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mercredi 15 novembre 2017

Tarjei Vesaas : Nuit de printemps



Quelle merveille- et ses ombelles qui tournoyaient comme des roues et comme des robes entrées dans la danse.



Quel étrange roman que celui de Tarjei Vesaas :  Nuit de printemps  aux éditions Cambourakis en 2015 !  Etrange, car l’écrivain est le maître de l’indicible et laisse à ses lecteurs le soin d’interpréter !

Dans Nuit de printemps, il en est ainsi car le point de vue est celui de Hallstein, un garçon rêveur, encore crédule et sous influence, qui regarde ce qui se passe autour de lui sans le comprendre vraiment. Et comme tous les personnages sont incapables de communiquer, l'adolescent sera pris dans un noeud de sentiments contradictoires et un enchevêtrement de faits inexplicables.

Le récit

Contrairement à certains de ses romans, Tarjei Vesaas raconte une histoire dans Nuit de printemps.  Hallstein et sa soeur bien-aimée Sissel se retrouvent seuls pour deux jours dans la maison, leurs parents étant partis à un enterrement. Sissel, 18 ans, est bien capable de s’occuper de son frère 14 ans et tous deux sont des enfants raisonnables. Oui, mais rien ne va se passer comme prévu.

D’abord Hallstein surprend sa soeur en train d’échanger un baiser avec Tore, un voisin de son âge, puis le repousser et se disputer avec lui. La scène trouble Hallstein; il ne parvient pas à comprendre les sentiments de Sissel. Il perçoit qu'il y a chez la jeune fille une contradiction entre le langage du corps et celui de la parole. Il comprend que c’est la fin de  leur complicité, Sissel entre dans le monde adulte alors que lui n'est encore qu'un enfant. Heureusement, Hallstein à une amie imaginaire que lui seul peut voir, Gudrun et sa franche blonde, qui le réconforte avec son franc parler quand il ne va pas bien !

Et puis survient un évènement qui entraîne le chaos : une voiture tombe en panne devant chez eux. On leur demande l’hospitalité pour Grete, une jeune femme sur le point d’accoucher. Son mari Karl est nerveux, ce qui se comprend, mais aussi violent et agressif. Et qui est cette vieille femme Kristine oubliée dans la voiture? Elle est muette et impotente mais elle parle à Hallstein, et lui fait promettre son aide; et pourquoi le mari de cette dernière se comporte-t-il aussi follement, pourquoi semble-t-il avoir peur ? Enfin, quelle surprise, quel bonheur, au milieu de cette famille impossible, Hallstein découvre Gudrun, sa Gudrun avec sa frange blonde !

 Je ne vous en dis pas plus mais sachez que tout semble déraper, n’avoir aucun sens. Il  n'y a, entre tous ces êtres, aucune possibilité de se parler, de s’écouter et donc de s’entendre. Hallstein est pris dans un tourbillon d’urgence et de folie, balloté de l’un à l’autre. L’amoureux de Sissel, Tore, quant à lui, n’est pas plus raisonnable, il erre toute la nuit dans la forêt.

Une  nuit de printemps

Une nuit de printemps, pas celle de Shakespeare, non, mais celle de Tarjei Vesaas ! Une nuit ou l’amour, la haine, la mort mais aussi avec la naissance du bébé, la vie, sont au rendez-vous !
Une nuit de printemps - et c'est aussi ce qui me fait penser à Shakespeare- où la nature est présente, où elle offre un refuge à ceux qui en ont besoin, où sa beauté lumineuse, en cette saison en Norvège,  est enivrante.

L'incommunicabilité entre les êtres

Ce que j’admire dans Tareji Vesaas, c’est cet art de ne pas dire les choses, de les suggérer, de les faire sentir à travers un geste, un début de phrase qui s’interrompt, un regard, un pli du visage. Il y a quelque chose de douloureux dans cette incommunicabilité entre les êtres.
L'adolescent qui se trouve pris dans cet engrenage a une innocence qui devrait le disposer à souffrir. Mais il a Gudrun, l'incarnation de ses rêves dans la réalité,  et sa propre force qui lui donnent la sensation d’avancer et l’on sent qu’il en sort plus mûr, plus fort. Nul doute que cette nuit de printemps ouvre pour lui une brèche d'où échapper au monde de l'enfance. Elle lui laissera un souvenir indélébile.



 Tarjei Vesaas est né à Vinje dans le Télémark, au sud de la Norvège, en 1897, et mort en 1970, à quelques kilomètres de la ferme familiale. Le chant de la terre, de la vie paysanne, l’exaltation de la vie, l’enfance et sa psychologie, comptent parmi les thèmes majeurs de son œuvre. Le Palais de Glace a reçu en 1963 le grand prix du Conseil Nordique et il est, avec Les Oiseaux, l’un des romans les plus emblématiques de l’art de Vesaas. Avec Nuit de printemps, publié en 1954, Tarjei Vesaas rompt avec cette ambiance romanesque que certains critiques contemporains lui ont souvent reprochée : des récits à la temporalité suspendue et dépourvue d’action. Texte éditions Cambourakis ici


Lecture commune avec Margotte dans le cadre du challenge littéraire nordique



Voir le beau billet, très complet de :  Erik 35 dans Babelio   ici

18 commentaires:

  1. Etrange , fascinant, mais ça donne envie

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  2. un auteur que j'aime beaucoup, je n'ai pas lu cette nuit de printemps et je vais l'ajouter à ma liste longue longue longue mais tant pis

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    1. Le roman n'est traduit que depuis peu et , miracle, je l'ai trouvé à la bibliothèque de ma ville ! Aussi je n'ai pas hésité.

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  3. On a l'impression, d’après ton commentaire, que l'on doit se laisser aller et emporter par les faits et les mots.

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    1. On est emporté mais on cherche à comprendre et parfois on comprend mieux que le gamin !

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  4. Ta présentation est très attirante, je note ce titre et cet auteur. C'est sans doute sans rapport, mais l'intrigue et ses dérapages m'ont fait penser à l'univers de Joyce Carol Oates.

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    1. Non, ce n'est pas du tout l'univers de Oates; Quand celle-ci introduit l'irrationnel, c'est plutôt à la manière japonaise, le fantastique qui fait irruption dans le réel. Tandis que dans une nuit de printemps, tout est finalement rationnel, c'est vu par l'enfant qui ne comprend pas et c'est l'impossibilité de communiquer entre eux qui rend tout complexe !

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  5. Très bel article ! J'ai découvert cet auteur l'an dernier avec L'incendie et si j'avais aimé son originalité, j'avoue que la difficulté à comprendre ce texte obscur m'a dissuadée de lire d'autres titres...

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    1. Je n'ai pas lu l'incendie mais le Palais de glace n'est pas difficile à comprendre. Dans d'autres livres il n'y pas de récit, c'est plus complexe ; il faut plutôt le lire comme on lit un poème.

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  6. Très intriguant ! Cela fait un moment que je tourne autour de cet auteur (comme de bien d'autres !)

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  7. Quel beau billet ! tu as bien fait de rédiger sur T. Vesaas, c'était son jour chez toi ;-) Je note ce titre alors pour ma prochaine lecture de cet auteur après "La Barque le soir" qui attend dans ma PAL... je suis sûre que ce roman va me plaire !

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  8. La barque le soir n'est pas vraiment un roman, ce sont des souvenirs d'enfance qui surgissent déconnectés les uns des autres. Il n'y a pas d'histoire. Ma fille qui est photographe a travaillé à partir de ce livre quand elle est allée en Norvège. Une poésie liée à l'eau, à la terre, à la nature.

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  9. La barque le soir, mon livre " de chevet" et je crois que je vais adorer Nuit de printemps. Il y a bien-sûr le palais de glace, mais aussi Être dans ce qui s'en va, édition bilingue, aux éditions Rafael de Surtis-Editinter et Lisières de givre aux éditions Grèges.

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  10. Tu es bien la spécialiste de Tarjei Vesaas ! J e n'ai pas lu Etre dans ce qui s'en va.

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  11. Je participe à la LC Margottienne de décembre sur cet auteur. J'en ai acheté un, mais j'ai l'impression que tous ses titres suscitent l'admiration.

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    1. Oui ! mais certains de ces livres racontent une histoire comme le Palais de glace (lagnifique) ou Nuit de printemps; d'autres non. C'est plus irrationnel, il n'y a pas de récit, c'est de l'ordre de l'impression, du ressenti, de la poésie. Donc il faut aimer être surpris !

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