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mercredi 23 novembre 2011

Mercredi romantique : Camilo Castelo Branco : Amour de perdition


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Librairie Lello de Porto (intérieur)

C'est dans cette librairie réputée de Porto, classée patrimoine national, que j'ai découvert Amour de Perdition de Camilo Castelo Branco, une des oeuvres romantiques  les plus célèbres du Portugal. Porté plusieurs fois à l'écran, le roman a été adapté entre autres par Manuel  de Oliveira, film, paraît-il, magnifique.

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Camilo Castelo Branco, écrivain portugais, écrit Amour de Perdition en prison. C'est sa passion pour Ana Augusta Placido qui le conduit là. La jeune fille que Camilo Castelo Branco a rencontrée dans un bal à Porto est mariée par son père, et malgré son inclination pour le jeune homme, à un riche commerçant plus âgé qu'elle. Huit après ce  mariage, elle le rejoint à Braga et devient sa maîtresse. Les deux amants poursuivis pour adultère prennent la fuite. La jeune femme, à la demande de son mari, accepte d'entrer au couvent pour échapper à la justice et au scandale mais Camilo l'en délivre. Ana est arrêtée en 1860 et le jeune homme se rend à la police peu après. Ils sont tous les deux incarcérés à la Prison de la Relation à Porto.

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Prison de la Relation à Porto (aujourd'hui, Centre portugais de la photographie)

A propos de Amour de Perdition, Camilo Castelo Branco dira plus tard : " J'ai écrit ce roman en quinze jours, les plus tourmentés de ma vie".
Le récit se situe au début du XIXème siècle, soit un demi-siècle avant la détention du jeune homme à la prison de la Relation, et a beaucoup en commun, on le comprend, avec la propre histoire de l'écrivain.
Il raconte l'amour contrarié de l'oncle de Camilo, Simon Antonio Bothelo,  épris de sa jeune voisine, Thérèse d'Alburquerque. Le père de Thérèse, Tadeu d'Alburquerque, est  ennemi de celui de Simon, le juge  Domingos Bothelo à qui il voue une haine farouche. Il lui reproche, en effet, de lui avoir fait perdre son procès. Abusant de son pouvoir paternel, il veut contraindre sa fille à épouser son cousin Balthazar. La jeune fille refuse de se plier à la décision de son père. Tadeu décide de l'enfermer dans un couvent. Simon pourrait enlever sa bien-aimée mais persuadé que le destin de sa famille est de connaître le malheur à cause de l'amour, il décide d'accepter sa destinée tout en restant le maître. Il  tue Balthazar, choisissant ainsi la prison et la mort. La toute-puissance de son père commuera la peine capitale en exil. Il mourra sur le navire qui l'amène au bagne et qui a jeté l'ancre face au couvent où Thérèse est en train de s'éteindre. En parallèle à cette héroïne noble, femme forte et déterminée, Camilo Castelo Branco  brosse le portrait d'un autre personnage féminin, Mariana. Elle aussi figure majeure du roman, Mariana est issue du peuple. Servante de Simon, éprise de son maître sans rien espérer en retour,  elle l'assiste sans faiblir dans le malheur, acceptant même de le suivre au bagne, et se jette dans la mer pour ne pas lui survivre.

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Prison de la Relation Porto

Ainsi ce récit d'amour fou, de violence, met en scène des êtres entiers, passionnés, qui ne veulent pas composer avec leur destin et préfèrent la mort.
On a souvent comparé Amour de perdition à  Roméo et Juliette. Mais le roman est bien ancré dans la société portugaise. Il faut lire la préface de Jacques Parsi -qui est aussi le traducteur de l'ouvrage aux éditions Actes Sud - pour comprendre que tous ces évènements qui nous paraissent appartenir à la tradition un peu conventionnelle du romantisme sont non seulement rejoints mais dépassés par la réalité. Amour contrarié, mariage forcé, enfermement dans un couvent, sombre machination, enlèvement, duel, meurtre, ont été vécus par Camilo et par plusieurs de ses amis. La noirceur du roman est le reflet de la jeunesse de cette moitié du XIXème siècle qui sort perdante d'une guerre civile* où ses idéaux ont été foulés aux pieds.
Au-delà de l'histoire d'amour, j'ai été frappée par  l'âpreté de la peinture sociale. Dans cette société, la  la loi du plus fort est de mise. On n'hésite pas à se débarrasser de celui qui gêne et on peut le faire impunément si l'on appartient à une famille puissante et surtout si la victime est de condition modeste. Ainsi, lorsque Simon tue les sbires de son rival, avec  son complice, le maréchal-ferrant Jean da Cruz, celui-ci lui fait remarquer que s'ils sont pris, Simon s'en sortira blanchi grâce à son père, le juge, tandis que lui ira à la potence. La description du premier couvent où est enfermée Thérèse est d'une férocité incroyable. Les religieuses hypocrites et doucereuses, sont pleines de fiel les unes envers les autres. Elles dénigrent leurs compagnes dès que celles-ci ont le dos tourné, tout en cultivant leur propre vice : alcool, goinfrerie, amants. La Mère Supérieure couche avec le chapelain et s'endort en faisant ses prières. Thérèse en conclut que si elle veut apprendre la vertu elle doit aller partout sauf dans un couvent.
*Révolte populaire de 1846 qui se prolongea par une guerre civile de neuf mois contre le gouvernement des frères Cabral
Camilo Castelo Branco : Amour de perdition  traduit du portugais par Jacques Parsi édit Actes Sud Babel 2000 roman paru en 1861
voir article ici
Biographie : extrait de l'article de wikipédia
La vie agitée de Camilo, comme on l'appelle affectueusement, a été aussi riche en événements et aussi tragique que celle de ses personnages : fils naturel d'un père noble et d'une mère paysanne, il est très tôt resté orphelin. Marié à seize ans avec Joaquina Pereira, il connut d'autres passions tumultueuses, dont l'une le mena en prison : celle pour Ana Plácido qui devait devenir sa compagne. Fait vicomte de Correia-Botelho en 1885, pensionné par le gouvernement, il connut cependant une fin de vie des plus pénibles : perclus de douleurs et devenu aveugle, il finit par se suicider.
À travers son œuvre très féconde (262 volumes), Castelo Branco s'est intéressé à presque tous les genres : poésie, théâtre, roman historique, histoire, biographie, critique littéraire, traduction. On y retrouve le tempérament et la vie de l'auteur : la passion fatale s'y lie au sarcasme, le lyrisme à l'ironie, la morale au fanatisme et au cynisme, la tendresse au blasphème.(...)
Cet écrivain à l'imagination vive, au style communicatif, naturel et coloré, au vocabulaire riche et nuancé, est un maître de la langue portugaise. Amour de perdition, publié en 1862, est, d'après Miguel de Unamuno le plus grand roman d'amour de la Péninsule Ibérique.

 
Billet paru dans mon ancien blog, rédigé  après un voyage au Portugal.
 
 

mardi 22 novembre 2011

Invitation au romantisme : Chateaubriand, ridicule?



 De temps en temps, je vous inviterai à aller voir de blog en blog les billets écrits dans le cadre du challenge romantique afin d'en découvrir les richesses et trésors. Il ne s'agira pas d'un bilan mais d'un voyage  dans l'univers romantique de la blogosphère.

                                                   LE BLOG DE MELISANDE

Nous avions parlé de Chateaubriand avec Miriam la semaine dernière. Continuons avec Mélisande qui écrit sur lui un billet irrévencieux et malicieux qui démomifie le Grand Homme. Le titre? 
                                        

Après avoir lu  le Chateaubriand de Ghislain Diesbach,  Mélisande écrit :
 
"De ce portrait de Chateaubriand fait pas de Diesbach, j'ai retenu surtout la dimension parfois comique du personnage. Le  Chateaubriand que nous connaissons tous, c'est  celui des mémoires, celui qui pose pour la postérité drapé de sa mélancolie parfois ostentatoire comme un génie funèbre venant prophétiser la fin de temps. La biographie ne s’arrête pas à cette dimension, elle se plait aussi à nous dépeindre le Chateaubriand de tous le jours, parfois un peu ridicule. 
On apprend par exemple (c'est Madame de Boigne qui rapporte cette anecdote dans ses mémoires) que Chateaubriand avait de nombreuses admiratrices."   Lire la suite ICI.




Arnold Böcklin peintre suisse symboliste (1827-1901)


Et oui, notre grand homme se plaisait  à prendre des poses et ceci me rappelle ce voyage fait à la Fontaine du Vaucluse en Novembre 1802 qu'il relate ainsi en 1838 pour les Mémoires d'Outre-Tombe (2ème partie, livre 14, chapitre 2)

J'allais en Vaucluse cueillir aux bords de la Fontaine des bruyères parfumées et la première olive que portait un jeune olivier. On entendait dans le lointain les sons du luth de Pétrarque, une canzone solitaire échappée de la tombe continuait à charmer le Vaucluse d'une immortelle mélancolie et des chagrins d'amour d'autre fois.

Ce que Chateaubriand a oublié, c'est cette lettre  écrite à son ami M. de Fontanes, le 6 Novembre 1802,  peu après la promenade, dans laquelle il se plaint prosaïquement des conditions de la visite et ajoute : 

Quant à Laure, la bégueule, et Pétarque, le bel esprit, ils m'ont gâté la Fontaine.





Petite supplique aux romantiques de notre challenge :
 
 
Laissez-moi les liens vers vos blogs dans les commentaires de LA LISTE DES PARTICIPANTS (logo colonne de gauche de mon blog, en haut, en première position. Cliquez sur l'image). Merci.

lundi 21 novembre 2011

Jack London : Construire un feu



Construire un feu de Jack London  réunit plusieurs récits de Jack London dont la nouvelle éponyme.

L'ensemble des sept nouvelles se situent dans un lieu géographique qui s'étend du Nord-Ouest du Canada jusqu'à la Colombie britannique et l'Alaska avec pour axe le Yukon. Ces paysages glacés, désertiques, qui mettent l'Homme à l'épreuve, le confrontent à la solitude et à la mort, sont les champs d'expérience d'hommes rudes, âpres, durs à la souffrance, à la nature fruste mais au courage souvent sans mesure. Ces individus sans foi ni loi, cruels et violents, trappeurs, chercheurs d'or, voyageurs, Jack London nous en brosse des portraits  forts et haut en couleurs. Ainsi dans Perdu-de-face, le personnage principal parti de Pologne, arrive en Alaska où il se joint à une bande de chasseurs de phoques barbares qui réduisent la population autochtone à l'esclavage. Mais les victimes prouveront bientôt qu'elles ne valent pas mieux que les bourreaux.

Dans toutes ces nouvelles, la nature sert de révélateur, elle confronte l'Homme à sa propre image, elle est aussi la métaphore de la Mort que chacun doit affronter.  Dans Construire un feu, un homme accompagné de son chien se sont engagés sur une piste qui longe le Yukon pris dans les glaces et  qui doit les conduire vers le refuge où l'attendent ses compagnons. Mais la route est longue, la température avoisine -75° et l'on ne s'engage jamais seul sur une piste avec un froid aussi intense.. Construire un feu devient alors un geste désespéré qui, si l'on échoue, vous condamne obligatoirement à la mort. L'homme apprendra à ses dépens que la nature ne permet pas la moindre erreur. C'est peut-être l'un des plus belles et des plus saisissantes nouvelles du recueil.

Sur un mode plus léger nous voyons dans Ce Sacré Spot, deux amis se fâcher car chacun veut refiler à l'autre le chien Spot, voleur, paresseux, batailleur qui ne pense qu'à manger!  Mais l'ironie devient cruelle avec Mission de confiance, récit dans lequel Fred Churchill est chargé de rapporter un sac à son ami Mc Donald. Il le fera  au prix d'énormes souffrances, au risque de sa vie, avant d'apprendre ce que contenait la sacoche. Jack London dans ce recueil manie, en effet, toutes les facettes de l'humour.  L'humour noir  avec  la disparition de Marcus O Brien, récit dans lequel les personnages ont  des conceptions un peu particulières de la justice. Ils estiment légitime d'expédier dans l'au-delà leur camarade s'il chante faux et offense leurs oreilles! L'humour tourne à la farce grotesque mais sanguinolente dans Perdu-la-Face où le héros pour éviter d'être torturé par les indiens invente un stratagème qui ridiculise le chef. Quant à Braise d'or, l'un des personnages féminins du recueil, elle paiera le prix fort pour sa légèreté, le cadavre de son fiancé abandonné s'invitant à sa noce. Humour noir qui glisse  vers un  fantastique macabre, vision hallucinée de ce cadavre éjecté de son cercueil et qui conduit la fiancée infidèle à la folie. 
Ainsi l'humour semble souvent inséparable du pessimisme  de Jack London souligne  les thèmes de la Nature implacable et de la Mort, celui de la barbarie de l'Homme dans un pays qui semble échapper aux lois de la civilisation. Une barbarie qui n'a d'égale que le courage car l'Homme est capable du meilleur et du pire! Un très beau recueil de nouvelles.

              Une Bande dessinée de Chabouté


Chabouté a adapté la nouvelle Construire un feu en Bande dessinée. C'est une réussite! Les dessins en noir et blanc correspondent à chaque phrase-clef de la nouvelle, décrivant le froid, la solitude de l'homme, les gestes minutieux rendus difficiles par le gel pour allumer le feu. Les plans d'ensemble qui peignent l'immensité déserte et donnent la mesure de  la petitesse de l'homme alternent avec des gros plans. Ceux-ci montrent dans le détail les souffrances endurées par le personnage, l'action terrible du froid. Les pensées sont traduites dans des bulles comme s'il s'agissait d'une voix off qui commente la situation. La beauté des dessins rend pleinement compte de cette confrontation tragique entre l'Homme et la Nature, de la disproportion entre l'être humain si frêle et la nature si puissante. Elle montre la démesure de cette lutte racontée par Jack London et comment l'homme paiera son orgueil de sa mort.
 Deux artistes de talent réunis pour une oeuvre sombre et forte.

Chez Folfaerie


Chez Sabbio

dimanche 20 novembre 2011

Guillaume Apollinaire : Automne malade

 Lozère en automne

Pour ce dimanche poétique je retrouve un de mes poètes préférés, Guillaume Apollinaire

Automne malade

Automne malade et adoré
Tu mourras quand l'ouragan soufflera dans les roseraies
Quand il aura neigé
Dans les vergers

Pauvre automne

Meurs en blancheur et en richesse
De neige et de fruits mûrs
Au fond du ciel
Des éperviers planent
Sur les nixes nicettes aux cheveux verts et naines
Qui n'ont jamais aimé

Aux lisières lointaines

Les cerfs ont bramé

Et que j'aime ô saison que j'aime tes rumeurs

Les fruits tombant sans qu'on les cueille
Le vent et la forêt qui pleurent
Toutes leurs larmes en automne feuille à feuille
Les feuilles
Qu'on foule
Un train
Qui roule
La vie
S'écoule




Dimanche poétique

 Les troubadours de Bookworm

Un livre, un Jeu : réponse à l'énigme n° 11 David Goodis : cauchemar/ dark passage


Nos perspicaces gagnants ont pour nom : Aifelle, Eeguab, Jeneen, Sabbio,  ...  

 Et merci à Maggie, Dasola, K'agire, Asphodèle, Lireau jardin qui ont eu le courage de participer même si le roman noir n'est pas leur tasse de thé!
Avez-vous trouvé l'énigme soulevée par Sabbio dans ses commentaires? Moi non!!
"Et bien le film à trouVer aujourd'hui et "Rebecca" ont une actrice en commun! Et c'est fou car elle a participé à de très grands projets (ciné ou radio) mais elle a aussi été la fameuse Endora dans une série de qualité moyenne, tout à la fin de sa carrière ."

 

Le roman de David Goodies et le film de Delmer Daves ont le même titre en anglais : Dark passage
Le titre français du Roman est cauchemar et le titre français du film est : Les passagers de la nuit.

Dark passage est paru en 1946. David Goodies,  traduit en français par Cauchemar, est un roman noir, le second de cet écrivain, et s'il a eu une renommée fulgurante c'est que la Warner a acheté les droits du roman tout de suite. Le film paraît dès 1947 avec Humphrey Boggart et Lauren Bacall.

Vincent Parry est accusé d'avoir tué son épouse Gert. Magda, l'ancienne maîtresse de Parry, qui a découvert Gert encore vivante, affirme, en effet, que cette dernière a désigné son mari comme meurtrier avant de mourir. Au pénitencier, Parry sait qu'il n'a aucune chance de sortir un jour de prison. Il s'évade caché dans des barils transportés par un camion de livraison. Alors qu'il est poursuivi par la police, il va être secouru par une jeune femme, Irène Jansen, qui l'amène dans son luxueux appartement à San Francisco.  Malgré l'aide de la jeune femme, Vincent Parry  va devoir lutter contre une série d'évènements qui le dépassent et l'entraînent dans une spirale tragique digne du pire cauchemar.

 Contrairement à de nombreux romans noirs qui règlent leur compte à la société et en font le sujet du récit, le roman de Goodis parle d'un destin individuel. Cependant si la société n'est pas le sujet du roman, elle existe pourtant en filigrane. Le récit se déroule en 1945, il y est question de démobilisation et les hommes sont jugés en fonction de leur rôle dans la guerre. Ainsi Vincent Parry qui n'a pas été mobilisé pour des raisons de santé, est traité "d'embusqué", ce qui influence négativement le jury et pèse lourdement dans sa condamnation pour un meurtre qu'il n'a pas commis.  Les thèmes de l'injustice sociale et de l'inégalité sont aussi présents mais apparaissent sous une forme visionnaire, comme une image qui oppose l'Humanité travailleuse et opprimée enfermée dans une cage et la riche Humanité dont la vie brillante se déroule loin au-dessus de Vincent, hors de sa  portée. On a l'impression que la vision de Parry est celle d'un conte merveilleux dont il aurait été exclu.

Et un jour ces clients revenaient chez leur argent de change, ils revenaient dans des limousines étincelantes, hâlés, souriants. Lui, Parry, dans sa cage, les regardait et déplorait que ces gens aussi heureux fussent mortels, parce que la vie valait vraiment la peine d'être vécue pour ceux qui étaient riches et qui  trouvaient plaisir à tant de choses. Il aimait les voir rentrer dans la salle des cours, vêtus de complets coûteux fumant de cigares chers et parlant avec des voix de gens riches. Les observer le ravissait, parce que rien qu'à les regarder il sentait son existence tout embellie par mimétisme. Parfois, il avait envie de leur parler et regrettait de ne pas être assez hardi pour le faire.

Cette arrière-fond  souligne la tristesse et la noirceur de ce destin individuel. Vincent Parry, le héros, est pris dans un engrenage auquel il ne peut échapper. Il sort à peine d'une situation désespérée qu'il retombe dans une autre. Les morts se multiplient sur sa route. Il en vient à penser qu'il représente un danger pour ses  proches, ses amis et il en est tellement persuadé qu'il préfère éloigner de lui la femme qu'il aime pour lui éviter de partager son destin tragique. Tout ce qu'il entreprend est condamné à l'échec. On a l'impression qu'une fatalité pèse sur lui! Il pourrait être par excellence le type du héros tragique antique poursuivi par le fatum ou celui du héros romantique condamné d'avance par le destin.  Mais Pour David Goddies la fatalité n'est que sociale. On ne peut s'évader de sa cage. Les hommes sont conditionnées par le milieu dans lequel ils vivent. Pour le reste et quant à l'avalanche de cadavres, David Goodis ne croit pas à la fatalité et nous verrons qu'il nous ne proposera une explication tout à fait rationnelle. Le dénouement nous apprendra, en effet, qui s'acharne à faire condamner Vincent Parry et pourquoi. 
D'autre part, le personnage n'a rien d'un héros. Au contraire, c'est un modeste employé qui travaille dans une agence de change et qui gagne de quoi vivre très humblement, en calculant pour arriver à la fin du mois.  Il n'a pas fait d'études et quand il essaie de passer un concours pour doubler son misérable salaire, il échoue. Il n'a pas d'ambition, ni de rêves mirobolants, seulement le désir d'avoir une femme qu'il aime et qui l'attend avec amour dans leur modeste appartement. Il n'a pas non plus un physique de héros, de petite taille, il manque de force,  il n'a aucune prestance dans ses vêtements mal coupés :  l'anti-héros par excellence, le looser à qui rien ne réussit.
Comment expliquer alors qu'il puisse attirer une femme aussi riche et cultivée que Irène Jansen? On peut reprocher au roman ses invraisemblances. Irène se met en danger parce qu'elle croit Parry innocent mais elle ne le connaît pas vraiment. D'ailleurs, elle a peur de lui, au début de leur rencontre, quand elle constate que la prison l'a rendu violent. Malgré cela, elle est prête à risquer sa réputation, à faire des années de prison pour un personnage qui, à première vue, paraît bien falot. Il est vrai qu'il est innocent, ce que le lecteur sait avec certitude dès la première page, mais cela ne suffit pas à expliquer l'attitude et le dévouement d'Irène qui, elle, n'a aucune preuve.. On peut chercher, bien sûr, l'explication dans le passé de la jeune femme, dans ce père injustement accusé du meurtre de sa femme et qui est mort en prison. Mais ce n'est pas suffisant. Goodis sème des indices subtils qui montrent que les deux  personnages sont en adéquation, comme si certains signes secrets, symboliques, ne pouvaient tromper sur la personnalité profonde. Les couleurs préférées d'Irène, le mauve et le jaune, sont aussi celles de Vincent alors que l'orange est la couleur des personnages négatifs. Tous deux aiment le Jazz et Count Basie, le musicien,  les fait vibrer de la même émotion. Tous deux ont un rapport désintéressé à l'argent, Irène est riche et donne de l'argent à Vincent. Mais nous avons vu celui-ci, au début de sa vie de couple avec Gert, malgré ses difficultés financières, s'endetter pour offrir une bague à sa femme que celle-ci jette avec mépris estimant qu'elle n'a pas de valeur.  Et c'est par ce don, geste  généreux et sans calcul, que Vincent échappe à la médiocrité de sa vie. La valeur des gens est souterraine, image inversée de celle que la société nous donne en exemple.
Sur sa route, Vincent Parry rencontre des personnages qui sont prêts à l'aider, son ami George qui l'accueille chez lui malgré les risques, le chauffeur de taxi qui l'amène chez le chirurgien  esthétique sans accepter de contrepartie financière. Le monde semble divisé entre les bons et les méchants, ces derniers étant prêts à tuer soit pour de l'argent soit par vengeance. On a l'impression parfois d'être dans un univers de conte ou "les fées" viennent aider la victime mais ne sont pas assez puissantes pour luttrer contre les forces du mal.  On ne peut pas croire, non plus, à cette opération du visage faite à la sauvette et si réussie!  En fait, David Goodis s'intéresse peu à la vraisemblance du récit.  Le récit glisse même parfois vers le fantastique, Vincent parle avec les morts, avec son ami George quand il le retrouve assassiné, gisant sur le sol ou encore avec le maître chanteur qu'il vient de tuer...
Le roman baigne dans la mélancolie poignante d'une existence ratée et a des accents poétiques qui échappent ainsi au réalisme. David Goodis nous conte une belle histoire d'amour hors des contingences matérielles et si le récit est noir il est à noter qu'il se termine par une touche d'espoir. L'amour pourra peut-être triompher.


Le roman/ le film
Dans le film ( WENS) le héros est incarné par Humphrey Boggart. Même si l'on ne le voit pas pendant une partie du film, la caméra étant subjective jusqu'au moment où il apparaît avec son nouveau visage, il est sûr que l'acteur donne une prestance au personnage que celui-ci n'a pas dans le livre. On comprend que la belle Lauren Bacall puisse en tomber amoureuse! D'ailleurs, toute allusion à la différence sociale entre les deux personnages est gommée. On n'insiste pas non plus sur le fait que Vincent Parry accepte de l'argent de la jeune femme. La fin est légèrement différente. Dans le livre, Vincent est amené à tuer pour sauver sa vie, dans le film c'est tout à fait impossible (voir ce qui a été dit samedi dernier sur Rebecca et la censure). Dans le roman, Davis Goodis laisse un espoir, le film, lui, se termine par un happy end.
 Malgré ces quelques différences, les deux oeuvres ont toutes deux un charme fou alors même que l'on ne peut croire à l'histoire.

samedi 19 novembre 2011

Un livre, un Jeu : énigme n° 11




Wens de En effeuillant le chrysanthème et moi-même nous vous proposons, le samedi, un jeu sous forme d'énigme qui unit nos deux passions : La littérature et le cinéma! Il s'intitule : Un livre, Un film.

Chez Wens ICI vous devez trouver le film, le metteur en scène et les acteurs, chez moi, le livre.

Consignes :  Vous pouvez donner vos réponses par mail (que vous trouverez dans mon profil) et  me laisser un mot dans les commentaires sans révéler la réponse pour m'avertir de votre participation. Le résultat de l'énigme et la proclamation des vainqueurs qui n'auront gagner que la gloire de participer (avouez que c'est beaucoup!) sera donnée le Dimanche.
Ce roman noir d'un auteur américain est paru en 1946.  Il s'agit du second roman de cet écrivain et il a obtenu un vif  succès puisque le livre est  immédiatement acheté par la Warner. Le film sortira sur les écrans en 1947.  En français, le titre du film et celui du roman ne porte pas le même nom. Comme dans tout roman noir,  une femme fatale mènera le héros, à sa perte. Mais une autre femme, amoureuse, lui laisse une raison d'espérer.
 L'auteur à été très souvent adapté au cinéma par de grands réalisateurs, Truffaut, Beinex, Girod, Béhat, qui aiment ses personnages de loosers

Enigme n° 11

Ne bougez pas tout de suite. N'essayez pas de parler. Ne remuez pas la bouche. Je vous ai collé du sparadrap sur le visage. Je vous ai laissé un petit espace à la hauteur de la bouche pour que vous puissiez-vous nourrir. Servez-vous d'un tube de verre et absorbez tout ce que vous voudrez, pourvu que ce soit du liquide. Si vous voulez fumer, prenez un fume-cigarette. Mais il ne faut surtout pas bouger vos lèvres ni essayer de parler.  Vous pourrez défaire les pansements dans cinq jours. Quand vous les aurez retirés, vous vous regarderez dans la glace et vous verrez un nouveau visage.

vendredi 18 novembre 2011

Des Mots, une histoire : Automne malade et adoré...

 Camille Pissaro : automne

Les mots imposés pour l’édition 46 du jeu Des mots, une histoire dans le blog d'Olivia sont  : patine – salariat – remorque – regard – poix – exécution – rompre – panais – plaisir – savoir – paix – couperet – jardin – feuille – macramé – horticulture – sens – repassage – chausson – soupir – automne – ensevelir – opiniâtre

                                         
Automne malade et adoré*

 Automne opiniâtre, tu ensevelis mon regard sous tes feuilles de macramé dorées. Dans la forêt, c'est l'exécution, couperet du temps qui passe et repasse et passe sans cesse, tu déverses la poix visqueuse des tronc d'arbres blessés. Dans le jardin, tu romps la tige des asters, tu effeuilles leurs étoiles qui scintillent dans la fumée des brumes. Tu grognes, tu rages, tu lacères les panais, tu mords la tête chevelue des choux, tu les défrises. Automne malade et adoré! Tu dis non au savoir de l'horticulture, à sa sagesse ancestrale et tandis que s'arrondissent les formes du potiron flamboyant, j'entends tes soupirs, tes regrets, ta violence qui explose comme celle du salariat opprimé. Calme-toi Automne, cesse d'être à la remorque du temps, goûte les bruissements de ton haleine, prends plaisir à la vieillée, à ses reflets de joie et de flammes au coin de la cheminée et aux petits pieds d'enfants dans leurs chaussons douillets. Sois toi-même, Automne, beau, éclatant, triomphant dans ta gangue de feux.  Patine nos coeurs, apporte à nos sens la paix et la douceur.

  *Titre dû à Apollinaire


jeudi 17 novembre 2011

François-René de Chateaubriand : Mémoires d'Outre-tombe

Philipp Otto Runge (1806) peintre allemand romantique

J'ai parlé mardi des Mémoires d'Outre-Tombe de François-René de Chateaubriand  et de ce tome I que j'aime tant, consacré aux souvenirs de sa jeunesse à Saint Malo ou à Combourg.  Je ne résiste pas aujourd'hui à vous présenter un passage.  Chateaubriand raconte les sottises de petit galopin qu'il commettait avec son premier ami, Gesril. L'enfance a peu changé!

Nous étions un dimanche sur la grève, à l’éventail de la porte Saint-Thomas à l’heure de la marée. Au pied du château et le long du Sillon, de gros pieux enfoncés dans le sable protègent les murs contre la houle. Nous grimpions ordinairement au haut de ces pieux pour voir passer au-dessous de nous les premières ondulations du flux. Les places étaient prises comme de coutume : plusieurs petites filles se mêlaient aux petits garçons. J’étais le plus en pointe vers la mer, n’ayant devant moi qu’une jolie mignonne, Hervine Magon, qui riait de plaisir et pleurait de peur. Gesril se trouvait à l’autre bout, du côté de la terre. Le flot arrivait, il faisait du vent ; déjà les bonnes et les domestiques criaient : « Descendez, Mademoiselle ! descendez, Monsieur ! ». Gesril attend une grosse lame : lorsqu’elle s’engouffre entre les pilotis, il pousse l’enfant assis auprès de lui ; celui-là se renverse sur un autre : celui-ci sur un autre : toute la file s’abat comme des moines de cartes, mais chacun est retenu par son voisin ; il n’y eut que la petite fille de l’extrémité de la ligne sur laquelle je chavirai qui, n’étant appuyée par personne, tomba. Le jusant l’entraîne ; aussitôt mille cris, toutes les bonnes retroussant leurs robes et tripotant dans la mer, chacune saisissant son marmot et lui donnant une tape. Hervine fut repêchée ; mais elle déclara que François l’avait jetée bas. Les bonnes fondent sur moi ; je leur échappe ; je cours me barricader dans la cave de la maison : l’armée femelle me pourchasse. Ma mère et mon père étaient heureusement sortis. La Villeneuve défend vaillamment la porte et soufflette l’avant-garde ennemie. Le véritable auteur du mal, Gesril, me prête secours : il monte chez lui, et avec ses deux soeurs jette par les fenêtres des potées d’eau et des pommes cuites aux assaillantes. Elles levèrent le siège à l’entrée de la nuit ; mais cette nouvelle se répandit dans la ville, et le chevalier de Chateaubriand, âgé de neuf ans, passa pour un homme atroce, un reste de ces pirates dont saint Aaron avait purgé son rocher.

Miriam dans son blog Carnets de Voyage a illustré le même texte des Mémoires d'Outre-Tombe avec des photos prises lors de son séjour à Saint-Malo : Allez voir ICI




Avec Chiffonnette

mercredi 16 novembre 2011

Mercredi Romantique : Jane Austen est-elle une romancière romantique?

 Jane Austen

Je voulais vous faire part d'un Forum où l'on débat de la question suivante : Jane Austen est-elle une romancière romantique? Je vous invite à aller le lire si ce sujet vous intéresse. Ici
Jane Austen est souvent considérée comme une romancière romantique. Mais l'est-elle? Damien Tilney, auteur de ce débat retient ces trois sens du mot Romantique. Je le cite.

LES DEFINITIONS DU MOT ROMANTISME

Le premier sens du mot romantique à la fin du XVIIIe. A l’époque de Jane Austen il existe deux définitions. Le terme "Romantique" est synonyme de romanesque, il désigne ce qui tient du roman, ce qui en a le caractère merveilleux et chimérique. Il est aussi associé à « sentimental » (adjectif issu de l’anglais).

 Au début du XIXe siècle le terme romantique désigne une nouvelle esthétique opposée au classicisme. Ce mouvement littéraire et artistique est européen. Sous cette bannière nous pouvons retrouver Victor Hugo, Musset, George Sand (en France), Byron, Walter Scott (en Angleterre), Schiller, Goethe (en Allemagne). Ce mouvement littéraire est une réaction au classicisme ordonné, rigoureux et rationnel. C'est ce sens que j'ai retenu pour notre challenge.

De nos jours le mot n’a plus tout à fait le même sens. "Romantique " dénote un tempérament sentimental, passionné, une propension à la rêverie et la mélancolique. Il désigne également la sentimentalité pure (dans des contextes souvent imaginaires) opposée à la réalité. .

LES PRINCIPALES CARACTERISTIQUES DU ROMANTISME AU XIX° SIECLE.

 Johann Heinrich Füssli : Cauchemar


1) Le Romantisme s'oppose à la Raison, elle privilégie l'irrationnel, le fantastique, le rêve.

Vers l'extrémité du cimetière, qui n'était d'ailleurs ombragé que de cette espèce d'ifs dont les fruits rouges comme des cerises tombées  de la corbeille d'une fée, attirent de loin tous les oiseaux de la contrée (...) il y avait un homme debout dans l'atittude de l'imprécation, un homme prosterné dans l'attitude de la prière
-T... cria  Jeannie!
Et laissant derrière elle toutes les fosses, elle s'élança vers la fosse qui l'attendait sans doute, car personne ne trompe sa destinée. 
(Trilby, Charles Nodier)


 2) Le héros romantique est souvent engagé dans un combat social; c'est un rebelle, un révolté, qui lutte contre la tyrannie; la liberté est un thème commun à tous, liberté dans la société mais aussi dans l'Art et la Littérature.
 La mort de Gavroche
Je suis tombée par terre
c'est la faute à Voltaire
le nez dans le ruisseau
c'est la faute à...
 Il n'acheva point. Une seconde balle du même tireur l'arrêta court. Cette fois il s'abattit la face contre le pavé et ne remua plus.Cette petite grande âme venait de s'envoler. (les Misérables Hugo)

3) Le Romantisme exalte le MOI, C'est une littérature qui contrairement à la littérature classique met en valeur l'individu, dévoile les sentiments, permet l'épanchement des passions, chante la douleur, la plainte

Rien ne nous rend si grand qu'une grande douleur
Les plus désespérés sont les chants les plus beaux  Musset La nui de Mai

4) Le Romantisme se plaît à décrire des héros hors du commun, exceptionnels, rejetés par la société et qui éprouvent des sentiments violents, exacerbés ou au contraire des personnages rêveurs, mal adaptés à leur siècle, en proie au "mal du siècle"

Je suis une force qui va, agent aveugle et sourd des mystères funèbres!
Un âme de malheur faite avec des ténèbres!
Où vais-je? je ne sais. Mais je me sens poussé
D'un souffle impétueux, d'un destin insensé!   
Hernani Victor Hugo


5)Le Romantisme célèbre l'amour-passion, l'amour qui échappe aux règles de la raison, l'amour qui se joue des conventions et qui peut mener  à la destruction, à la mort.

Mes grandes souffrances  en ce monde ont été les souffrances d’Heathclift, je les ai toutes observées et ressenties dès le début : ma grande pensée dans la vie, c’est lui-même. Si tous le reste périssait et qu’il demeurât, lui, je continuerais d’être, moi aussi, et si tout le reste demeurait et qu’il fût anéanti, l’univers me deviendrait formidablement étranger : je ne semblerais plus en faire partie. Les Hauts de Hurlevent Emily Bronté


6) Le Romantisme cherche dans la nature ce qu'il y a de sauvage, de désolé; Il lui faut des paysages grandioses à la hauteur des sentiments éprouvés, montagnes aux pics élevés, précipices vertigineux.

 Le Barde John Martin

 Il aime les éléments déchaînés, l'orage, les éclairs, les tempêtes, les saisons tristes et froides en particulier l'automne, tout ce qui rappelle la mort : les ruines, les vestiges des civilisations passées. Elle est attirée par les grands espaces, l'océan par exemple

John Constable
 L'automne
Salut bois couronnés d'un reste verdure
Feuillage jaunissants sur les gazon épars!
Salut derniers beaux jours! le deuil de la nature
Convient à la douleur et plaît à mes regards.    Lamartine  Méditations poétiques

Peintre paysage

 7) Le Romantisme s'intéresse au  Moyen-âge mais aussi aux traditions populaires, les contes et les légendes des campagnes..

Puis une dame en sa haute fenêtre,
Blonde aux yeux noirs en ses habits anciens...
Que dans une autre existence, peut-être,
J'ai déjà vue- et dont je me souviens! Fantaisie de Gérard de nerval 

Il affiche un goût pour les pays lointains, l'exotisme, l'orientalisme.

Théodore Chasseriau

JANE AUSTEN EST-ELLE ROMANTIQUE?

D'après ces  caractéristiques il nous reste à déterminer si Jane Austen est romantique ou non. Je le ferai en m'appuyant sur quatre de ses romans principaux n'ayant pas relu récemment Mansfiled Park (dont le conservatisme ne plaide pas en faveur du romantisme) et Persuasion.

Rappelez-vous, dans Northanger Abbey de Jane Austen la jeune héroïne Catherine Morland est invitée dans une  abbaye, un vrai décor de roman gothique propice aux mystères, aux meurtres, à la découverte de trésors cachés. Catherine, jeune fille romantique, est toute excitée à cette pensée. Aussi quand elle trouve un parchemin au fond d'un vieux coffre, elle n'en doute pas, il s'agit d'un message secret, d'un mystère!  Elle le lit et ... découvre une facture de blanchisserie. Elle est amoureuse du sympathique Henry Tilney qui s'amuse gentiment de la candeur romantique de la jeune ingénue. Mais éprouve-t-il pour elle un amour passionné? Voilà la réponse de Jane Austen :

 À la vérité, s’il l’aimait, s’il se délectait au charme de son caractère et se plaisait fort en sa compagnie, je dois confesser que son affection avait eu pour origine quelque chose comme un sentiment de gratitude : il  l’avait aimée de l’aimer. C’est là une conjoncture toute nouvelle dans le roman et qui fait déchoir terriblement  mon héroïne .
En vérité Jane Austen ne cesse de se moquer  du romantisme de Catherine et en particulier de ses lectures, elle qui lit avec ferveur les romans gothiques d'Ann Radcliffe. 


Dans Sense et Sensibility (Raison et Sentiment) Marianne Dashwood la jeune héroïne incarne le sentiment  alors que sa soeur Elinor représente la raison. Les deux jeunes filles sont pourtant toutes deux pleines de sensibilité mais l'une, Elinor  pense que celle-ci ne doit pas nous gouverner. Marianne apprend à ses dépens, lorsqu'elle s'enflamme pour le brillant Willoughby,  que le mariage est un  marché où les considérations financières ont plus d'importance que l'amour. Le sentiment ne doit pas prendre le pas sur la raison. Marianne épousera un homme qu'elle considérait comme vieux au début du roman, le colonel Brandon, mais dont elle découvre la valeur morale. Un amour fondé sur le respect et l'estime. La raison triomphe.  A propos de ce roman la poétesse romantique Elizabeth Barett Browning critique le "manque d'expressivité émotionnelle" de Jane Austen et "une vision étroite, terre à terre et essentiellement non poétique"


Quant à Emma, l'héroïne éponyme du roman de Jane Austen y a-t-il une vie plus terne et plus monotone que la sienne? Les seules distractions dans son existence rangée sont les pique-nique champêtres et de temps en temps un bal, évènement assez rare pour que cela devienne une distraction fabuleuse dans la grisaille de la vie quotidienne. Cela ne semble pas déranger Emma qui doit servir de garde-malade à son père qu'elle adore, visiter ses ennuyeuses voisines, tenir compagnie à la femme du pasteur, sotte et pontifiante.  Mais son esprit romanesque compense le manque de rêve en cherchant à marier ses amis. Elle va se ridiculiser en essayant de former des couples qui ne se conviennent pas. Jane Austen fustige ainsi le goût de la jeune fille pour la romance. En fait, la notion de classe sociale et d'argent est présente dans tous les mariages, chacun cherchant  à assurer son confort et à s'élever si possible dans l'échelle sociale. Rien de moins romantique. Si Emma est romanesque intellectuellement, son caractère raisonnable ne lui fait pas rechercher l'amour passion pour elle-même. Elle éprouve d'ailleurs de forts préjugés de classe et son amour ne pourra être que pour un homme de son milieu, George Knightley.

 Cependant dans Orgueil et préjugés Elizabeth épouse Darcy, gentleman séduisant, riche, intelligent, un vrai prince charmant, alors qu'elle est d'un milieu modeste! Si ce n'est pas là une situation romantique! C'est vrai mais pour que cela puisse être, il a fallu que Darcy parvienne à vaincre son orgueil. L'amour triomphe, certes :
 En vain ai-je lutté. Rien n'y fait. Je ne puis réprimer mes sentiments. Laissez-moi vous dire l'ardeur avec laquelle je vous admire et je vous aime.(...)
mais il a fallu pour cela que Darcy affronte un long combat entre la raison et le sentiment, là où un héros romantique n'aurait écouté que sa passion et fait fi de tout calcul, de toute prudence. Son inclination s'était toujours violemment heurtée, disait-il, à la conscience de commettre une mésalliance et à l'obstacle que réprésentait la famille.



 Jamais la société n'a été autant analysée au scalpel, avec une froide précision et un humour décapant que dans Orgueil et préjugés. Vous avez dit Romantique?
 C'est une vérité universellement reconnue qu'un célibataire pourvu d'une belle fortune doit avoir envie de se marier, et, si peu que l'on sache de son sentiment à cet égard , lorsqu'il arrive dans une nouvelle résidence, cette idée est bien fixée dans l'esprit de ses voisins qu'il le considèrent sur le champ comme la propriété légitime de l'un ou de l'autre de leurs filles

Jane Austen n'est donc pas romantique même si elle vit en pleine période romantique. Elle privilégie toujours la raison sur les sentiments. Elle a hérité de l'esprit du XVIII siècle à la fois par le style très classique mais aussi par l'esprit caustique, l'ironie, le regard critique qu'elle porte sur la société qu'elle dissèque avec froideur et dont elle donne une vision réaliste.

POURQUOI LA CONSIDERE-T-ON COMME ROMANTIQUE?

Parce que Jane Austen parle de mariage :

Mais comment pourrait-il en être autrement puisque c'est la seule possibilité de changement qui est laissée à la femme dans la société victorienne?

Parce que la jeune  héroïne épouse toujours celui qu'elle aime :

C'est vrai mais cet amour est toujours "raisonnable" c'est à dire basé sur des notions de respect, d'estime et non sur des passions violentes ou emportées.  Quant aux jeunes filles qui cèdent à leur passion, se font enlever, ont des relations sexuelles espérant ainsi le mariage, elles  sont toutes présentées comme des petites sottes, des coquettes sans cervelle, de véritables "cruches" comme l'amie de Catherine ou la soeur d'Elizabeth,

Parce que les films qui ont adapté les romans insistent sur le côté sentimental et gomment ou affaiblissent la peinture sociale acerbe de Jane Austen.

Cependant, si vous voulez la lire pour le challenge romantique, ce n'est pas impossible. C'est ce que je viens de faire d'ailleurs! Vous pouvez vous intéresser à ce qui est anti-romantique dans les romans de Jane Austen ou vous pouvez dire pourquoi vous la ressentez comme romantique tout en gardant bien en tête la phrase de Valery  qui rappelle que toute tentative de définition du Romantisme est obligatoirement réductrice : Il faudrait avoir perdu tout esprit de rigueur pour définir le Romantisme.



mardi 15 novembre 2011

Portrait chinois (toujours!)

Hue Die la cantatrice Pivoine Rouge (source)

 J'ai été taguée par Aifelle! ICI  en même temps que mes soeurs chinoises Dasola, Moustafette, Theoma, et je dois répondre aux dix questions suivantes :


1) Un monument : Si j'étais un monument je serais la petite église de San Miniato sur la Piazzale Michelangelo avec toute la ville de Florence à mes pieds.






2) Une héroïne ou un héros romantique : Pas romantique! Ils finissent tous mal! Ou alors une héroïne qui a du caractère : Mathilde de La Mole (Stendhal), Edmée de Mauprat Ici, Marcelle de Blanchemont Ici (Sand)



3)Si j'étais un animal, je serais un chat dans un maison confortable avec un maître ou une maîtresse que j'aurais bien dressé(e).







4) Si j'étais un état d'esprit, je voudrais être la sérénité.



5)Un paysage?  Mes montagnes lozériennes en automne avec l'or de ses feuillages.



6)Un défaut. Choisissons en un sympathique : la gourmandise!




7) Un alcool, le porto à déguster sur une terrasse qui domine le Douro face à la ville de Porto accrochée au flanc de la colline avec ses maisons de toutes les couleurs



8) Un rêve? ...  de bonheur 



9) Une maison avec un jardin où pousseraient glycines, mimosas, cerisiers, arbres de judée, lilas, hortensias, seringas, pivoines, roses, azalées, violettes, delphinium, tulipes, lys,  narcisses, jonquilles, pois de senteur... Dois-je continuer?





10) une série télé : Depuis que mes filles ont jugé que ma culture avait des lacunes, je me suis mise à regarder des séries télé. Ma préférée : Engrenages

Invitation au romantisme avec Chateaubriand pour guide




Naissance à Saint Malo le 4 Septembre 1768 :  
"Il n'y a pas de jour ou je ne revoie en pensée le rocher sur lequel je suis né, la chambre ou ma mère m'infligea la vie, la tempête dont le bruit berça mon premier sommeil..." Mémoires d'Outre-Tombe


 De temps en temps, je vous inviterai à aller voir de blog en blog les billets écrits dans le cadre du challenge romantique afin d'en découvrir les richesses et trésors. Il ne s'agira pas d'un bilan mais d'un voyage  dans l'univers romantique de la blogosphère.

VOYAGE AVEC MIRIAM

Aujourd'hui c'est le blog de Miriam Carnet de voyages que je vous invite à aller visiter.  Elle nous amène en Bretagne avec François-René de Chateaubriand pour guide et vous allez pouvoir la suivre en mettant vos pas dans ceux du grand écrivain romantique.

Avant de vous présenter les billets de Miriam, quelques mots sur les Mémoires d'Outre-Tombe qui lui servent de guide...

En 1830, Chateaubriand se retire définitivement des affaires publiques mais il refuse de publier ses Mémoires, celles-ci présentant des réflexions et des jugements concernant des personnages politiques encore en  place.  Il déclare que ses Mémoires ne pourront être publiés qu' "Outre-Tombe". Son éditeur, Monsieur Delloye, achète les droits de ce volumineux manuscrit en 1836 avec la promesse de ne les publier qu'à la mort de l'écrivain qui survient en Juillet 1848.
Selon ses voeux  Chateaubriand sera inhumé sur le Grand Bé, dans la rade de Saint Malo : je reposerai donc au bord de la mer que j'ai tant aimée.
J'ai dans ma bibliothèque les six tomes des Mémoires d'Outre-tombe, chacun de près de cinq cents pages magnifiquement illustrées de gravures de l'époque. Je ne les ai jamais tous lus. Il y a tant de détails,  tant d'évènements, de personnages célèbres jadis mais que je ne connais pas, que la lecture m'a paru parfois bien compliquée voire ennuyeuse. Je préfère les feuilleter pour chercher des passages sur  précis, souvenirs de ses voyages en Provence ou en Italie, par exemple.
Mais j'ai lu, par contre, le tome 1 avec beaucoup de plaisir. C'est celui de l'enfance et de l'adolescence et Chateaubriand y égrène des souvenirs pleins de vivacité, amusants ou tristes, des anecdotes pittoresques. Il nous décrit ce qu'était l'éducation d'un enfant de la noblesse, nous parle de sa soeur bien aimée Lucile, des premières atteintes de cette mélancolie qui a été la sienne toute sa vie.  Et surtout, il nous parle de Saint Malo, sa ville, nous promène sur le port ou au bord de la grève, face aux îlots  Le Fort-Royal, La Conchée, Cézembre et le Grand-Bé,  Plancoet, le joli village près de Dinan, où il a été confié à sa nourrice, le château de Combourg, terre de ses ancêtres ...

 Saint-Malo n’est qu’un rocher. S’élevant autrefois au milieu d’un marais salant, il devint une île par l’irruption de la mer qui, en 709, creusa le golfe et mit le mont Saint-Michel au milieu des flots. Aujourd’hui, le rocher de Saint-Malo ne tient à la terre ferme que par une chaussée appelée poétiquement le Sillon. Le Sillon est assailli d’un côté par la pleine mer, de l’autre est lavé par le flux qui tourne pour entrer dans le port. Une tempête le détruisit presque entièrement en 1730. Pendant les heures de reflux, le port reste à sec, et, à la bordure est et nord de la mer, se découvre une grève du plus beau sable. On peut faire alors le tour de mon nid paternel. Auprès et au loin, sont, semés des rochers, des forts, des îlots inhabités : le Fort-Royal, la Conchée, Césembre et le Grand-Bé, où sera mon tombeau ; j’avais bien choisi sans le savoir : bé, en breton, signifie tombe.

C'est ce voyage que Miriam a accompli pour nous.

Le Grand-Bé, tombeau de Chateaubriand image de Miriam


 Prendre Chateaubriand pour guide
Chateaubriand est omniprésent dans la région. On entre dans la ville close de Saint-Malo sur la place Chateaubriand où se trouve l'hôtel Chateaubriand non loin de sa maison natale. Du haut des remparts on devine son tombeau sur le Grand-Bé. Plancoët, le village de sa nourrice, Combourg, le château où il a passé son enfance et son adolescence,  Dol où il a été au collège, Dinan et de nombreux manoirs conservent des souvenirs de son passage.... Lire la suite


Les Remparts de Saint Malo
Sur la plage, des théories rejoignent les îlots du grand Bé et du  Petit Bé  découverts, à marée basse. Je descends des escaliers très raides pour me joindre aux pèlerins qui vont défiler devant la tombe de Chateaubriand avant que la marée ne remonte Lire la suite

 Château de Combourg :  image de Miriam

Combourg et Dol de Bretagne
 Le château de Combourg, propriété des Chateaubriand depuis les Croisades, se visite accompagné.  Avant la visite, je parcours le parc sur des allées sablées entre des châtaigniers  et découvre l’étang beaucoup plus sauvage et joli que le lac qui borde la ville...
Un  haut escalier droit conduit au perron. L’entrée est décorée au goût du XIXème avec murs peints et trophées de chasse.  Dans la chapelle, la mère de l’écrivain, très pieuse, passait  beaucoup de temps à méditer et prier.  Lire la suite

 Retour par Plancoet :
 En sortant du sein de ma mère, je subis mon premier exil; on me relégua à Plancoet, joli village entre Dinan, Saint Malo et Lamballe....
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 Randonnée sur la digue de la duchesse Anne
A ma gauche, les vagues et les salicornes très humides, à marée haute peut être après la pluie de cette nuit. Des mares avec des affûts ont sans doute été creusées par les chasseurs de gibier d’eau. A ma droite dans le polder, des vaches, des moutons, des saladesLire la suite



lundi 14 novembre 2011

William Boyd : Orages ordinaires

Le roman de William Boyd Orages ordinaires débute comme un film de Hitchcock et, pour être plus précise, comme La mort aux trousses où l'on voit Cary Grant  au siège des Nations-Unis saisir le couteau qu'un tueur vient de planter dans le dos de son interlocuteur et être ainsi convaincu de meurtre devant des milliers de personne. Adam Krinder, en effet, climatologiste distingué, vient à Londres passer un entretien pour un poste de recherche à l'Imperial collège de Londres. Dans un restaurant, il fait la connaissance du docteur Wang qui, en prenant congé de lui, oublie un dossier. Adam le lui rapporte à son hôtel mais quand il entre dans la chambre du docteur, après avoir donné son nom à l'accueil, il trouve l'homme poignardé. Pris de panique il saisit le couteau, se couvre de sang, s'essuie les mains sur le couvre-lit, bref! signe le crime qu'il n'a pas commis. Enfin, prenant conscience que l'assassin est toujours dans l'appartement, il s'enfuit avec le dossier. Il sera désormais recherché par la police mais aussi par le tueur et ses commanditaires. Mais qui sont ces hommes tout puissants qui sont à ses trousses et pour quelle raison tiennent-ils autant à le retrouver?

La comparaison avec le film de Hitchcock s'arrête là. Alors que Cary Grant va se lancer dans une course qui lui fera traverser les Etats-Unis d'Est en Ouest, toujours séduisant dans son costume sorti des mains des plus grands tailleurs, Adam Krinder, lui, se sachant incapable de prouver son innocence, va s'attacher à disparaître et pour cela se terrer dans les bas-fonds de Londres. Cette vision de la grande ville de Londres dans ce qu'elle a de noir, de nébuleux, de malfaisant est une des grandes réussites du roman. Déchéance, privations,  manque d'hygiène, logis sordides, violence sont le lot quotidien des exclus de la société, des SDF, des immigrés clandestins, des prostituées. On a l'impression que rien n'a vraiment changé depuis le XIX ème siècle où les écrivains comme Dickens, Victor Hugo, Eugène Sue nous amenaient visiter l'envers du décor, de Londres ou de Paris, celui où seuls les plus forts, les plus rusés, parviennent à survivre. Et la vie du petit Lyon, fils de la prostituée Musha, n'est pas moins miséreuse que celle du petit Olivier Twist.

Le roman fonctionne sur le suspense et l'on peut dire qu'il est réussi et que nous suivons avec intérêt les péripéties de l'histoire, les dangers que notre héros doit affronter. Mais il n'est pas que cela. L'analyse psychologique des personnages a une grande importance et le récit prend d'ailleurs un tour particulier. Adam n'est pas un super héros, viril et plein de force, qui fait face physiquement et se bat avec les  méchants. Il dépense la plus grande partie de son énergie et de son intelligence à se terrer, à fuir et parfois à recevoir des coups, non à en donner! La force du roman tient à la manière dont William Boyd va nous faire sentir la transformation de la personnalité d'Adam. Peu à peu celui-ci en s'enfonçant dans l'anonymat, abandonne tout ce qu'il était, se dépouille de son Moi profond, perd son identité. Il est un autre! Et cela ne peut aller sans quelque ravage psychologique. Adam Kinder  sait et nous aussi, lecteurs, que même s'il peut porter à nouveau son véritable nom au grand jour, il ne sera jamais plus le même. 
Le livre est assez noir  mais il n'est pas dépourvu par moments d'un certain humour... noir lui aussi, par exemple lors de la visite à l'église de Saint John Christ. Il est éclairé aussi d'une lueur d'espoir liée à la rencontre de l'amour dans la personne de Rita qui travaille dans la police fluviale.

Il était convaincu que tout irait bien dans cette vie compliquée, difficile, éphémère que nous menons. Mais au moins il avait Rita et c'est tout ce qui importait vraiment : maintenant il avait Rita. Il y aurait toujours ça, supposait-il, ça, le soleil et la mer bleue au-delà.

Le narrateur nous présente tour à tour le récit selon l'angle de personnages différents, ce qui nous permet de connaître le passé, les pensées mais aussi les motivations de chacun et d'avoir une galerie de personnages clefs qui nous font comprendre l'action et les dessous de l'affaire. Car Orages ordinaires est aussi une dénonciation de ceux qui, dans notre société, hommes d'affaires "respectables" et puissants, sont prêts à tout pour gagner de l'argent!  C'est ce que vous découvrirez en lisant le livre.

Le roman de William Boyd qui doit son titre à un phénomène climatologique en relation avec le métier du personnage principal, est donc un très bon roman que j'ai lu avec plaisir et intérêt.
Lecture commune avec Jeneen