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samedi 25 juillet 2009

Le festival Off d’Avignon 2009 : Edogawa Ranpo, Imomushi, un spectacle fascinant

Imomushi
La caserne des pompiers à Avignon est un lieu de diffusion de la Région Champagne-Ardenne pendant le festival et présente le plus souvent des spectacles de théâtre contemporain de qualité.
Imomushi d'après une nouvelle de  Edogawa Ranpo, mise en scène par David Girondin Moab de la Compagnie Pseudonymo Théâtre et marionnette contemporaine ne déroge pas à la règle. La pièce est forte servie par une scénographie et une mise en scène éblouissantes où le son, la lumière, le jeu des acteurs et des marionnettistes s'allient pour former un spectacle d'une grande beauté et d'une intensité poignante.
L'histoire est simple, dépouillée  : Le lieutenant Sunaga a été blessé à la guerre mais les "miracles" de la médecine militaire l'ont maintenu en vie alors qu'il n'a plus de bras et de jambes, qu'il est muet, le visage défiguré, le corps tordu par la souffrance. Sa femme le veille depuis trois ans avec un "dévouement exemplaire"  selon les propos du général qui  a eu le jeune homme sous ses ordres. Nous sommes dans un huis-clos étouffant  rompu seulement par la visite du général,  une confrontation tragique qui n'est pas sans rappeler celle imaginée par Atiq Rahimi dans Syngue Sabour, la Pierre de Patience :  un homme muet, immobile, infirme, face à une femme qui va exercer sur lui sa toute puissance mais qui est à la fois victime et esclave de son époux. Mais la ressemblance s'arrête là car si Atiq Rahimi  s'attachait à montrer la folie meutrière des hommes, c'est surtout la condition de la femme dans les pays musulmans qu'il dénonçait. David Girondin Moab, à la fois auteur et metteur en scène, décrit l'horreur de la guerre et son absurdité. Il explore aussi le fond de l'âme humaine, traquant, sous l'abnégation du personnage féminin, les tentations du désir charnel, les impatiences, le désespoir, l'amour qui se mue en haine, le long cheminement vers  la cruauté et le meurtre.
Cependant, malgré cette violence qui happe le spectateur, ne lui laisse aucune respiration, la mise en scène est d'une extrême retenue, d'une grande sobriété, tout est dans l'intériorisation, l'économie de gestes et de paroles.
La musique et le son nous empoignent, jouent sur nos nerfs, nous font réagir.
Le décor, un plateau sombre séparé de la salle par des tiges métalliques qui semblent représenter les branchages d'un arbre ou les barreaux d'une prison, est sculpté par la lumière : celle-ci dessine sur le sol des cercles concentriques, labyrinthe au centre duquel se trouve  la femme, prisonnière; elle isole tour à tour les personnages, détachant les visages dans un clair-obscur qui les fait paraître, privés de corps, semblables à des spectres tragiques; elle joue sur les traits de la femme révélant ses sentiments, sa lutte intérieure, (l'actrice est excellente), elle  façonne et  dissout les chairs, créant des personnages à la Soutine. Au fond du plateau un mur qui s'illumine à plusieurs reprises fait apparaître par transparence des ombres chinoises, des inscriptions, des couleurs qui renvoient au récit.
Enfin, il y a la marionnette, le mari, une sorte de mort-vivant qui ne peut exprimer ses sentiments, sa colère, sa jalousie, qu'en tapant la tête contre le lit. Son corps tronqué, monstrueux, emmailloté comme un nouveau-né, est semblable à cette chenille (imomushi en japonais) que l'on voit dès le début de la représentation, rampant sur une branche dans une difficile ascension, échappant à sa chrysalide pour mieux être précipitée dans un puits, allégorie de la vie et de la mort figurant ainsi l'éphémère destinée du  lieutenant Sunaga. Face à cette marionnette douée de vie et souffrante et à cette actrice aux mouvements saccadés, déshumanisés, qui semble porter un masque figé par le désespoir, l'on se prend à douter, à ne plus savoir laquelle des deux est vivante, laquelle est de chair et de sang.
Certaines scènes sont saisissantes de beauté et d'étrangeté : celle, par exemple où la femme, à la fois mère et amante de son mari, semble donner naissance à un foetus qui devient ensuite phallus et jouissance.
Un très beau spectacle, donc, qui laisse le spectateur sous le choc. Il faut un moment avant de pouvoir réagir et saluer la prestation des acteurs, l'excellence de la scénographie et de la mise en scène, la force du propos.
Imomushi d'après la nouvelle de : Edogawa Ranpo

 metteur en scène :  David Girondin Moab
Cie Pseudonymo théâtre marionnette contemporaine
Lieu  : Caserne des Pompiers  du 8 au 29 Juillet 20H30
Durée : 1H
Tarif : 13  € tarif carte off 9€

dimanche 5 juillet 2009

Avignon au temps du festival : Juillet 2009, brassée d'images



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Avignon a revêtu ses bannières, les affiches montent à l'assaut des lampadaires.  Le festival Off s'affiche!

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dimanche 28 juin 2009

Littérature et Ecosse : Marie Stuart de Stefan Zweig (2)




Lors de mon séjour à Edimbourg, j'ai visité la maison de John Knox, un des fondateurs les plus zélés de l'église protestante en Ecosse. Il  dépasse, dit de lui Stefan Zweig, en intransigeance et intolérance son maître Calvin et donne à la Kirk d'Edimbourg une volonté de fer...



Voici le portrait que Stefan Zweig dresse de lui : John Knox est peut-être le type le plus accompli du fanatique religieux que l'histoire connaisse, plus dur que Luther, dont une gaîté intérieure venait du moins de temps en temps animer l'esprit, plus austère que Savonarole, dont il n'a pas l'envolée éclatante et illuminée du mystique.(...)
Tous les dimanches, avec sa barbe de fleuve, tel Jéhovah, il occupe la chaire de Saint Gilles et vomit sa haine et ses malédictions sur ceux qui ne sont pas de son avis. (...) 
De sa chaire, Knox entonne des chants de triomphe lorsque le jeune François II, l'époux de Marie Stuart, meurt d'un abcès purulent à l'oreille, "cette oreille qui se refusa à entendre la voix de Dieu." (...)
Selon ses propres paroles, il "eût préféré voir débarquer dix mille ennemis en Ecosse que de savoir qu'on y disait une seule messe".
Quand Marie Stuart arrive en Ecosse, elle reconnaît à ses sujets une entière liberté de conscience, mais, sous la pression de John Knox, elle est obligée d'accepter la loi interdisant la messe en Ecosse. Elle se réserve, cependant, le droit de la suivre dans la chapelle privée du château de Holyrood mais le peuple excité par le prédicateur vient troubler cette célébration.
La Reine  furieuse, convoque John Knox qui sort triomphant de ce duel entre la souveraine et lui : 

"Les princes et les rois doivent obéir à Dieu, déclare-t-il. Les rois doivent être les pères nourriciers de l'Eglise et les reines ses nourrices."
- Mais votre Eglise n'est pas celle que je veux nourrir, réplique la reine.
Knox devient impoli et grossier et traite l'Eglise romaine de prostituée indigne d'être la fiancée de Dieu (...) : La croyance exige la vraie connaissance et je crains que vous n'ayez point la vraie connaissance".

Il sera désormais le plus implacable adversaire de Marie Stuart.

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Maison de John Knox : intérieur
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maison de John Knox : intérieur

samedi 27 juin 2009

Littérature et Ecosse : Marie Stuart de Stefan Zweig (1)


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Marie Stuart vers 1558 par Clouet
En s'attaquant à la biographie de Marie Stuart, Stefan Zweig annonce clairement la couleur : il ne prendra pas partie! Il constate, en effet, que selon qu'ils soient protestants ou catholiques, les historiens ont fait de la Reine d'Ecosse une criminelle ou une victime et de même pour sa rivale, la Reine d'Angleterre, Elizabeth. Il souligne, cependant, la difficulté de démêler le vrai du faux dans la masse de documents, lettres, actes, rapports, procès-verbaux qui concernent le règne de ces deux souveraines à la destinée si étroitement liée. Il décide donc de s'en tenir aux documents dont l'authenticité ne fait pas de doute et dans le cas ou deux affirmations seraient opposées de confronter les textes en vérifiant les sources et les raisons politiques de chacun d'eux. Enfin quand il y a obscurité et que le doute est permis de s'appuyer sur la psychologie du personnage - car le caractère de Marie Stuart est bien connu- pour trouver la réponse la plus plausible.
Et c'est peut-être dans cette analyse psychologique que réside l'un des plus grands intérêts de la biographie de Marie Stuart par Stefan Zweig car l'historien consciencieux et documenté se double aussi de l'écrivain expert qui sait avec subtilité et finesse dénuder les mystères de l'âme humaine et découvrir les ressorts secrets sous les mobiles apparents des actions des personnages.

Elizabeth Ier d'Angleterre

image017.1246206268.jpgAinsi la guerre des deux reines ennemies, Elizabeth et Marie, donne lieu à une analyse savoureuse du courrier hypocrite que s'écrivaient les deux rivales. Protestations d'amitié, serments de fidélité suivis de coups bas, de propos vipérins qui pourraient apparaître comme des scènes de comédie si cet échange n'était mu par une haine implacable et ne s'achevait par une tragédie sanglante : la mise à mort de Marie.
Stéfan Zweig fait presque oeuvre de dramaturge en mettant en scène ce personnage de plein de panache et d'audace qui, pense-t-il, a pu inspirer Shakespeare pour son Hamlet et son Macbeth.
Mais au-delà de la psychologie individuelle, c'est tout un tableau de l'époque et en particulier de l'Ecosse, que brosse Stefan Zweig : Un pays déchiré par ses luttes intestines, où les lords tout-puissants contestent le pouvoir des Stuart et sont toujours prêt à la rebellion, un pays pauvre dont la seule richesse, même celle du souverain, consiste en têtes de bétail que chaque clan essaie de s'approprier en se faisant la guerre, un pays qui a besoin du soutien étranger pour survivreet qui est  menacé dans ses frontières par la puissante voisine, l'Angleterre. Enfin, et ce n'est pas le moindre, un pays déchiré par les luttes religieuses, gagné au protestantisme sur lequel les lords s'appuient pour s'opposer à la dynastie très catholique des Stuart, avec un peuple soumis à l'influence grandissante du prédicateur J. Knox, le plus grand ennemi de Marie Stuart.
Ainsi Stefan Zweig montre comment derrière les deux souveraines se révèlent deux mondes opposés, l'un finissant, celui de Marie Suart, héritier du Moyen-âge, chevaleresque, mais désuet, tourné vers le passé, condamné à sa perte, l'autre, celui d'Elizabeth, progressiste, allant de l'avant, décidé à s'enrichir, en pleine évolution et qui va triompher..
 La vie d'Elizabeth personnifie l'énergie d'une nation qui veut conquérir sa place dans l'univers; la fin de Marie Stuart, c'est la mort héroïque et sublime d'une époque. Mais dans ce combat chacune d'elle réalise parfaitement son idéal : Elizabeth, la réaliste vainc dans le domaine de l'Histoire, Marie Stuart, la romantique, dans celui de la poésie et de la légende.
Une biographie passionnante où l'écrivain cherche avec une grande sincérité à faire sortir Marie Stuart de la Légende pour nous montrer la femme face à l'Histoire même si l'on sent bien pourtant où va sa sympathie.

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Fille de Marie de Guise ou de Lorraine et de Jacques V d'Écosse, Marie Stuart fut reine d'Écosse à la mort de son père en 1542, sept jours après sa naissance, et reine de France en 1559 à dix-sept ans. Arrivée à la cour des Valois à l'âge de cinq ans, fiancée au dauphin François, elle fut élevée en France dans une cour qui cultivait les arts et les lettres et l'esprit de la Renaissance. Ce fut les moments les plus heureux de sa vie. Entourée des ses amies, les quatre Marie,  admirée par tous, célébrée par les poètes comme Ronsard ou du Bellay, Marie étudia le latin, l'italien, la musique, s'exerça à la poésie.








La Reine blanche    A la mort de François II, Marie Stuart porte le deuil des reines, en blanc
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Après la mort de son époux, elle regagna l'Écosse gagnée par le puritanisme, déchirée par les luttes de pouvoir où le contraste avec la cour française fut brutal. Son catholicisme et son autoritarisme, les révoltes des protestants et des nobles, son mariage avec l'assassin de son mari, provoquèrent son abdication en faveur de son fils Jacques VI en 1567. Elle se réfugia alors en Angleterre pour demander protection à Elizabeth qui la maintint prisonnière pendant dix-huit ans dans des châteaux où Marie Stuart avait la possibilité d'avoir sa propre cour avec ses domestiques et ses fidèles mais ne pouvait sortir du pays. Elle ne cessa dès lors d'encourager des complots dans le but de  se libérer et de monter sur le trône d'Angleterre. Élisabeth la fit exécuter.





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Le mariage de François II et Marie Stuart, reine de France et d'Ecosse(1559)


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Henri Stuart, Lord Denley, fils du comte de Lennox, cousin de Marie, fut son second mari. Elle le fait assassiner par son amant Bothwell qu'elle épousa peu après.










Bothwell, l'assassin de Lord Denley, devint  son troisième mari


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Bothwell, l'assassin de Lord Denley, devint  son troisième mari

samedi 20 juin 2009

Hammerklavier : Yasmina Reza et le Festival d’Avignon

 


A l'approche du festival d'Avignon 2009, je ne me peux m'empêcher de citer ce très beau texte que j'ai lu dans le recueil de récits de Yasmina Reza : Hammerklavier. Il s'intitule Trente secondes de silence et Yasmina Reza y raconte comment  José-Maria, un de ces amis espagnols, Catalan épris de théâtre, lui fit un jour la narration d'un séjour à Avignon du temps de sa jeunesse.

On donnait, me dit-il, au Palais des Papes, la première des Caprices de Marianne avec Gérard Philippe et Geneviève Page. Tu te souviens, me dit-il en s'arrêtant de marcher, les mots d'Octave: "adieu ma jeunesse.. adieu les sérénades.. Adieu Naples... Adieu l'amour et l'amitié... Pourquoi adieu l'amour? demande Marianne. Je ne vous aimais pas Marianne; c'était Célio qui vous aimait."
Gérard Philippe s'en va. Geneviève Page disparaît à son tour sous la musique de Maurice Jarre, puis le noir, puis rien. Et là, me dit José-Maria, debout, arrêté, encore frissonnant, il se passe, je te jure, trente secondes, au moins trente secondes d'immobilité, moi, me dit-il, je tremblais de tous mes membres, j'avais seize ans, je venais de Barcelone, qu'est-ce que tu veux à cette époque là-bas on ne savait pas ce qu'était le théâtre, et tout d'un coup, la salle entière s'est levée, après au moins trente secondes de silence complet et s'est mise à applaudir.
Quelle chance, me dis-je, quelle chance, non pas d'avoir vu ce spectacle, me dis-je, ni d'avoir vu Gérard Philippe, ni Geneviève Page -moi aussi, pensai-je, j'ai vécu de grands instants de théâtre- quelle chance d'avoir connu ce public. Quel bonheur d'avoir connu ce temps béni de la non-participation. Un temps où il n'était question  que de recevoir, en toute simplicité et en toute honnêteté -peut-être la plus noble attitude- un temps où il ne s'agissait pas de s'exprimer, de prouver, d'être un soi bruyant et apparent. Où que nous allions aujourd'hui, me dis-je, les gens applaudissent sur la dernière note. Aucun silence. Pas une seule seconde de retrait. Vite, applaudir. Vite, se manifester, vite en être, énoncer à tue-tête son imposant verdict. Et chacun, me dis-je, tandis que j'écoute José reprendre le meilleur moment de son histoire, c'est-à- dire les trente secondes de silence, d'être si fier d'appartenir à cette ignoble communauté, l'ignoble et nouvelle communauté du public averti, intelligent, les "haut de gamme" de l'humanité, ceux qui sortent, ceux qui en sont et qui savent, qui ont leurs élus et leurs damnés.

jeudi 11 juin 2009

Lozère : Au pays où fleurissent les joubarbes…


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Je vais passer quelques jours au pays où fleurissent ces joubarbes...

vendredi 22 mai 2009

Retour de voyage : Edimbourg, une brassée d' images


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Château médieval  d'Edimbourg

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Cour intérieure du château médieval

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Vues du château sur la ville neuve



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Cathédrale : vue d'ensemble et détail

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Sculpture  (détail) chapelle de la cathédrale










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Vue du jardin : la vieille ville

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closer : rue couverte de la vieille ville

lundi 11 mai 2009

Départ en voyage à Edimbourg


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Je suis à Edimbourg jusqu'à la fin de la semaine. Au revoir!

mercredi 29 avril 2009

Festival d’Avignon 2009 : Wajdi Mouawad : Forêts

Wajdi Mouawad est l'auteur invité du Festival d'Avignon 2009. Libanais, Wajdi Mouawad a dû quitter son pays; il vit maintenant au Canada. Il fait des études à l'Ecole nationale de théâtre du Canada où il étudie les arts du spectacle.
Sa première pièce s'intitule Alphonse en 1996 suivi par Les mains d'Edwige au moment de sa naissance en 1999. Inspiré par les thèmes de la guerre, de la mémoire et de la filiation, Wajdi Mouawad publie et met en scène ses propres textes Littoral (1999)Incendies (2003) et  Forêts (2OO6). Il est aussi l'auteur de Rêves (2002) Assoiffés (2007) Le soleil et la mort ne peuvent se regarder en face (2008). En 2005, il refuse le Molière du meilleur auteur francophone qui devait lui être décerné pour dénoncer le travail de certains directeurs de théâtre qui négligent la lecture des manuscrits et qui, en ce sens, ne s'impliquent pas dans la promotion des jeunes dramaturges.
L'auteur fonde deux compagnies avec Emmanuel Schwartz : au Québec, la compagnie Abé Carré Cé Carré ; en France, la compagnie Au Carré de l'hypoténuse. Il écrit aussi son premier roman intitulé Visage retrouvé et tourne l'adaptation cinématographique de Littoral. En 2008, il interprète Seuls au Festival d'Avignon.
Pour le festival d'Avignon,  en 2009,   il présentera  son quatuor  Le Sang des promesses au parc des expositions de Châteaublanc  : Littoral, Incendies, Forêts  et créera Ciels dans la cour d'Honneur du Palais des papes.
Forêts
Forêts est un texte riche, foisonnant et complexe. Il est donc difficile de  résumer la pièce  sans laisser de côté certains aspects ou ramifications. Je m'y essaie pourtant.
Loup, une jeune fille de seize ans vient de perdre sa mère, Aimée, morte d'un cancer. Celle-ci a refusé de se  soigner car il lui aurait fallu avorter et sacrifier son bébé; c'est une lourde responsabilité pour Loup. Commence alors pour elle une quête qui lui permet de remonter dans le passé et de retrouver la filiation qui - de mère en fille - relie les membres de sa famille aux plus sombres périodes de notre siècle, de la guerre de 1914 aux horreurs des camps nazis, à la tragédie du 6 Décembre 1989 qui s'est déroulée à l'université polytechnique de Montréal où un tireur fou a tué quatorze jeunes étudiantes.
Avec un paléontoloque, Douglas Dupontel, lui-même victime du devoir de mémoire, elle découvre la fatalité qui pèse sur les femmes de sa famille coupables d'une génération à l'autre d'abandon de leur enfant, les atrocités qui ont eu lieu dans le monde mais aussi chez les siens. Le but de cette quête est essentielle pour Loup :  il ne s'agit de rien de moins que  de briser la fatalité, de trouver "un talisman contre le malheur" et d'accepter la vie :
 Maman,
 Tu m'offres le monde
et le monde est grand
Mais puisque tu as choisi de me le donner
Je choisis de le prendre!
La narration est complexe car toutes les époques se chevauchent, les personnages du passé  faisant  irruption dans le présent ou dans le présent du passé ou...
Les thèmes sont nombreux, on le voit :   l'horreur de la guerre, la dénonciation du nazisme et de l'holocauste, le devoir de mémoire, la responsabilité de l'homme qui transforme l'univers en enfer, la culpabilité, l'enfance abandonnée, l'autorité abusive du père qui impose son rêve à ses enfants... Les grands mythes fondateurs sont aussi explorés : le regret du paradis perdu et impossible à faire renaître, les Atrides, l'inceste et l'Oedipe.
Et les dominant tous le  thème de la  filiation qui souligne ce paradoxe : pour vivre il faut à la fois lever le secret de son origine (la quête de Loup) car l'on ne  peut  sans cela être un être complet et se libérer de la prison familiale pour découvir le monde de ses propres yeux au risque de tomber en Enfer .. (Edmond le Girafon)
La langue est belle, inspirée, ouvrant une vision sur l'extérieur, sur les grands espaces canadiens, laissant le froid et la neige venir jusqu'à nous :
Douglas Dupont : Tout ça qui est là-bas et qui va jusqu'au trait du ciel, c'est le fleuve Saint-Laurent ?
Achille : Ici, en Gaspésie on appelle fleuve ce qu'ailleurs on appelle océan. Les gens ont le coeur gros par ici. L'espace ça aide à contenir les peines et les colères.
Le comique  côtoie souvent le tragique  :
Douglas Dupontel :  Ecoutez le mieux, c'est de m'envoyer ça à mon adresse internet. Oui? Je vous la donne: animaquaenobiscumdegunt arobase museepaleontologiecomparée trait d'union paris trait d'union direction point general point fr.
(...)
Dougla Dupontel : Non, non, animaquaenobiscumdegunt ça signifie animaux domestiques en latin .. quand on comprend ce n'est pas compliqué.. je vous épelle : a..n..i..
Loup : Donnez-lui mon adresse à moi ça va être plus simple, avec une affaire de même on sera encore ici l'année prochaine jusqu'à Pâques, jusqu'à Noël puis le Nouvel An.
(...)
Douglas Dupontel : on va vous donner un autre mail.
Loup : Toutemecoeuretoutemefaitchier arobase hotmail point com pas d'accent pas d'apostrophe.
J'aime beaucoup le personnage de Loup qui apporte sa fraîcheur et sa sensibilité  à toute cette noirceur. Entre révolte et angoisse, avec son vocabulaire d'adolescente, on va la voir peu à peu se transformer pour atteindre la compréhension et la maturité :
Douglas D :  De quoi avez-vous si peur, Loup?
Loup : J'ai peur de ne pas trouver ma place dans le monde. C'est important, ça, de trouver sa place dans le monde quand on a seize ans, non?
Douglas D : Vous avez le temps, vous êtes jeune!
 Loup : Non, je n'ai pas le temps et je ne suis pas jeune! Ya rien de plus niaiseux de plus épais de plus cave qu'un jeune qui dit de lui qu'il est jeune! Ca veut dire qu'il est déjà mort. Moi, je veux tout, tout de suite et que ce soit beau, grand, magnifique et bouleversant et clair...
Un vrai texte littéraire, donc, qui procure le plaisir de la lecture. Après, bien sûr, il faut le voir au théâtre car il n'existera complètement que par cette interprétation, cette transformation ou maturation que va lui donner la mise en scène.

mardi 28 avril 2009

Festival d’Avignon : la chambre d’Isabella et le bazar du homard de Jan Lauwers

                                         

Jan Lauwers est né à Anvers en 1957. Plasticien, il a étudié à l'école des Beaux Arts de Gand et pratique toutes les disciplines Il  a créé Needcompany avec Grace Ellen Barkey, à Bruxelles, en 1987.
J'ai consulté le site de Needcompany  dont je cite des extraits :
"Jan Lauwers s’inscrit ainsi dans le mouvement de renouveau radical du début des années quatre-vingts en Flandre..."
"Le langage scénique de Jan Lauwers s’oriente vers la démultiplication des pôles d’intérêt et des moyens mis en scène : théâtre, discours intime, danse, chanson, et vidéos sont intimement mêlés avec la musique et le langage pour éléments structurants."             .
" Les premières productions de Needcompany, Need to Know (1987) et ça va (1989) – pour laquelle Needcompany a obtenu le Mobil Pegasus Preis – sont encore très visuelles, mais dans celles qui suivent, la ligne narrative et la notion de thème central gagnent en importance, même si la construction fragmentée est conservée."
La Chambre d'Isabella et surtout le bazar du homard illustrent totalement ce genre de théâtre. C'est pourquoi il m'a été difficile de les lire et d'éprouver un intérêt soutenu. Le récit, en effet, n'a qu'une trame narrative très faible, le langage s'il est un élément structurant  n'a rien en soi d'exaltant. On peut aimer  certaines pièces en les lisant - que ce soit du  théâtre classique ou contemporain - parce que la langue est belle, poétique, fascinante, parce que l'histoire est forte, provoque l'émotion, exalte des idées mais ce n'est pas le cas ici.
Je suppose que pour juger ce genre de théâtre où le langage et l'histoire deviennent secondaires, il faut le voir et non le lire? L'intérêt doit consister dans la scénographie, la danse, les costumes, les chants? C'est ce qui m'a frappé en lisant des critiques sur Isabella, les gens parlent beaucoup d'une chanson qui les a marqués mais qui ne figure pas dans la pièce!
La Chambre d'Isabella : une vieille dame  aveugle enfermée dans une chambre qui contient toutes sortes d'objets africains évoque ses souvenirs.  Elle convoque ainsi ses fantômes, les personnes qu'elle a connues et aimées, disparues avant elle. Avec sa vie, c'est toute l'histoire du XXème siècle qui défile...

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Le bazar du homard : Axel, mari de Thérésa, est généticien et a déjà créé un clone humain et le clone d'un ours; mais il n'a pu le faire avec son fils Jef, mort accidentellement.  Le thème est celui de la perte d'un enfant. Toutes sortes d'aventures et de personnages rocambolesques  gravitent autour du couple.


voir video : La chambre d'isabella
Une critique de :  la chambre d'Isabella
Une critique de :   Le bazar du homard

lundi 27 avril 2009

Avant-programme du festival d’Avignon 2009




63e festival de théâtre d'Avignon


L'avant-programme du festival d'Avignon permet de connaître les principaux spectacles qui seront donnés dans le IN du 7 au 29 Juillet 2009. Environ 24 spectacles dans différents lieux du IN dont neuf spectacles en langues étrangères surtitrés en français.
Dans la Cour d'Honneur, en particulier, seront joués le quatuor de Wajdi Mouawad, artiste invité du festival, libanais immigré au Québec : Le sang des promesses; le  spectacle de Appolonia de Warliskovi d'après Eschyle, Euripide... en polonais; Casimir et Caroline de Odon Von Horvath, mise en scène par J. Simons et P. Koek.
Remarquons encore une fois dans le IN l'inévitable Jan Fabre dans la Cour du Lycée Saint Joseph.
Un réalisateur de cinéma est invité au théâtre : Amos Gitai avec La Guerre des fils de lumière contre les fils des ténèbres d'après La Guerre des juifs de Flavius Josephe à la carrière de Boulbon
Un seul "classique" français à l'opéra-théâtre : Angelo, Tyran de Padoue de Victor Hugo mise en scène par Christophe Honoré, metteur en scène de théâtre et de cinéma, écrivain, dramaturge, acteur...
Pour mon plaisir personnel,  je note la venue de Maguy Marin au Gymnase Aubanel du 8 au 16 Juillet ou Ode maritime de Fernando Pessoa à la salle Montfavet.


Certains  titres me sont inconnus.
J'ai lu La chambre d'Isabella de Jan Lauwers dont la trilogie Sad Fac/Happy Face dont la trilogie sera montée au parc des expositions  de Châteaublanc. La pièce a déjà été présentée à Avignon en 2004  par la Needcompany dans une mise en scène de l'auteur. Je ne l'ai pas vue alors.
Je parlerai de cette lecture dans un prochain billet.

dimanche 26 avril 2009

Rafael Alberti… Sur les Anges





Aurélia Frey : Des nuages et des contes


Trois souvenirs du ciel dans le recueil : Sur les anges (1929)


Premier souvenir


Elle se promenait avec un air de lis qui pense,

presque un air d'oiseau qui sait qu'il doit naître.

En se regardant sans se voir dans une lune qui changeait

son rêve en miroir

et dans un silence de neige, qui soulevait ses pieds du sol.

Penchée sur un silence.

Antérieure à la harpe, à la pluie et aux mots.

Elle ne savait pas.

Blanche élève de l'air,

elle tremblait avec les étoiles et la fleur, avec les arbres.

Sa tige, sa verte taille.

Avec mes étoiles

qui, de tout ignorantes,

pour creuser deux lagunes dans ses yeux

la noyèrent dans deux mers.


Et je me souviens...

Rien d'autre : morte, s'éloigner.


C'est ainsi que la lecture des poèmes de Rafael Alberti nous plonge dans un univers fascinant où naissent des images que l'on ne peut toujours expliquer mais qui font vivre en nous des mondes inconnus, inexplorés.

 

Les Anges collégiens


Aucun de nous ne comprenait le secret nocturne des ardoises

ni pourquoi la sphère armillaire s'excitait aussi esseulée quand nous la regardions.

Nous savions seulement qu'une circonférence ne peut pas être ronde

et qu'une éclipse de lune abuse les fleurs

et donne de l'avance à l'horloge des oiseaux.

 

Aucun de nous ne comprenait quoi que ce fût :

ni pourquoi nos doigts étaient d'encre de Chine,

ni pourquoi le soir ouvrait des compas pour ouvrir à l'aube des livres.

Nous savions seulement qu'une droite peut, à son gré, être courbe ou brisée

et que les étoiles errantes sont des enfants qui ignorent l'arithmétique.
 





Rafael Alberti : D'Espagne et d'ailleurs (poèmes d'une vie)
traduits de l'espagnol par Claude Couffon

édit. Le Temps des Cerises

Les anges, de Rafael Alberti à Homero Aridjis

 
L'ange de l'Annonciation de Fra Angelico

Quand le grand poète espagnol, Rafael Alberti, publie, en 1929, à l'âge de vingt-sept ans, son recueil Sur les Anges (Sobre los angeles) il traverse une période qui n'est que colère, fureur, rage, détresse, selon ses propres mots. A peine remis de la tuberculose,  en proie à une crise spirituelle avivée par un chagrin d'amour, il entretient pourtant l'espoir en lui. Par la poésie, il va entreprendre de renaître à lui-même. Sur les Anges correspond donc à la quête du poète à la recherche de son âme. C'est la rencontre de l'amour,  de celle qui deviendra sa femme et le ramènera à la vie.

Ainsi il écrit à propos de son recueil : "C'est alors que j'eus la révélation des anges, non pas des anges chrétiens, corporels, des beaux tableaux ou des gravures, mais de ces anges qui ressemblaient à d'irrésistibles forces de l'esprit, aptes à être façonnées selon les états les plus troubles et les plus secrets de ma nature. Et je les lâchai par bandes à travers le monde, aveugles réincarnations de tout ce qu'il y avait en moi de sanglant, de désolé, d'agonisant, de terrible et parfois de bon- de tout cela qui me traquait" .

 Peu de temps après avoir refermé Sur les anges d'Alberti, j'entrai dans l'univers du recueil Le Temps des Anges (Tiempo de angeles) de Homero Aridjis, poète mexicain que je m'étais promis de découvrir après avoir lu l'hommage que lui consacrait Le Clezio dans son discours pour le prix Nobel.

Le recueil de Homero Aridjis fait bien sûr référence à celui de Rafael Alberti en particulier dans le long poème de dix strophes intitulé Sur des anges qui est une variation sur le titre du recueil du poète espagnol.

Pour Homero Aridjis, l'ange est celui qui unit l'être aux dieux, c'est celui que l'homme deviendra quand il se trouvera lui-même, lorsqu'il saura voir l'ange qu'il y a en lui. L'ange et l'homme se rejoignent dans la langue originelle que parlent tous les anges de tous les temps, celle qui est faite des mots du poème, de paroles intérieures.

L'ange n'est-il pas tout simplement le poète chargé d'assister à la souffrance et la solitude des hommes, à la destruction de notre planète et de s'en faire le témoin? Son témoignage parviendra-t-il à ramener les hommes à la raison, et à l'amour, à introduire une lumière dans le dernier soir du monde?

L'ange, en ces temps de noirceur

qui se préparent,                           
  sera messager de lumière.

Que l'ange soit l'égal de l'homme

Voici que vient le temps des anges .


Fra Angelico

L'Ange du soleil couchant (extraits)

Il marchait dans la forêt perturbée,

entendait le parfum des plantes effacées,

touchait le chant des oiseaux disparus,

voyait les branches de végétations mortes,

car dans sa mémoire chaque temps était présent,

des visions se détachaient par ses yeux.

(...)

 Les ancêtres venaient à sa rencontre :

"Qu'as-tu fait des animaux? Pourquoi salir les flots?

L'air a changé. Où sont partis les oiseaux?"

"L'année fut sans printemps, et sera sans hiver.

Le soleil, comme un oeil sans paupières,

fixe furieusement la terre."

Lui, figé sur la colline du Couchant,

vêtu de jaune, les ailes resplendissantes,

ne trouvait pas de mots pour répondre;

il leur montrait simplement de la main

les bribes bleues, les lambeaux verts

du paysage de son enfance lacérée







 

samedi 25 avril 2009

Le vent parle en silence…


Je découvre souvent en lisant des blogs ou des chroniques des textes qui me parlent,  dont j’aime l’idée et l’écriture. J’ai envie de les conserver pour les relire. J’ai décidé de les “collectionner”.

Allez voir la beauté de l'image et du texte de Bruno dans Carnet de bord  et sur son site professionnel.

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Quand la beauté attire la beauté dans un souffle à l’idée d’une durée éternelle. De ma rêverie, ou l’intranquillité berce mes nuits, je m’envole dans un délire délicieux ou l’imagination me porte en douceur. Je ne suis plus heureux qu’au banc de mes pensées.
Bruno De cuyper
 J’entends passer le vent, - et je trouve que rien que pour entendre passer le vent, il vaut la peine d’être né.
Le Gardeur de troupeaux
Fernando Pessõa