc souvent des morceaux de choix qu'il faut déguster. Bien sûr, ce n'est pas une révolutionnaire mais elle exprime une idée, qui, pour être une utopie au XIXème siècle, n'en est pas moins intelligente. Les rapports conflictuels entre patrons et ouvriers ne profitent ni aux uns ni aux autres puisque que les intérêts des uns comme des autres sont communs. Elle souligne la nécessité pour les deux classes d'une négociation qui éviterait le conflit tout en  essayant de satisfaire les deux parties.
L'histoire d'amour entre Margaret et Thornton, elle aussi est conflictuelle car tous deux n'ont pas les mêmes idées politiques. Chacun fait preuve vis à vis de l'autre de beaucoup d'orgueil et de préjugés comme les  personnages de Darcy et Elizabeth de Jane Austen. Margaret, venue du Sud rural et champêtre, n'aime pas les manufacturiers du Nord de l'Angleterre qui sont matérialistes et ne pensent qu'à gagner de l'argent au détriment des ouvriers. Elle finira par reconnaître le travail énorme qu'ils accomplissent, les compétences et l'intelligence dont ils font preuve, les risques qu'ils prennent (Thornton, en faillite,verra détruit le travail de longues années)... Thorton ne voit d'abord en Margaret que son orgueil de classe, son parti-pris contre le Nord, et son manque de compréhension par rapport au travail industriel. Il est plein de préjugés envers les ouvriers qu'il ne connaît pas et méprise. Il pense qu'ils méritent leur sort. Lui aussi devra changer pour obtenir Margaret. Une fin heureuse, on s'en doute, plaira aux romantiques dont je fais partie. Un beau roman donc, agréable à lire et surprenant par son sujet.




Anthony Troloppe : Phinéas Finn

 
Phineas Finn est un un roman d'apprentissage comme il en y eut beaucoup en France et en Angleterre au XIXème siècle. Nous sommes en 1865. Phinéas Finn, un jeune irlandais, fils de médecin, après avoir fini ses études de droit, se lance dans la politique et devient député dès l'âge de 25 ans. Rapidement il connaît des succès politiques et mondains surtout auprès des femmes et il est reçu parmi les plus grandes familles du royaume. Pourtant sa classe sociale relativement modeste ne lui permet pas de faire de la politique (les députés anglais devaient avoir une fortune personnelle à l'époque car ils ne recevaient pas de salaire) Aussi Phinéas accepte d'entrer au gouvernement. Il devient ministre avec une rente annuelle confortable mais il perd son indépendance. Va-t-il perdre toute moralité et voter contre sa conscience surtout quand il s'agit de son pays l'Irlande? Va-t-il épouser une femme qu'il n'aime pas parce qu'elle est riche alors qu'il n'a pu obtenir la main de la femme qu'il aimait à cause de son manque de fortune. Ce sont toutes ces questions qui se posent à lui. On pense bien sûr à Rastignac ou Lucien de Rubempré... Mais le jeune homme malgré ses faiblesses reste attachant car il peut sacrifier son ambition à son sens de l'honneur. Troloppe dénonce aussi à travers le personnage de Lady Laura, mal mariée, la difficulté de la condition féminine que son statut inférieur à l'homme livre pieds et poings liés aux volontés de son mari.
Les débats politiques et la réforme électorale mise en place en Angleterre puis en Irlande à cette époque occupent une grande place dans le roman. Mieux vaut réviser son Histoire avant de le lire ou alors s'accrocher! Mais on y arrive! et finalement la thèse de Trollope est évidente. Il met en valeur l'hypocrisie des hommes politiques, qu'ils soient conservateurs ou libéraux, tous issus des mêmes milieux et finalement peu différents les uns des autres. Finalement, un roman d'actualité!!


Thomas Hardy : Le retour au pays natal


Femme au rêve éveillé de John Waterhouse

Le retour au pays natal, un roman de l’enfermement

Le retour au pays natal de Thomas Hardy est une oeuvre passionnante dont l'atmosphère et les personnages sont étonnants. Alors qu'il s'ouvre pour le lecteur sur un paysage évoquant de grands espaces, alors que tous les protagonistes de l'histoire et surtout la jeune héroïne du roman rêvent de liberté, il est curieusement un roman de l'enfermement.
Le récit est assez complexe, tout comme les personnages, et il ne faut pas en dévoiler toute l'intrigue qui présente de nombreux rebondissements*.  En voici la trame :

L'histoire se déroule dans une région reculée et sauvage, la lande d'Egdon, dans le Wessex, où Thomasine, nièce de Mrs Yeobright, va se marier,  malgré les réticences de sa tante, avec Damon Wildeve. Celui-ci ne manque pas de charme mais c'est un jeune homme peu sérieux et il hésite à épouser Thomasine car la très belle Eustacia le tient sous le charme. Quant à Eustacia, jeune citadine venue habiter chez son grand père dans ce lieu perdu, à la mort de ses parents, elle rêve de passion, d'aventures et désire plus que tout échapper à cette lande austère. Aussi lorsque le fils de Mrs Yeobright, le beau et brillant Clim, revient de Paris où il est diamantaire, elle est toute prête à tomber amoureuse de lui. Et Clim d'elle! Wildeve délaissé retourne à Thomasine et Eustacia et Clim se marient bravant l'interdit de la mère. Mais Clim n'a pas du tout l'intention de retourner à Paris et aime son pays natal où il veut s'installer définitivement. Eustacia va vite être déçue par son mariage. Tous les éléments sont rassemblés pour former une tragédie que je vous laisse découvrir.

Un pays exceptionnel pour décor
Un lieu  vaste et hanté
J'ai adoré ce roman tout d'abord par l'atmosphère étrange et mystérieuse que Thomas Hardy parvient à créer en décrivant le cadre de l'action. La description de cette lande magnifique et sauvage met le lecteur en symbiose avec ce lieu de tous les possibles, lieu vaste et hanté par les voix du vent dans les bruyères, par les  esprits d'une ancienne civilisation disparue, les celtes, dont le tumulus s'élève au-dessus du village en témoin silencieux. Le 5 Novembre, quand le pays plonge dans la nuit hivernale, les habitants allument des feux qui se répondent d'une hauteur à l'autre en créant une fantasmagorie d'ombres et de lumières.
Un choeur de tragédie antique
Dans cet endroit qui paraît hors du temps, Hardy dresse des portraits de villageois pleins de vie et de malice qui témoignent de sa part d'une grande connaissance de la vie paysanne, des croyances et des suspertitions, et des activités agricoles de la région, entre autres, la coupe des joncs. Ces personnages secondaires, pleins de saveur forment comme un choeur antique qui commente la vie des principaux protagonistes de l'action et constitue un  des plaisirs de la lecture.
Un lieu  d'enfermement
Mais si la lande est un lieu de toutes beautés, vaste, libre et ouvert, où les gens doivent parcourir des miles pour pouvoir se rencontrer, il est aussi et paradoxalement un lieu d'enfermement pour ceux qui, comme Eustacia, ne l'aime pas. Car il  est impossible à la jeune fille de s'en échapper sans l'appui d'un mari.

La condition féminine : un enfermement par les lois sociales et religieuses

C'est un des thèmes du roman que je trouve aussi très intéressant, celui de la condition féminine dans l'Angleterre victorienne, un sujet que Hardy a souvent traité, ne serait-ce que dans Tess d'Uberville considéré comme son chef d'oeuvre.
Thomasine
Thomasine est le personnage de la jeune femme douce et mesurée. Elle intéresse moins Hardy qui la fait un peu disparaître au profit d'Eustacia. Mais c'est aussi une victime de la société. Parce que son mariage est provisoirement reporté et qu'elle s'est trouvée seule avec son futur mari, elle doit absolument l'épouser pour "réparer" ... une faute qu'elle n'a  pas commise. Elle se marie donc avec Damon Wildeve alors qu'elle commence à douter de lui et à comprendre sa véritable personnalité. Ensuite, elle est entièrement soumise à lui, même s'il ne lui donne pas d'argent pour vivre et courtise Eustacia.
Eustacia
La belle Eustacia peut paraître antipathique avec son orgueil démesuré, la conscience affichée de sa supériorité sociale et intellectuelle et de sa beauté physique. Mais c'est une fille qui a du caractère, intelligente, audacieuse, fantasque, qui rejette les conventions hypocrites d'une société puritaine. C'est pourquoi elle est considérée comme une sorcière par les paysans et mal vue de la "bonne" société. Romantique, elle souhaite vivre une grande passion mais, par contraste, sa chasse au mari paraît  trop réfléchie et intéressée. Cependant, elle a des excuses! Il faut considérer que la femme est à cette époque une éternelle mineure, qu'elle ne peut attendre la réalisation de ses aspirations que de son mari. Si celui-ci les lui refuse, elle doit se soumettre.  La femme est donc prisonnière des lois de l'Angleterre victorienne, enfermée dans les conventions religieuses et sociales.

Des personnages égocentriques : un enfermement en soi-même
D'ailleurs c'est ce que fait son mari, Clim Yeobrigth. Désireux de réaliser son rêve d'une vie autre, dans son pays natal, il se préoccupe  peu de savoir si sa femme est malheureuse. Egoïste, son amour n'est pas assez fort pour l'amener à modifier son attitude  et tenir compte des désirs de sa femme. Eustacia, de même, n'essaie pas de s'intéresser à son projet et lorsque son mari est malade a bien peu de commisération.
Ainsi presque tous les personnages principaux du roman sont égocentriques et, pour cela peu, d'entre eux sont entièrement sympathiques. Mais à l'inverse, aucun n'est totalement antipahique!
Damon Wildeve est prêt à sacrifier Thomasine et son enfant à une femme dont on se demande, au départ, s'il l'aime vraiment ou si c'est un caprice passager. Mais il a dans une certaine mesure un code d'honneur bien à lui et ne manque pas de courage pour sauver celle  qu'il aime.
Mrs Yeobright se fâche avec son fils parce qu'il ne veut pas continuer la brillante carrière qu'elle attendait de sa part et parce qu'il épouse Eustacia. Certes, elle a raison quant à l'avenir de ce mariage mais elle ne fonde son aversion pour Eustacia que sur les "on dit" et les conventions. Il est vrai qu'elle sera la première à chercher à se réconcilier car l'amour maternel est le plus fort.
Enfermés dans leur logique, les personnages poursuivent leur propres intérêts et  par conséquent sont souvent seuls. Ils sont pourtant capables d'amour et de pardon mais porte en eux une dimension tragique qui voue à l'échec leurs élans  : ainsi Clim pardonne deux fois, à sa mère et à sa femme, mais le pardon arrive toujours trop tard.

L'homme au rouge, un personnage hors commun
Un personnage échappe à cette règle : " l'homme au rouge", Diggory Venn,  ainsi appelé parce qu'il vend de la craie rouge pour marquer les moutons, un métier en voie de disparition avec l'apparition du chemin de fer, note Thomas Hardy. Il est rouge de la tête aux pieds, une teinture tenace que l'on ne peut faire disparaître avant plusieurs mois.
Venn aime Thomasine  et aurait bien aimé l'épouser. Mais repoussé par la jeune fille, il est prêt à tout faire pour que celle-ci trouve le bonheur avec celui qu'elle aime.
C'est un personnage réel mais qui paraît surnaturel. Il semble surgir de n'importe où, à n'importe quel moment, tel un justicier qui veille sur Thomasine et est toujours prêt à intervenir. Un justicier ou un ange gardien? Un peu diable pourtant  à cause de sa couleur :  dans les campagnes, on fait peur aux enfants avec l'homme au rouge qui viendra les emporter...   C'est un personnage qui ne paraît pas tout à fait humain et T Hardy avait prévu de le faire disparaître à la fin sans que l'on sache ce qu'il était devenu. Ce qui aurait été logique mais les impératifs de l'édition en a voulu autrement et c'est dommage car il apportait un  touche fantastique au roman.
Voilà donc tous les éléments de ce très beau roman qui procure à sa lecture un long moment de bonheur.

* il vaut mieux éviter la lecture de la quatrième de couverture des éditions Le Rocher pour la traduction française qui dévoile le dénouement.
 
 

samedi 11 juin 2011

Concours de la nouvelle George Sand 2011 de Déols en Berry


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Puisque je suis plongée, en ce moment, dans la lecture de George Sand, je veux signaler ce concours que j'ai découvert récemment : Concours international de la nouvelle George Sand de Déols en Berry
Ce concours a été fondé en 2004 et a lieu chaque année en hommage à l'écrivain, à son combat humaniste en faveur des femmes et aux valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité que George Sand a défendues. Il a pour but de promouvoir la langue française.
Le Concours international de la nouvelle George Sand de Déols en Berry est ouvert à toutes les femmes sans distinction de lieu de naissance ou de résidence.
Le Concours étant attaché à promouvoir la langue française, les règles d'orthographe et de grammaire doivent être respectées. Les textes doivent répondre aux exigences génériques de la nouvelle : la simplicité de l'intrigue, une action resserrée autour de quelques personnages, l'existence d'une chute sont autant d'éléments qui garantissent la brièveté et la force de la nouvelle.
Mais surtout, les textes distingués le seront pour leur qualité littéraire : le jury prête une attention particulière à l'originalité de l'histoire et du style, à l'efficacité de la narration, à la puissance ou à la beauté de l'écriture.
La septième édition du concours propose le thème suivant : Frontière(s). Les candidates peuvent envoyer leur texte jusqu'au 30 Juin 2011.
Je  renvoie au règlement du concours pour celles qui sont intéressées.
A vos plumes! Devrais-je dire : A vos claviers!

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logo-challenge-la-nouvelle5.1304787274.jpg de Sabbio
challenge-george-sand1-1.1304787241.jpg de  George

George Sand : Nouvelles (2) Metella et Mattea


 Metella
Dans la première partie de Metella, George Sand crée un personnage de femme belle et intrépide, installée à Florence, Lady Metella Mowbay mais qui, passé un certain âge, craint de perdre son amant, le comte de Buondelmonte. Le comte, d'abord jaloux et blessé dans sa vanité par la crainte de voir un jeune rival le supplanter, le jeune suisse Olivier en visite à Florence,  finit par rompre. Dans la société du XIXème siècle,  George Sand dénonce l'absence d'amour véritable et la vanité égoïste des hommes. Une femme n'a de valeur que si elle flatte l'orgueil de son amant et lui permet de briller en société. Comme dans Lavinia ou Pauline, les hommes confondent amour avec  amour propre. Mais les relations entre femmes sont terribles aussi. Quand Metella est abandonnée par le comte, ses "amies" se réjouissent et la raillent, tout comme le faisaient celles de la Marquise.. Malheur à celle qui devient vieille et qui ne parvient plus à plaire!
Dans la seconde partie, Metella vit en Suisse au bord du lac Léman avec Olivier. Elle l'appelle "mon fils", lui "ma mère" (allusion à Jean Jacques Rousseau?) mais ces relations sont un peu incestueuses! Leur tête à tête est interrompue par la venue de Sarah, la nièce de Metella qui sort du couvent. Celle-ci naïve croit que le jeune homme est le fils adoptif de sa tante. Les deux jeunes gens, comme l'on doit s'y attendre, finissent par s'aimer. Metella, d'abord jalouse de Sarah, parvient à dominer ses sentiments et continue à offrir protection et affection à la jeune fille. Mais une union comme celle-là serait scandaleuse. Olivier le comprend et part de son plein gré. Le portait de cette femme vieillissante deux fois abandonnée n'est pas sans grandeur. Metella finit par dominer la souffrance et par trouver dans l'amour  qu'elle éprouve envers sa nièce une raison de vivre et atteint à la sérénité. Ce qui est sûr, c'est que ce n'est pas avec  un homme que la femme peut trouver la paix.

Mattea
Mattea est la seule nouvelle de ce recueil qui finit bien. La jeune héroïne, Mattéa, se libère de la tutelle oppressante de ses parents, commerçants vénitiens, et de la brutalité de sa mère; elle s'enfuit de Venise, à bord du navire de Abdul, riche marchand turc, sous la protection du jeune grec, Timothée, employé d'Abdul, qui veut l'épouser. Elle arrive en Grèce où elle travaille pour gagner sa vie. Elle épouse Thimotée. A la mort de sa mère elle revient s'installer à Venise avec son mari et elle obtient le pardon de son père, Zacomo.
Il s'agit d'une "fantaisie", "une turquerie" comme on le disait du temps de Molière, très à la mode aussi au XVIIIème et que George Sand reprend à son actif. Ce récit, romanesque à souhait, ne peut être pris au sérieux car les aventures de Mattea sont plutôt rocambolesques. L'intrigue pourrait être facilement transposée au théâtre tant les scènes clefs, dont certaines sont presque entièrement dialoguées, prêtent au rire : Zacamo dont le chapeau est emporté par le vent tombe dans la barque de la princesse, Thimotée, le jeune grec, s'amuse franchement de la cupidité de Zacomo en lui faisant croire que Abdul réclame son argent. Veneranda qui refuse d'avouer son âge se croit aimée de Thimotée qui n'est là que pour les beaux yeux de Mattea. Le  Turc, Abdul, préfère la mère qui est une  grosse matrone à l'exquise jeune fille jugée trop maigre! Les personnages obéissent eux aussi à des types théâtraux : la jeune première idéaliste mais au caractère affirmé  qui n'a pas froid aux yeux, le jeune premier, Thimotée, habile et malin, une sorte de Figaro qui domine son maître Abdul, le père avare, la méchante marâtre...
Pourtant, les thèmes que George Sand aborde sont très sérieux :  Le mariage forcé car la mère veut marier sa fille à un cousin qu'elle n'aime pas; les rapports entre mère et fille qui rappellent ceux que George entretenait avec sa propre mère; le désir d'indépendance de Mattea qui n'hésite pas à braver les conventions sociales. Enfin l'on y retrouve une critique sociale vive et pleine d'ironie : cupidité du marchand Zacomo qui utilise sa fille Mattea comme appât sexuel auprès de Abdul. Ridicule de la princesse Veneranda qui refuse de vieillir, enfermée dans son égoïsme et sa richesse.
Enfin cerise sur le gâteau, une belle description de Venise!
J'ai déjà résumé Pauline ici
Voir Mattea chez Kathel